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Full text of "L'art gréco-bouddhique du Gandhâra : étude sur les origines de l'influence classique dans l'art bouddhique de l'Inde et de l'Extrême-Orient"

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PUBLICATIONS 
DE  LKCOLIÎ   FRANÇAISE  DEXTUÈME-ORIENT 


L'ART  GRECO-BOUDDHIQUE 

DU  gandhAra 

irUDE  SUR  LES  ORIGINES  DK  L'INFLUENCE  CLASSIQUE  DANS  L'ART  BOUDDHIQUE 
DE  L'INDE  ET  DE  L'EXTRÊME-ORIENT 

PAR  A.   FOUCHER 


TOME   II 

SECOND  FASCICULE  :   L'HISTOIRE.  —  CONCLUSIONS 

AVEC  125  HXUSTRATIONS  ET  1  PLANCHE 


PARIS 
IMPRIMERIE  NATIONALE 


ÉDITIONS  ERNEST  LEROLX,   RUE  BONAPARTE,   28 


MDGGCGXXII 


/  /.o> 


0.V/PA^^iO5Ç_ 


'^f  Pourlb 


QUATRIEME   PVUTIE. 

LHISTOIHE. 


CHAPITRE    XV. 

LES  OliKilM-S  \)E  I.KCOLE  DU  G.VNDHÂRA. 

Alix  statues  et  aux  bas-reliefs,  sculptés  dans  la  pierre  de  schiste 
ou  modelés  dans  le  mortier  do  chaux,  ajoutez  de  très  nombreuses 
monnaies,  de  rares  intailles  et  quelques  objets  d'or,  d'argent  et  de 
cuivre'''  :  vous  aurez  épuisé  tout  ce  qui  nous  reste  des  productions 
de  l'école  indo-grecque  du  Nord-Ouest  de  l'Inde.  Des  fresques  qui, 
nous  dit  Hiuan-tsangf-',  couvraient  à  profusion  les  vantaux  des 
portes  et  des  fenêtres  et  les  murs  des  couvents  bouddhiques,  le 
climat  de  l'Inde  a  eu  depuis  longtemps  raison,  et  nous  ne  conser- 
vons aucun  espoir  d'eu  retrouvei- jamais  au  Gandhàra  le  moindre 
vestige.  Les  grottes  de  l'Afghanistan,  à  défaut  des  tumuli  de  Bac- 
tres,  nous  en  rendront-elles  un  jour  quelques  fragments?  Ou  faudra- 
t-il  à  tout  jamais  nous  contenter,  pour  en  prendre  une  idée  du 
moins  approximative,  des  plus  anciens  spécimens  de  |)eintures 
murales  récemment  découverts  dans  l'Asie  centrale?  C'est  le  secret 
de  l'avenir.  Pour  I  instant,  il  convient  de  rappeler  une  lois  de  plus 
que,  dans  nos  collections  de  sculptures  gandhàriennes,  nous  possé- 

'''  On  trouvera  encore  cjuelijues  spé-  logirnl  Sitrveij   of  India,  Animal   Itcimit 

ciniens  île  poterie  publiés  par  MM.  J.  H.  ii)0'2-3,  fig.  ai  et  p.  180). 
Mabshali,  et  J.  Pli.  VoGEL  à  la  suite  de  <^'  Mém.,  1,  [i.  67;  Records,  I,  p.  7A  : 

leurs  Excavations  at  Chdisadda  (Arcliii'o-  Travcis,  p.  i/t-. 

(;(\nnun.  -  11.  -jli 


L'auteur,  se  trouvant  actuellement  en  mission  sur  le  terrain 
de  ses  recherches,  se  réserve  de  publier  ultérieurement  un 
appendice  contenant,  outre  un  index  général  des  deux  volumes 
et  un  répertoire  des  principales  œuvres  de  la  sculpture  gandhà- 
rienne,  les  corrections  et  additions  reconnues  nécessaires. 


/iO"2  LKS  ORIGINES  DE   L'ECOLE  DU   GANDH\RA. 


dons  seulement  les  débris  mutilés  d'un  des  deux  grands  tronçons 
(le  l'art  indo-grec  • 

Parenthèse  sur  la  peinture.  —  On  ne  saurait  douter,  en  effet, 
que  le  répertoire  des  peintres  n'ait  été  au  moins  aussi  étendu  et 
aussi  varié  que  celui  des  sculpteurs;  et  rien  d'ailleurs  ne  prouve 
que  plus  d'un  de  nos  artistes  n'ait  manié  tour  à  tour,  et  avec  la 
même  aisance,  le  pinceau,  le  ciseau  et  l'ébauchoir.  Assurément  il  se 
marque  chez  les  vieux  traités  de  discipline  une  tendance  déjà  toute 
puritaine  —  ou,  si  l'on  préfère,  toute  musulmane  —  à  prohiber 
les  représentations  d'hommes  ou  de  femmes  pour  ne  tolérer  sur  les 
murs  des  cellules  monastiques  que  de  simples  motifs  décoratifs  : 
mais  un  passage  du  Lolus  de  Ja  Bonne  Lot  prouverait  clairement, 
s'il  en  était  besoin,  qu'artistes  et  donateurs  n'avaient  pas  reculé 
devant  la  figuration  du  Maître  lui-même  C.  Bien  d'autres  témoi- 
gnages écrits  nous  entretiennent  d'images  de  piété  ou  de  scènes  de 
légende  :  seulement  c'est  ailleurs  qu'au  Gandhara  que  nous  devons 
en  chercher  la  confirmation  figurée.  Pour  rencontrer  une  de  ces 
fr Roues  de  la  transmigration n  qui,  selon  le  Dmjâvadâna,  étaient 
reproduites  sur  la  paroi  du  vestibule  à  Tontrée  de  tous  les  monas- 
tères, il  nous  faut  descendre  jusqu'au  fragment  qui  en  subsiste 
encore  sous  l'une  des  vérandas  d'Ajantâ (-1  De  même,  nous  avons 
dii  attendre  les  fouilles  heureuses  de  Sir  Aurel  Stein  dans  les 
parages  désertiques  du  Lob-nor  pour  retrouver  un  redet  du  pathé- 
tique tableau  représentant  le  Viçvantnra-jdiaka,  que  Song  Yun  a 
•mcore  vu  au  Gandhara  et  qui,  nous  assure-t-il,  arrachait  des 
larmes  même  aux  barbares '''.  Mais  c'est  l'une  des  trouvailles  faites 
])ar  MM.  Griinwedel  et  von  Le  Coq  sous  les  décombres  des  temples 


'''   Cullavngga,  vi.  3,   d;  Lolus  de  la  '''  M.-A.  Stein,  Riiiiis  oJ désert  Calhay, 

/)'o«J!e  Lo/,  li;i(l.  Biinoi  F,  p.   .33,  si.  85.  1,   f\g.    i/iG-i'^y.    —    SoNr,    Yit\',    Irad. 

'-   Cf.  t.  I,  p.  aGô ,  pour  tes  référentes  Ed.  Chavanxes.  dans  te  liiilhilii  ilo  l'Ecole 

(lire  naUirellenienl  h  la  ligne  19  Tdonze-  française  d'Exlrèmc-Orienl,  lit,  p.  h-io , 

au  lieu  de  rrliuil'î).  ou  Béai.,  Ihiddlilst  Records  ofthe  llcs/eni 


LES  ORIGINES  DE  L'ÉCOLE  Di:   (lANDIÙRA.  'i03 

du  Turfan,  qui  nous  apporte  peut-être  la  vérification  de  toutes  la 
plus  inattendue.  Hiuan-tsang  nous  raconte  en  passant  qu'il  y  avait 
sur  le  côté  Sud  de  l'escalier  Est  du  atùpa  de  Kaniska,  près  de 
Pèsliawar,  une  image  peinte  du  Buddha,  naturellement  haule  de 
seize  pieds*'',  et  qui  présentait  cette  particularité  de  se  scinder  en 
deux  au-dessus  de  la  ceinture.  Bien  entendu,  sur  ce  cas  extraordi- 
naii'e  une  légende  s'était  greffée.  Un  peintre,  racontait-on,  à  qui 
deux  pauvres  donateurs  avaient  payé  chacun  une  pièce  d'or,  n'avait 
exécuté  qu'une  seule  figure  sur  leur  double  commande;  et  comme 
ses  clients  en  demeuraient  un  peu  interloqués,  soudain  le  torse  de 
l'image  se  dédoubla  miraculeusement  pour  la  justification  de 
l'artiste  et  l'exultation  des  fidèles.  On  eût  peut-être  découvert  sans 
trop  de  peine  à  ce  phénomène  arlislique  une  explication  plus 
rationnelle  :  la  plus  simple  paraît  d'admettre  qu'après  la  réfection 
des  peintures  qui  décoraient  la  paroi  gauche  de  cet  escalier,  la 
partie  supérieure  d'une  ancienne  image  avait  reparu  par  tran.spa- 
rence  sous  le  nouveau  badigeon.  Mais  peu  importe  :  le  point  inté- 
ressant est  que  sur  les  bannières  qui  pendaient  jadis  aux  voûtes 
des  temples  du  Turkestan  et  qui  se  sont  conservées  jusqu'à  nous 
sous  une  couche  protectrice  de  terre,  on  a  déjà  retrouvé  deux 
reproductions  de  l'image  miraculeuse  de  Pêshawar  avec  son  double 
corps  enté  sur  une  seule  paire  de  pieds'-). 

On  ne  risque  donc  pas  d'exagérer  —  ce  clioix  d'exemples  con- 
cordants le  prouve  —  ni  l'importance  locale  de  la  peinture  gandhâ- 
rienne,  vu  que  son  œuvre  comportait,  au  même  titre  que  celle  de 
la  sculpture,  des  décors,  des  scènes  légendaires  et  des  images;  ni 
non  plus  son  influence  au-dehors,  puisqu'elle  a  été  imitée  jusque 
dans  ses  bizarreries  et,  pourrait-on  dire,  ses  verrues.  On  ne  sau- 
rait non  plus  trop  regretter  sa  totale  destruction.  Se  serait-elle 

World,  I,  p.  cm.  —  Le   \  içvanUiru-jd-  contrées  occukiilales ,  I,  p.   iio  ou  Biid- 

lalca  est   également    rej)résenlé   dans   la  dliisl  Records   of  llie    Western    World,  I, 

grotte  XMl  d'Ajantà.  p.    102.  Une  des  images  du  Turfan  a 

'''  Cf.  t.  II,  p.  3h\.  été  puliliéu  [lar  Von  Le  Coq,   Cliotscho, 

'''   lIlUAN-TSANO,     ]Iêmoires     sur    Ici  pi.  '10  a. 


AO^i  LES  ORIC.INES   DE   L'ÉCOLE   DU   GANDHARA. 

bornée  à  nous  dmiiier,  avec  quelque  chose  de  plus  familier  et  de 
plus  vivani,  lo  pendant  en  couleurs  de  nos  pierres  sculptées,  que 
cet  élément  de  comparaison  nous  eût  été  des  plus  précieux.  Mais 
nous  avons  des  raisons  de  croire  qu'avec  elle  nous  avons  perdu 
mieux  encore  :  au  point  de  vue  artistique,  de  ^éritables  chefs- 
d'œuvre,  supérieurs  aux  meilleurs  bas-reliefs;  au  point  de  vue 
historique,  de  non  moins  irremplaçables  lumières  sur  les  origines 
mêmes  de  l'école.  Quand  on  constate  le  rôle  considérable  que  la 
i)einture  a  joué  dans  l'adaptation  de  l'art  antique  aux  besoins  spé- 
ciaux du  Christianisme,  on  ne  peut  s'empêcher  de  se  demander  si 
ce  n'est  pas  également  le  pinceau  libre  et  prompt  des  peintres  hellé- 
nistiques qui  a  le  premier  ménagé  la  ti'ansition  nécessaire  entre  le 
répertoire  classique  et  l'imagerie  particulière  du  Bouddhisme.  Les 
sculpteurs,  toujours  plus  routiniers  et  lents  à  s'émouvoir,  n'auraient 
fait,  dans  cette  hypothèse,  que  repuendre  en  matériaux  plus  du- 
rables les  créations  des  peintres  indo-grocs,  si  bien  que  nous  ne 
connaîtrions  guère  que  de  seconde  main  l'objet  direct  de  nos 
études.  Imaginons,  pour  préciser  les  idées,  une  situation  analogue 
à  celle  où  nous  nous  trouverions  si  les  peintures  des  Catacombes 
étaient  perdues  et  que  nous  n'ayons  conservé,  comme  premiers 
spécimens  de  l'art  chrétien,  que  les  sarcophages  du  m"  siècle.  Ces 
considérations  peuvent  expliquer  tantôt  nos  tâtonnements  et  nos 
incertitudes,  et  tantôt,  au  contraire,  l'assurance  avec  laquelle  nous 
avons  tout  de  suite  établi  le  catalogue  du  répertoire  et  la  formule 
quasi  immuable  de  chaque  sujet!')  :  elles  doivent  assurément  peser 
d'un  poids  très  lourd  sur  la  suite  de  notre  enquête  historique.  Nous 
atteindrons  vraisemblablement ,  à  l'aide  des  documents  dont  nous 
disposons,  un  état  assez  voisin  des  débuts  de  l'art  gréco-bouddhique  : 
mettons-nous  bien  dans  l'esprit  la  possibilité  —  et  même  la  vrai- 
semblance —  que  la  disparition  de  son  œuvre  peinte  nous  dérobe 
à  jamais  la  période  initiale  de  ses  essais. 

'''  ce.  iiolniiiiiiciil  I.  Il .  |i.  ;5'iB  cl  370  et.  iiii  coniraiic,  l.  I,  ji.  (joi  el  61  7. 


LES  ORIGINES  DE  L'ÉCOLE  DU   GANDHARA.  'lOÔ 

Objet  et  plan  de  notre  enquête  historique.  —  Ceci  bien  eiileiidii, 
il  va  de  soi  que  le  plus  zélé  des  archéologues  ne  peut  utiliser  pour 
ses  recherches  que  ce  que  les  fouilles  ont  rendu;  et,  par  suite, 
notre  tache  se  trouverait  terminée  si,  dès  la  première  ligne,  nous 
n'avions  promis  d'étudier  lécole  du  Gandhâra  non  seulement  dans 
son  œuvre,  mais  encore  dans  ses  origines  et  dans  son  influence  : 
c'est  l'engagement  qu'il  se  fait  lcm[)s  de  Icnir.  11  peut  sembler 
qu'un  exposé  en  bonne  et  due  forme  aurait  dès  l'abord  traité  le 
premier  de  ces  deux  points.  Mais  la  meilleure  méthode  n'est  pas 
toujours  de  commencer  par  le  commencement.  En  abordant  un 
sujet  encore  mai  débrouillé,  il  nous  a  paru  plus  sage  de  faire 
connaissance  avec  les  monuments,  dont  bon  nombre  étaient 
encore  inédits,  avant  de  nous  livrer  à  aucune  considération  histo- 
rique sur  leur  compte.  On  ne  nous  en  blâmera  pas.  Assurément 
notre  travail  demeurerait  incomplet  si  nous  ne  tentions  à  présent 
de  suivre,  autant  que  faire  se  peut,  l'évolution  de  l'école  depuis 
ses  premiers  débuts  jusqu'à  son  ultime  décadence  :  car,  pas 
plus  qu'aucune  autre  manifestation  de  l'activité  humaine,  elle 
n'a  échappé  à  cette  fatale  loi.  Mais  déjà  l'on  devine  que  les  ré- 
sultats raisonnes  auxquels  nous  a  conduits  l'examen-  de  l'œuvre 
vont  singulièrement  faciliter  notre  enquête  historique,  ne  serait-ce 
qu'en  délimitant  exactement  son  objet  et  en  déterminant  à  l'avance 
son  plan. 

S'il  est  une  conclusion  qui  soit  revenue  comme  un  refrain  à  la 
fin  des  trois  premières  parties  de  cet  ouvrage,  c'a  été  la  constata- 
tion du  caractère  composite,  mi-grec  et  mi-indien,  de  l'école  du 
Gandhâra  :  ce  sont  aussi  les  raisons  historiques  de  ce  double  aspect 
qu'il  nous  faudra  d'abord  rechercher  ou,  plus  simplement,  coor- 
donner. Qu'on  ne  se  méprenne  pas  en  effet  sur  les  intentions  du 
présent  chapitre.  11  ne  s'agit  nullement  pour  nous  de  découvrir 
s'il  s'est  produit  en  un  temps  et  en  un  lieu,  entre  l'hellénisme  et 
l'indianisme,  un  contact  suffisamment  intime  et  prolongé  pour  être 
fécond.  Nous  considérons  que  la  preuve  matérielle  de  ces  relations 


/lUG  LHS   olilGlM'S  1)K   L'ÉCOLE   DU  tIANDIlÀin. 

vient  d'être  ainplenieut  fournie  par  les  sculptures  ijui  en  ont  été 
le  plus  durable  i'ruit.  Ne  posséderions-nous  aucun  autre  témoi- 
gnage, le  lieu  même  de  leur  trouvaille  serait-il  incertain,  qu'elles 
suffiraient  à  démontrer  —  point  lumineux  flottant  dans  le  noir 
des  siècles,  ou  point  noir  errant  sur  le  blanc  des  cartes  —  la  ren- 
contre des  deux  grandes  civilisations  de  notre  antiquité  indo-euro- 
péenne. Mais  le  cas  n'est  heureusement  pas  aussi  désespéré,  bien 
loin  de  là!  Nous  savons  en  gros  où  la  fusion  s'est  faite,  nous  savons 
même  à  peu  près  quand  0  :  nous  n'avons  qu'à  en  préciser  dans 
la  mesure  du  possible  la  date  et  l'occasion.  En  d'autres  termes,  il 
reste  seulement  à  élucider  les  conditions  générales  qui  encadrent, 
situent  et  relient  au  mouvement  général  de  la  civilisation  de 
l'Ancien  monde  le  fait  particulier,  et  en  soi  bien  établi,  de  l'art 
indo-grec.  Patiemment,  pièce  à  pièce,  à  l'aide  dune  mosaïque  de 
fragments  détachés,  nous  avons  tant  bien  que  mal  construit  notre 
sujet  :  il  ne  s'agit  plus  que  de  lui  donner  un  fond  et  une  atmosphère. 
Ce  faisant,  nous  nous  garderons  de  dévider —  érudit  à  peu  de  frais 
—  toute  1  histoire  de  l'Asie  antérieure  aux  siècles  qui  ont  précédé 
et  suivi  le  début  de  notre  ère.  Gomme  tout  à  l'heure  nous  ne  pen- 
sions rappeler  de  la  mythologie  du  Bouddhisme  ou  de  la  biographie 
du  Buddha  que  ce  qui  importait  à  l'interprétation  des  monuments, 
nous  nous  elTorcerons  à  présent  de  ne  retenir,  parmi  les  faits 
d'ordre  religieux,  politique  ou  économique,  que  les  plus  significa- 
tifs et  ceux  qui  intéressent  directement  le  développement  de  l'arL 
Aussi  bien  les  manuels  ne  man(|uent  plus  désormais,  auxquels 
renvoyer  le  lecteur'-).  Dès  que  nous  relevons  nos  yeux,  jusqu'ici 
obstinément  penchés  sur  les  fouilles  gandhâriennes,  c'est  pour 
nous  apercevoir  que  notre  petit  enclos  de  spécialiste  se  trouve  sur 
l'une  des  grandes  voies  de  l'histoire. 


O" 


'"'  Cf.  t.  I,  p.  io-'ia.  Oxford.  1908V  —  Mentionnons  encore, 

'"'  Citons  noianiineut  le  cleniiei'  et  le  à  la  dernière  heure,  i'eseellent  petit  livre 

plus    commode    de    tous  :    Mncenl    A.  de  E.    J.   Rapson.   Aiicienl  Imita  (Cam- 

Smith,   F.arlij  Ilislori/  of  Indiii    i-i'  éd.  liridjje,   i()ii). 


LE    BOl  DDIllSMK   AU    CANDHARA. 


S    1.     Le  BoUDDHISiME    AU   GaîSDHÀRA. 

A  quel  moment  les  circonsbiices  histoiiques  ont-elles  rendu 
possible  et  même  naturelle  la  naissance,  dans  la  région  IVonlière 
(lu  Nord-Ouest  de  Tlnde,  des  hybrides  créations  de  l'école  indo- 
grecque? La  première  préoccupation  d'un  Européen,  devant  une 
pareille  question,  c'est  (on  peut  le  gager  sans  crainte)  de  se  de- 
mander comment  Tinflneuce  belléni(|ue  a  réussi  à  par\enir  jus- 
qu'aux bords  de  l'Indus.  On  nous  permettra  d'insister,  selon  notre 
habitude,  sur  l'autre  point  de  vue,  et  de  l'aire  observer  que,  pra- 
tiquement, le  Gandhàra  nest  guère  moins  éloigné  des  bouches  du 
Gange  bouddhique  que  de  celles  de  lEuphrate  hellénisé.  Dès 
lors,  les  deux  éléments  composants  de  nos  sculptures  ont  dû  éga- 
lement venir  1  un  au-devant  de  lautre  et  parcourir  en  sens  inverse 
à  peu  près  le  même  chemin.  Pour  rendre  compte  de  l'apparition 
des  œuvres  gréco-bouddhiques,  il  est  aussi  nécessaire  de  vérifier 
la  pénétration  de  la  religion  bouddhique  que  celle  de  Tai't  grec 
dans  le  pays  qui  devait  être  le  théâtre  de  leur  union;  et  c'est  même 
par  là  —  si  du  moins  la  forme  doit  céder  le  pas  au  fond  —  qu'il 
conviendra  de  commencer  notre  enquête. 

La  coMVEnsioN.  —  A  1  heure  actuelle,  non  seulement  le  Gandhàra 
n'est  plus  bouddhiste  :  mais  il  est  plus  qu'à  moitié  afghan  de  race 
et  iranien  de  langue,  en  même  temps  que  musulman O.  Au  plus 
haut  que  nous  puissions  remonter  dans  l'histoire,  le  pays  ne  faisait 
même  pas  politiquement  partie  de  l'Inde.  Hérodote  est  d'accord 
avec  les  inscriptions  des  Achéméuides  pour  incorporer  les  ctGan- 
darioin  à  l'enqMre  perse  :  peut-être  y  avaient-ils  été  annexés  par 
Cyrus  dès  le  milieu  du  vi''  siècle  avant  notre  ère.  On  conçoit  aisé- 
ment que  ce  territoire  ait  toujours  été   contesté   entre  les  deux 

<'i  Cf.  1. 1,1).  11. 


/i08  l,KS   ()lili;i\i;s    l)K    l.l'COLK    1)1     (1  \,M)II  \i;  A. 

mondes,  ii'iiiiicii  cl  iikIkmi.  \  liinixéc;  (rAlcxamlic  riinliis,  ;issiire 
Strabon,  Iriir  servait  encore  de  IVoiitière.  C'est  Séleucos  qui,  après 
une  infructueuse  tentative  d'invasion,  aurait  cédé  on  3u3  a\ant 
notre  ère  une  grande  partie  de  TAriane  au  premier  empereur  histo- 
ri([ue  de  Flnde,  ce  Candragnpta  (|ue  les  Grecs  appellent  Sandra- 
collosf'.  Dès  lors  la  Gandaritis  lit  partie  des  vastes  possessions  des 
Mauryas.  Peut-être  fut-elle  à  ce  moment  rattacliée  à  Taksaçilà,  la 
grande  et  riche  ville  de  commerce  et  d'études  que  certains  témoi- 
gnages placent,  par  une  sorte  de  réciproque,  te  dans  le  l'oyaume 
de  Gandhâra'-'  -n.  L'humeur  indépendante  de  ces  marches  lointaines 
est  un  molif  dont  jouent  constamment  les  contes.  Bindusâra,  le 
fils  et  héritier  de  Candragupta,  aurait  successivement  envoyé 
ses  deux  fils,  Açoka  et  Sushna,  pour  réduire  des  rebellions  de 
Taksaçilà  :  et  Açoka  à  son  tour  —  quand,  selon  le  procédé 
resté  en  hoimeur  dans  l'Inde  jusqu'à  la  fin  de  la  dynastie  mo- 
ghole,  il  se  fut  débarrassé  de  ses  frères  et  emparé  du  trône  — 
aurait  chargé  de  la  môme  tâche  le  plus  aimé  de  ses  fils.  C'est 
pourquoi  Fa-hien  a  soin  de  noter  que  le  Gandhâra  était  ttle  pays 
dont  Dharmavarddhana,  le  fils  d'Acoka,  fut  gouverneur ■».  Ce 
Dharmavarddhana  est  resté  célèbre  dans  la  légende  sous  le  sur- 
nom de  l'oiseau  kitndla  que  lui  avait  valu  la  fatale  beauté  de  ses 
yeux  :  aussi  Hiuan-tsang  est-il  au  fond  d'accord  avec  son  précur- 
seur quand,  de  son  côté,  il  attribue  à  Kunàla  cfle  gouvernement 
de  Taksaçilà  P)  T. 

Que  tout  dans  ces  récits  ne  soit  pas  de  pure  fantaisie,  nous  avons 
au  moins  une  raison  sérieuse  de  le  penser.  On  sait  que,  soucieux 
de  faire  régner  l'ordre  moral  dans  son  vaste  enqjire,  Açoka  a  pris 
soin  d'afficher  un  peu  partout,  gravées  sur  des  parois  de  rocher 
assez  grossièrement  épannelées  ou  sur  des  piliers  merveilleusement 

'''   Cf.  BoiciiiÎ-Leclercq,  liisloirc  îles  ^  tnid.  dunsl}Ln\oi:i, /»/)W((f(iu)i,  p.  862, 

Séleucides  (Paris,  1918),  ji.  ag.  363  et  io5).  —  Fa-hien,  ch.  x;  Hikan- 

"'  JdiaJîu .  n°  ii'}i  el  piissim.  tsang,  Biiddhist  Becords  of  ihe   ]]  cstern 

Divynviiddim,  p.  871,  872  cl  607  World,  I,  p.  189  et  suiv. 


LE   lîOUDDHlSME  AU  GAN1)1I\R\.  '.09 

polis,  des  piocKiniatioiis  où  il  recominandail  à  ses  peuples  la  pra- 
tique de  la  vertu.  Or  deux  de  ces  inscriptions  ont  justement  été 
retrouvées,  l'une  au  cœur  même  du  Gandliâra,  près  du  village 
actuel  de  Shàhbàz-Garlu  (le  Po-lou-clia  des  pèlerins  chinois),  et 
l'autre  dans  son  voisinage  immédiat,  mais  sur  la  rive  opposée  de 
rindus,  à  Mansehra,  un  peu  au  Nord  de  Taxile.  Ces  deux  authen- 
tiques épaves  des  curieux  Imds  sur  pierre  du  royal  prédicant  pré- 
sentent un  caractère  commun  et  qui  sulTit  à  les  distinguer  de  toutes 
celles  qui  ont  survécu  par  ailleurs  dans  le  reste  de  l'Inde,  des 
sources  du  Gange  au  Maison r  et  du  Goujerate  à  l'Orissa  :  elles  sont 
les  seules  à  être  écrites  de  droite  à  gauciie  et  à  employer,  au  lieu 
de  la  hrâhmi  indienne,  une  variété  de  l'alphabet  araméen,  connue 
sous  la  dénomination  quelque  peu  conventionnelle  de  kharosthi, 
et  apparemment  introduite  dans  les  provinces  riveraines  de 
l'indus,  au  temps  de  la  domination  achéménide,  par  les  scribes 
à  la  solde  des  satrapes  perses^.  Le  détail  esta  retenir:  peut-être 
n'est-il  pas  non  plus  indifférent  de  faire  une  autre  remarque.  Ces 
deux  inscriptions  s'accordent  à  mettre  eu  vedette,  la  première 
en  lui  attribuant  un  Idoc  spécial,  la  seconde  en  lui  alniiidonnant 
toute  une  face  du  rociier,  le  douzième  des  treize  ou  quatorze 
édits,  celui  justement  qui  recommande  aux  sectes  une  récipro(jue 
tolérance (-'.  Cette  précaution  s'accoiderait  bien  avec  le  fait  que 
la  région  venait  seulement  de  s'ouvrir  à  la  propagation  de  la  foi 
bouddhique. 

S'il  ne  subsiste  aucune  incertitude  sur  le  statut  politique  de 
l'Inde  du  Nord-Ouest  pendant  la  première  moitié  du  m''  siècle,  il 
est  en  revanche  fort  douteux  que  la  Bonne  Loi  y  eût  déjà  pénétré. 
On  n'entrevoit  pas,  à  travers  les  récits  des  historiens  d'Alexandre, 
que  celui-ci  ait  rencontré  dans  le  Penjâb  de  véritables  hhiksii.  De 


'■'  Celle  llléorie ,  due  à  M.  Clerraont-  Surveij  oj   India,   Ann.   Rep.    ujt'i-iô, 

Ganneau ,  a  éld  récemmeufconfinnée  par  p.  20  ). 

la  (]i''cotiverle  à  Talisaçilà  (l'un  fiagmeiit  '■'   Cf.  Epigr.  Indira,  11,   p.    '1/17,  et 

(J  iiiscii|itioii    araiiiéeiiue    [Arcliœiiloylcdt  Ind.  AiUiij.,  \l\,  1910,  p.  43. 


410  LES  ORIGINES  DE  L'ÉCULE  UL   GANDHÀBA. 

leur  côté  les  historiens  du  Bouddhisme  se  résignent  à  admettre 
que,  pendant  les  deux  siècles  qui  suivirent  le  Nirvana,  la  conimu- 
nanlé  resta  confinée  dans  le  bassin  moyen  et  inférieur  du  Gange, 
plus  occupée,  semblc-t-il,  de  ses  divisions  intestines  que  sou- 
cieuse de  propagande (').  Ge  serait  le  zèle  impérial  d'Açoka  (jui 
l'aurait  définitivement  lancée  à  la  conquête  de  Tliide.  On  sait 
en  clïet  comment  la  manie  réi'ormatrice  du  souverain,  apiès 
s'être  d'abord  contentée  de  prêcher  une  sorte  de  morale  neutre  à 
l'usage  commun  de  tous  les  honnêtes  gens  et  de  prescrirai  des 
mesures  philanthropiques  d'une  portée  générale,  prit  avec  les  an- 
nées une  allure  de  plus  en  plus  confessionnelle  et  sectaire, 
et  aurait  même  fini  par  tourner  à  l'inquisition.  Le  résultat  le 
plus  connu,  comme  le  plus  elficace,  de  cette  tendance  nouvelle 
lut  l'envoi,  hautement  proclamé  dans  le  XIII"  édit  sur  roc,  de 
missionnaires  bouddhiques,  tant  au  dedans  de  la  péninsule  qu'au 
dehors.  Or  pour  Açoka,  si  l'on  en  juge  par  les  termes  de  son 
V*^  édit,  les  Gaiidhàras  étaient  encore  à  évangéliser  au  même 
titre  que  les  Yavanas,  les  kambojas  et  les  autres  nations-fron- 
tières. Qu'ils  l'aient  été  sous  son  règne  même  par  l'apôtre  Ma- 
dhyânlika,  du  même  coup  que  le  Kaçmîr  et  à  la  même  époque 
que  Geylan,  cette  tradition,  telle  qu'elle  nous  a  été  transmise  par 
les  chroniques  singhalaises,  est  en  soi  des  plus  vraisenddables. 
Elle  gagne  encore  en  autorité  quand  on  s'aperçoit  que  les  témoi- 
gnages tibétains  et  chinois  sont  en  définitive  d'accord  avec  elle'-': 
car  s'ils  ont  imaginé  de  faire  de  Madhyàntika  un  disciple  d'Ananda, 
cela  ne  les  empêche  nullement  de  le  placer  a  cent  ans  après  le 
Nirvana  n,  c'est-à-dire,  dans  leur  système  chronologique,  au  temps 
même  d'Açoka. 

'''  Cf.  Kern,  Maniial.  p.  iilj.  portés  par  Hiuan-tsang.  Buddhist  Records 

(^'  Telle  est  aussi  l'opinion  lie  M.  IvERN,  0/  ihe     \]estc\-ii    U  orld .   1,    p.    i/if)  et 

Histoire  du   Houddhismu  dans  l'Inde,  H,  TâranÂtha,  p.    12.  placent   le    l'ait  eiii- 

p.  204-265.  —  Cf.  RocKiiiir. ,  The  Life  quante  ans   pins   tôt   afin   de  iliminner 

of  llie  Biiddliii  iind  tlip  earli/ lii.tlorii  of  liis  d'autant  rinlervalle  qui  le  séparait   du 

Order,  p.  1G6  et  suiv.;  les   récits  rap-  Nii'vâija. 


LE  BOUDDHISME  AU  GANDHÂRA.  411 

Nous  ne  risquons  donc  pas  de  nous  ti'omper  beaucoup  en  assi- 
gnant les  débuts  de  la  conversion  de  IV  Inde  du  Nord  n  au  milieu 
du  ni"  siècle  avant  J.-G.  :  a  Depuis  cette  époque  jusqu'à  nos  jours, 
pouvait-on  écrire  an  v^  siècle  de  notre  ère,  le  Kaçniîr  et  le  Gan- 
dhàra  resplendissent  de  robes  jaunes  et  sont  par-dessus  tout  dévots 
aux  trois  joyaux  (•'.Il  Les  relations  des  pèlerins  chinois  nous  con- 
firment l'une  après  l'autre  cette  antique  prospérité  de  la  Bonne  Loi, 
encore  llorissante  pour  Fa-hien  (v*^  siècle),  déjà  chancelante  pour 
Song  Yun  (vi*  siècle),  presque  passée  à  l'état  de  souvenir  pour 
Hiuan-tsang  (vn^  siècle),  quelque  peu  restaurée  lors  de  la  venue 
de  Wou-k'ong  (vni'=  siècle)  :  car  (il  est  bon  de  le  spécifier  dès  à 
présent)  le  Gandhâra,  sitôt  converti,  allait  rester  jusqu'à  l'invasion 
des  Musulmans  l'une  des  terres  d'élection  du  Bouddhisme.  A  ces 
témoignages  tardifs  nous  pouvons  ajouter  celui,  plus  ancien,  d'Açva- 
ghosa'-'.  En  ce  qui  concerne  l'époque  même  de  nos  sculptures, 
nous  n'avons  qu'à  nous  en  fier  à  nos  propres  yeux.  Assurément 
nous  ne  prétendons  pas  retrouver  sur  nos  monuments  des  tableaux 
d'histoire  représentant  le  triomphe  local  de  la  Bonne  Loi,  ni  voir, 
par  exemple,  avec  Cunniiighnm,  dans  la  scène  où  nous  avons 
appiis  à  l'econnaitie  rextinction  du  bûcher  du  Bienheureux 
(fig.  290  a,  298  h,  299  rt),  "Aa  victoire  du  Bouddhisme  sur  le 
culte  du  feu(-^)r.  Mais  pour  nous  en  tenir  aux  plus  prudentes  géné- 
ralités, dès  l'Introduction  de  cet  ouvrage,  nous  n'avons  su  ce  qu'il 
fallait  admirer  le  plus,  de  la  multitude  des  ruines  ou  de  la  profusion 
des  sculptures  qui  les  décoraient'''.  Que  cette  double  constatation 
sulfise  à  attester  le  grand  et  durable  succès  de  la  doctrine  au  Gan- 
dhâra, nul  n'en  disconviendra  sans  doute.  11  est  vrai  que,  récipro- 
quement, le  nombre  et  la  richesse  de  ces  fondations  religieuses 
seraient  inexplicables  sans  une  exceptionnelle  lloraison  de  dévotion  : 

'■'   j1/rt/irtï'«Hisn,  XII,  28;  riutroiliu-tiou  '''  Sùtnilaiikdra,    trad.     Ed.     Huber, 

de  la  S(imanla-i>(is(idikd  de  Buddliaghosa  |).  8.  Cf.  plus  bas,  p.  il 8. 
i^Vinaya    Pitakam,    éd.    H.    Oldenbero,  '^'  Paiijnb  Gaiette,  Suppl.,    a'i  juil- 

III,  p.  .3i5-3iG)  s'exprime  à  peu  près  lel  187.3,  p.  636. 
dans  les  mêmes  termes.  '"'  T.  I ,  p.  1 1  et  a  1 . 


'il2  LES  ORKMNES  DE  L'ÉCOLE    DU  GANDIliin. 

cl,  ainsi  Ton  lùiiira  j)as  été  f'àclié,  IVit-ce  même  en  devançant  nn 
pou  les  temjJH.  d'entendre  confirmer  celle-ci  d'autre  source. 
(Juand  enfin  ces  confirmations  nous  apporteiil  en  plus  des  préci- 
sions, et  (ju'elles  nous  apprennent,  par  exemple,  (jue  la  secte 
anciennement  dominanle  au  Gandhàra  était  celle  des  Sarvasti- 
vadinst'',  elles  n'en  sont  que  davantage  les  bienvenues  :  car  elles 
achèvent  de  nous  rassurer  sur  le  choix  des  textes  que  nous  avons 
pris  pour  guides  en  même  temps  qu'elles  justifient  tout  le  parti 
que  nous  en  avons  tiré.  Peut-être  même  quand,  grâce  aux 
sinologues,  nous  serons  devenus  plus  familiers  avec  les  idées  et 
les  usages  de  cette  secte,  reconnaîtrons -nous  à  plus  d'un  trait 
précis  sa  marque  particulière  empreinte  sur  nos  sculptures.  Déjà 
nous  avons  eu  l'imjjression  que  le  rùle  considérable  attribué  à 
Vajrapàni  par  les  bas-reliefs  gandhàriens  n'était  pas  sans  rapport 
avec  sa  popularité  locale'^'.  Il  semble  également  qu'un  détail 
constant  des  images  du  Buddha  copie  une  pratique  spéciale  aux 
Sarvâstivàdins.  Si  Ton  en  croit  le  témoignage  (il  est  vrai  bien 
tardif)  de  \i-tsing,  ceux-ci  étaient  les  seuls,  parmi  les  quatre 
grandes  écoles  primitives,  qui  eussent  coutume  de  couper  droit  le 
bord  inférieur  de  leur  vêtement  de  dessous  :  or  telle  est  aussi, 
comme  nous  l'avons  vu('',  la  mode  adoptée  par  les  statues  indo- 
grecques du  Bienheureux  et  propagée  avec  elles  dans  le  reste  du 
monde  bouddhique. 

L'acclimatation  des  légendes.  —  Un  autre  fait,  des  plus  signifi- 
catifs, que  nos  sources  nous  révèlent,  c'est  que  les  missionnaires 
bouddhiques  n'ont  pas  seulement  importé  au  Gandhàra  des  idées 
et  des  pratiques  pieuses  :  ils  ont  encore  réussi  à  y  acclimater  des 

'''  Cf.  t.  II,  p.  876.  encore,  avec  ce   dernier,    attribuer  aux 

'''  Cf.  t.  H,  p.  62.  Sarvàstivâflins  l'habitude  de  se  draper  à 

'''  Voir  t.  il,   p.  3ii,   et    Yi-tsing,  larges  plis,  et  les  amples  draperies  de 

A   Record  of  ihe  Biiddhisl  religion,  p.  6  la  snitghnti  gandliàrieune  jjroct^deraienl- 

et   7;  cf.  A.   BiBTii,    dans  Journal   des  elles  pour  une  part  de  l'observation  di- 

Savanls,  sept.  1898,  p.  523. —  Faut-il  recte  des  moines  indigènes? 


LE  BOUDDHISME  AU  GANDHÀRA.  413 

léjjeiides  el  à  y  créer  des  pèlerinages.  Nous  avons  déjà  dit  comment 
les  voyageurs  chinois  y  avaient  trouvé  transplantés  quantité  de 
contes  édifiants  évidemment  originaires  de  l'Inde  centrale  O. 
Quelques-uns  visent  des  interventions  du  Maître  en  personne  : 
d'après  les  moines  du  cru  ce  n'était  plus  près  de  Ràjagiiha,  c'était 
à  une  étape  au  nord  de  Puskaràvatî  —  là  même  où  les  vestiges  de 
celte  superstition  subsistent  encore  aujourd'hui''^'  —  que  le  Bien- 
heureux avait  converti  la  terrible  ogresse  de  la  variole.  Il  seniljle 
d'ailleurs  que  ces  tournées  (fût-ce  par  la  voie  des  airs!)  du  Biiddha 
dans  l'Inde  du  Nord-Ouest,  si  loin  du  théâtre  ordinaire  de  ses 
prédications  et  de  ses  miracles,  cadraient  trop  mal  avec  les  données 
connues  de  sa  biographie  pour  rencontrer  dès  l'abord  beaucoup 
de  créance.  On  se  rabattit  de  préférence  sur  les  innombrables 
vies  antérieures  au  cours  desquelles  il  avait  mis  le  comble  à 
toutes  les  perfections.  C'est  ainsi  que  les  résidants  des  divers  cou- 
vents voisins  de  Sliàhbàz-Garhî  s'étaient  partagé,  en  les  adaptant 
fort  heureusement  aux  accidents  pittoresques  du  paysage,  les 
divers  épisodes  du  roman  de  Viçvantara,  ce  monomane  de  la 
charité  :  le  tour  avait  même  été  si  élégamment  joué  que  Song 
\un  applique  de  bonne  foi  au  site  gandbàrien  les  descriptions  des 
saintes  écritures'^).  D'autres  monastères  s'étaient  pour  ainsi  dire 
spécialisés,  soit  dans  la  louchante  histoire  du  jeune  ascète  Çyàma, 
seul  soutien  de  ses  parents  aveugles''',  soit  dans  la  galante  aven- 
ture du  n'si  Kkaçrifiga,  que  les  séductions  d'une  courtisane  rédui- 


'''  T.  I,  |i.  lu.  Il  laul  |ieiil-èUe  faiie 
exception  pour  la  frsoiimission  d'Apalàla- 
cjui  dut  t'tre  créée  sur  place  (t.  I,  p.  5/i/i 
et  suiv.  )  et  n'est  d'ailleurs  que  le  démar- 
([uage  d'une  légende  bjinale.  Cf.  J.  A.. 
nov.-déc.  191  'i ,  ]).  5 12. 

•''  T.  II,  p.  1.34.  —  Signalons  (ju'ou 
a  également  relevé  au  (îandliàra  ou  dans 
son  voisinage  immédiat  de  cuiieuses  sur- 
vivances de  traditions  ljouddlii(|ues,  pen- 
dant  oral    ou   littéraire   des    ruines    de 


pierre,  telles  que  la  renconire  du  Bodlii- 
sallva  et  du  cadavre  (.So/hc  curmil  l'iixliiit 
Fulk-slorks,  dans  les  Mcmoirs  de  la  S.  k. 
du  Bengale,  VIII,  p.  397)  ou  le  sacrifice 
de  sa  chair  par  le  roi  des  Ç.ibis  (1/«h, 
Xni,n°2,rév.  igi.'i,p.  18-19). 

•''  T.  I,  p.  283  et  suiv.  —  Song  Yun, 
trad.  Ed.  Chavannes,  dans  le  Bulktin  de 
l'r.cole  française  d'Eœlrème-iJrient,  III, 
1903,  p.  4i3. 

'*'  T.  I,  p.  279  et  suiv. 


',!',  LES  OlilCINKS  I)K   L'I'COLE  DU   C.ANDHARA. 

sirent  au  rôle  de  bêle  de  somme  ('':  toutes  deux  avaient  été  égale- 
iiR'iil  transportées,  par  l'opération  magique  de  la  foi,  des  pentes 
haditionnelles  de  l'Himalaya  central  jusqu'au  pied  des  collines  du 
Nord-Ouest.  Il  serait  inutile  de  multiplier  les  exemples,  d'autant 
que  tous  ces  curieux  transferts  nous  sont  déjà  connus  :  mais 
peut-être  en  saisissons-nous  mieux  à  présent  la  portée,  et  pouvons- 
nous  en  tenter  l'explication  (pi'au  début  nous  nous  étions  bornés 
à  promettre. 

La  première  qui  se  présente  à  l'esprit  est  d'incriminer  l'astuce 
des  moines,  toujours  prêts  à  spéculer  sur  la  superstition  populaire. 
Mais  cette  raison  à  la  Voltaire  ne  sufTit  plus,  depuis  qu'on  s'est 
aperçu  que  les  faits  sociaux  ne  sont  pas  susceptibles  d'une  explica- 
tion aussi  simpliste.  La  mendiante  rapacité  de  la  communauté  est 
une  cliose,  et  la  crédulité  complice  des  fidèles  en  est  une  autre  : 
nous  avons  autant  besoin  de  celle-ci  que  de  celle-là  pour  justifier 
non  seulement  l'idée,  mais  encore  le  succès  de  l'opération.  Cela 
donne  à  penser  qu'elle  ne  fut  pas  le  résultat  d'une  escroquerie 
ouverte.  Remarquez  d'ailleurs  qu'à  moins  d'admettre  une  mise 
générale  à  l'encan  des  jdtaka  et  leur  marchandage  entre  les  monas- 
tères de  la  contrée,  aucune  explication  de  cet  ordre  ne  pourrait 
rendre  compte  de  l'installation  de  telle  ou  telle  légende  en  tel  lieu 
plutôt  (pi'en  tel  autre.  A  fait  particulier  il  faut  une  cause  spéciale  : 
en  voici  une  que  suggère  l'étude  des  monuments  figurés.  Le  pis 
qu'il  faille  admettre  comme  point  de  départ  de  la  théorie,  c'est 
que  les  choses  se  soient  passées  le  plus  naturellement  du  monde. 
Le  pays  se  convertit,  les  couvents  s'élèvent  près  de  toutes  les  grosses 
bourgades,  des  donateurs  chargent  des  artistes  de  les  décorer, 
ceux-ci  empruntent  leurs  sujets  à  la  légende  bouddhique  :  tout  cela 
va  de  ci''e.  Imaginez  à  présent  que  tel  tableau  ou  telle  sculpture 
soit  un  chef-d'œuvre  particulièrement  réussi  et  devienne  l'orgueil 
et  le  joyau  de  la  galerie  d'art  religieux  qu'était  chaque  monastère  : 

<'>  T.  II,  p.  269. 


LE  BOUDDHISME  AU  GANDHÂRA.  MS 

011  conçoit  qu'il  conslituo  en  même  temps  comme  le  noyau  d'une 
cristallisation  locale  de  la  légende.  C'est  d'abord  le  site  qui  tirera 
son  nom  du  titre  de  cette  œuvre  d'art,  en  attendant  que  la  h'-gende, 
sujet  de  cette  dernière,  soit  censée  avoir  eu  pour  théâtre  le  site'''. 
Notez  qu'en  l'espèce  il  ne  s'agit  presque  exclusivement  que  d'inci- 
dents des  vies  antérieures  du  Maître,  dont  personne  (et  pour  cause) 
ne  savait  au  juste  oij  ils  s'étaient  passés.  Comptez  enfin  et  surtout 
sur  l'ignorance  crasse  et  la  soif  d'édification  des  envahisseurs  bar- 
bares, sinon  des  moines  eux-mêmes,  pour  mettre  le  sceau  définitif 
à  une  transplantation  qui  flattait  à  ce  point  leur  amour-propre. 
Rien  n'empêche  par  ailleurs  d'admettre  qu'on  ait  encore  renchéri 
dans  la  suite  sur  l'identification  convenue,  soit  en  soulignant  à 
j)laisir  les  détails  topographif|ues,  soit  en  développant  intentionnelle- 
ment dans  le  même  sens  la  décoration  du  sanctuaire.  Mais  pour 
déclancher  le  mécanisme  de  ces  acclimatations,  nous  ne  voyons  pas 
pour  l'instant  de  prétexte  plus  plausible  à  proposer  que  le  prestige 
établi  d'une  image.  Et  que  tout  dans  cette  théorie  ne  soit  pas  pure- 
ment chimérique,  nous  en  possédons  au  moins  un  indice.  C'est  un 
fait  historique  qu'un  tableau  célèbre,  représentant  la  sublime  et 
cruelle  charité  de  Yiçvantara ,  se  trouvait  dans  un  couvent  voisin 
de  Shàhbàz-Garhif'-'.  Deux  alternatives  s'oflVent  :  ou  bien  il  a  été 
peint  tout  exprès  pour  justifier  après  coup  la  localisation  de  la 
légende  en  cet  endroit,  et,  en  ce  cas,  cette  localisation  môme 
demeure  inexpliquée;  ou,  au  contraire,  il  a  été  exécuté  sans  inten- 
tion préconçue,  parce  qu'il  fallait  bien  peindre  quelque  chose 
d'édifiant,  et  c'est  la  renommée  du  tableau  qui  a  favorisé  l'identifi- 
cation du  couvent  avec  le  site  de  la  légende.  Dans  cette  hypothèse, 
non  seulement  cette  identification  devient  intelligible,  mais  le  cboix 
même  par  l'artiste  d'un  sujet  courant  du  répertoire  ne  réclame  de 

'"'  Ncpounaitontroiiveiuii  fonilcniPiit  •■'   Cf.  l.  II,  p.  'loa.tl  va  dr  soi  ijuc  ce 

analogiieà  la  tians|ilaiilation(lf]>liisfriiiie  tableau  peut  avoir  rcni[)laci'  une  repré- 

légpnrle  cliiélienne,  par  ex.   au  curieux  sentatiou  plus  ancienne  delà  même  scène: 

transfert  d(>    Lazare   de  Béllianie  et  des  mais  alor-:  notre   raisonnement  vaudrait 

Saintes  Maries,  de  Palestine  en  l'i-ovence?  pour  celle-ci. 


'lie.  LES  ORIGINES  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

son  côté  aucune  justification.  En  d'autres  termes,  des  deux  explica- 
tions possibles,  la  premièi-e  reste  boiteuse  et  la  deuxième  retombe 
sur  ses  pieds  :  que  le  lecteui'  choisisse. 

La  seconde  terre  sainte.  —  Quoiqu'il  advienne  de  cette  théorie, 
le  fait  subsiste  que  le  Bouddinsme  ne  s'est  pas  répandu  au  Gan- 
dliàra  de  façon  purement  superficielle  :  il  s'est  véritablement  mêlé 
à  la  vie  et  comme  enraciné  au  sol.  Dès  avant  l'arrivée  de  Fa-hien , 
cette  implantation  s'est  déjà  organisée  et  comme  hiérarchisée.  Or, 
nous  croyons  voir  comment  et  pourquoi  :  car  le  sentiment  qui 
présida  à  cette  systématisation  est  assez  clair,  et  nullement  périmé. 
Le  grand  souci  des  bralimanes  actuels  du  Raçnilr  est  de  retrouver 
dans  leur  vallée  natale  comme  un  raccourci  de  l'Inde  religieuse, 
avec  ses  villes  saintes  et  ses  fleuves  sacrés;  leur  orgueil  est  d'y 
montrer  au  voyageur  comme  le  et  reflet  dans  un  miroim-de  Bénarès, 
de  Prayiîg  (Allahabàd)  ou  du  Gange.  Pour  exprimer  cette  ff contre- 
image  w  fidèle,  ils  emploient  le  mot  de  prali-bimba,  le  même  qui  leur 
sert  à  désigner  une  photographie.  C'est  exactement  ainsi  que  jadis 
les  hhiksu  du  Gandhâra  voulurent  avoir  chez  eux  le  pendant,  la 
contre-partie  bouddhique  de  l'Inde  centrale.  Or,  la  gloire  et  l'attrait 
dn  Madhyadêça  consistaient  avant  tout  dans  les  quatre  grands  pèle- 
linages  que  l'on  sait'''.  Voici  donc  qu'à  présent  l'Uttarapâtha  se 
glorifie  à  son  tour  de  posséder  «quatre  grands  slûpa-n  —  consacrés, 
il  est  vrai,  à  commémorer  des  miracles  du  Bodhisattva  et  non  plus 
du  Buddha,  mais  enfin  bâtis  aux  quatre  places  où  l'être  sublime 
avait  jadis  fait  don,  d'existence  en  existence,  de  ses  yeux,  de  sa 
tête,  de  sa  chair  et  de  son  corps.  Si  à  la  vertu  magique  de  ce  chifl're 
traditionnel  on  ajoute  quantité  d'autres  lieux  édifiants,  de  saintes 
reliques  et  de  monuments  au  loin  renommés  pour  leur  taille  et 
leur  beauté,  on  conçoit  que  plus  d'un  pèlerin  (à  commencer  par 
Song  Yun  et  ses  compagnons)  se  soit  contenté  de  visiter  les  attrac- 

">   Cf.  I.  ].  n.  /m. 


LE   BOUDDHISME   AU  GANDIIARA.  417 

lions  de  l'Inde  du  Nord,  sans  éprouver  le  besoin  de  pousser  jusqu'au 
bassin  du  Gange.  Or  sur  ces  quatre  grands  sanctuaires  en  vogue 
—  car  il  est  une  mode  pour  les  places  saintes  comme  pour  les 
villes  d'eau  —  le  premier  se  trouvait  à  Puskaràvatî,  en  plein  Gan- 
dliàra,  et  les  trois  autres  sur  sa  frontière  ou  dans  son  voisinage 
immédiat'').  Avec  ffla  plus  haute  pagode  du  mondes,  bâtie  par 
Kaniska  près  de  Pêshawar,  avec  ses  tt milieu  ou  tr quinze  cents n 
couvents  aussi  décorés  par  l'art  que  consacrés  par  la  légende,  avec 
les  précieuses  reliques  du  Maître  qu'il  se  vantait  de  posséder ('-',  le 
pays  avait  évidemmont  fini  par  se  donner  des  airs  d'un  petit  Magadha 
septentiional.  M.  Ed.  Cliavannes  la  quebjiie  part  appelé,  avec 
grande  raison,  "la  terre  sainte  de  l'Inde  du  Nord'^- n.  Nous  pensons 
qu'on  peut  aller  encore  plus  loin,  et  qu'il  n'y  aurait  aucune  exagé- 
ration à  dire  qu'il  était  devenu,  et  qu'il  est  resté  jusqu'au  v*"  siècle 
la  seconde  terre  sainte  du  Bouddhisme  indien ("'. 

Le  filou  historique  que  nous  suivons  —  et  que  nous  croyons 
devoir  suivre  dès  à  présent  jusqu'au  bout  —  est  encore  loin  d'être 
épuisé.  11  nous  apparaît  vite  que  la  sainteté  du  pays  avait  fini  par 
rejaillir  sur  les  habitants:  bien  entendu  nous  parlons  toujours  au 
point  de  vue  bouddhique.  On  sait  en  quelle  médiocre  estime  l'Inde 
en  général  et  les  gardiens  attitrés  de  son  orthodoxie  en  particulier, 
dans  leur  sainte  horreur   du   mélange  des   castes  et  des   races. 


''1  Aux  références  (l«jà  floiinées  (t.  I, 
p.  8)  il  faut  ajouter  que  Sir  Aurel  Stein 
[Report  of  Archœol.  Surveij  Worh  on  tlie 
Noiih-Wesl  Fronlier  Province  and  lielit- 
clmlnn  for  the  ijear  igoi-5,  Pèsliawar, 
igoS)  a  depuis  retrouvé  sur  le  Maliàlian 
le  stùpa  du  don  du  corps  à  la  tigresse  — 
ou  du  moins  celui  qui  a  été  montré  pour 
tel  à  Hiuan-lsang.  Si  le  texte  de  Fa-hien 
est  exact,  celui-ci  ne  l'aurait  rencontré 
qu'à  deux  jours  de  marche  dans  l'Est  de 
Taksaçilà,  c'est-à-dire  à  Mànikyiîla.  Dans 
l'intervalle  des  deu\  voyages  et  à  la  suite 
des  terribles  bouleversements  causés  par 


les  Huns,  la  légende  se  serait-elle  ainsi 
repliée  sur  le  Gandliàra,  comme  la  vie  se 
retire  vers  le  cœur? 

'';  Cf.  t.  I,p.  59Û. 

'''  Éd.  Chavannes,  Les  voyageurs  chinois 
(oxirail  des  Guides  Madrolle,  Chine  du 
Sudj^f.  7  du  tirage  à  [lart.  — Cf.  encore 
ce  qui  est  dit  plus  bas,  p.  6.37,  h  propos 
de  Daclres. 

'*'  En  d'autres  termes,  cela  est  vrai 
jusque  pour  Fa-hien;  avec  Hiuan-tsang, 
les  temps  sont  bien  changés,  et  les  deux 
terres  saintes  seraient  le  Magadlia  et  le 
Màlva. 


r,t\niiAnA.  -  ii. 


^18  LES  OHKUNKS  1)K   L'ÉCOLE   DU  GANDHÀRA. 

lenaieni  les  pays  IVontières"'.  I.o  mépris  des  brahmanes  n'épar- 
gnait même  pas  leurs  conjji'-nrres  :  rappelons-nous  avec  quelle 
désinvollure  le  Mdhâbhdrala  et  la  Ràjittami'tgini ^-''  parlent  de  ceux 
du  Gandhàra  !  11  faut  lire,  au  contraire,  quelle  considération  Acva- 
ghosa,  bien  que  lui-même  originaire  de  l'Inde  gangétiquef-*',  afliche 
pour  les  gens  du  haut-pays.  Ce  n'est  qu'un  jeu  pour  un  simple 
marchand  du  Gandhàra,  appelé  à  Mathurâ  par  ses  aflaires,  de 
réduire  au  silence  et  même  de  convertir  des  brahmanes  de  l'endroit. 
L'admiration  de  ces  derniers,  d'autant  plus  flatteuse  qu'elle  est 
mise  dans  la  bouche  d'opiniâtres  adversaires,  sétaie  sur  un  calem- 
bour étymologique  dans  le  goiit  indien  ('h  «Savoir  supporter  cette 
terre,  —  voilà  ce  qui  s'appelle  un  vrai  héros;  —  le  plus  illustre 
parmi  les  héros  —  est  vraiment  l'homme  du  Gandhàra.  n  Bien  prit 
sans  doute  à  la  gloire  de  Kaniska  qu'il  ait  compté  un  pareil  pays 
parmi  ses  domaines,  .lusqne  dans  la  fabrication  de  son  cycle  légen- 
daire nous  retrouvons,  plus  active  que  jamais,  cette  manie  de  tout 
faire  à  l'instar  du  Madliyadêça,  que  nous  avons  déjà  vue  à  l'œuvre 
dans  la  dédication  des  monuments.  L'Inde  centrale  avait  eu  son 
grand  empereur  bouddhique  en  la  personne  d'Açoka  :  il  fallait  que 
l'Inde  du  Nord  eût  aussi  le  sien,  dùt-elle  se  contenter  d'un  bar- 
bare. Après  tout,  linstinct  de  l'Eglise  ne  se  trompait  pas  absolu- 
ment :  il  y  avait  bien  au  fond  un  rapport  des  plus  intéressants 
pour  elle  entre  l'homme  (jiii  lui  avait  livré  l'Inde  et  celui  qui  lui 
avait  ouvert  la  Haute-Asie.  Qu'ils  l'aient  voulu  ou  non,  tous  deux 
ont  été  à  leur  heure  les  |)rincipaux  artisans  de  cette  prodigieuse 
transformation  qui,  d'une  obscure  secte  indienne,  perdue  entre 
bien  d'autres  et   déjà  toute   travaillée  de  schismes,  fit  l'une   des 

'''  L'aveu,  en  ce  qui  concerne  rUdyâiia  ,  '''  Cf.  S.  Lkvi, /Içtv/g-Au.svi,  dans  ./.   {., 

iimitroplie  au  nord  du  Gandhàra,  se  ren-  juillet-aoûl  i  908,  p.  68-6(). 

contre  en  toutes  lettres  dans  HinAN-TSANG.  '''  Gàm  dliàrajati,  iti  Gàndliàrali.  Cf. 

liuddimt  Records  of  the  Western   World,  Sùtràhiiihira ,   trad.  Ed.  Hibkr.J).  8,  et 

1,  p.    1  33.  l']d.ClIAV\NNES,ClH'/fPH(SCO/lMf  .  I,  p.  ■>86  : 

'"'    Miilwhhdrald ,  kurim-pitrian,  ndli.         rrDans  tout  l'intérieur  de  ce  royaume,  il 
Ml .  in  fine  et  Ràjataraiigiin,  1 ,  Soy.  n'v  a  (pie  des  hommes  supérieurs .  .    t 


LE  BOUDDIIISMI-;  Al   GANDFIÀRA.  /il'J 

grandes  religions  de  l'humanité.  Mais  un  lien  de  correspondance 
aussi  vague  ne  saurait  sufTire  entre  les  deux  puissants  patrons  de 
la  Bonne  Loi.  Quel  que  soit  réclectisme  dont  fassent  preuve  les 
monnaies  de  Kaniska,  la  tradition  bouddliique  s'empare  de  lui  tout 
entier  et  bâtit  sa  légende  sur  celle  de  son  prototype  indien.  Pour 
ne  relever  que  les  ressemblances  capitales,  de  tous  deux  le  Buddlia 
a  propliétisé  ravènement;  tous  deux  ne  se  convertissent  qu'après 
s'être  signalés  par  d'excessives  cruautés  et  des  guerres  elFroyable- 
ment  calamileuses;  tous  deux,  aussitôt  après  leur  conversion,  s'em- 
pressent d'en  éterniser  le  souvenir  par  des  fondations  magnifiques  ; 
tous  deux  réunissent  en  concile  les  Pères  de  l'Eglise  de  leur  temps, 
afin  de  fixer  l'orthodoxie;  et  néanmoins  tous  deux  ont  une  triste 
finC.  On  ne  peut  se  défendre  de  l'impression  que  les  moines  du 
Nord-Ouest  se  soient  forgé  un  Kaniska  à  l'image  d'Açoka,  dans  le 
même  temps  où  ils  achevaient  de  faire  de  leur  pays  le  reflet  de 
l'Inde  centrale. 

Ainsi  tous  les  témoignages  s'accordent  pour  attester  l'extra- 
ordinaire prospérité  du  Bouddhisme  au  Gandhâra  :  la  question  se 
pose  même  de  savoir  s'il  ne  conviendrait  pas  de  dire  sa  complète 
prédominance.  Il  ne  faudrait  rien  moins,  semble-t-il,  pour  rendre 
compte  du  fait  brutal  que,  parmi  tant  de  restes  de  couvents, 
l'on  n'ait  pas  encore  découvert  les  ruines  du  moindre  temple 
brahmanique;  et  quant  aux  images  des  dieux,  on  n'en  rencontre 
guère  que  dans  la  mesure  où  les  monastères  accueillaient  les 
représentants  des  croyances  populaires  communes  à  tous  les 
Hindous.  Le  caractère  ouvert  et  tolérant  des  disci])les  du  j\Iaître(-' 
se  piêtait  évidemment  mieux  que  l'orgueil  exclusif  des  brahmanes 

<''  Sur  les  misères  flu    vieil   Açoka,  d.ins  ,/.  A.,  nov.-déc.   i8r)(j,  p.  48;^). 

loml)é    en    enfance,   voir   Dii^ydixidrinn ,  *'  Nous  en  avons  fléjà  louché  un  mot 

p.  /i3o  et  suiv.  (trad.  Bdrnouf,  Introd.,  1 1.  i.  p.  afi/i)  et  nous  aurons  encore  i'oc- 

p.  .'197  et   suiv.);  quant  à  Kaniska,  sou  casiou  d'y  revenir  plus  l)as  (p.  i56). — • 

iMilourage  l'aurait  ëloull'é  sous  des  couver-  Voir  égalcnieut  (p.  doy)  les  remarques 

tares  [S.  Lévt,  Notes  SKI- lea  Indo-Srijtlics,  laites  à  propos  de  Maihuià. 

27. 


/i20  LES  olilC.INES  DE   L'ÉCOLK   DU   GANDiniW. 

à  l'adoption  des  modes  étrangères:  mais  il  ne  faut  pas  s'exagérer 
la  valeur  de  cet  argument,  (jui  d'ailleurs  ne  s'ap]iliquerait  plus 
à  des  moines  jainas;  et,  on  tout  état  de  cause,  les  dispositions 
accueillantes  des  bhiksu  ne  suffiraient  pas  à  expliquer  qu'ils 
aient  complètement  accaparé  l'art  grec.  Certes  —  nous  n'hésitons 
pas  à  le  répéter  une  fois  de  plus  —  nous  sommes  loin  de  croire 
que  le  sol  du  Gandhara  nous  ait  livré  tous  ses  secrets;  et  ainsi 
tout  espoir  n'est  pas  perdu  de  retrouver,  selon  le  vœu  le  plus 
cher  du  regretté  Bùhler,  parmi  les  créent  temples  hérétiques n 
dont  Hiuan-tsang  avoue  l'existence,  un  ancien  sanctuaire  brah- 
manique, voire  même  quelque  stupa  jaina,  si  tant  est  que  les 
Jainas  soient  montés  si  haut  :  mais  il  faut  avouer  que  jusqu'ici 
les  fouilles  ont  créé  une  écrasante  présomption  en  faveur  du 
quasi-monopole  de  leurs  rivaux.  Est-ce  à  dire  que  nous  nous  rallions 
sans  réserve  à  la  théorie  fort  répandue  qui  admet  une  période 
bouddliique  dans  l'histoire  de  l'Inde  ?  Cette  façon  de  parler  ne 
nous  paraît  au  contraire  reposer  que  sur  une  illusion,  d'ailleurs 
bien  naturelle  de  la  part  de  spécialistes  enivrés  de  la  lecture  des 
textes  canoniques.  A  notre  avis,  le  ])lus  (ju'il  soit  permis  de  dire  en 
ce  sens,  c'est  simplement  que  le  Bouddhisme  a  régné  un  instant 
en  la  personne  d'Açoka,  son  Constantin,  de  Kaniska,  son  Clovis, 
et  de  Harsa  Çîlàditya,  son  saint  Louis,  sur  une  partie  de  la  pénin- 
sule. La  conception  d'une  liégémonie  durable  de  la  Bonne  Loi, 
s'étendant  au  Jambudvîpa  tout  entier  et  accom[)agné<!  d'une  éclipse 
qiuisi  totale  de  toute  autre  doctrine,  tant  brahmanique  que 
çramanique,  nous  paraît  historiquement  insoutenable.  Nous  n'ose- 
rions même  pas  avancer  qu'elle  ait  jamais  été  réalisée  dans  ce 
pays,  le  moins  indien  de  l'Inde,  <|u'a  toujours  été  le  Gandhara. 
Disons  simplement  que  nulle  part  l'impossible  miracle  de  cette 
unification  religieuse  n'a  été  un  instant  plus  près  de  s'accomplir. 
Telle  serait  du  moins  l'explication  la  plus  pleinement  satisfaisante 
dn  fait  —  provisoirement  indéniable  —  que  la  communauté  du 
Bnddha  ait  été,  de  toutes  les  sectes  indienues,  la  seule  à  mettre 


L'HELLENISME   AL   C.AMJHVIM.  'i:>l 


aussi   largement  à  piofit  ravèiieiiient  de  l'art   lielléiiifiue   sur  la 
frontière  du  Nord-Ouest. 


§  II.    L'Hei.lkniSiMe  au  GandhÂra. 

Au  début  même  des  rapports  Iiistoriques  de  l'Inde  avec  l'Occi- 
dent, nons  trouvons  un  Grec,  on  plutôt  un  Ionien  [Yavana)  :  car  tel 
est  le  nom  que  les  Indiens  avaient  appris  des  interprètes  perses, 
les  mêmes  qui  enseignèrent  aux  Grecs  à  prononcer  IvSoi  le  nom 
des  riverains  du  Sindhu  (Indus).  Nous  voulons  parler  de  ce  Skylax, 
originaire  de  Kai'ianda  en  Carie,  que  Darius,  (ils  d'IIvstaspe,  char- 
gea, vers  la  fin  du  vi''  siècle,  de  reconnaître  le  cours  de  l'Indus  — 
apparemment  alors  aussi  mal  connu  que  l'était,  il  n'y  a  pas  si  long- 
lemps.  celui  du  Mékiiong.  Ce  fut  à  l'endroit  où  le  fleuve  sort  des 
iniintagnes  et  devient  navigable,  c'est-à-dire  au  Gandliàra,  que 
Sk\lax  équipa  sa  flotte.  L'exploration  réussit  et  ne  fut,  tomme  il 
est  souvent  arrivé  depuis,  que  le  prélude  de  l'annexion  à  l'empire 
])erse  de  la  province  actuelle  du  Sind.  Uappellerons-uous  avec 
Hérodote  la  présence  d'archers  agandhàriensii  et  tr  indiens x.  d'ail- 
leurs excellents,  dans  l'immense  armée  de  Xerxès  ?  Mais  combien 
revinrent  de  l'expédition,  et  qu'en  purent -ils  rapporter  qui  nous 
intéresse?  La  mort  du  Buddlia.  si  elle  est  bien  survenue  vers  le 
même  temps  que  la  bataille  de  Platées  (^79),  paraît  avoir  causé 
dans  le  bassin  du  Gange  plus  de  sensation  que  le  grand  conflit  des 
guerres  médiques.  Que  d'ailleurs,  dans  son  splendide  isolement, 
l'Inde  fut  encore  vers  l'an  600  la  même  terra  incofrnita  que  le  centre 
de  l'Afrique  au  commencement  du  siècle  dernier,  c'est  ce  que 
prouve  le  tissu  de  fables  que  Klésias  de  Cnide  (encore  un  Grec 
d'Asie  Mineure)  s'amusa  à  recueillir  sur  son  compte,  en  qualité 
de  médecin  de  Darius  II  et  d'Artaxerxès  Mnémon.  Si  lointaine  et 
fabuleuse  qu'elle  fut,  elle  ne  pouvait  demeurer  longtemps  à  l'abi'i 
de  l'esprit  d'entreprise  des  Européens.   Il  était  rés(M'\é   à  la  main 


!t±2  I.KS   oliiC.IM'S   l)K   I.KCOl.K   T)\>    (',  \M)n\n\. 

d'Alexandre,  au  cours  de  son  épi(|ue  expédition,  de  déchirer  brus- 
quement le  voile  derrière  le(]uel,  telle  une  femme  de  bonne  caste, 
elle  se  tenait  cacliée. 

Alexandre.  —  C'est,  on  le  sait,  à  la  fin  du  printemps  de  l'an 
327,  dès  que  la  l'onte  des  neiges  eut  rouvert  les  passes,  qu'après 
avoir  achevé  de  subjuguer  la  Baciriane,  Alexandre  fit  traverser  à 
sou  armée  la  cliahie  de  l'Hindou-koush,  le  Paropamise  des  Perses, 
le  Caucase  des  Grecs,  ce  rempart  naturel,  mais  nullement  infran- 
chissable, de  l'fnde.  Il  s'engageait  ainsi  sur  l'éternelle  voie  des 
envahisseurs  venus  d'Occident,  le  long  de  la  rivière  de  Kaboul, 
que  les  Indiens  appelaient  en  sanskrit  la  kubhà  et  qui  est  devenue 
en  grec  le  Kôphès  ou  Kophên.  Un  préjugé  communément  répandu 
sur  la  frontière  anglo-afghane  veut  qu'il  soit  entré  au  Gandhàra 
par  la  passe  bien  connue  du  Khaiber.  Eu  fait,  dès  Jellalabàd,  il 
avait  (juilté  la  route  actuelle  et,  afin  de  réduire  les  bellicjueuses 
tribus  de  la  montagne,  pris  au  Nord  par  les  vallées  du  Kounàr,  du 
Bajaur,  du  Swàt  et  du  BounèrW.  Ce  fut  une  campagne  extrêmement 
pénible,  à  raison  de  la  dilliculté  du  terrain,  des  écarts  du  climat 
et  de  la  ténacité  des  habitants.  Alexandre  lui-même  fut  blessé  par 
deux  fois,  et  la  vengeresse  colère  de  ses  soldats  fit  durement 
expier  à  leurs  ennemis  cet  excès  d'adresse.  La  seule  relâche  fut 
dans  la  prétendue  retrouvaille  à  Nysa,  au  creux  d'un  de  ces  frais 
vallons  himàlayens  oii  semblent  encore  au  voyageur  s'être  réfugiés 
avec  les  bergers  tous  les  dieux  de  l'Arcadie,  de  gens  soi-disant 
apparentés  aux  Grecs  et  dévots  à  Dionysos:  la  preuve  bien  évidente 
en  était  que  le  lierre  et  la  vigne  poussaient  naturellement  dans 
leur  pays,  ainsi  qu'ils  font  en  effet,  à  partir  d'une  certaine  altitude, 
depuis  Kaboul  jusqu'au  Kaçmîr.  D'autre  part,  l'épisode  guerrier  le 
plus  célèbre,  mais  non  pas  le  plus  sanglant,  fut  la  prise  d'assaut 
de  la  fameuse  citadelle  d'Aornos,  dont  le  site  n'a  pu  être  encore 

<''  On  se  souvient  que  ces  trois  deruières  vallées  constituaieat  justement  l'Uilyàna 
cf.  I.I,,,.  ,9). 


L'IIEM.I-MSMK    \i;   CWDIllnA.  'lâ."] 

ideiilifié  '  .  Alexandre  rejoignit  eiillii  sur  les  l)ords  de  llndus  le 
corps  d'armée  qui,  sons  le  commandemenl  d'Héphestion  et  de 
Perdiccas,  s'était  pendant  ce  temps  emparé  de  Peukélaôtis  (Pus- 
karâvatî  =  Cl]àrsadda)  et  de  la  plaine  gandliàrienne.  Ses  troupes 
réunies  campèrent  sans  doute  en  amont  d'Attock,  à  la  place  tra- 
ditionnelle du  gué  d'hiver  et  du  bac  d'été,  près  de  cette  bour- 
gade d'Udabbànda,  aujourd'hui  Und,  que  ses  habitants  actuels 
continuent  à  appeler  rrla  porte  de  l'Inde  n. 

L'alliance  avec  Oni])l)is(Ambhi?),  le  raja  de  Taksaçilà,  lui  faci- 
lita le  passage  du  fleuve  en  février  896.  Nous  ne  le  suivrons  pas 
plus  avant  dans  sa  marche  à  travers  le  Penjàb  ou  Pentopotamie. 
Des  rrcinq  rivières-^,  la  traversée  de  la  première  seule,  l'Hydaspe 
(^Vitasld,  aujourd'hui  encore  Vihal  au  Kaçnifr  et,  dans  la  plaine, 
Jhilam),  lui  fut  disputée,  et  non  sans  vaillance,  par  Porus  (Puru). 
Pourtant,  il  ne  dépassa  pas  la  quatrième.  l'Hyphase  (^Vipdçd,  Bias)  : 
son  armée  épuisée  refusa  de  pousser  plus  loin  l'aventure.  La  ter- 
rible clialeur  d'un  printemps  de  Laliore  est  bien  faite  à  présent 
pour  qu'on  admire  la  folie  du  soi-disant  fils  de  Zens  s'engageant, 
aux  mois  les  plus  brûlants  de  l'année,  dans  ces  plaines  lorrides;  et 
naguère,  dès  notre  première  expérience  d'un  ouragan  de  sable,  à 
voir  le  vent  charrier  devant  lui  des  nuages  de  poussière  embrasée 
et  suflocante ,  assez  opaques  pour  obscurcir  complètement  le  ciel, 
nous  avons  tout  de  suite  cru  comprendre  pourquoi  les  soldats 
d'Alexandre  ne  voulurent  pas  le  suivre  plus  avant.  Depuis,  nous  en 
sommes  venu  à  penser  que  le  grand  conquérant  n'aurait  tout  de 
même  pu  pousser  la  présomption,  ni  ses  troupes  l'endurance,  jus- 
qu'à tenir  la  campagne  dans  les  conditions  actuelles  du  terrain  et 
du  climat.  Si  l'on  se  rappelle  les  descriptions  que  les  textes  védiques 
nous  donnent  de  ce  pays  de  pâturages,  abondamment  arrosé  par 
l'eau  du  ciel  et  celle  de  ses  rivières,  on  iie  peut  s'empêcher  de  sup- 

'''  Duuioiiis  Sir  AurelSrEiN  n-t-il  de-  p.  '117,  11.  ij,  comme  uous  l'jivious  in- 
monlré  qu'il  fallait  renoncer  à  la  localiser  scril  avec  un  point  d'interrogation  sur  la 
sur  iemont  Mahàban(cf.  ci-dessus,  I.  H,         carlo  (|ui  accompagne  le  t.  1. 


/i24  LKS  OlilCINKS   l)K   L'KCOl.E   DU  GANDIlillA. 

poser  que  le  bassin  de  lliidus  a  dû  participer  à  ce  mouvement 
géntM'al  de  dessi(;cation  qui,  depuis  les  temps  histonques,  affecte 
visiblement  toute  l'Asie  centrale  C.  Certes,  cette  évolution  est, 
comme  toujours,  sujette  à  des  retours  rythmés:  mais  elle  n'en  con- 
tinnc  pas  moins  à  s'affirmer  lentement,  sinon  irrémédiablement, 
dans  la  progression  constante  des  déserts  et  la  lonéfaclion  des 
terres  où  l'eau  ne  ramène  plus  la  vie,  dans  le  détour  des  courants 
aériens  et  la  croissante  rareté  des  pluies  qu'ils  ne  déversent  que 
d'une  aile  de  plus  eu  plus  intermittente  et  avare.  Le  Penjàb  mo- 
derne ne  doit  ressembler  que  de  loin  à  celui  qu'Alexandre  envahit 
au  printemps  de  826,  et  c'est  justement  ce  qui  lui  a  permis  de 
l'envahir  en  pareille  saison.  Dix-sept  siècles  plus  tard,  en  i3(j8 
de  notre  ère,  Timour  le  Boiteux,  que  nous  appelons  Tamerlan,  a 
bien  soin  de  ne  passer  l'indus  que  le  'jo  septembre;  et,  bien  qu'il 
ait  pénétré  plus  loin  qu'Alexandre,  puisqu'il  atteignit  Delhi  et  le 
mit  à  sac  en  décembre,  dès  janvier  il  revenait  sur  ses  pas  et, 
le  1 1  mars,  il  avait  déjà  repassé  l'indus  pour  retrouver  en  Afgha- 
nistan la  fraîcheur  des  montagnes.  Quant  au  grand  Moghol  Bàber, 
entré  dans  l'Inde  en  novembre  iBa/i,  victorieux  à  Panipat  le 
2  1  avril  1  5-2  5  et  installé  à  Delhi  et  Agra  dès  la  fin  du  même  mois, 
malgré  la  victoire,  le  butin  et  les  confortables  quartiers  d'été  de 
ses  deux  capitales,  il  eut  toutes  les  peines  du  monde  à  retenir  dans 
leur  nouvelle  conquête  ses  soldats  que  la  chaleur  en  avait  déjà 
dégoûtés  ('-).  Or,  on  ne  voit  pas  que  dans  les  plaintes  de  l'armée 
grecque,  telles  qu'Arrien  les  exprime  par  la  bouche  du  général  de 
cavalerie  Koinos,le  héros  du  passage  de  l'Hydaspe,  il  soit  à  aucun 
moment  tiré  argument  du  climat (^)  :  apparemment  il  n'en  était 
nulle  part  grandement  question  dans  les  mémoires  contemporains 
dont  l'historien  s'est  servi.  Ces  cas  si  difTérents  s'accordent  à  nous 

'"'   Nous  croyons  savoir  que  lelie  esl  '"'  Aiinhasls,  v,  27,  6  :  il  est  dit  seiiie- 

i'opinion   de  l'éminent    archéologue    et  nieiil  (]ue  les  lron|ies  grecques  ont  peidu 

explorateui'.  Sir  Aurel  Stein.  plus  de  monde  par  la  maladie  que  dans 

'''  Mémoires  de  Bdbcr,  Irad.  Pavet  de  le  combat,  et  que  les  survivants  se  seii- 

CouRTEiLLE,  t.  Il,  p.  2.3i-a38.  tent  très  alTaiblis. 


L'IIELLEMSME  AU   GANDllARA.  425 

faire  croire  que  le  Penjàb  d'Alexandre  ii'élait  pas  aussi  brûlé  du 
soleil  qu'il  l'est  actuellement  :  ou  plutôt  les  canaux,  qui  y  ramènent 
aujourd'hui  verdure  et  fertilité,  ne  font  que  ressusciter  artifi- 
ciellement l'état  ancien  et,  du  même  coup,  la  richesse  de  la 
contrée. 

Ce  qui  est  vrai  du  Penjâb  l'étant  également  du  Gandhâra,  on  sent 
l'importance  de  ces  considérations  poui'  notre  sujet  :  elles  sont  encore 
confirmées  par  la  suite  de  la  campagne.  Ni  Taxile  ni  Peukélaôtis 
ne  devaient  voir  repasser  Alexandre.  Désireux  de  renouveler,  à 
deux  siècles  de  dislance,  l'exploration  de  Skylax  et  les  conquêtes 
du  premier  Darius,  il  décida  de  rentrer  en  Perse  en  descendant 
l'Hydaspe,  puis,  de  confluent  en  confluent,  l'Indus.  En  chemin,  il 
détacha  Cratéros  avec  une  partie  des  troupes  et  les  éléphants,  par 
la  voie  de  l'Arachosie  et  de  la  Drangiane,  parallèle  à  cette  route 
du  Séistan  que  le  gouvernement  anglo-indien  s'est  elTorcé  récem- 
ment de  rouvrir;  et,  tandis  que  Néarque,  avec  la  flotte,  longeait 
le  littoral  de  la  mer  Erythrée  et  du  golfe  Persique,  lui-même,  avec 
Héphesfion,  ramena  le  reste  de  l'armée  par  la  Gédrosie,  c'est-à-dire 
le  Makrân.  Nous  ne  ferons  aucune  difficulté  de  rappeler  ici  les 
soutl'rances  que  ses  compagnons  endurèrent  pendant  la  traversée 
de  cette  région,  déjà  désertique,  où  ils  laissèrent  toutes  leurs  bêtes 
de  somme  et  par  suite  tout  leur  butin,  sans  compter  nombre 
d'hommes  qui  moururent  de  chaleur  et  de  soif.  Les  gens  qui  con- 
naissent la  face  actuelle  du  pays  ne  s'étonnent  en  effet  que  d'une 
chose  :  c'est  qu'un  seul  soldat  en  soit  réchappé.  Une  armée  qui  s'y 
engagerait  aujourd'hui  serait  sure  de  pér;r  tout  entière.  Ainsi,  de  ce 
fait  même  que  la  colonne  grecque  a  passé,  fût-ce  à  grand'peine, 
nous  lirons  l'assurance  que,  comme  le  Penjàb  et  la  province  du 
Sind,  le  Bélouchistan  d'alors  était  moins  aride  que  celui  d'aujour- 
d'hui (''.  Un  autre  point  vaut  également  d'être  retenu  :  c'est  que  la 
dernière  expédition  d'Alexandre  a  fini  de  façon  désastreuse.  Rem- 

'"'  V.  HoLDiCH,  A  rrireat  froin  liiilia,         |i.  112;  Ravertv,  The  Milirdii  uf  Sind  and 
dans  J.   Un.   Serv.   Iiisl.,   India,    1896,         its  trihuluries  (J.A.S.  B.,  i8t)-2,  [rarl  l). 


'rH\  l.KS   (llUlilNKS    DK    l.'KCOIJ':    l>l     CWDIllr.  \. 

placez  seuleiiK'iil  la  neige  [)ar  le  sable  el  le  l'ioiil  par  la  chaleur,  et 
vous  aurez  comme  une  ])rcmièi'e  ébauche  de  la  retraite  de  Russie. 
Nous  permet-on  de  poursuivie  la  comparaison?  Vouloir  dater  du 
passage  d'Alexandre  l'apparition  de  l'art  hellénique  dans  l'Inde, 
ce  serait  comme  si,  dans  deux  mille  ans,  des  historiens  trop  som- 
maires faisaient  remonter  à  l'invasion  de  Napoléon  l'inauguration 
du  régime  parlementaire  dans  l'empire  des  tsars .  .  .  Et  sans  doute , 
à  voir  les  choses  de  loin,  il  y  aurait  bien  au  fond  une  part  de 
vérité  dans  cette  thèse  :  le  Corse  portait,  quoi  qu'il  en  eut,  la 
Révolution  française  dans  ses  bagages,  comme  le  Macédonien  l'Hel- 
lénisme. Mais  combien  lentement  le  germe  se  décide  à  lever  et  à 
la  suite  de  quelles  influences  longuement  propagées,  les  contem- 
porains le  savent  :  il  sera  salutaire  de  nous  en  souvenir. 

A  réduire  les  faits  sous  notre  petit  compas .  que  put-il  rester  du 
raid  aventureux  d'Alexandre  dans  l'Inde?  «Rien  15  serait  peut-être 
trop  dire  :  assurément  peu  de  chose.  Tout  d'abord,  si  variée  que 
fut  la  bigarrure  d'hommes  composant  son  armée,  il  est  peu  vi'ai- 
semblable  qu'il  ait  traîné  à  sa  suite  des  artistes.  Plutarque  nous 
parle  bien  de  trois  mille  jsy}>kct.i,  pour  la  plupart  gens  de  théâtre 
ou  spécialistes  de  jeux  publics,  qu  il  se  serait  fait  envoyer  de  Grèce; 
mais  il  ne  dit  pas  qu'ils  aient  dépassé  Echatane^''.  Pourtant  les 
numismates  pensent  que  le  décadrachme  unique  du  British  Muséum, 
par  lequel  aurait  été  commémoré  le  passage  victorieux  de  1  Hy- 
daspe,  a  dû  être  frappé  dans  l'Inde  même  '-'.  Ce  fait  supposerait  au 
moins  la  présence  dans  l'armée  d'un  graveur  de  talent  —  le  même, 
aurait-on  cru  volontiers,  dont  Sôphytès,  alors  raja  du  Sait  Range, 
emprunta  les  services  pour  l'exécution  de  ses  superbes  monnaies 
(pi.  111,  3-4)  :  les  experts  nous  avertissent  toutefois  que  celles-ci 
sont  plutôt  imitées  des  frappes  de  Séleucos'^'.  A  côté  de  celle  in- 

'''   Vie  d'Alexamlre,  72.  Daciria  iiml  IiiiUk  in  tlw  British  Muséum, 

'"'  Cl.  Numismaiic   Clironicle,    igoG,  |)1.  1,  3  et  p.  x. 
|i.   8  ot  pi.  I,  8,   et    P.    Gardnf.1i,    Tlœ  ,1»)  Cf.    E.   J  .    Ripsox,    Imli/ni    Coins, 

niiits  uf  tlie  Greelc  and  Sci/thic  hings  <if  p.  /i ,  $  n. 


i;ilEr.LEN'ISME   AU   GANDIIARA.  'i27 

troduction  probable  d'un  artiste  vivant,  on  peut  encore  noter  une 
importation  certaine  d'œnvres  d'art, ne  serait-ce  qu'à  l'occasion  des 
présents  diplomatiquement  écliangés  entre  Alexandre  et  le  raja  de 
Taksaçilà.  Avec  une  générosité  qui  aurait  fait  quelque  peu  mur- 
murer ses  officiers,  le  roi  des  Yavanas  combla  son  allié  x4mbhi  de 
cadeaux, parmi  lesquels  nous  noterons,  à  côté  d'étoffes  persanes  et 
de  harnacbements  de  chevaux,  des  objets  d'un  caractère  moins 
purement  industriel,  tels  que  des  plats  et  des  coupes  d'argent  ou 
d'or''',  {^'occasion  était  belle  pour  les  habiles  artisans  indigènes  de 
déployer,  en  imitant  toute  cette  vaisselle  de  luxe,  la  ^iXoT£)(ji>iot. 
vantée  chez  eux  par  Néarque,  et  qu'ils  poussèrent  au  point  de 
fabriquer  promptcment  à  l'usage  de  leurs  envahisseurs  non  seule- 
ment des  strigilles  et  des  lécythes,  mais  jusqu'à  de  fausses  éponges! 
Enfin,  quand  il  fut  forcé  au  retour,  l'émule  de  Dionysos  et  de 
Héiaklès  aurait  tenté  de  laisser  du  moins,  sur  le  bord  de  l'Hyphase, 
un  monument  durable  de  son  passage  et  lit  élever  douze  gigan- 
tesques autels  en  pierre  de  taille  aux  douze  grands  dieux.  Sans 
qu'il  y  ait  lieu  de  douter  du  fait,  il  estmaliieureusement  impossible 
de  déterminer  jusqu'à  quel  point  la  main-d'œuvre  dont  disposait 
Alexandre  avait  été  en  mesure  d'enrichir  ces  édifices  d'une  déco- 
ration sculptée.  La  précaution  fut  d'ailleurs  inutile.  Dans  son  tran- 
quille orgueil,  l'Inde  s'est  vengée  de  son  vainqueur  de  la  façon  la 
plus  mortifiante  pour  cet  alTamé  de  gloire:  elle  l'ignora.  Nulle  part 
on  ne  voit  qu'elle  ait  écrit  son  nom'-);  et  ce  serait  en  vain  que  l'on 
cliercherait  jusqu'ici  sur  nos  sculptures  le  moindre  rappel  de  ses 
exploits  ('). 

'''  QuiNTE-CuRCK,  Vlll,  la.  —  Mais  K. p.  Alcad. derWissensch., BerMn,  18^0, 

les  palères  conservées  sont  d'une  époque  p.  902  el  suiv.). 

beaucou])  plus  tardive  (^ cf.  lig.  'i(jo  et  ci-  '''  A  la  vérité,  Pliilostrate  assure  que 

dessous,  p.  626).  son  héros,  ApoUonios  de  Tyane,  aurait 

'^'  (l'est   sans    raison    sulllsaiile    ([ue  vu  ;\  Taxile,  vers  le  milieu  du  1"  siècle, 

A.    Weber   a   voulu    relrouver   le    nom  des  bas-reliefs  et  des  statues  de  métal, 

d'Alexandre  dans  celui  de  Skanda,  l'an-  représentant    Alexandre    et    Porus   (Vie 

cien  Yaksa  devenu  le  dieu  de  la  {jtierie  d'Apollonius,  11,  ao  et  2^):  mais  on  sait 

(  D/c  (Irieclieii  in    Indien,  dans  .S'i(i.  dfr  à  quel  point  son  témoignage  est  suspect. 


628  LES  olUCilNES  DE  L'ÉCOLE  DU   GANDHÀRA. 

Mais  pourquoi  s'en  étonner?  A  peine  rentré  en  Perse,  Alexandre 
a  beau  précipiter  par  ses  excès  sa  mort  prématurée  (3'23),  il  n'en 
a  pas  moins  failli  snrvivi'e  à  ses  éphémères  conquêtes  indiennes. 
Ce  n'était  pas  faute  de  les  avoir  habilement  oiganisées  en  vue  de 
l'avenir.  Dans  le  Penjàb,  il  avait  employé  le  système  du  protec- 
torat :  les  princes  l'eudataires.  tout  à  fait  p^ireils  à  ceux  que  connaît 
encore  l'Inde  anjjlaise,  étaient  naturellement  ses  fidèles  Ambhi  et 
Puni.  Dans  la  vallée  inférieure  de  l'indus,  il  eut  recoui's  à  l'admi- 
nistration directe,  conformément  aux  précédents  persans,  et  partagea 
le  pays  en  deux  satrapies.  Mais  le  satrape  d'amont,  Pliilippos,  fut 
presque  aussitôt  assassiné  par  ses  mercenaires  indiens  (Bai)  et 
Peithon,  fils  d'Agénor,  celui  d'aval,  dut  bientôt  évacuer  le  delta. 
Déjà  les  provinces  indiennes  ne  figuraient  plus  au  second  partage 
de  l'empire  en  S'Jii.  Un  certain  Eudèmos  ou  Eudamos,  à  la  tète 
d'un  contingent  tbrace,  garda  bien  encore  la  porte  de  l'Inde  et, 
par  suite,  dut  tcnii-  garnison  quelque  part  entre  Peukclaôtis  et 
Taxile  jusqu'en  3  l'y.  Lui  parti,  toute  trace  de  l'invasion  grecque 
peut  sembler  abolie:  même  on  eût  dit  que  l'ébranlement  causé  par 
cette  irruption  à  main  armée  n'avait  fait  que  donner  à  l'Inde  plus 
de  cobésion  et,  du  même  coup,  une  force  d'expansion  insoupçon- 
née. Largement  unifiée,  au  moins  dans  toute  la  partie  située  au 
nord  des  Vindbyas,  par  les  talents  politiques  et  militaires  de  Gan- 
dragupta,  c'est  elle  qui  fait  à  présent  reculer  les  armées  de  Séleu- 
cos  et  qui  s'annexe  à  son  tour  la  rive  droite  de  Flndus.  Hindusara 
dit  Ainitraghata  (^AixiTpo-)(jXTVs)  et  Açoka  dit  Priyadarçin  traitent 
de  pair  avec  les  successeurs  d'Alexandre.  Si  le  premier,  rendant  un 
curieux  hommage  à  la  science  grecque,  demande  à  Antiocbos  (I) 
Sôtèrde  lui  expédiei'  un  sophiste  en  même  temps  que  des  raisins  et 
des  figues  0,  le  second  atfirhe  dans  son  Xlll"  édit  sur  roc  la  préten- 
tion d'envoyer  des  missionnaires  à  Antiocbos  (11)  Théos,  Ptoléniée 
Pbiladelpbe,   Antigone  Gonatas,  Magas  de  Gyrène  et  Alexandre 

'■'  Froffm.  Hist.  Grœc,  éd.  Mûller,  IV,  p.  621,  11°  43. 


L'HELLENISME  AU  GANDHARA.  429 

(rÉpiief'.  L'hellénisme  qui,  en  Occident,  trouvera  bientôt  dans 
Home  un  si  vigoureux  adversaire,  paraît  déjà  en  recul  du  coté  de 
rOrient.  Vingt  ans  avant  la  mort  d'Açoka,  éclate  contre  le  petit-fils 
de  Séleucos  la  révolte  des  Parthes  (a 68-2/1 7)  et  Tempire  arsacide 
relève  la  barrière  iranienne  entre  l'Inde  et  le  monde  grec.  Le 
cyclone  a  passé:  l'Inde  va  reprendre  sa  vie  un  instant  troublée,  ses 
paysans  leur  labeur,  ses  marchands  leur  commerce,  ses  nobles  leurs 
rivalités  féodales,  ses  brahmanes  leurs  liturgies,  et  ses  ascètes  leur 
rêve  d'au-delà.  Tout  semble  perdu  de  l'œuvre  du  prodigieux  bras- 
seurde  peuples  que  fut  Alexandre  :  ou  du  moins,  il  n'en  serait  resté, 
comme  a])rès  le  passage  d'un  Tamerlan,  que  le  souvenir  du  sang 
iiuitilement  versé  si.  par  bonne  chance,  il  n'avait  laissé  une  forte 
colonie  militaire  en  Bactriane. 

Les  Indo-Grecs.  —  D'après  les  récits  combinés  de  Poljbe.  de 
Strabon  et  de  Justin,  Diodotos,  satrape  de  la  riche  province  de 
Bactriane,  rr cette  perle  de  l'Ariane n,  se  rebella  en  même  temps 
que  la  Parlhie  contre  le  déclin  d'Antiochos  (II)  Théos;  mais  un 
autre  condottiere  ionien,  Euthydèrae,  natif  de  Magnésie,  avait 
déjà  renversé  le  fils  de  l'usurpateur,  quand  Antiochos  (111)  Mégas, 
le  même  qui  devait  bientôt  se  mesurer  avec  Rome,  rétablit  pour 
la  dernière  fois  la  suzeraineté  hellénique  dans  le  Moyen  Orient 
(vers  908).  On  nous  conte  comment'-'  il  se  serait  réconcilié  avec 
Ijuthydème,  auquel  il  aurait  consenti,  par  amitié  pour  son  fils 
Démètrios,  à  concéder  le  titre  de  roi.  Après  quoi  il  aurait  à  son 
tour  franchi  le  Caucase  (Hindou-Koush)  et  renouvelé  alliauc»»  avec 
Sophagasénès  (Subhàgasêna),  le  roi  des  Indiens.  Ainsi  l'Inde  avait 
gardé  ])eudant  un  siècle  ses  frontières  naturelles  :  mais  déjà  l'em- 
pire des  Mauryas  était  en  train  de  s'elTondrer,  et,  retombée  dans 
son  chronique  état  d'anarchie,  elle  était  redevenue  une  proie  aussi 

'''  On  snil  qui' ers  ciiKj  princes  ne  ré-         l'ancre  de   salut    île   In    chronologie   in- 
gnèrenl  simiillani-nienl  (]iieiie  961  à  a.'iS         dienne. 
av.   J.-t;.,   e|    une  ce   s\ncinoaisme  est  '^    Siirlont  I'olybe,  XI,  3/i  ;  cl.  X,  '/g. 


',:iO  LES  OIUC.INES  DE  L'ÉCOLE  ï)i   (!AiNDH\RA. 

facile  que  tentante  pour  ies  convoitises  de  ses  rudes  voisins.  Antio- 
chos  111  n'a  pas  plutôt  repris  le  chemin  de  la  S^rie  que  son  gendre, 
Dèniètrios,  le  jeune  et  brillant  fds  d'Eu  thydènie,  conquiert  et  annexe, 
Gandhàra  compris,  toute  la  région  du  Nord-Ouest.  Nous  n'avons  pas 
besoin  d'en  savoir  davantage.  Nons  ne  tenterons  pas  de  débrouiller 
les  fortunes  diverses  de  ses  luttes  avec  son  vaillant  rival  Eukra- 
tidès,  lequel  finit  par  le  chasser  de  Bactriane,  si  bien,  nous  dit 
Slrabon,  (jue  Dèmètrios  ne  fut  plus  connu  que  sous  le  tilre  de 
(rroi  des  Indiens  t).  Nous  n'essaierons  pas  non  plus  de  suivre  ni  les 
conquêtes  indiennes  d'Eukratidès,  sans  doute  faites  aux  dépens  et 
sur  les  derrières  de  son  irréconciliable  adversaire,  ni  ses  démêlés 
avec  ses  propres  fils  :  il  sulHra  de  noter  que  l'un  d'eux,  Hélioklès, 
expulsé  à  son  tour  de  Baclriane  par  une  invasion  de  Barbares 
nomades,  fui  le  dernier  à  frapper  monnaie  au  nord  du  Paropa- 
mise.  En  ces  quehjues  lignes  se  résume  pour  nous  le  fait  capital, 
clef  de  tout  notre  sujet.  Le  foyer  helléni({ue  qui  avait  survécu  au 
nord  de  l'Hindon-Koush  ne  s'est  pas  seulement  propagé  au  sud  et 
au  sud-est  des  montagnes  :  il  y  a  bientôt  été  confiné,  et  il  ne 
devait  pas  de  sitôt  s'y  éteindre.  Pendant  près  de  deux  siècles  la 
vallée  de  Kaboul,  pendant  près  d  un  siècle'''  le  Gandhàra  et  le 
Penjàb  ont  été  le  siège  de  deux,  sinon  de  plusieurs  royaumes  grecs 
qui  parfois  éteiulirent  leurs  incursions  jusqu'à  la  mer  Erythrée  et 
au  bassin  du  Gange.  En  d'autres  termes,  pendant  plusieurs  géné- 
rations, l'Inde  du  ^ord  a  été  une  colonie  hellénique,  au  même 
titre  qu'elle  a  été  depuis  une  colonie  scythe,  turque,  pathane, 
moghole,  enlin  anglaise  :  c'est-à-dire  qu'une  poignée  d'étrangers, 
appuyée  sur  des  troupes  mercenaires  et  en  partie  recrutées  dans  le 
pays  même,  y  détenait  le  pouvoir  et  y  percevait  fimpôt.  On  conçoit, 
sans  qu'on  y  insiste,  que,  durant  le  même  laps  de  temps,  elle  ait 
été  un  centre  d'attraction  pour  des  aventuriers  grecs  de  toute 
espèce,  depuis  les  soldats  de  fortune  et  les  bateleurs,  en  passant 

'''  Le  Faî/M-Pwraim  dit  seulement  rrSa  ans»  (S.Lévi,  Qiiid  de  Gra'cis...,p.  ii  etSy). 


F;  H  E I.  L  É  N I  s  M  EAU  G  \  N  D  H  1 R  A.  431 

parles  marchands,  jusfjirtuix  artistes  qui  se  chargèrent  entre  autres 
besognes  d'exécuter  les  inagnifi([ues  monnaies  auxquelles  nous 
(levons  d'avoir  conservé  les  noms  sonores  et  les  |)rofils  énergiques 
de  tous  ces  dynastes  indo-grecs  (pi.  lli). 

Il  faut  bien  l'avouer,  en  effet  :  des  quelque  trente  hasileus 
(pii  gouvernèrent  alors  tout  ou  partie  du  Nord-Ouest  de  l'Inde, 
l'immense  majorité  n'est  autre  chose  pour  nous  que  ces  noms  et 
ces  portraits.  Seuls,  Antialkidas,  Apollodotos  et  Ménandre  nous 
sont  connus  d'autre  source.  Une  inscription  découverte  par 
Sir  John  Marshall  à  Besnagar*')  mentionne  la  présence  d'un  envové 
d  Antialkidas  à  la  coui-  de  Biiàgahliadra,  le  roi  ou  vice-roi  Çun^a 
de  rinde  centrale  et  il  est  assurément  curieux  de  voir  cet  Hèlio- 
doros,  fds  de  Dion,  natif  de  Taxile,  succédant  aux  Mégasthène, 
aux  Daimochos  et  aux  Dionysios,  perpétuer  au  milieu  du  \f  siècle 
avant  .I.-C.  la  tradition  des  ambassadeurs  des  Séleucides  et  des 
Lagides.  D'Apollodotos,  nous  savons  par  Trogue-Pompée  qu'il  fut 
l'un  des  plus  heureux  conquérants  de  l'Inde;  et  quant  à  Ménandre, 
sans  qu'il  soit  d'ailleurs  possible  d'imaginer  le  lien  qui  l'unissait  à 
son  prédécesseur,  il  aurait  poussé  encore  plus  avant  sa  marche  victo- 
rieuse. L'auteur  du  Périple  de  la  mer  Erijlhrée  a  trouvé  leurs  monnaies 
toujours  en  usage  dans  le  port  de  Barygaza  (Broach),  tandis  que 
les  grammairiens  et  les  astronomes  indigènes  font  allusion  au  siège 
mis  par  les  Yavanas  devant  les  capitales  du  Rfijpoutana  et  de 
l'Aoudh,  sinon  même  du  Magadha.  Mais  Ménandi'e  ne  se  borna  pas 
à  dépasser  Alexandre  (ainsi  que  le  fait  déjà  remarquer  Strabon) 
par  l'étendue  de  ses  conquêtes  à  l'intérieur  de  la  péninstde  :  il  le 
surpassa  également  par  l'impression  qu'il  sut  faire  sur  les  habi- 
tants, et  il  a  l'honneur  d'être  le  seul  roi  des  Yavanas  auquel  la 
littérature  indienne  ait  décerné  une  mention,  et  même  un  prix  de 
sagesse.  Par  plus  d'un  trait  sa  figure  rappelle  d'avance  celle  d'Akbar. 
Un    très    intéressant    ouvrage    d'a[)ologétique    bouddhique    nous 

'''  Vdii'  A.  S.  /.,  ,1»/).  Ilcji.  "J"^- > [)'>[)  •  1>-  127  et  siiiv.,  oii  les  antres  références 
soiil  indi(juées. 


ri3-2  LES  ORIGINES  DE   L'ÉCOLE  DU  GANDHÀRA. 

montre  «l'incomparable  Milinilai^  dans  sa  ricbo  et  forto  capitale 
de  Çâkala,  s'occnpant  an  matin  de  son  armée,  seul  garant  de  sa 
puissance,  mais  consacrant  le  reste  du  jour  à  des  discussions  philo- 
sophiques et  religieuses  avec  les  chefs  des  diverses  sectes;  et  il 
nous  vante  ses  dons  d'athlète  autant  que  son  talent  de  dialecticien 
et  ses  qualités  morales  autant  que  son  éloquence'''.  Le  ton  sur 
lequel  il  nous  en  parle  s'accorde  singulièrement  avec  les  rensei- 
gnements de  Plutaïque.  D'après  ce  dernier,  Ménandre  était  à  ce 
point  renommé  pour  sa  justice  que  ses  villes  indiennes  se  dispu- 
tèrent ses  reliques  et  leur  élevèrent  des  fjivvfJ^sïa^-\  c'est-à-dire, 
sans  doute,  des  monuments  commémoratifs  en  forme  de  stùpa, 
ainsi  que  l'on  faisait,  de  l'aveu  même  des  textes  bouddhiques, 
aussi  bien  pour  les  empereurs  que  pour  les  Buddhas.  Mais  rien  ne 
serait  moins  justifié  que  de  voir,  dans  ces  honneurs  rendus  à  sa 
mémoire,  une  preuve  que.  comme  le  veut  le  Milinda-paùlia,  il  se 
fût  converti  au  Bouddhisme.  Il  a  toujours  suffi  dans  l'Inde,  pour 
mériter  des  sanctuaires,  d'un  grand  prestige  ou  d'un  grand  pouvoir: 
la  ruée  idolâtrique  des  foules  vers  le  trône  impérial  du  darbar  de 
Delhi  (  1 9 1  1  )  en  a  apporté  une  nouvelle  preuve.  Et  qu'on  ne  croie 
pas  que  ce  soit  forcément  un  brevet  de  vertu  :  il  est  de  notoriété 
publique  à  Labore  que  le  grand  moghol  Jehan-Gir,  de  son  vivant 
fort  libertin,  fait  en  son  tombeau  de  Sbàh-Dèhra  des  miracles. 

Quoi  qu'il  faille  d'ailleurs  penser  de  la  prétendue  conversion 
de  Ménandre,  on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer  à  quel  point  les 
documents  viennent  ici  au-devant  de  nos  désirs.  Ce  que  ce  dialogue 
à  la  mode  platonicienne  met  en  scène  et  en  rapport,  à  l'occasion 
d'une  discussion  courtoise  et  dans  une  attitude  réciproquement 
sympathique,  n'est-ce  pas  justement,  sur  le  terrain  même  de  notre 
enquête,  les  deux  éléments  capitaux  du  problème  dont  nous  pour- 

'''  Milindn-panha,  i,  g  (éd.  Trenckner,  inlerpiétalion  ilf  ci'  passago  très  discuté, 

p.  3-4).  et  où  il  est  dillicilp  de  ne  pas  trouver  un 

'''  Heipubl.  gerendœ  prœcepUi,  xxvm,  écho  de  la  légendaire  rfguerre  des  reli- 

8   (cf.  t.  I ,  p.   Sy).    Nous   ne   pouvions  qurs",   qui  aui'ait  éclaté  à  la   moit   du 

guère  nous  dispenser  de  donner  ici  notre  Buddha  (cf.  t.  I,  p.  584). 


L'HELLÉNISME  AU  GANDHÂRA.  'i:i;i 

suivons  la  solution  :  d'une  part  i'Hollénisme,  l'cprésenté  par  le  roi 
(les  Yavanas,  et  de  l'autre  le  Bouddhisme,  en  la  personne  d'un 
des  patriarches  de  l'église,  Nâgasèna  ?  Certes,  nous  avions  toutes 
raisons  de  penser  que  cette  inévitable  rencontre  avait  dû  dès  lors 
se  produire  dans  cette  région  de  l'Inde;  mais  si  peu  gratuite  que 
fût  cette  supposition,  on  sent  la  feime  assurance  que  lui  confère 
l'aveu  de  la  tradition  indigène.  On  devine  aussi  combien  a  dû  coûter 
à  l'orgueil  indien,  fût-ce  chez  la  plus  tolérante  des  sectes,  cette 
reconnaissance  de  la  ce  sagesses  d'un  barbare  étranger.  Et  comme 
le  philologue  est  insatiable,  il  se  prend  à  regretter  que  Ménandre, 
à  son  tour,  n'ait  pas  fait  quelque  chose  pour  lui.  Jamais,  semble- 
t-il,  les  circonstances  ne  furent  plus  favorables  pour  faire  lever  le 
germe  de  tout  le  développement  ultérieur  de  l'ai't  gréco-boud- 
dhique par  la  création  du  type  du  Buddha.  Que  sont  en  eflet  nos 
])lus  belles  statues,  telles  que  celle  de  la  ligure  lih^,  sinon  des 
médailles  asiatiques  frappées  en  style  européen?  Et  pourquoi  le  roi 
des  Yavanas,  sacrifiant  à  notre  future  satisfaction  d'esprit  les  pré- 
jugés de  ses  compagnons,  son  orgueil  de  race  et  cette  religion  de 
ses  pères  à  laquelle  le  Milinda-pafiha  avoue  en  commençant  qu'il 
était  fidèle,  n'a-t-il  pas  délogé  du  revers  de  ses  monnaies  la  Pallas- 
Athénè  qui,  dans  l'encadrement  d'un  exergue  exotique,  continuée 
brandir  le  foudre  paternel  de  Zens  (pi.  lil,  lo)  pour  installer  à 
sa  place  l'image  du  véritable  Sôtèr-Tràtar,  du  monastique  sauveur 
de  l'Inde.  .  .  ?  Que  tout  dans  l'histoire  de  l'art  gréco-bouddhique 
serait  du  coup  devenu  simple  et  clair!  —  Mais  quoi,  l'on  ne  saui'ait 
tout  prévoir,  ni  contenter  d'avance  tout  le  monde. 

Les  Barbaues.  —  C'est  qu'en  elfet  l'histoire  du  Nord-Ouest  de 
l'Inde,  durant  les  deux  siècles  qui  ont  précédé  et  celui  qui  a  suivi 
notre  ère,  est  beaucoup  plus  confuse  et  complexe  que  nous  ne 
I  avons  laissé  entrevoir  jusqu'ici.  De  tous  côtés  les  faits  les  plus 
inattendus  et  souvent  (du  moins  en  apparence)  les  plus  contradic- 
toires, données  numismatiques,  dates  des  inscriptions,  témoignages 


',;!',  LES  oniClMlS   l)F,   [/ÉCOLE  DU  GANDIIU'.V. 

indiens,  grecs  on  iiièuK!  chinois,  se  bonsculent  dans  une  obscure 
mêlée  et  diMirnl  les  tentatives  des  historiens  pour  y  introduire, 
de  gré  ou  de  force,  un  peu  d'ordre  et  de  clarté.  Nous  tenions  un 
royaume  grec  —  grec  au  moins  par  ses  maîtres.  Mais  comment 
empêcher  ses  belliqueux  voisins,  les  Parthes,  de  réclamer  leur 
part,  selon  la  tradition  de  tous  les  peuples  du  iNord-Ouest,  dans  le 
pillage  périodique  de  l'Inde?  Qu'opposer  aux  assertions  des  histo- 
riens classiques  (''  qui  nous  parlent  des  conquêtes  indiennes  de 
Mithridale  1"  (env.  171-138)  et  de  Milhridate  11  (env.  128-88) 
de  Parthie?  L'épigraphie  ne  nous  révèle-t-elle  pas  que  Tàksaçilâ  et 
même  Mathurâ  étaient  gouvernées  par  des  satrapes  à  noms  iraniens? 
Le  premier  loi  du  Gandhâra  qui,  postérieurement  à  Açoka,  soit 
nommé  par  une  inscription,  n'est-il  pas  le  Partlie  Gondopharès, 
le  même  que  la  légende  cbrétienne  fait  visiter  par  l'apôtre  saint 
Thomas?  Et  n'est-ce  pas  enfin  un  royaume  parthe  que  le  Périple 
(Ir  la  mer  Erythrée  signale  dans  la  vallée  de  l'indus?  Encore  pour- 
rions-nous, à  notre  point  de  vue  spécial,  arranger  tant  bien  que 
mal  les  choses  en  rappelant  que  ces  Parthes  étaient  quelque  peu 
frottés  de  civilisation  grecque  et  se  prétendaient  philhellènes.  Mais 
que  faire  de  la  iiorde  de  hardis  cavaliers  qui  envahit  en  ce  même 
instant,  la  lance  en  arrêt,  les  collections  et  les  catalogues  de  numis- 
matique indienne?  Sans  doute  il  faut  y  reconnaître  des  Çakas, 
ainsi  cjue  les  Perses  appelaient  tous  les  Scythes.  Euthydème  de 
Magnésie  l'avait  bien  dit  à  Antiocbos  :  faute  d'accord  entre  eux,  il 
n'y  aurait  de  sécurité  ni  pour  l'un  ni  pour  l'autre;  car  ils  avaient 
à  dos  une  multitude  de  Nomades  qui  tcbarbariseraientii  le  pays  si 
on  ne  leui' en  interdisait  l'accès  ('-'.  .  .  L'apparition  de  ces  Scythes 
jusque  dans  l'Inde  prouve  qu'ils  avaient  enfin  rompu  leurs  digues. 
Mais  eux-mêmes,  ainsi  que  nous  en  avertissent  les  historiens  chinois, 
ne  conquéraient  qu'en  fuyant  devant  la  tribu  des  Grands  Yue-tche. 
(juand  ceux-ci  entrent  sur  leurs  talons  dans  le  cercle  relativement 

<'*   Voir  surlout  Jistin,  .\i,i,   6  et  .\i,ii,   i-a;  et  cf.  BoiciiÉ-LECf.EncQ,   Waloire  des 
Sèkuàdes,  p.  36a  et  4oi-4oa.  —  ''  PdLviiE,  XI,  3^. 


L'HELLÉNISME  AU  GAINDHÀIiA.  /i35 

éclairé  du  Nord-Ouest  de  l'Inde,  nous  voyons  bien  que  cette  fois 
nous  n'avons  plus  affaire  à  de  simples  cousins  des  Partlies,  mais  à 
de  nouveaux  et  pires  barbares,  sortis  du  fond  de  l'Asie  centrale  et 
peut-être  apparentés  aux  Turcs'''.  Hue  nous  voilà  loin  de  l'Hellé- 
nisme! et  pourtant,  à  notre  extrême  surprise,  le  premier  de  ces 
farouches,  envahisseurs  trouve  encore  sur  place  un  dernier  Indo- 
Grec  pour  lui  apprendre  à  battre  monnaie,  et  peut-être,  par  la 
même  occasion,  à  lire  du  moins  son  nom  sur  les  légendes. 

Dans  notre  entêtement  gréco-bouddhique,  nous  pourrions  être 
tentés  de  ne  relever  que  ce  seul  fait  :  en  réalité,  il  n'en  est  aucun 
qui  ne  soit  le  bienvenu  et  ne  doive  être  utilisé  au  cours  de  nos 
recherches.  Il  ne  faut  pas  moins  que  cet  hétéroclite  mélange  de 
peuples  pour  expliquer  le  caractère  composite  de  notre  école  et  la 
variété  de  types  et  de  costumes  de  ses  personnages.  Prenons  garde 
toutefois  que  retenir  indistinctement  toutes  ces  données,  c'est  nous 
engager  à  en  tenter  un  classement  chronologique.  lmpratical)le 
dans  le  détail,  l'entreprise  est,  dans  ses  grandes  lignes,  facile.  On 
s'est  vite  avisé  que  le  seul  moyen  de  se  débrouiller  parmi  tant 
de  basileus,  derâja,  de  satrapes,  de  jab-gou  ('^)  et  de  shah,  était  de 
ne  pas  prétendre  les  réduire  à  une  série  unique.  Le  monde  est 
grand,  et  grande  est  la  présomption  de  l'homme.  Le  moindre  prin- 
cipicule  aura  tenu  à  s'afiîrmer  en  frappant  monnaie  à  son  image  et 
à  son  nom;  et  dans  une  région  non  moins  vaste  que,  par  exemple, 
la  péninsule  balkanique  ou  l'Asie  mineure,  plus  d'un  royaume  et 
même  plus  dune  race  ont  pu  tenir  à  l'aise  en  même  temps.  Sous 
ces  réserves,  il  suffit  désormais  de  faire  appel  aux  fouilles 
récentes,  et  scientifiquement  conduites,  de  Sir  .lohn  Marshall  dans 
les  vastes  ruines  de  l'importante  cité  de  Taksaçilà  (^).  Elles  ont 
d'emblée  rendu  le  service  que  l'on  pouvait  attendre  d'elles,  en 

'"'  On  sait  ([ue  la  Rtijatarahgini  (i,  retrouve  sous  la  forme  ijavagn  et  tjuïia 
170)  en  fait  des  Turuskas  (cf.  (racL  sur  les  monnaies  de  Katlpliisès-Kadaphès 
Stein,  I,  p.  3i).  (cf.  pL  V,  1-3). 

'''   Ce  lilre  turc,  signifiant  (relief-,  se  '''  Arckœologiad  Dlsrarfrirs  ni  Ta.rlla 

a.H. 


'i:ii;  LES  ORIGINES  DE  L'ÉCOLE  DU  CANDHÂRA. 

représentant  de  façon  concrète,  par  des  couches  de  terrain  super- 
posées, ia  série  des  dominations  auxquelles  l'Inde  du  Nord-Ouest 
lut  sujette  du  ui^  siècle  avant,  au  ui*"  siècle  après  J. -G.  En  coniljinant 
les  observations  faites  sur  diil'érents  sites,  on  dégage  l'ordre  inva- 
riable suivant  :  voisine  delà  surface  s'offre  la  zone  des  roisYue-tche, 
auxquels  nous  garderons  le  nom  de  Kusana  que  leur  donnent  leurs 
propres  monnaies.  Au-dessous  s'étend  la  zone  des  Pahiavas  (Indo- 
Parthes)  et  des  Çakas  (Indo-Scyfhes),  associés  en  Joutes  circon- 
stances. Puis,  à  mesure  que  l'on  enfonce  dans  le  sol ,  vient  la  couche 
indo-grecque  des  Yavanas,  directement  placée  an-dessus  de  celle 
de  la  dynastie  indigène  des  Mauryas.  Dès  lors,  il  ne  reste  pins  qu'à 
traduire  cette  superposition  d'étages  par  une  succession  de  dates. 
A  commencer  cette  fois  par  le  bas,  la  période  des  Mauryas  s'étend 
dans  l'ctlnde  du  Nord'»  sur  tout  le  in''  siècle,  et  celle  des  Indo- 
Grecs  au  moins  sur  tout  le  u*;  les  règnes  des  Çaka-Pahiavas  devront 
donc  se  répartir  en  gros  sur  le  i'^''  siècle  avant  et  la  première  moitié 
du  i""  siècle  après  notre  ère;  enfin,  ceux  des  Kusanas  rempliront 
de  plus  en  plus  obscurément  les  siècles  suivants'''.  Telle  sera  la 
base  solide,  et  d'ailleurs  généralement  acceptée,  de  notre  chrono- 
logie. 11  est  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  qu'elle  corrobore 
exactement'-'  celle  que  M.  le  professeur  Percy  Gardner  a  dès  long- 
temps établie  d'après  les  résultats  de  la  magistrale  expertise  à 
laquelle  il  a  soumis  les  collections  numismatiques  dn  British 
Muséum.  Aussi  est-ce  encore  à  la  série  des  monnaies,  comme  au 
guide  après  tout  le  plus  sûr,  que  nous  allons  de  nouveau  recourir 
pour  les  besoins  de  notre  enquête.  Ne  sont-elles  pas  l'une  des  pro- 
ductions —  ia  plus  largement  répandue,  il  est  vrai,  et  la  moins 
sectaire  —  de  ces  mêmes  ateliers  que  le  Bouddhisme  a  d'antre  part 
embauchés  à  son  service?  Mieux  qu'aucun  aulre  document,  elles 

(  Lecture  by  D'  J.  H.  Marshall ,  C.  I.  E. ,  du  iv"  siècle,  ne  peut  leur  servir  de  limite, 

before  ihe  l'anjab  Historical  Society,  Sep-  ceux-ci  n'ayant  jamais  dtendu  leur  domi- 

lember  4"',  ujiS).  nation  sur  toute  l'Inde  du  Nord. 

''■   Remarquons  en  p;issnnl  que  l'avè-  '''   A  un  chan,n;pmcnt  de  de'nomination 

iiemiMil  lies  Guplas,   an    comiiienconienl  près:  d    phisbaiil,  I.  11,  p.  i6(>. 


L'HELLENISME  AL   GANDHARA.  'i;57 

seront  en  mesure  d'ajouter  aux  renseifjnements  généraux  que  leurs 
revers  nous  ont  déjà  fournis  au  sujet  des  divinités  les  plus  popu- 
laires, quelques  données  précises  sur  le  développement  de  l'école 
du  Gandhàra. 

A  vrai  dire,  ce  dont  on  suit  le  mieux  les  progrès  sur  la  série  de 
ces  monnaies,  c'est  bien  moins  l'Iiellénisation  de  l'Inde  que  l'india- 
nisalion  de  ses  conquérants.  Déjà  nombre  de  pièces  de  Dèmètrios 
et  d'Eukratidès  affectent,  par  déférence  pour  les  habitudes  de  leurs 
nouveaux  sujets,  la  forme  carrée,  si  insolite  pour  nos  yeux  euro- 
péensC);  et  comme  si  ce  n'était  pas  assez  d'une  telle  concession, 
voici  qu'au  revers  une  inscription  en  langue  et  en  alphabet  indi- 
gènes traduit  la  légende  grecque  de  l'avers.  Comme  bien  on  pc-nse, 
leurs  successeurs  se  conformèrent  à  ces  précédents  (cf.  pi.  111). 
Certains  poussèrent  plus  loin  encore  la  condescendance  et  admirent 
sur  leurs  frappes  des  motifs  indiens.  Qu'enhn,  pai'mi  ces  derniers, 
il  s'en  soit  glissé  de  bouddliiques,  on  l'a  depuis  longtemps  signalé. 
Tels  sont,  par  exemple,  sur  une  monnaie  d'Agathocle  (Akathukleya) 
les  vieux  poinçons  de  larbi'e,  entouré  de  sa  balustrade,  et  dnslûpa, 
en  qui  nous  avons  appris  à  reconnaître  la  représentation  symbo- 
lique de  l'Illumination  et  du  Trépas  du  Buddha'-).  Rapprochons-en, 
sur  une  pièce  de  Ménandre  (pi.  111,  16),  la  roue  qui  se  lit  aussitôt 
fr Première  Prédication ^^  :  et  ainsi  sur  le  monnayage  des  Yavanas, 
tout  comme  sur  celui  de  l'Inde  ancienne,  nous  relevons  la  mention 
distincte  de  trois  des  grands  miracles  du  Maître,  si  même  le  lion, 
léléphant,  le  taureau  et,  mieux  encore,  le  type  de  la  femme  au 
lotus  ne  font  pas  par  ailleurs  allusion  au  quatrième,  celui  de  la 
Nativité''').  Leur  flirt  avecle  Bouddhisme  n'est  donc  pas  niable  :  mais 

'''  Cf.  t.  I,  fig.  2^0.  chapiteaux  de  l'Iude  gang(''ti((ii('  ou    les 

'^'  P.  Gardner,  C«;.,  pi.  IV.  10.  rrmoon-stones'i    de    Ceyian.    Le    clieval 

'"'  Cf.  J.  A.,  janv.-fév.  1911,  p.  5.5  et  (Gardner.  pi.  VII.  4)  est  celui  du  Grand 

licginmugs  <>j  Budd/ilst  Art,  pi.  I.  L'élé-  Départ  (cf.  t.  I,  lig.  i8i-i85);  rélépliant 

pliant,  le  taureau  et  le  lion  se  retrouvent  (pi.  III,  i5)  est  celui  de  la  Conception 

avec  le  cheval  sur  les  monnaies,  de  même  (cf.  t.  I,  fig.  1 '18-1 '19,  iCo«~);  le  taureau 

(pi'ils  sont  associés  tous  les  quatre  sur  les  (  t.  II ,  p.  3o<5 ,  sous  les  n"  1 7  et  18  )  in- 


438  [,i:S  OIIIGINES   DK   \:Éa)LE  l»l    (JAM)llil'.A. 

nous  avouons  (|n"il  n'y  a  [)as  là  de  quoi  les  compromettre  grande- 
ment. On  a  également  noté  la  prédilection  marquée  des  exergues 
jiour  les  épitliètes  morales,  telles  que  SUcuo?,  le  juste,  ou  bien 
crcôTïjp,  le  sauveur.  La  teinte  bouddhisante  que  prennent  celles-ci, 
une  fois  traduites  au  revers  par  dharmilca  et  trdtar,  ne  doit  pas 
davantage  nous  faire  illusion.  Reconnaissons  cependant  que  cette 
teinte  devient  avec  le  temps  fort  accentuée.  Quand  enfin  kadpliisès 
s'inlitule  le  ce  constant  (dévot)  de  la  vraie  loi'')  a,  on  a  peine  à  ne 
pas  le  croire  converti  au  Bouddhisme.  C'est  même  ainsi  qu'on  seiait 
entraîné  à  entendre  cette  formule  s'il  était  prouvé  que  des  images 
du  Bienheureux  se  monti'ent  déjà  sur  certaines  monnaies  du  pre- 
mier des  grands  Kusanas  :  mais  les  spécimens  jusqu'ici  publiés 
n'emportent  pas  la  conviction  (^'.  Il  faut  attendre  les  pièces  de 
Kaniska  pour  qu'une  inscription  explicite  en  lettres  grecques  vienne 
lever  tous  nos  scrupules  et  qu'en  compagnie  de  bien  d'autres  divi- 
nités, tant  helléniques  qu'iraniennes,  apparaisse  enfin  le  Buddha 
(pi.  V,  9). 

La  date  du  premier  Buddha.  —  Tel  est  le  fait  dont  l'incontestable 
authenticité  n'a  que  trop  longtemps  pesé  sur  nos  études.  On 
devine  en  effet  les  conclusions  que  l'on  devait  dès  l'abord  en  tirer. 


clique  la  date  de  naissance  (cf.  t.  11, 
p.  i6-2-i63  et  fig.  391);  le  lion  (t.  II, 
p.  SgS-Bgô,  souslesn"i3  et  1/1)  est  celui 
ird'entre  les  Çàkyas".  Quant  au  type  de 
la  femme  au  lotus,  il  ligur.'  déjà  eu  com- 
pagnie du  lion  sur  les  monnaies  do  Pan- 
taléon  et  d'Agatliocle  (pi.  111,  i3  et  i4) 
et  son  idenlilication  se  précise  suc  celles 
d'Azès  et  d'Azilisès  (pi.  IV,  /t  et  10;  cf 

''  En  sanskrit  :  salija-dharma-slhha 
(Cardneu,  Cal.,  pi.  XXV,  3  et  5;  cf. 
R.  15.  WiiiTEiiivAD,   Cat.   of  coins   in  ike 

Pniijdb  Miisritm,  Liiliorc,  p.  181).  — 
iNous  n'o.sons  faire  état  de  l'iiypotlièsc  de 


M.  E.  J.  Rapson  (,/.  R.  A.  S.,  1897,  p.  819 
et  suiv.),  inlerprétant  par  slliavira  le 
(TT);pocra-ii  d'Hermaios  (cf.  A.-M.  Boyer, 
J.  A.,  1900,  I,  p.  629  et  suiv.  ;  H.  Ol- 
DENRERO ,  ^acllr.  cIcrK.  (jes.  (1er  Wissensch. 
:u  Golliageii,  Phil.-hist.  Kl.,  1911, 
p.  43 1 ,  note  1). 

'^'  V.  SjiiTH,'/.i.S.B.,  1897,  p.  3oo 
etpl.  XXXVIII,  /.et  .5;  1898,  p.  i35  et 
pi.  XIV,  1;  cf.  R.  B.  Whitehead,  Cat. 
Paiijiib  Muséum,  pi.  XVII,  n"  29;  et 
pi.  XX,  vni  (au  British  Muséum).  On 
peut  aussi  bien  y  reconnaître  le  roi  assis 
à  l'indieiuie  à  la  l';içon  de  certains  types 
il'Azès  et  de  Huviska. 


L'HELLÉNISME    AU   GANDUÀRA.  /CJ'J 

La  prudence  la  plus  élémentaire  défendait  de  l'aii'e  remonter  la 
créalion  des  images  du  Buddlia  beaucoup  au  delà  de  leur  première 
alleslation  oiricielle.  Le  fait  que  la  légende  bouddhique  ne  tarit 
pas  sur  le  compte  du  second  Açoka  W  n'invitait  pas  moins  à  rap- 
portera son  règne,  de  même  qu'elle  appartenait  incontestablement 
au  cœur  de  son  royaume,  la  floraison  de  l'école  du  Gandliàra. 
Ainsi  se  brocha,  sur  ce  simple  voisinage  numismatique,  une  ipiasi- 
simultanéité  de  temps,  et  l'on  prit  l'habitude  de  contenir  que,  si 
surprenant  que  cela  put  paraître,  le  Buddha  indo-grec  était  contem- 
porain d'un  roi  barbare.  Mais  bientôt  les  diflicultés  se  multiplièrent. 
Les  oscillations  du  pendule  historique  semblent  avoir,  comme  nous 
verrons  bientôt'-',  définitivement  i  amené  Kaniska  à  la  fin  du  i"  siècle 
après  notre  ère.  Dès  lors  il  reste  toujours  permis  de  taire  état  de  ses 
monnaies  pour  fixer  le  terminus  ad  quem  au-dessous  duquel  il  n'est 
plus  possihle  de  faire  descendre  l'apparition  du  type  de  Buddha'^); 
il  ne  peut  plus  être  question  de  ne  le  faire  naître  qu'à  la  onzième 
heure  :  car  par  quel  enchantement  se  serait-il  trouvé  instantané- 
ment transporté  à  Mathurâ  et  même  à  Amarâvatî  ?  Les  découvertes 
de  Sir  Aurel  Stein  dans  les  sites  méridionaux  du  Turkestan  chinois 
exigeaient  également  qu'on  remontât  sensiblement  les  origines  de 
l'école  pour  rendre  intelligible  sa  pi-écoce  propagation  en  Asie  cen- 
trale. Tous  les  renseignements  que  l'on  rassemblait  sur  l'œuvre 
architecturale  de  Kaniska  donnaient  de  leur  côté  l'impression  d'une 
prochaine  décadence:  entre  sa  te  pagodes  et  un  stûpa  de  l'ancien 
modèle,  il  y  avait  visiblement  le  même  écart  qu'entre  une  église 
gothique  de  style  flamboyant  et  une  basilique  romane  W.  Il  n'est 
pas  enfin  jusqu'à  la  figure  du  Buddha  qui  ne  parut  sur  ses  monnaies 
déjà  très  hiératisée,  dans  le  double  encadrement  de  son  auréole 
et  de  son  nimbe.  Mais  comment  en  juger  sur  un  modèle  si  réduit  ? 


<''  Cf.  ci-dessus,  I.  II,  p.  /ii8.  <")  Cf.  1.  I,  |).  G'i:  il  nml,  il  est  vrai, 

'''  Cf.  ci-dessous,  p.  .'ïo.j.  tenir  compte  des  réi'cctious  ipie  cette  pa- 

'''  C'est  ainsi  que  nous  nous  en  soin-        jfodc  avait  subies  après  avoii'  été  plusieurs 

mes  déjà  servis,  1. 1,  p.  ia.  lois  détruite  par  le  feu. 


'l'iO 


LKS   OIIICINKS    DE   I/KCOI.K   1»!     (;AM)II\IîA. 


Cil'  (|iril  ;mi-;ul  l'iillii  |»(mr  tnincliei'  la  (|U(\stioii,  c'eut  été  une  ])ièce 
non  moins  aulcntlii(iu('nient  émanée  de  Kaiiiska,  mais  d'assez  grande 
dimension  pour  permettre  de  décider  de  son  style,  —  Applau- 
dissons donc  aux  fouilles  persévérantes  de  iMM.  .1.  H.  Marshall  et 
D.  B.  Spooner  dans  le  tertre  de  Shâh-jî-ki-l)hêri  où  nous  avions 
cru  reconnaître  la  fondation  du  grand  roi  W.  Après  deux  laborieuses 
saisons(i  908-1  qoq),  elles  ont  enfin  dégagé,  conformémentaux  très 
exacts  renseignements  des  pèlerins  chinois,  la  base  du  «plus  grand 
stùpa  de  l'Inde  du  Nordn.  11  mesure  en  effet  plus  de  87  mèlres 
de  côté;  et  près  du  milieu  géométricpie,  accotées  à  la  cloison  inté- 
rieure t"^)  qui  du  centre  rayonnait  vers  l'est,  dans  une  chanibrette 
funéraire  de  construction  fort  rustique,  l'eposaient,  vraiesou  fausses, 
en  compagnie  d'une  monnaie  de  kaniska,  les  reliques  annoncées 
du  Bienheureux. 

La  cassette  de  cuivre  jadis  doré  qui  contenait  le  reliquaire  de 
cristal  est  une  petite  boite  ronde  en  forme  de  pyxis  grecque  (pi.  VI). 
La  surface  supérieure  du  couvercle,  légèrement  bombée,  figure 
un  lotus  renversé  dont  la  tige  s'élargit  pour  asseoir  un  Buddlia. 
De  chaque  côté  de  ce  dernier  se  tiennent,  debout  et  les  mains 
jointes,  comme  sur  la  cassette  de  Dèh  Bimaràn  (fig.  7),  mais  en 
ronde-bosse,  deux  petits  assistants  qui  doivent  encore  être  Brah ma 
et  Indra:  car  on  croit  reconnaître  sur  leur  tête,  à  gauche  la  tiare 
de  celui-ci,  à  droite  le  chignon  (ceint  d'une  double  bandelette) 
de  celui-là  '^l  Seulement,  tandis  que  le  motif  de  la  figure  7  s'in- 
spire visiblement  de  la  tr  Descente  du  ciel  nW,  celui-ci  rappelle  plu- 
tôt, avec  les  tempéraments  nécessaires  pour  transformer  une  scène 
légendaire  en  un  groupe  iconique, le  rr  grand  miracle  de  Çrâvastî iil'^). 


<■)  Cf.  1.1,  p.  83  et  i!x8. 

<*'  Cf.  t.  Lj).  87-88. 

*''  C'est  l'ordie  inverse  de  celui  de 
Dell  Bimai  iin  ;  mais  on  sait  que  les  deux 
assistants  alternent  volontiers  (cf.  t.  11, 
p.  907).  11  ne  faut  pas  oublier  non  pins 
que  les  deux  figurines  ont  été  retrouvées 


détachées  par  un  choc  venu  de  liant 
et  qui  avait  enfoncé  en  même  temps  le 
couvercle  de  la  cassette  [Archwologiail 
Siirvi>ij  of  Iiulia.  A niinnl  Report  igoS-g, 

p.   hçf). 

'"'  Cf.  1. 1,  p.  539. 

<'i  Cf.  t.  II,  p.  206. 


L'HELLENISME  AU   GANDHARA.  «1 

Sui'  le  rebord  du  couvercle  court  une  frise  de  liamsa  qui  évoque, 
à  trois  siècles  de  distance,  l'un  des  motifs  les  plus  heureux  des 
chapiteaux  d'Açoka.  Enfin  la  panse  est  ornée  sur  tout  son  pour- 
tour dune  guirlande  que  portent  en  gambadant  sept  petits  génies 
et  qui  reçoit  dans  ses  ondulations  trois  Buddhas  assis  en  médita- 
lion  et  flanqués  d'autant  de  tléités  orantes,  vues  à  mi-corps.  Un 
personnage  en  pied,  couronné  d'une  tiare  et  portant  le  grand  cos- 
tume royal  des  kusanas  est  le  seul  qui  occupe  toute  la  hauteur 
disponible  ;  il  est  également  encadré  de  deux  divinités  en  qui  l'on 
reconnaît  le  soleil  à  ses  rayons  et  la  lune  à  son  croissant,  et  forme 
avec  elles  le  point  de  départ  et  d'aboutissement  de  tout  le  décor  ('). 
Qu'il  s'agisse  ell'ectivement  de  Kaniska,  une  double  inscription  en 
pointillé  l'atteste:  une  fois  même,  dans  la  ligne  du  bas,  le  graveur 
s'est  arrangé  pour  que  les  deux  moitiés  du  génitif  Kamskasa  tom- 
bent de  chaque  côté  de  la  figurine,  comme  pour  en  mieux  souli- 
gner l'identité  '-).  Aiilsi  le  souci  qu'il  prend  de  la  gloire  de  son  roi 
donne  d'avance  toute  satisfaction  aux  exigences  de  la  critique.  On 
n'en  saurait  douter  sans  mauvaise  volonté:  cette  découverte  nous 
a  bien  rendu  le  dépôt  original  c[ue  Kaniska  dut  déposer  de  sa  main 
sous  la  première  pierre  de  son  stûpa'^\  Or,  on  n'a  pu  manquer 
d'être  fiappé  de  l'aspect  sinon  décadent  —  ce  serait  trop  dire  — 
du  moins  fortement  stylisé  de  cet  objet  d'art.  Les  Buddhas  notam- 
ment, puisque  ce  sont  eux  surtout  qui  nous  intéressent,  semblent 
figés  dans  des  altitudes  convenues,  et  les  plis  stéréotyp  s  de  leur 
manteau  monastique  dénoncent  la  répétition  machinale  d'un  type 
déjà  trop  de  fois  reproduit.  Ne  craignons  pas  de  nous  en  fier  sur 
ce  point  aux  photograpliies.  Les  éminenls  spécialistes  qui  ont  lon- 
guement manié   à  Simla  cette  cassette,  MM.  Marshall,  Spooner, 

'''  Aussi,  sur  ia  pi.  VI,  9,  ferions-nous  '"'  Voir   loulefois  les   réserves  faites 

volontiers  opérer  au  couvercle  un  quart  après  coup  flans  .4.  S.  7. ,  Anii.Piep.  if)og- 

de  tour  à  gauche   de  façon    à   placer  le  lo,  p.  187  et  i38,  et  les  tac-siniile  des 

Buddha  de  face  juste  au-dessus  de  Kanis-  inscriptions,  ihid.,  pi.  LUI. 
ka.  —  Pour  ce  (jui  est  des  deux  acol\ les,  ''    Cf.   la   description    du    Muhùraima 

cl.  l.  II,  p.  162.  citée  t.  1,  p.  (j/i. 


442  LES  ORIGINES  DE  L'ÉCOLE   DU   GANDHÂRA. 

Vogel,  vont  plus  loin  encore  et  sont  unanimes  à  déclarer  qu'elle 
marque  le  déclin  de  l'art  du  Gandhàra.  C'est  là,  à  notre  avis,  une 
ailirmation  trop  francliante  et  qui  requerra  bientôt  de  sérieuses 
réserves  C.  Il  ne  faut  pas  nous  en  laisser  imposer  parla  médiocrité 
de  l'exécution,  laquelle  n'est  pas,  ipso  fado,  une  preuve  de  basse 
époque.  Mais  tout  le  monde  convient  —  et  c'est  là  pour  l'instant 
ce  qui  nous  importe  —  que  les  Buddlias  figurés  sur  ce  reliquaire 
sont  tristement  éloignés  des  origines  hellénistiques  du  type.  Dès 
lors  la  démonstration  en  est  faite:  la  conslilution  de  l'école  gréco- 
bouddhi(|ue  est  sensiblement  antérieure  à  Kaniska.  .  . 

Et  maintenant  respirons  :  car  cette  heureuse  trouvaille  n'aura 
pas  moins  réjoui  et  édifié  les  indianistes  que  les  fidèles  Birmans 
auxquels  le  gouvernement  anglo-indien  a  jugé  bon  de  l'attribuer. 
Avec  elle  tombe  en  efl'et  le  frein  que  nous  ne  pouvions  jusqu'ici 
qu'impatiemment  ronger.  —  Quoi  donc,  disions-nous,  voici(fig. /i65 
et  suiv. ,  û8o,  etc.)  des  œuvres  où  respire  le  souffle  même  de 
l'bellénisme  ;  car  il  n'y  a  pas  à  s'y  tromper  :  c'est  lui  qui  fait  on- 
doyer les  cheveux,  se  gonfler  les  narines  et  palpiter  les  draperies 
de  ces  superbes  Buddhas.  Pour  expliquer  l'art  raffiné  de  ces  statues, 
nous  avons  sous  la  main  des  compatriotes  et  congénères  à  elles, 
dans  les  superbes  médailles  indo-grecques.  Et  pour  pouvoir  rien 
dire  d'historiquement  certain  sur  leur  compte,  il  nous  faudrait 
attendre  que  le  fin  et  élégant  profil  de  ces  princes  hellènes  ait 
fait  place  sur  des  monnaies  déjà  décadentes  au  portrait  en  pied 
d'un  barbare  ?  Et  quel  barbare  !  Regardez-le  sur  les  planches  V,  5 
et  7,  et  VI,  2  :  un  Tartare  hirsute,  barbu,  chaussé  de  lourdes 
bottes  et  grotesquement  accoutré  dans  les  basques  l'igides  de  sa 
casaque.  .  .  Artistiquement  parlant,  c'était  une  contradiction  dans 
les  termes.  Mais  quoi,  un  petit  fait  brutal  l'a  toujours  emporté 
dans  les  balances  des  [)hilologues  sur  tous  les  arguments  d'ordre 
esthétique;  et  force  était  d'en  revenir  perpétuellement  à  la  seule 


<•'  Cf.  ci-dessous,  p.  54i  et  suiv. 


LA  RENCONTRE  DU  BOUDDHISME  ET  DE  L'HELLENISME.     W3 

chose  sûre,  la  première  apparition  du  type  du  Buddha  sur  les 
iiioiiiiaies  de  ce  Kusana.  Cet  obsédant  cauchemar  sera  désormais 
épargné  aux  futurs  archéologues:  et  tout  de  suite  il  semble  que  les 
])laus  se  succèdent  mieux  dans  l'horizon  éclairci.  Non,  ce  n'est  pas 
César,  ce  n'est  pas  Alexandre,  qui  a  créé  l'art  gallo-romain,  ni 
l'art  indo-grec;  mais  pas  plus  que  Clovis  et  ses  Francs,  Kaniska  et 
ses  Yue-tche  n'ont  eu  la  moindre  j)art  à  l'évolution  artistique  de  la 
contrée  conquise  par  leurs  armes.  Ce  qui  a  rénové  on  innové  l'art 
des  Indes  et  des  Gaules,  c'est  ici  la  longue  domination  romaine, 
là  le  règne  relativement  durable  des  Gréco-Bactriens.  Non  seule- 
ment plus  rien  ne  s'oppose,  mais  depuis  longtemps  tout  nous  invite 
à  faire  hardiment  remonter,  sinon  jusqu'à  Ménandre,  du  moins 
plus  haut  que  les  Kusanas  les  premièies  créations  originales  de 
l'école  du  Gandhâra. 

§   111.   La  hencontre  du  Bouddhisme  et  de  l'Hellénisme. 

Penchons-nous  à  présent  sur  le  creuset  où  va  s'opérer  la  fusion 
des  deux  éléments  que  nous  avons  toujours  isolés  jusqu'ici,  le 
grec  et  le  bouddhique.  Voilà  d'ailleurs  trop  longtemps  que  nous 
persistons  à  manier  ces  conceptions  purement  abstraites  :  il  est 
urgent  de  les  ramener  à  des  termes  plus  concrets.  Le  Bouddliisme, 
c'est  pratiquement  des  moines  et  des  laïques  indiens;  l'Hellénisme, 
c'est  dans  l'espèce  des  soldats  et  des  généraux  grecs.  Essayons  de 
préciser  et  d'animer  quelque  peu  ces  vagues  entités  et  de  les  suivre 
en  scène  sur  le  véritable  théâtre  de  leur  rencontre. 

Pourquoi  le  Gandhâra  ?  —  Nous  ne  croyons  céder  à  aucune  do 
ces  partialités  que  les  auteurs  ont  trop  volontiers  pour  leur  sujet 
en  j)laçant  au  Gandhài'a  et  dans  la  vallée  de  Kaboul,  de  préférence 
à  la  Bactriane  et  même  à  Taksaçild  le  lieu  de  cette  union  —  celui 
du  moins  où,  à  notre  point  de  vue,  ladite  union  engendra  un  résul- 
tat décisif.  En  ce  qui  concerne  le  bassin  de  l'Oxus  nous  nous  en 


fiUU  LES  ORIGINES  DE   L'ÉCOLE  DU  GANDIIÀRA. 

tenons  aux  raisons  que  nous  avons  données  dès  le  début'*'  et  que 
notre  enquête  liistori(|U('  n'a  fait  depuis  que  renforcer.  Elle  nous  a 
montré  en  effet  que  le  Bouddiiisme  n'a  pénétré  dans  le  Nord-Ouest 
de  rinde  que  vers  95o  avant  J.-C.  Admettons  par  hypothèse  qu'il 
ait  franchi  la  haute  barrière  du  Paropamise  dès  le  commencement 
du  n"  siècle,  à  la  veille  ou  à  la  suite  des  conquêtes  indiennes  des 
tyrans  grecs  de  la  Bactriane  :  encore  ne  faut-il  pas  oublier  que 
ceux-ci  en  avaient  été  chassés  dès  avant  l'an  i3o  par  l'invasion 
des  Çakas.  Les  événements  laisseraient  en  vérité  bien  peu  de  marge, 
on  ce  pays  tout  iranien  et  dont  la  gloire  était  d'avoir  enfanté  Zoro- 
astre'-',  pour  la  formation  locale  d'une  école  gréco-bouddhique.  Qui 
en  aurait  d'ailleurs  pris  l'initiative  ?  Le  fait  est  frappant  pour  qui 
vient,  comme  nous,  de  constater  l'influence  immédiate  et  vigoureuse 
de  llnde  du  Nord  sur  le  monnayage  de  ses  nouveaux  maîties  *''  : 
pendant  les  i5o  ans  et  plus  qu'a  duré  la  domination  hellénique 
en  Bactriane,  ni  les  idées  ni  les  coutumes  indigènes  n'ont  exercé  la 
moindre  réaction  sur  les  médailles  frappées  au  nord  du  Caucase 
indien  ;  celles-ci  sont  restées  purement  et  simplement  grecques  W. 
L'atonie  intellectuelle  et  artistique,  pour  ne  pas  dire  l'absence  de 
toute  culture  nationale  que  dénonce  une  si  complète  résignation 
an  joug  étranger  apporte,  on  en  conviendra,  une  présomption  de 
plus  contre  la  possibilité  de  la  création  sur  place  d'une  école  dont 
la  caractéristique  essentielle  est  justement  qu'elle  procède  du 
mélange  de  deux  civilisations. 

Soit,  dira-t-on  ;  nous  vous  abandonnons  provisoirement  l'Oxus'^': 
mais  les  arguments  en  faveui'  du  versant  méridional  de  l'Hindou- 
koush  valent  encore  mieux  pour  la  rive  gauche  que  pour  la  rive 
droite  de  l'indus.  Pourquoi  le  lieu  de  naissance  de  l'école  ne  serait- 
il  pas  de  préférence  la  grande  et  riche  capitale  de  Taxila,  infini- 

'''  T.  I,  ]).  5.  relevé  parM.E.J.  Rapson, 4 »<:/<•«/  Imlia, 

'''  Tout  au   moins  l'a-l-il  adoplé  (cf.  p.  120  et  126. 
A.  V.  Williams  Jackson,  Zoroasler^).  '''  Il  nous  faudra  revenir  sur  ce  point 

'''  Cf.  ci-dessus,  t.  II,  p.  437-438.  à  propos  de  l'inlluence  de  l'ëeole  du  Gan- 

'*'  Ce  fait  significatif  a  été  également  dhàra  au  eh.  XVII,  S»  m  (p.  639). 


LA  RENCONTRE  DU  BOUDDHISME     T  DE  L'HELLÉNISME.     Mio 

ment  j)liis  importante  alors  que  Peukélaotis?  —  A  cela  nous  répon- 
drons que  de  l'une  à  l'autre  cité  on  ne  comptait  que  six  étapes,  et 
que  nous  ne  sommes  malheureusement  pas  en  mesure  de  fournir 
des  précisions  à  quelques  lieues  pi'ès.  Toutefois  les  textes  nous  font 
entrevoir  une  sérieuse  objection  dans  la  forte  organisation  brahma- 
nique qu'ils  attribuent  dès  longtemps  à  ce  que  d'aucuns  se  plaisent 
à  nommer  l'rr université  de  Tak-saçilâii.  L'air  de  la  rive  droite,  où 
nous  avons  vu  qu'au  contraire  les  brahmanes  ne  jouissaient  ni  d'in- 
lluence  ni  même  de  considération  C.  était  singulièrement  plus 
favorable  à  l'éclosion  de  manifestations  originales  du  Bouddhisme. 
Car  enfin,  il  faut  bien  se  mettre  ceci  dans  l'esprit  :  pour  la  produc- 
tion d'un  art  gréco-bouddhique,  tel  que  nous  savons  qu'il  fut,  il 
ne  sulïit  pas  d'un  simple  afllux  d'artistes  hellénisants;  il  faut  encore 
que  ceux-ci  trouvent  toute  constituée  une  clientèle  indigène,  et  en- 
fin que  la  demande  locale  coïncide  avec  la  présence  sur  le  marché 
des  praticiens  étiangers.  Tant  que  les  fouilles  de  Taxila  et  de 
Balkh  '-'  ne  nous  auront  pas  démontré  que  nous  nous  trompons, 
nous  nous  tiendrons  prudemment  au  témoignage  des  découvertes 
déjà  faites,  et  nous  continuerons  de  penser  que  cette  triple  condi- 
tion n'a  été  vraiment  réalisée  que  dans  la  vallée  de  la  Kubhâ  et 
au  Gandhàra  vers  la  fin  du  n"  siècle  ou  le  commencement  du 
r'  siècle  avant  notre  ère.  A  ce  moment  il  y  a  six  ou  sept  généra- 
lions  que  cette  contrée  s'est  ouverte,  avec  le  succès  que  nous  avons 
dit,  à  la  propagande  bouddhique;  il  y  en  a  trois  ou  quatre  qu'elle 
est  gouvernée  par  des  Grecs.  Dans  la  haute  vallée  du  Kâboul-Roùd, 
un  petit  foyer  hellénique,  abi'ité  par  les  montagnes  contre  l'inon- 
dation des  barbares,  n'a  même  achevé  de  s'éteindre  qu'un  siècle 
plus  tard.  Aussi  ne  faisons-nous  aucune  difficulté  pour  le  recon- 
naître :dans  la  querelle  des  pays  qui  prétendraient  à  Ihonneur  très 
réel  d'être  le  berceau  de  l'école  indo-grecque,  cette  région  monta- 

''  et.  ci-dessus,  t.  H .  p.  618.  n.  3);  sur   i'iiitéit-l    (jnc    préseiilerairiit 

''  Les  piemières  sont   heureusemeul        les  secondes  voir   plus   has,  cb.   XVII, 
commeuoees  (cf.  ci-dessus,  t.  Il,  p.  435,        S  in  (p.  635-636). 


A46  LES  ORKIIINES  DE  L'ÉCOLE   DU   GAMDHÀRA. 

jnieuse,  aujoiii-d'lmi  interdite,  mais  jadis  parcourue  par  des  explo- 
rateurs et  reconnue  couverte  de  monuments  bouddhiques,  oppo- 
serait au  Gandliàra  des  titres  théoriquement  supérieurs,  si,  par 
une  exception  unique  dans  l'histoire  de  l'art,  la  pauvreté  d'un 
ff  Kohistânn  avait  jamais  pu  en  pareille  matière  prendre  les  devants 
sur  l'opulence  de  la  plaine  W. 

N'oublions  pas  d'ailleurs  que  nous  avons  précédemment  établi 
notre  droit  d'admettre,  à  cette  même  époque,  un  Gandhâra  et 
sans  doute  aussi  un  Kapiça  mieux  arrosés,  partant  plus  fertiles  et 
plus  riches,  voire  plus  peuplés  qu'ils  ne  le  sont  aujourd'hui  ('-).  Il 
y  a  lieu  de  penser  que  les  Indo-Grecs,  venus  pour  rester,  ont  dû 
ménager  les  ressources  d'un  pays  dont  désormais  ils  comptaient 
vivre.  On  sait  d'ailleurs  comment  régulièrement  les  choses  se 
passent  dans  l'Inde,  au  grand  étonnement  des  historiens  classiques. 
Pendant  que  ràjas,  rajpoutes  et  autres  hsalriija,  dont  la  guerre 
est  le  métier,  se  battent  (et  d'ailleurs  avec  beaucoup  de  bravoui-e) 
eux  et  leurs  gens,  le  paysan  continue  paisiblement  à  vaquer  à  ses 
cultures  et  le  marchanda  son  commerce  :  le  mot  d'ordre  des  soldais 
est  de  respecter  les  castes  dont,  vainqueur  et  vaincu,  les  deux 
partis  devront  tirer  leur  subsistance.  Les  condottières  gréco-bac- 
triens,  familiarisés  par  un  long  voisinage  avec  les  mœurs  indiennes, 
ont  dû,  dans  leur  intérêt  bien  entendu,  respecter  la  règle  du  jeu. 
Ne  l'auraient-ils  pas  fait,  que  les  blessures  de  l'invasion  auraient 
eu  amplement  le  tenqjs  de  se  cicatriser.  Au  bout  du  compte,  après 
la  propagation  du  Bouddhisme  et  la  conquête  hellénique,  il  n'y 
eut  rien  de  changé  au  Gandhâra  qu'un  petit  nombre  de  Grecs  et 
beaucoup  de  moines  de  plus.  Il  est  naturellement  impossible  de 
procéder  à  aucune  évaluation  précise.  Toutefois,  en  opposant  les 
5oo  Yavanas  de  Ménandre  aux  80,000  hhilxu  de  Nàgasêna,  le 
Milinda-panha  nous  suggère  une  proportion  malgré  tout  assez  vrai- 
semblable :  car  s'il  y  avait  sûrement  moins  de  moines  dans  le  cor- 

'■'  Cf.  t.  I,  p.  6.  —  L'opposition  de  la  plaine  et  du  ^pays  de  montagnes  n  ou  Ko- 
hislân  est  un  lieu  commun  sur  la  frontière  indo-afghane.  —   ''  T.  Il,  p.  /aai/iaS. 


LA  RENCONTRE  DU  BOUDDHISME  ET  DE  L'HELLENISME.     /i67 

tège  du  patriarche,   y   avait-il  beaucoup  plus   de  Grecs  dans  la 
garde  du  Basileus? 

Les  Y.ivAyA.  —  C'est  en  ellet  une  question  de  mesure.  Pour 
prendre  les  choses  ah  ovo,  il  serait  aussi  vain  d'exagérer  que  de 
contester  Tiniportance  de  la  colonie  militaire  grecque  de  Bactrianef'l 
Les  faits  le  disent  clairement  :  assez  forte  pour  contenir,  en  temps 
ordinaire,  les  incursions  isolées  des  Gakas,  elle  n'était  pas  en  état 
d'opposer  grande  résistance  à  leur  invasion  en  masse,  quand  eux- 
mêmes  cédèrent  à  la  pression  des  Yue-tche(-'.  Les  témoignages 
chinois  donnent  l'impression  que  le  royaume  bactrien  fut  pour  les 
Barbares  une  conquête  facile.  Cela  se  comprend  encore  de  la  part 
des  habitants  amollis  de  cette  grasse  contrée,  lesquels  ne  faisaient 
après  tout  que  changer  de  maîtres  :  on  est  en  droit  de  s'en  mon- 
trer davantage  surpris  de  la  part  des  aventuriers  grecs  qui  déte- 
naient cette  riche  proie  et  qui  ont  l'air  sur  leurs  monnaies  de 
gaillards  si  déterminés.  Apparemment,  devant  cette  horde  défer- 
lante de  cavaliers  nomades,  tous  archers  de  naissance,  ils  se 
sentirent  désarmés  comme  en  face  d'une  force  de  la  nature.  Leur 
cohorte,  trop  peu  nombreuse,  eût  été  submergée  par  le  flot. 
Remarquez  ce])endant  qu'elle  sullit  pour  fermer  les  passes  derrière 
eux  et  se  maintenir  longtemps  encore  dans  le  Nord-Ouest  de  l'Inde. 
Cette  Inde  même,  qu'ils  eussent  ou  non  noué  des  intelligences 
dans  le  pays,  ils  durent  la  conquérir  avec  très  peu  de  monde, 
en  tout  cas  avec  très  peu  de  troupes  grecques.  On  se  rappelle 
qu'Alexandre  a  gagné  la  bataille  de  l'Hydaspe  avec  une  douzaine 
de  mille  hommes'^'.  Nous  voulons  bien  croire  qu'un  Dèmètrios  et 

'"'  N'oublions  pas  d'aillnirs  (|ue celle-ci  verrons  (p.  ^87),  meilleure  contenance, 

est  liisloriquenicnt  allestée  :  encore  plus  (le  —  Peut-être  fiiul-il  faire  aussi  entrer  en 

20,000  vetérunsaiiraient-ilsdéserlélepays  ligne  de  compte  les  perpéUielles  liissen- 

à  la  mort  d'Alexandre  [d.   Iîoiciié-Le-  sions  intestines  des  Gréco  Baclriens.  Lisez 

cLERCQ,  Hist.  des  Séleucides,  p.  8.t  on  E.  encore  les   réflexions  de  M.    Bouché-Le- 

[\.  Bevaw  The  Hanse  ofSeleuciis,  p.  276  V  clercq,  Inr.  IniicL,  p.  ."îfJo-SGa. 

•''  Les    Parthes   lirent,  comme    nous  '''  Il  est  vrai  qu'il  disposait  d(5jà  d'un 


448  LES  OIUr.INES  DE   L'ÉCOLE  DU  GANDHARA. 

un  Apollodotos  no  le  valaient  pas  comme  foudre  de  guerre  :  mais 
aussi  n'onl-iis  pas  trouvé  devant  eux  un  Porus  —  encore  moins, 
comme  Séleucos,  un  Candrafjupta.  La  dislocation  de  l'empire  des 
Mauryas  favorisa,  nous  l'avons  dit,  leurs  entreprises;  puis  le  noyau 
de  leur  armée,  constiiné  par  des  mercenaires  d'OccidenI,  dut  vite 
se  renforcer  d'auxiliaires  indigènes*''.  L'art  de  conquérir  l'Inde  à 
l'aide  des  Indiens  ne  date  pas  de  Dupleix. 

Nous  sommes  donc  bien  loin  de  vouloir  entretenir  les  illusions 
de  Cunningham  sur  rtla  population  semi-grecque  du  Penjâb'^hi  : 
mais  l'élimination  de  tout  élément  grec  ne  serait  pas  moins 
absurde.  Ce  n'était  pas  tout  que  de  conquérir  l'Inde,  il  fallait  encore 
la  garder  :  et  il  eût  été  trop  imprudent  de  s'en  fier  uniquement 
sur  ce  point  à  des  troupes  indigènes.  Les  conquérants  se  trouvèrent 
aussitôt  confrontés  avec  la  nécessité,  de  tout  temps  reconnue, 
d'entretenir  au  moins  une  petite  garnison  européenne  ou  soi-disant 
telle  près  de  toutes  les  villes  importantes.  Deux  systèmes  sont 
encore  en  vigueur,  soit  qu'on  l'installe  dans  un  cantonnement 
spécial  à  quelque  distance  de  la  ville  indigène,  soit  (ju'on  lui  fasse 
occuper  ce  que  les  Grecs  appelaient  le  ^cccrîXeiov  et  les  pèlerins 
chinois  la  «ville  royale n  —  ce  que  dans  nondjre  de  villes  de  l'Inde 
britannique  on  appelle  aujourd'hui  le  trFortn,  —  c'est-à-dire  l'en- 
semble de  constructions  qui  servaient  a  la  fois  de  palais  et  de 
citadelle*^'.  A  la  tète  et  sous  la  protection  de  cette  force  armée  il 
fallait  encore  placer,  au  moins  dans  chaque  chef-lieu  de  district, 
un  représentant  du  Basileus  et  son  tribunal,  sans  compter  les 
agents  du  fisc  et  la  trésorerie  :  car  ces  choses  non  plus  ne  changent 


cnnlinfjeiit  indigène  de  5.ooo  liomnies, 
lequel  assurait,  avec  les  troupes  de  Kra- 
lèros,  la  gai-de  du  camp. 

'''  Nous  avons  cru  les  reconnaître  sur 
nos  sculplures  :  cf.  t.  I,  p.  4o2-4o,S  et 
t.  II,  p.  i4-i6  et  (ig.  902-2o4  et  3o6. 

<"'  flarhut,  p.  107,  à  propos  du  culte 
des  images  du  Buddiia. 

•''  Cf.  par  exemple  dans  Polïbe  ,  X,  27, 


la  description  du  ^aaiXeiov  d'Ecbatane 
—  celui-ci  distinct,  il  est  vrai,  de  l'aKpa 
ou  citadelle.  —  C'est  justement  à  propos 
de  Purusapura  que  Hiuan-lsang  emploie 
l'expression  qui,  d'après  S.  Bevl  (cf. 
Rec,  I,  p.  98  ,  n.  55),  correspond  à  "la 
portion  de  la  ville,  fortifiée  et  entourée 
d'une  muraille,  dans  laquelle  s'élevait  le 
palais  royal". 


LA  RENCONTRE  DU  BOUDDHISME  ET  DE  LHELLÉMSME.     I'i9 

pas.  Dans  l'espèce  il  est  probable  (jue  la  capitale  du  Gandbàra 
grec  était  Peukélaôtis  (Piiskaràvati)  et  que  des  postes  devaient 
exister  à  Pèsbawar  et  à  Shâhbâz-Garhî  pour  surveiller  la  grand'- 
route,  en  tout  cas  à  Und  pour  garder  le  passage  de  l'Indus.  Au  total 
le  nombre  des  Grecs  n'aurait  jamais  dépassé,  si  même  il  l'atteignit, 
la  proportion  de  celui  des  résidants  anglais  par  rapport  aux  liabi- 
tants  actuels  du  pays,  laquelle  monte,  d'après  les  données  du  dernier 
Gazclleer,  de  0.06  p.  1  00  dans  l'Inde  entière,  à  près  de  o.  1  5  p.  100 
dans  le  Penjàb  et  à  plus  de  o.5  p.  100  dans  le  district  de 
Pèsbawar,  à  cause  du  voisinage  de  la  frontière C. 

Mais  puisque  nous  en  sommes  fatalement  venus  à  découvrir 
quelque  analogie  entre  l'Inde  grecque  d'il  y  a  deux  mille  ans  et 
1  Inde  anglaise  d'aujourd'hui'-),  il  est  nécessaire  de  marquer  aussi- 
tôt les  diiïérences.  Celles-ci  tournent  d'ailleurs  toutes  h  l'avantage 
de  notre  thèse.  Les  Européens  de  ce  temps-là  étaient  beaucoup  plus 
procbes  des  Indiens  par  la  manière  de  vivre  et  les  habitudes  de 
pensée,  et  par  suite  bien  plus  prêts  à  les  comprendre  et  à  se 
fondre  avec  eux  qu'ils  ne  sauraient  l'être  à  présent.  Sans  doute  les 
barrières  de  la  caste  existaient  déjà,  mais  non  celle  des  mœurs  et 
des  croyances  religieuses.  Combien  d'ailleurs  parmi  ces  prétendus 
Yavanas  pouvaient  se  dire  originaires  de  la  Grèce  européenne  ?  La 
plupart,  à  commencer  par  leurs  chefs,  étaient  natifs  d'Asie 
Mineure,  sinon  même  de  simples  Orientaux  plus  ou  moins  hellé- 
nisés. Nous  avons  trouvé  dans  la  bouche  des  pandits  du  Kaçmir  le 
terme  de  Yavana  employé  pour  désigner  indistinctement  toutes  les 
populations  de  l'Asie  antérieure,  à  commencer  par  les  Persans: 
nous  ne  serions  pas  éloignés  de  croire  que  son  acception  était  dès 
lors  presque  aussi  vague.  Ajoutez  enfin  que  nombre  de  ces  merce- 
naires devaient  prendre  femme  dans  le  pays. 

'''  Soit  près  de  0,000  Européens  sur  tiès  vivantes  à  M.  Gobi.et  d'Alviella  dans 

86.5,000  liaiiitants,  d'après  des  chifTres  son  excellente  étude  sur  Ce   que  l'Inde 

fommuniqués  par  M.  F.  W.  TiioiiAs.  iloil  à  hi  Grèce  (Paris,  1897,   p.  28  et 

'''  Cette  idée  a  déjà  inspiré  des  pages  suiv.). 

r. VNrmuM.    -  11.  '           on 


^ATIO\*UE. 


',50  LKS  (lUKlIMlS   l)F,   L'ÉCOLE    DU  G\NDIIÀIl\. 

Sur  ce  |)(iiiil,  on  lésait,  l'oxeinple  venait  de  haut,  puisqn'il 
avait  (Hé  donné  en  Perse  par  Alexandre  en  personne,  lors  de  son 
mariage  avec  Roxone.  On  lit  dans  Appien  qn'un  peu  plus  tard, 
dans  rinde  même,  Séleucos  Nicator  aurait  contracté  une  alliance 
tf  matrimoniale  T  en  même  temps  que  politique  avec  Candragupta. 
Comme  ce  dernier  nous  est  donné  par  les  témoignages  indigènes 
pour  un  aventurier  de  basse  naissance,  le  fait,  de  quelque  façon 
qu-on  doive  l'entendre,  est  après  tout  possible  et  est  commu- 
nément accepté.  Mais,  fait  remarquer  M.  Boucbé-Ledercq,  rron  ne 
connaît  pas  à  Séleucos  d'autres  femmes  qu'Apama  et  Stralonice, 
ni  d'autre  fdie  que  Phila,  l'épouse  d'Anligone  Gonatas.  On  ne  voit 
donc  pas  comment  il  aurait  pu  devenir  ou  le  gendre  ou  le  beau- 
père  du  roi  hindou  n.  Strabon  rapporte  le  même  détail,  mais  sous 
un  jour  très  ditférent  et  beaucoup  plus  intéressant  à  notre  point  de 
vue  :  selon  lui  Séleucos  aurait  simplement  inscrit  parmi  les  clauses 
du  traité  Yèmyaixia  ou  jus  connuhu  :  en  d'autres  termes,  il  aurait, 
selon  l'ingénieuse  interprétation  de  M.  Bouclié-Leclercq ''',  conclu 
ffune  convention  autorisant  les  mariages  mixtes  entre  Hellènes  et 
Hindous fl.  Dans  le  système  social  de  l'Inde,  le  seul  procédé  pour 
régulariser  de  telles  unions  consistait  à  atti'ihuer  théoriquement 
aux  Grecs  une  certaine  caste;  et  peut-êtie  avons-nous  ici  la  forme 
grecque  de  la  tradition  indigène  qui,  comme  nous  veri'ons  tout  à 
l'heure  ('-),  reconnaît  dans  les  compagnons  d'Alexandre  une  variété 
dégénérée  de  Isalrii/a. 

Légal  ou  non,  ce  constant  métissage  explique,  sans  chercher 
plus  loin,  que,  comme  tous  les  conquérants  de  l'Inde  avant  les 
Anglais,  les  Grecs  aient  été  promptement  absorbés  par  la  popula- 
tion indigène.  S'ils  maintinrent  pendant  plusieurs  générations 
l'originalité  de  leur  race,  ils  le  durent  moins  à  l'orgueil  de  leur 
culture  qu'à  l'incessant  afllux  d'aventuriers  occidentaux  qui  renou- 
velaient quelque  peu  leur  sang  et  éclaircissaient  à  nouveau  leur 

'''    llisinire  des  Srlfiiriflrs.  p.  3f|-oo.  — '^'   Cf.  ci-dessous,  |).  iyS. 


]A  RENCONTRE  DU  BOUDDHISME  ET  DE  L'HELLENISME.     'i5l 

teint.  Leurras,  en  un  mol,  était  beauconp  plus  voisin  de  celui  des 
Mogliols  que  des  maîtres  actuels  de  l'Inde.  Lisez  notre  Bernicr.  A 
plusieurs  reprises,  il  revient  sur  le  fait  que  les  gens  fcqui  gouvernent 
à  prosent  rindoustanr;  ont  bien  pris  le  nom  rrdes  peuples  de  la 
Grande  Tartariei^,  mais  que  crceux  qui  entrent  dans  les  charges 
cl  dignités,  et  même  dans  la  milice -^  ne  sont  quiin  ramassis 
d'étrangers,  rrla  plupart  étant  Persans,  quelques-uns  Arabes  et 
d'autres  Turcs  :  car  il  sullit  à  présent  pour  être  estimé  Mogol 
d'être  étranger,  blanc  de  visage,  et  mabométan il.  Quant  à  ceux  de 
leurs  enfants  a  qui  passent  la  troisième  ou  quatrième  génération, 
et  qui  ont  pris  le  visage  brun  el  l'bumeur  lente  du  pays,  ils  ne 
sont  point  tant  estimés  ni  honorés  que  les  nouveaux  veiuis, 
n'entrant  même  que  rarement  dans  les  charges,  heureux  enfin 
quand  ils  peuvent  être  simples  cavaliers  ou  gens  de  piedn.  Aussi, 
pour  prévenir  celle  inévitable  déchéance  de  leur  postérité,  les  nou- 
veaux venus  à  la  cour,  remarque-l-il  encore,  ont-ils  soin  de  se 
fournir  de  femmes  au  Kaçnu'r  rrafin  de  pouvoir  faire  des  enfants 
qui  soient  plus  blancs  que  les  Indiens  el  qui  puissent  ainsi  passer 
pour  de  vrais Mogols '').  .  .  ••.  11  n'y  aurait,  croyons-nous,  que  quel- 
ques mots  à  changer  au  passage  pour  que  les  judicieuses  obser- 
vations de  l'excellent  docteur  s'appliquassent  de  façon  fort  exacte 
au  cas  tout  à  fail  similaire  des  Yavaiias. 

Mais  qu'ils  fussent  d'extraction  plus  ou  moins  authentique  ou 
de  race  plus  ou  moins  mêlée,  un  fait  n'en  subsiste  pas  moins  :  de 
soi-disant  représentants  de  l'Hellénisme,  fonctionnaires  civils  ou 
militaires,  ont  été  installés  à  poste  fixe  au  GandlKua  :  et  l'on  voit 
d'ici  se  dérouler  les  conséquences  extrê:nement  variées  de  cette 
installation.  Tout  d'abord  on  rloit  compter  avec  les  nécessités  cou- 
rantes d'une  administration  étrangère  quia  sa  langue,  son  écriture, 
son  calendrier  paiticuliers.  11  est  vi'ai  que,  dans  un  pays  de  vieille 
civilisation,  il  lui  faut  composer  avec  les  habitudes  locales.  On  n"a 

'''   Rerkier,  Voyages,  éd.  i83o,  I,  p.  /i  et  a8G;  II,  p.  266. 

29. 


',52  LES  OIUC.INKS  DE   L'ÉCOLE   DU  GANDHÂRA. 

enoorc  d(''Coiiveit  clans  rinde  aucune  inscription  grecque.  L'alpha- 
bet grec  n'a  remplacé  celui  rlu  Penjâb  que  sur  les  monnaies,  et 
encore  leur  en  abandonne-t-il  le  revers  C.  Mais  des  noms  de  mois 
macédoniens  ont  été  relevés  dans  les  inscriptions  indigènes  (-';  et  il 
y  a  lieu  de  penser  que  le  grec,  en  sa  qualité  de  langue  oH'cielle, 
fit  un  instant  partie  de  l'éducation  des  hautes  classes  et  fut  même 
pratiquement  connu  de  nombre  de  personnes  de  condition  plus 
humble,  mais  que  leurs  intérêts  professionnels  maintenaient  en 
contact  permanent  avec  les  maîtres  de  l'heure.  Quand  on  nous  dit 
qu'Apollonios  de  Tyane  put  encore  converser  en  grec  avec  le  roi 
parthe  de  Taxila,  on  nous  rapporte  du  moins  l'écho  d'un  l'ait  réel. 
De  nos  jours,  si  longtemps  après  l'extinction  de  la  dynastie  mo- 
ghole,  les  classes  dirigeantes  de  l'Inde  du  Nord  ne  continuent-elles 
pas  à  apprendre  le  persan  concurremment  avec  l'anglais,  en  atten- 
dant que  celui-ci  supplante  définitivement  celui-là?  Mais  l'admi- 
nistration n'a  pas  seule  ses  exigences  :  les  administrateurs  et  les 
agents  de  la  force  publique  ont  aussi  les  leurs.  Avant  tout,  il  leur 
faut  des  médecins  :  et  la  médecine  indienne  en  a  contracté  une 
dette  envers  Hippocrate.  Puis  ils  ont  des  besoins  intellectuels, 
qu'au  moins  de  mauvais  romans  et  quelques  troupes  d'acteurs  de 
passage  chercheront  à  satisfaire  :  et  c'est  pourquoi  l'on  découvre 
tant  de  curieux  rapports  de  forme  et  même  de  fond  entre  le  théâtre 
grec  et  l'indien  '■'',  entre  les  kathd  sanskriles  et  les  fables  milé- 
siennesW  :  car  —   il  nous  faut  du  moins  l'indiquer  en  passant  — 


'''  Au  moins  sur  les  monnaies  indo- 
grecques, indo-scytlies  et  indo-parllies  : 
sur  celles  des  grands  Kusanas  nous  ne 
trouvons  que  l'alpliabel  grec  (cf.  pi.  IIIV). 

'''  Par  exemple  Tinscription  du  vase 
de  Wardak  (cf.  E.  Senart,  dans  J.A., 
nov.-déc.  1914,  p.  674  et  677)  est 
datée  du  i5°  jour  du  mois  Arthamisiva 
(Arlemisios). 

''^'  Cf.  E.  Wi^JDiscH,  Der  griechische 
Ein/hisn    im  indhchcn    Drnma     (Berlin, 


1882  )  et  A.  Weber,  Die  Griechen  iii  In- 
dien (1890).  p.  919-921.  M.  S.  Lévi 
dans  sou  Théâtre  Imlieii  a  soutenu  la 
thèse  contraire:  mais  nous  savons  qu'il 
serait  aujourd'hui  disposé  à  faire  à  l'in- 
lluence  grecque  sa  part. 

'*'  F.  LicÔTE,  Sur  l'origine  indienni' 
du  roman  grec,  dans  Mi'lniigrs  Si/lniin 
Lévi  (Paris  1911).  Weber  (/oc  hiud., 
p.  917)3  déjà  fait  remarquer  que  les 
fables  milésiennes    étaient    en    quelque 


\A  RENCONTRE  DU  BOUDDHISME  ET  DE  L'HELLÉNISME.     '153 

l'inlluence  hellénistique  ne  s'exerça  pas  uniquement  sur  les  arts 
plastiques.  Peut-être  devons-nous  nieutionner  encore  quelques 
sophistes  ou  professeurs  pour  l'éducation  des  enfants  de  bonne 
famille.  Point  de  chapelains,  faute  de  sacerdoce  national  (tout 
au  plus  (juelques  mages  pour  les  soldats  iraniens?);  mais  sûrement 
des  astrologues,  dont  les  Indiens  devinrent  les  adeptes  empressés  : 
le  charlatanisme  non  plus  ne  connaît  pas  de  frontières.  Enfin  et 
surtout,  toute  colonie  étrangère  a  des  besoins  d'ordre  matériel 
et  pratique  :  elle  ne  peut  se  passer  de  bijoux,  d'ustensiles,  d'armes, 
de  meubles,  de  véhicules,  de  vêtements.  .  .  C'est  justement  ici  que 
nous  attendons  nos  Yavanas. 

Il  n'est  pas  douteux  que  pour  la  fabrication  de  nombre  d'objets 
de  première  nécessité,  on  pouvait,  comme  à  présent,  utiliser  les 
ressources  du  pays.  L'Inde  a  loujours  abondé  en  habiles  ouvriers  : 
c'est  même  la  seule  qualité  que  Bàber  lui  reconnaisse  dans  ses 
Mémoirrs,  et  nous  avons  vu  que  Néarque  avait  déjà  fait  la  même 
constatation.  Pour  les  vêlements  on  trouvait  sur  place  des  tisserands 
de  laine,  de  coton  ou  de  soie,  |)our  les  véhicules  des  charrons, 
pour  les  meubles  des  ébénistes,  pour  les  armes  des  forgerons,  pour 
les  ustensiles  des  potiers  d'argile  ou  de  cuivre,  pour  les  bijoux 
des  orfèvres.  On  peut  toujours  obtenir  d'un  bon  artisan  indigène 
sinon  l'exécution  d'un  dessin  coté,  du  moins  la  reproduction 
telle  quelle  dun  modèle;  ainsi  que  le  dit  encore  Bernier,  ils 
tr Contrefont  si  bien  notre  travail  d'Europe  qu'à  peine  y  peut-on 
rien  reconnaître  de  différent  t'^r).  Les  fournisseurs  des  cantonne- 
ments grecs,  de  quelque  nationalité  qu'ils  fussent  eux-mêmes, 
ont  dii  se  servir  largement  de  la  main-d'œuvre  locale.  Toute- 
fois, il  y  avait  des  travaux  trop  délicats  ou  trop  nouveaux  pour 
qu'on    put  les  confier  aux  ouvriers  du   bazar,  ou   (|ui   exigeaient 

soile  la    liUeralui'e    piolessiounelie  des  <"'  Bàber,    Mémoires,   IraiJ.   Pavct  de 

Yavaiii  (cf.  plus  liaut ,  t.  II,  p.  70);  il  Courteille,  II,  p.  299;  Dernier,  Votjages, 

cherche   même   (p.  91  4)   des  analogies  ëd.  i83o,  t.  II ,  p.  a5;  et  cf.  ci-dessus, 

entre  les  épopées  grecques  et  indiennes.  l.  II,  p.  627. 


.'454  LES  OP.KÎINFS  ]\K   LECOLE   DU  (1  \M')1I  \  li  A. 

tuiil  an  moins  une  diiccludi  ('Ui'o|)éeiiuc.  Force  liil  d'avoir  ou 
de  laire  venir  d'Occideul  un  cerlain  nombre  de  ces  tecliniciens, 
experts  en  mécanique,  dont  nous  savons  que  lliabileté  extraordi- 
naire fit  l'émerveillement  des  Indiens'''.  L'ingénieur  est  d'ailleurs, 
avec  le  médecin,  le  spécialiste  qui  s'exporte  le  mieux.  Enfin,  ce 
serait  bien  mal  connaître  les  Grecs  que  de  croire  qu'ils  aient  pu 
vivre,  même  si  loin  de  leur  Méditerranée,  sans  art,  et  par  consé- 
quent sans  artistes.  A  la  vérité,  on  n'a  encore  rien  retrouvé  de 
rarcliitecture  civile  du  Nord-Ouest  de  l'Inde  '-'  :  et  ce  serait  beau- 
coup exiger  des  fouilles  que  de  s'attendre  à  ce  qu'elles  nous 
rendent,  avec  sa  décoration  européenne  sertie  dans  un  cadre 
exotique,  le  palais  ou  simplement  la  villa  de  quelque  despote  grec. 
Mais  nous  n'en  sommes  pas  uniquement  réduits  aux  conjectures. 
On  n'a  pu  oublier  que  nous  possédons,  en  d'innombrables  exem- 
plaires, dans  la  superbe  facture  et  l'étonnante  variété  des  monnaies 
courantes,  la  preuve  oiïicielle  de  la  constante  présence  dans  la 
région,  pendant  les  deux  siècles  qui  ont  précédé  notre  ère, 
d'artistes  grecs  ou  formés  dans  un  atelier  grec. 

Ajoutons  c[ue  ces  artistes,  ou  tout  au  moins  les  premiers  d'entre 
eux,  étaient  véritablement  excellents.  Prenons  encore  celui  qui  a 
exécuté  de  ses  mains  telle  des  pièces  reproduites  sur  la  planche  111. 
Que  cet  homme  sût  graver,  nous  en  voyons  la  preuve  :  mais  sans 
doute,  il  ne  savait  pas  que  cela.  A  la  mode  des  praticiens  de  l'an- 
tiquité ou  de  la  Renaissance  italienne,  il  était  encore  capable  de 
ciseler,  par  suite  donc  de  sculpter,  donc  de  modeler,  peut-être 
même  de  peindre,  et  enfin  d'enseigner  toutes  ces  branches  de  l'art 
plasti(|ue  à  des  apprentis,  quitte  ensuite  à  s'aider  de  ces  derniers 
dans  l'exécution  des  commandes.  Que  lui  demander  de  plus?  Gela 
ne  regarde  personne  de  savoir  quels  hasards  de  la  destinée  l'avaient 

'''   Cf.  plus  haut,  t.  I,  p.   91 -g a.  La  et     lôo);     Harm-curlta ,     trad.     F.  \V. 

littérature  des  contes  va  jusqu'à  leur  atlri-  Thomas,  p.  198. 

huer  Incapariléde  f;il)ri([uei  des  iiiacliines  ''   Du  moins  ceci  était  vrai  avant  les 

à  voler;  cf.  Brlial-Ldtliti-çlukii-siuiyrdlid ,  deruières  fouilles  de  M.  J.  II.  M.vrsh.ïll 

V,    igo  (éil.   et  Irail.  F.  Lacôte,  |).   05  àTaksaçilâ. 


LA  RENGONTIiK  DU  BOUDDHISMi: 

poussé  en  Ariane  el  jusque  dans  l'Inde.  Pour  notre  part,  nous 
pensons  ce  que  durent  penser  ses  clients  *>réco-indiens  :  nous  le 
tenons;  il  sullll.  nous  ne  le  laissercns  pas  échapper.  Mais  tout  de 
suite  une  (jueslion  se  posait,  assez  embarrassante  pour  eux,  pour 
lui  vitale  :  trouverait-on  à  l'employer?  Car  enfin  on  ne  grave  pas 
tous  les  jours  des  iioinçons  pour  le  gouvernement  ;  et  d'autre  part, 
dans  toute  colonie  étrangère,  si  riche  soit-elle,le  nombre  des  per- 
sonnes susceptibles  de  faire  vivre  un  artiste  est  forcément  restreint. 
Qu'aujourd'hui  encore  un  peintre  ou  un  sculpteur  européen  aille 
chercher  fortune  dans  l'Inde,  il  aura  vite  fait  d'épuiser  les  com- 
mandes de  l'administration  ou  delà  haute  société  anglaises;  et  il 
sera  trop  heureux,  pour  ne  point  perdre  son  temps  et  l'argent  de 
son  voyage,  de  faire  (au  besoin  un  peu  plus  beau  ou  plus  blanc 
que  nature)  le  buste  ou  le  portrait  de  quelques  râjas.  Cette  res- 
source était-elle  déjà  entrée  dans  les  mœurs?  On  en  trouve  des 
traces,  en  delijrs  des  monnaies,  dans  la  statue  inscrite  de  Kaiii- 
ska(')  du  n)usée  de  Mathura,  sinon  déjà  dans  notre  figure  3G8  dont 
la  ressemblance  frappante  avec  un  satrape  parthe  est  peut-être 
une  délicate  flatterie.  En  tout  cas,  nos  artistes  hellénisants  auraient 
tort  de  faire  entendre  aucune  plainte  i-étrospective.  Une  bonne  for- 
tune leur  est  échue  qui  ne  se  représenterait  plus  que  bien  diffici- 
lement aujourd'hui  :  ils  virent  venir  à  eux,  de  l'or  à  la  main,  des 
donateurs  indigènes  qui  leur  offraient  des  murs  de  sanctuaires 
à  décorer. 

Les  Bivddhà.  —  Retournons-nous  vers  ces  clients,  en  vérité 
inattendus,  et  enquérons-nous  au  mieux  de  leur  identité.  Ils 
méritent  de  fixer  à  leur  tour  notre  attention  ,  ne  serait-ce  qu'à  rai- 
son de  ce  geste  extraordinaire.  Car  on  conçoit  bien  que  le  Grec  n'ait 
pas  fait  beaucoup  de  façons  pour  accepter  la  commande  :  le  sur- 
prenant, pour  quiconque  connaît  un  peu  l'Inde,  est  qu'elle  ait  été 

<■)  A.S.I.,Aun.  Rcp.  Kji  1-1-2,  pi.  Lttl. 


>i:,(l  I.KS   OIIICINKS   l)K    LKCOI.K   1)1    (i  A  M)ll  \  Il  \. 

laite,  lîion  eiiloiidii  l'Ilc  iiY'iiianait  pasdedessei'\aiilsbraliinaiii(|ues  : 
ces  représeiitauls  allilrés  du  consei'valisuie  indien  se  sont,  comme 
toujours,  tenus  tant  qu'ils  ont  pu  à  l'écart  des  modes  étrangères. 
Mais  il  ne  sullit  pas,  pour  que  tout  devienne  simple,  de  rejeter 
sur  des  bouddhistes  la  responsabilité  de  celte  innovation.  Nous  ne 
voyons  pas  que  de  nos  jours  les  gens  de  Ceylan  ou  de  Birmanie, 
du  Siam  ou  du  Cambodge,  fassent  appel  pour  la  décoration  de 
leurs  fondations  religieuses  à  des  artistes  européens*''.  Sans  doute 
il  n'y  aurait  pas  impossibilité  absolue  à  ce  qu'ils  le  fissent  :  nous 
croyons  cependant  savoir^qu'ils  s'y  résigneraient  fort  malaisément. 
Et  la  raison  en  est  claire.  L'artiste  immigré ,  quoi  qu'il  fît  pour 
s'accommoder  au  goût  et  au  style  indigènes,  jetterait  aussitôt  la 
perturbation  dans  les  habitudes  d'œil  et  d'imagination  de  ses  clients 
improvisés.  Par  le  fait,  le  Grec  en  question  n"a  pas  manqué  d'opé- 
rer au  Gandhài-a  sa  petite  révolution  artistique;  mais  s'il  y  eut  des 
esprits  chagrins  (il  y  en  a  toujours)  et  de  vieux  bonzes  qui  protes- 
tèrent, la  majorité  des  intéressés  fit  évidemment  ses  délices  du 
nouveau  style.  —  Qu'à  cela  ne  tienne,  dira-t-on,  ne  gardez-vous 
pas  en  réserve  un  argument  qui  est  déjà  venu  plus  d'une  fois  sous 
votre  plume?  Ce  goût  spontané  de  l'inédit  étonnerait  dans  l'Inde  : 
mais  les  habitants  du  Gandhàra  étaient-ils  de  vrais  indiens?  — 
Eh!  sans  doute,  répondrons-nous,  ils  se  ressentaient  fort  du  voisi- 
nage immédiat  de  la  frontière  et  du  perpétuel  va-et-vient  des  voya- 
geurs sur  la  grand'route  qui  reliait  la  péninsule  à  l'Asie  antérieure. 
Mais  prenez-vous  davantage  les  Birmans,  les  Thaïs  ou  les  Khmèrs 
de  l'Indo-Chine  pour  d'authentiques  Indiens?  Les  Gandhàriens 
étaient  à  tout  le  moins  des  Oiientaux,  et  par  suite  des  gens  toujours 
chatouilleux  sur  l'article  de  leurs  coutumes  et  de  leurs  pratiques 
religieuses.  Aussi  en  vient-on  à  penser  qu'une  autre  condition 
encore  était  nécessaire  pour  expliquer  en  cette  affaire  l'initiative  ou 

'''  Nous  cliûisissons  exprès  nos  exeni-  vaute.  mais  qui  ne  possèdent  pas  eu 
pies  dans  des  pays  de  civilisation  indienne  propre  une  aussi  brillante  tradition  artis- 
où  la  relig-iou  bouddhique  est  encore  vi-         tique  que  la  Chine  et  le  Japon. 


LA  RENCONTRE  DU  BOUDDHISME  ET  DE  L'HELLENISME,     iô? 

—  si  l'on  préfère  croiie  (|ue  le  Grec  iil  des  oll're/i  de  service  — 
l'acceptation  des  milieux  indigènes.  Oui,  la  population  du  Gan- 
dhâra  était  des  plus  mêlées,  et  elle  ne  respectait  passes  brahmanes, 
et  elle  était  des  plus  dévotes  au  Buddha  :  tout  cela  est  bon  à  rete- 
nir; mais,  pour  qu'elle  passât  une  commande  à  un  artiste  liellé- 
nisanl,  il  aura  en  outre  fallu,  entre  les  deux  parties  contractantes, 
l'intermédiaire  d'un  Grec,  ou  d'un  métis  de  Grec,  (jui  lût  lui-même 
un  bouddhiste. 

Le  postulat  est  beaucoup  plus  modeste  et  raisonnable  qu'il  ne 
paraît  peut-être  au  premier  abord.  Pour  commencer,  personne  ne 
savisera  de  contester  la  prompte  multiplication  au  Gandhàra  de 
nombreux  Eurasiens,  bouddhistes  de  naissance  par  leur  mère ('). 
Mais  puisque  Ménandre  a  pu  donner  à  la  postérité  l'impression 
qu'il  s'était  converti  au  Bouddhisme,  pourquoi  quelques  \a\anas 
pur  sang  ne  l'auraient-ils  pas  fait  ou  cru  le  faire  :  soit  qu'ils  y 
aient  été  amenés  parla  toquade  théosophique,  résultat  fréquent 
d'un  long  séjour  aux  Indes,  soit  que  de  la  doctrine  du  Buddha  ils 
aient  surtout  retenu  le  coté  philosophique  ?  11  n'y  avait  pas  si  loin 
de  la  sagesse  du  Bienheureux  à  celle  qui  venait  de  faire  d  Epicure 
le  dieu  de  ses  sectateurs'-'  :  et  on  remarquera  notamment  que 
devant  le  problème  fondamental  de  la  douleur,  dont  tous  deux 
reconnaissent  l'existence,  leur  attitude  est  pareille,  et  la  plus 
humaine  de  toutes.  S'il  était  loisible  au  Yavana  lléliodore  de  se 
déclarer  affilié  à  la  secte  vishnouite  des  Bhàgavatas,  et  au  Kusana 
Vima-Kadphisès  de  s'intituler  mùhêçmra,  c'est-à-dire  çivaïtc,  sur  ses 
monnaies'''.  Grecs  comme  Barbares  devaient  rencontrer  encore 
moins  d'empêchement  à  devenir  bouddhistes.  Notez  que  des  con- 
versions de  ce  genre  se  produisent  encore  tant  à  Ceylan  qu'en 
Birmanie;  et  d'autre  part,  ainsi  que  nous  l'avons  indiqué'"',  elles 
étaient  beaucoup  plus  attendues  de  la  part  d'un  Yavana  d'alors 
que  d'un  Européen  d'aujourd'hui.  Aussi  ne  voyons-nous  à  opposer 

'"  Cf.  t.  II,p.  45o.  ^'-  Cf.  t.  II,  p.  191. 

■''>  Cf.  t.  II,  p.  34i.  Ci  Cf.  t.  H,  p.  4/19. 


i58  LES  ORIGINES  DE   L'ÉCOLE  DU  GAND1I\RA. 

au  Mahâvama  aucune  objection  de  pi-incipe  quand  il  nous  parle  de 
moines  cr  i)recs'')ii.  Déjà  des  témoijjuajjcs  certains  vérifient  l'au- 
tlicnticilé  de  notre  hypothèse,  aussi  bien  au  Gandhàra  qu'au  Kon- 
kan.  Ici,  ce  sont  des  tt  Yavanasw  —  déguisés,  il  est  vrai,  sous  des 
noms  hindous  —  qui  font  creuset-  à  leurs  frais  les  grottes  de 
Nâsik,  de  Junnar  et  de  Karli(^);  là  c'est  et  Théodore,  fils  de  Datisu, 
qui  consacre  une  pièce  d'eau  au  culte  des  NàgasW.  Nous  incli- 
nerions même  à  penser  que  seulement  ainsi  nous  réussissons  à 
atteindre  et  à  vider  le  fond  du  débat  que  soulevait  tout  à  l'heure ''' 
le  caractère  presque  uniquement  bouddliique  du  produit  des  fouilles 
gandhàriennes  :  l'aisance  avec  laquelle  les  Yavanas  établis  dans  le 
pays  ont  été  accueillis  dans  le  sein  de  la  communauté  reste,  en 
dernière  analyse,  la  meilleure  explication  qu'on  puisse  donner  de 
l'union  si  intime,  et  apparemment  si  exclusive,  qui  s'est  formée 
au  Gandhàra  entre  l'art  grec  et  la  religion  bouddliique. 

N'oublions  jjas  d'ailleurs  qu'il  y  a  deux  manières  de  se  faire 
bouddhiste.  L'une,  au  fond  la  seule  vraie,  est  d'entrer  dans  l'ordre 
des  moines  et  d'observer  dans  l'infini  détail  de  ses  complications 
la  relative  sévérité  de  leur  discipline;  au  contraire,  l'autre,  celle 
des  upàsaha  ou  fidèles  laïques,  pouvait  à  la  rigueur  ne  consister 
qu'en  un  acte  mental  d'adhésion.  Toutefois  cette  alliliation  se 
manifestait  mieux  par  une  charité  toujours  prête  à  l'égard  des 
membres  réguliers  de  la  Communauté;  et  comme  cette  muni- 
ficence était  seule  susceptible  de  revêtir  à  l'occasion  un  caractère 
artistique,  nous  aurions  une  tendance  à  ne  nous  inquiéter  ici 
que  des  ce  zélateurs  n.  En  fait,  les  moines  figurent  assez  souvent 
parmi  les  donateurs  mentionnés  par  les  inscriptions  ou  représentés 
sur  les  sculptures  (cf.  fig.  8/17  a).  S'ils  étaient  censés  ne  rien 
posséder,  ils  pouvaient  apparemment  stimuler  la  générosité  de 

'''  A/aA«i'fl;«4«,  xii,  3i  (et.  Sy-io)  et  '''  E.  Senart,   dans  J.  A.,   niai-jiiiu 

XIX,  3().  1891),  p.  533.  —  Sur  te  caraclère  aqiia- 

'^'  Ep.  Indica,  VIll ,  p.9o;I\,  p.  53-  tique  des  Nàgas,  cf.  t.  II,  p.  29. 

56;  A.  S.  Western  India,  IV,  p.  92,  etc.  '*'  Cf.  t.  II,  p.  /iig-iao. 


LA  RENCONTRE  DU  BOUDDHISME  ET  DE  L'HELLENISME.     'i59 

leurs  parents  ou  de  leurs  disciples.  Uhihsti  el  iipdsaka  ne  vont 
d'ailleurs  pas  l'un  sans  l'autre.  On  estime  {généralement  qu'il  faut 
ù  ptMi  près  une  centaine  de  familles  pour  entretenir,  bon  au  mal 
an,  un  moine  mendiant".  Cela  ferait  environ  un  moine  pour 
mille  habitants,  La  ])roporlion  fut  sans  doute  moindre  dans  le 
Gandliàra  à  l'origine  de  la  propagande;  mais  elle  y  devint  beau- 
coup plus  considérable  :  car  autrement  le  pays,  m.'me  en  lui 
attribuant  une  po|)ulation  double  de  l'actuelle,  n'aurait  guère 
nourri  que  douze  à  (juinze  cents  hhiksii.  Or  Hiuan-tsang  a.ssiire 
qu'il  aurait  jadis  possédé  un  millier  de  monastères,  et  dans  un 
seul  de  ces  couvents,  celui  qui  conservait  le  vase  à  aumônes  du 
Bienheureux,  Fa-hien  a  compté  sept  cents  moines'- .  Comment  une 
telle  multiplication  du  nombre  des  religieux  a-t-elle  pu  se  produire 
sans  perturber  gravement  les  conditions  économiques  de  la  contrée? 
—  La  réponse  est  justement  que  le  développement  du  Bouddljisnie 
a  suivi  au  Gandhàra  la  même  évolution  que  partout  ailleurs.  Dès 
le  début,  quelques  entrées  en  religion,  plus  ou  moins  retentissantes 
selon  le  rang  social  du  converti,  intéressent  localement  à  la  pro- 
spérité de  la  Communauté  naissante  un  certain  nombre  de  familles. 
Soit  souci  du  bien-ètie  des  parents  entrés  en  religion,  soit  manière 
de  restituer  au  hliiksii  les  biens  qu'il  a  abandonnés  on  quittant  le 
monde,  soit  enfin  simple  souci  d'accomplir  une  œuvre  pie,  des 
zélateurs  font  bientôt  à  la  Communauté  «le  plus  beau  des  donsii, 
entendez  celui  d'une  propriété  foncière  :  car  il  n'est  pas  de 
charité  plus  méritoire,  après  avoir  fourni  de  uourritui'e,  de  vête- 
ments et  de  médicaments  les  disciples  du  Maître,  que  de  leur 
assurer  un  abri.  Selon  l'usage  confirmé  par  la  règle,  c'est  dans 
quelque  villa  hors  les  murs  qu'on  les  installe,  en  attendant  de 
bàlir  sur  ce  terrain  un  véritable  monastère'^.  Plus  tard  enfin,  on 


''  HiRAPKASÀD    (jÀSTRÎ,    Dîscovcri/    oj  j).  1  7  I ,  il  compte  1,600  fondalions  reli- 

living    Buddhi.ini    in    Bengal,   Calcutta,  gieuses  en    y    comprenant   les    siàpa); 

1897,   P-  2-  Fa-HIE\,   cil.  XII. 

"'  Hll'AN-TSANG,  Rec,    p.   98    [ibuL,  '■   Cf.  t.  1,  p.  ^78. 


/i60  LES  ORIGINES  DE   L'ECOEE  DU  GANDHARA. 

voit  sélevcr,  sur  des  sites  appropriés  à  leur  (lestination,  des  sortes 
de  couvcnls-torteresses,  pareils  à  ceux  du  Tibet  et  de  notre  moyen 
âge,  et  puisant  sans  doute  leurs  réserves  dans  la  dotation  qui  leur 
a  été  faite  des  terres  environnantes".  C'est  alors  que  ces  établis- 
sements, devenus  riches  par  eux-mêmes,  se  peuplent  d'une  foule 
de  moines  qui  vivent  sur  le  couvent,  et  dont  par  suite  le  nombre 
n'est  plus  subordonné  au  chiffre  de  la  population  locale.  Sans 
l'invasion  musulmane,  qui  sait  si  nous  ne  trouverions  pas  encore 
au  Gandliàra  et  au  Kaçmîr  des  fondations  religieuses  tout  à  fait 
analogues  aux  lamaseries  qui  subsistent,  sans  chercher  plus  loin, 
dans  le  Ladâkh  ? 

A  la  date  où  nous  nous  tenons  —  soit  aux  environs  de  l'an  loo 
avant  J.-G.  —  il  va  de  soi  que  nous  sommes  encore  loin  de  ces 
développements,  sans  doute  postérieurs  à  notre  ère.  Mais  nous 
devons  nous  rap|)eler  d'autre  part  que  le  Bouddhisme  n'était  plus 
un  nouveau  veau  dans  le  pays,  où  il  se  propageait  depuis  un  siècle 
et  demi  et  où  il  avait  précédé  de  cinquante  ans  la  conquête  indo- 
grecque. Ce  Bouddhisme,  nous  le  connaissons  :  encore  proche  de 
ses  origines  indiennes,  c'était  celui  que  l'on  stigmatisera  plus  tard 
du  nom  de  Hînayàna ,  plus  particulièrement  représenté  ici  par  la 
secte  des  Sarvàstivâdins.  Selon  toute  apparence,  la  Communauté  du 
Nord-Ouest,  profitant  de  l'expérience  acquise,  aura  rapidement 
regagné  le  degré  de  développement  que  celle  de  l'Inde  centrale 
avait  atteint  quelque  cent  cinquante  ans  auparavant.  C'est  dire 
qu'elle  fut  vite  travaillée  à  son  tour  par  la  fièvre  de  construction, 
qui  s'était  déclarée  chez  celle-ci  sous  le  règne  d'Açoka  :  car  l'in- 
stinct bâtisseur  de  l'homme  finit  toujours  par  prévaloir  sur  les 
vœux  les  plus  solennels  de  pauvreté,  et  ce  ne  sont  pas  les  archéo- 
logues qui  lui  en  feiont  reproche.  Ces  nouveaux  sanctuaires 
gandliàriens,  nous  ne  sommes  pas  réduits  à  les  reconstituer  en 
imagination  comme  les  problématiques  rt  maisons   grecques n  que 

"'  Cf.  t.  I,  p.  i(Jy-i7-2. 


LA  RENCONTRE  DU  BOUDDHISME  ET  DE  L'HELLENISME.     'i6l 

lions  doivent  les  sites  de  Peukélaôtis  et  de  Taxila.  Il  n'est  pas 
certain,  mais  il  n'est  pas  impossible  qu'Açoka,  en  même  temps 
(piii  taisait  graver  ses  inscriptions,  y  ait  érigé  tel  de  ces  slùpa 
que  persistait  à  lui  attribuer  la  tradition  populaire.  En  tout  état 
de  cause,  ceux  de  ces  tumnli  que  nous  avons  rangés  dans  la  caté- 
gorie c;  ancien  modèle  T)"  ne  tardèrent  pas  à  s'élever  dans  le  voisinage 
de  toutes  les  villes  et  bourgades  inqjortantes;  et  à  côté  de  ces 
monuments  les  plus  bouddhiques  de  tous,  bien  que  non  exclusive- 
ment bouddhiques,  s'alignèrent  bientôt,  bâtis  sur  le  double  modèle 
local,  butte  ronde  de  la  plaine  ou  chalet  pointu  de  la  montagne, 
les  rangées  de  vilinra,  cellules  de  moines  toutes  prêles  à  se  cbanger 
en  chapelles  pour  les  statues.  .  . '-'.  Est-ce  la  peine  à  présent  de 
faire  remarquer  à  quel  point  ces  déductions  s'accordent  avec  les 
conclusions  auxquelles  nous  avait  indépendamment  conduits,  dans 
la  première  partie  de  notre  travail,  l'étude  des  édifices?  Les  vrai- 
semblances historiques  ne  font  c[ue  renforcer  la  raison  d'ordre  pra- 
tique qui  s'était  d'abord  olferte  à  nous  pour  expliquer  le  caractère 
foncièrement  indigène  de  l'architecture  du  Gandhâra'^).  Quand  les 
Gréco  Bactriens  s'y  établirent,  le  type  général  des  monuments 
bouddhiques  était  déjà  immuablement  fixé;  et  il  ne  devait  venir  à 
l'esprit  de  personne  —  fut-ce  d'un  Yavana  converti  —  de  demander 
à  l'artiste  étranger  des  plans  de  sanctuaires,  mais  seulement  des 
projets  de  décoration. 

Les  artistes  gandhàbiexs.  —  Il  semble  ainsi  que  les  choses 
s'éclaircissent  peu  à  peu  à  mesure  (jue  nous  avançons,  comme  pour 
récompenser  la  patience  de  notre  enquête.  Mais  toutes  ces  consi- 
dérations ne  sont  en  fin  de  compte  que  des  travaux  d'approche, 
destinés  à  nous  permettre  de  serrer  de  plus  en  plus  près  l'objet 

'''  Cf.  t.  I,p.  6.5-71.  —  L'identillca-  les  donateurs  ont  d'abord  demandi?  aux 

lion  de  Shâhpour  (p.  67)  est  à  ciniger.  artistes  des  bas-reliefs  pour  les  slùpa  ou 

"'  (jf.  t.  I,  p.   f)()  et  suiv.  —  Nous  des  statues  pour  les  )'(An'r«  ((.  Il,  p.  S38 

avons  déjà  .ngité  pins  baul  (et  nous  n'y  et  suiv.). 
reviendions  pas)  la  question  de  savoii-  si  *^'  Cf.  t.  I,  p.  200. 


'i62  LES  ORIGINES  DE   L'ÉCOLE  DU  GANDH\R\. 

de  nos  recheiches,  à  savoir  les  origines  de  l'école  grcco-boiuldliique 
du  (îandhâra.  Coninie  une  école  d'ort  ne  peul  être  que  l'œuvre 
d'artistes,  c'est  sur  ces  derniers  qu'il  faut  concentrer,  pour  finir, 
l'ctlorl  de  notre  investigation;  et  comme,  d'autre  part,  les  artistes 
se  jugent  à  leurs  œuvres,  nous  discernerons  leur  individualité 
d'après  la  nature  de  leur  stjle.  Ou  plutôt  (si  du  moins  les  chapitres 
qui  précèdent  ont  rempli  leur  dessein)  l'expérience  peut  être  consi- 
dérée comme  faite.  Parmi  toute  cette  décoration  sculpturale,  nous 
avons  rencontré  quelques  motifs  nettement  helléniques,  et  d'autres, 
en  nombre  plus  restreint  encore,  purement  indigènes;  tout  le  reste, 
c'est-à-dire  l'immense  majorité,  procédait  d'une  sorte  de  com- 
promis entre  les  deux  techniques.  Nous  savons  donc  d'avance  que 
les  seuls  artistes  décorateurs  qu'ait  connus  le  Gandhàra,  étaient 
les  uns  des  Grecs,  les  autres  des  Indiens'''  —  voire  enfin  et  surtout, 
à  la  faveur  de  la  pénétration  constatée  des  deux  races,  des  métis 
de  Grecs  et  d'Indiens. 

Et  d'abord,  pour  reprendre  le  fil  du  précédent  paragraphe, 
comment  écarter  à />m;v' la  présence  de  sculpteurs  indigènes  dans 
rinde  du  Nord-Ouest  dès  le  début  du  n''  siècle  avant  notre  ère  ? 
Ce  serait  décréter  que  les  stupa  septentrionaux  de  l'ancien  modèle 
furent  condamnés  à  rester  entièrement  nus.  Il  faut  avouer  que 
les  mieux  connus  d'entre  eux,  comme  ceux  de  Mânikyâla  (fig.  9) 
et  de  Chakpat  (fig.  10-12),  n'ont  jamais  reçu  qu'une  ornemen- 
tation fort  sobre  ;  mais  d'autres,  que  le  sol  nous  cache  encore, 
peuvent  avoir  été  plus  richement  décorés.  De  toutes  façons,  il  est 
sûr  que  l'étrange  assortiment  décoratif  des  anciens  imagiers  boud- 
dhiques, arbres,  roues,  slûpa ,  lotus  et  autres  emblèmes  allégo- 
riques, a  pénétré  jusqu'au  Gandhàra.  Sans  doute  il  y  avait  été 
apporté,  ne  serait-ce  que  sous  forme  d'e.v-voto  et  autres  objets  de 
piété,  dans  le  mince  bagage  des  moines  qui,  dès  le  début  de  la 
propagande,  aflluèrent  de  l'Inde  centrale:  on  sait  assez  l'humeur 

'''  Peut-être  faudrait  il,  à  la  grande  rigueur,  dire  frlndo-iraniensTi;  mais  cf.  jilus 
bas,  cil.  XVI,  .^  II,  iiifne  [  p.  içig-ôoi). 


LA  RENCONTRE  DU  BOUDDHISME  ET  DE  L'HELLENISME.     463 

migratrice  de  ces  chemiueaux  de  la  religion.  A  l'emploi  sporadique 
de  ces  symboles  sur  nos  sculptures  gandhàriennes,  nous  recon- 
naissons la  vieille  manière  intlienne,  abstraite,  scbématique, 
algébrique,  que  nous  avons  eu  plus  d'une  fois  à  définir'').  Aussi 
ne  peut-on  s'étonner  que  plusieurs  d'entre  eux  reparaissent 
isolément  sur  les  pièces  indo-grecques  (pi.  111,  i3-i6)  et  en 
groupes  constants  sur  les  pièces  indigènes'-'.  Mais  puisqu'il  s'est 
trouvé  quelqu'un  pour  graver  en  relief  les  poinçons  de  ces  der- 
nières monnaies,  à  plus  forte  raison  sommes-nous  contraints  d'ad- 
mettre que  la  corporation,  déjà  requise,  des  maçons  indigènes  com- 
prenait quelques  tailleurs  de  pierre  assez  habiles  (et  ce  n'est  pas 
beaucoup  dire)  pour  revêtir  au  besoin  un  édifice  de  ces  rudimen- 
taires  décors  :  car  à  l'époque  où  nous  le  prenons,  vers  la  fin  du 
m''  siècle  avant  J.-C,  les  prétentions  d'un  sculpteur  indien 
antérieur  aux  décorateurs  de  Barliut  ne  sauraient  aller  beaucoup 
au  delà. 

Or,  c'est  à  ce  moment  que  pénètrent  au  Gandbàra,  à  la  suite  de 
Dèmètrios  et  d'Eukratidès,  les  artistes  grecs  auxquels  nous  devons 
leurs  magnifiques  médailles.  Mais  ceux-ci,  ce  n'est  pas  à  nous 
qu'il  appartient  de  les  définir  :  il  sufiit  d'ouvrir  les  manuels 
d'archéologie  classique.  L'art  dans  lequel  ils  sont  experts,  c'est  cet 
art  dit  hellénistique,  qui  allait  survivre  à  la  liberté  de  la  Grèce  et 
devoir  son  universelle  dillusion  à  la  ])aix  romaine.  Pour  l'instant 
il  a  passé  en  Asie  Mineure  et  en  Egypte  et  s'y  est  mis  au  service  de 
souverains,  les  uns  déjà  très  orientalisés,  les  autres  encore  mal 
hellénisés.  A  plusieurs  signes  s'annonce,  dit-on,  sa  décadence  : 
mais  en  pays  asiatique  nous  ne  ferons  toujours  qu'admirer  sa 
perfection.  Les  qualités  maîtresses  varient  d'ailleurs  selon  les 
ateliers,  dePergame  à  Alexandrie.  Il  sulfira  de  retenir  ici  quelques 
traits  généraux,  tel  que  le  goût  croissant  du  piltoresque,  du 
portrait,  voire  de  la  caricature;  la  prédilection  pour  le  bas-relief 

'    Cf.  t.  1,  p.  6o8et  t.  H,  p.  36i.  pi.  I,  et  A.  S.   I..    A»),.  Brp.  ,()n5-6, 

'    Cf.   Beginnings    nf    Budditist   Art,         pi.  LIV. 


'ifi'i  LES  onrr.iNRs  de  L"Ér.or,E  du  gandhàra. 

contant  quelque  histoire  mytliologique  ou  représentant  quelque 
scène  pastorale  ;  on  encore  la  complaisance  pour  les  branches 
inineui-es  (le  la  toreutiquc  :  car  parmi  ces  favoris  des  Muses,  on  ne 
sait  où  tirer  la  ligne  entre  l'artiste  et  l'artisan.  A  la  vérité,  les 
œuvres  purement  grecques  que  l'on  a  jusqu'ici  retrouvées  dans 
l'Inde  du  Nord  sont,  à  l'exception  des  monnaies  bactriennes,  des 
plus  rares.  Peut-être  le  fait  est-il  dû  à  ce  qu'elles  consistaient 
surtout  en  menus  objets  de  métal,  toujours  prompts  à  disparaître 
dans  le  creuset  des  orfèvres  du  village.  On  peut  attendre  des 
fouilles  mieux  surveillées  de  l'avenir  de  meilleurs  spécimens 
d'orfèvrerie C  et  d'autres  bronzes  pareils  au  petit  Héraklès  du 
British  Muséum  (fig.  ^76).  Sans  attendre  plus  longtemps,  la  main 
d'authentiques  Grecs  nous  a  paru  signer  ces  tritons,  ces  géants, 
ces  atlantes,  que  nous  avons  relevés  parmi  nos  sculptures  (fig.  1  2.3 
et  suivantes,  395),ou  du  moins  ceux  d'entre  eux  qui  ont  le  mieux 
conservé  le  type  classique  et  ne  doivent  visiblement  rien  au  sol 
dont  ils  sont  sortis. 

Contraste  saisissant  :  ici,  le  plus  prestigieux  des  virtuoses;  là, 
le  plus  routinier  des  manœuvres.  On  pourrait  à  plaisir  laire  jouer 
sous  tous  les  jours  les  facettes  de  cette  antithèse.  Mais  nous  ne 
voyons  pas  ce  que  notre  enquête  y  gagnerait.  Tout  d'abord  l'une 
ou  l'autre  sorte  de  sculpteurs  ne  peut  guère  avoir  été  au  Gan- 
dhàra qu'une  exception  infime.  S'ils  y  avaient  travaillé  en  nombre, 
ils  auraient  élevé  des  ensembles  à  leur  mode,  et  nous  auraient 
légué,  soit  des  mausolées  ou  des  autels  comparables  à  ceux 
d'Halicarnasse  et  de  Pergame,  soit  des  stupa  analogues  à  ceux 
de  Barhut  ou  de  Sânclii.  Or,  nous  avons  peine  à  réunir  assez  de 
vestiges  probants  de  leurs  productions  pour  démontrer  irréfuta- 
blement leur  existence.  Cette  existence  même  peut-elle  nous  être  de 
(|uelque  utilité?  Elle  s'affirme,  comme  nous  venons  de  voir,  par 
la  trouvaille  d'un  certain  nombre  de  motifs  qu'on  pourrait  croire 

"i  Cf.  i.  II,  p.  181. 


LA  RENCONTRE  DL  BOUDDHISME  ET  DE  J/JIELLENISME.     /i(i5 

tlirectemciit  importés,  les  uns  de  l'Asie  antérieure,  les  antres  de 
rinde  centrale  :  encore  la  plupart  doivent-ils  être  ai^tificiellenient 
isolés  des  décorations  où  ils  s'inséraient.  Mais  udus  l'avons  vu, 
l'œuvre  relativement  considérable  de  l'école  du  Gandhàra  a  jusle- 
meiit,  prise  dans  sou  ensemble,  ce  caractère  de  ne  pouvoir  être 
dilr  proprement  grecque   ni    indienne.   Elle  contient  assurément 


Fii;.  47G.  —  Hbiiaklks,  al  (januuàha  (cl.  ji.  4G4). 
Ilrilisli  Muséum.  Staluelle  de  hnmze  provenant  (le  Nigrai. 

des  matériaux  venus  du  Magadha  des  Mauryas  et  d'autres  de  la 
Syrie  des  Séleucides  :  elle  n'est  pas  plus  une  importation  syrienne 
que  niagadhienne.  La  combinaison  des  parties  composantes  y  est 
beancoupplus  intime  que  dans  les  monnaies  indo-grecques,  où  il  y 
a  simple  juxtaposition  d'exergues  en  deux  alpbabets  et  deux  langues. 
Elle  est  née  sur  place  de  la  fusion  de  deux  écoles,  comme  du 
mélange  de  deux  corps  dans  une  coupelle  en  naît  un  troisième. 
Telle  est  (nous  n'hésitons  pas  à  nous  servir  de  ce  terme)  son  espèce 

GANDHÀRA.   --11.  3o 


pntHEME    NAIIOXALf  . 


/jfiG  LES  oniC.INRS  DE  L'ÉCOLE  DI    0  \NDH  \R  \. 

d'originalité.  Sans  doute,  la  proportion  des  éléments  constituants 
peut  varier  selon  les  morceaux  et  les  époques,  et  aller  du  grec 
presque  homogène  à  l'indien  presque  intégral  :  le  nouveau  produit 
n'en  est  pas  moins  essentiellement  un  alliage.  Or,  au  point  où 
nous  sommes  arrivés ,  nous  voyons  bien  que  cette  sorte  d'opéra- 
tion chimique  n'a  pu  se  faire  d'emblée  dans  la  cervelle  et  sous 
les  doigts,  ni  d'un  Grec,  ni  d'un  Indien  :  car,  comment  l'Indien 
aurait-il  tout  deviné  du  métier  et  du  répertoire  grecs,  et  comment 
le  Grec  se  serait-il  complètement  assimilé  la  tradition  artistique 
et  religieuse  du  Bouddhisme?  Et  n'attendons  pas  plus  de  résultat 
d'une  collaboration  immédiate  entre  eux,  si  tant  est  qu'une  telle 
supposition  soit  admissible.  Ne  voyez-vous  pas  que  race,  langue, 
situation  sociale,  civilisation,  tout  un  monde  les  sépare?  Pour 
donner  des  noms  de  fantaisie  à  ces  éternels  anonymes,  comment 
le  brillant  Apollodore  aurait-il  pu  dès  l'abord  lier  partie  avec 
l'obscur  Dêvadatta  ? 

Ainsi  il  semble  que  nous  aboutissions  à  une  impasse  ;  et  le  plus 
clair  résultat  de  cette  longue  étude  serait  de  démontrer  l'inca- 
pacité où  nous  sommes  de  rendre  compte  de  la  genèse  de  son 
objet.  Heureusement  la  vie  s'inquiète  peu  de  la  logique,  et  il 
reste  à  notre  disposition  le  temps,  le  plus  grand  des  maîtres.  C'est 
lui  qui  va  se  charger  de  rapprocher  les  dislances,  d'adoucir  les 
angles  et  de  ménager  les  points  de  contact.  Laissons-le  remplir  son 
office  :  il  aura  \ite  fait  de  mêler  les  civilisations  et  les  races,  et  de 
favoriser  l'échange  des  langues  et  des  religions.  Que  ce  soit  au 
bazar  de  la  cité  indigène  ou  à  l'intérieur  de  la  ville  royale,  dans 
lalelier  du  sculpteur  grec  ou  dans  la  boutique  de  l'imagier  boud- 
dhiste, le  jour  ne  tardera  pas  à  venir  où  s'engagera  enfin,  entre 
amateurs,  la  couversation  attendue;  et  c'est  au  cours  d'un  tel 
entretien,  que  naîtra  plus  ou  moins  prosaïquement,  dun  pari  ou 
d'un  défi,  d'une  otïre  ou  d'une  commande,  une  branche  nouvelle 
de  l'ai't.  Au  ])is  aller,  si  l'on  craint  qu'une  telle  supposition  ne 
semble    bien    hasardeuse,    nous    aillions    toin'ours    la    ressource 


LA  RENCONTRE  DU  ROUDDHISMl']  ET  DR  L'HELLENISME.     /i67 

d'appeler  à  notre  aide,  non  plus  senlement  comme  intermédiaire 
entre  les  praticiens  et  les  donateurs,  mais  comme  praticien  lui- 
même,  le  Yavaua  màtim''  de  Banddha  auquel  nous  avons  eu  précé- 
demment recours.  C'est  évidemment  dans  l'imagination  d'un 
Eurasien,  artiste  par  son  père  grec,  bouddhiste  par  sa  mère 
indienne,  que  se  combineront  le  mieux  les  deux  traditions,  de 
même  que  c'est  sous  son  ciseau  que  se  marieront  le  plus  harmo- 
nieusement les  deux  techniques.  A  sculptures  hybrides,  sculpteurs 
métis  ;  et,  de  fait,  nous  avons  de  fortes  raisons  de  penser  que  tels 
furent  bien  les  auteurs  responsables  de  la  majeure  partie  des 
œuvres  gandhàriennes. 

Est-ce  à  dire  que  nous  écartions  à  présent  toute  collaboration 
au  répertoire  gréco-bouddhique  de  la  part  d'un  maître  grec,  fami- 
liarisé par  un  long  séjour  avec  IVime  du  pays,  ou  d'un  apprenti 
indien,  touché  de  la  grâce  hellénique?  Personne  ne  nous  prêtera 
une  telle  élroitesse  de  vues.  Sans  l'apprenti  indigène  on  ne  saurait 
comment  expliquer  la  durée  et  le  déclin  même  de  l'école;  et  pour 
ce  qui  est  de  son  élaboration,  on  n'en  pourra  jamais  contester 
sérieusement  l'initiative  aux  artistes  étrangers  sans  la  venue  des- 
quels elle  ne  serait  jamais  née.  Même  pendant  la  période  de  son 
plein  épanouissement,  nous  ne  songeons  pas  à  proscrire  l'inter- 
vention éventuelle  de  praticiens  directement  immigrés  d'Occident: 
qui  ne  voit  au  contraire  que  la  formation  préalable  de  l'école  a 
été  pour  ceux-ci  le  meilleur  élément  d'attraction,  et  cpielle  est 
pour  nous  la  meilleure  garantie  que  ces  nouveaux  venus,  trouvant 
des  modèles  tout  prêts,  aient  pu  sans  autre  préparation  mettre  la 
main  à  une  pâte  déjtà  pétrie  et  levée?  Tout  ce  cpie  nous  avons 
voulu  laiie  ressortir  en  pleine  lumière,  c'est  d'aboid  le  fait  que  le 
caractère  mixte  des  œuvres  gainlhàriennes  s'explique  de  la  façon 
la  plus  naturelle  par  leur  attribution  à  des  sculpteurs  qui,  pour  la 
plupart,  étaient  eux-mêmes  de  sang  mêlé;  c'est  ensuite  et  surtout 
l'imprudence  qu'il  y  aurait  à  dater  I  origine  de  l'art  du  (iandhàra 
des  premiers  jours  de  la   domination    grecque    dans   le   Penjàb, 

.3o. 


/(68  LRS  ORIGINES  PE  L'ÉCOLE  DU  CANDHÂRA. 

autremeni  dil  des  premières  années  du  second  siècle  avant  notre 
ère.  Pour  que  celte  école  à  double  face,  telle  que  nous  avons 
appris  à  la  connaître,  ait  pu  naître  et  se  développer,  un  lon,o 
contact  entre  le  Bouddhisme  et  l'Hellénisme  est  une  condition 
nécessaire  :  nous  estimons  qu'il  n'y  aura  pas  fallu  moins  de  trois 
ou  quatre  générations.  Ainsi  toutes  les  présomptions,  qu'elles 
soient  tirées  de  l'histoire  politique,  ou  religieuse,  ou  artistique  de 
la  contrée,  s'accordent  à  placer  vers  le  commencement  du  dernier 
siècle  avant  J.-C.  les  premières  sculptures  gréco-bouddhiques'"'. 
Et  qu'on  ne  croie  pas  que  ce  soit  des  fouilles  de  l'avenir  que  nous 
attendions  la  confirmation  de  cette  théorie  :  nous  comptons  au 
contraire  en  administrer  la  preuve  dès  le  chapitre  prochain. 

'    Est-il  besoin  de  rappeler  que  les        avoir  été  plus   précoces?  Cf.   ci-dessus, 
premières  peintures  de  ce  style  peuvent         t.  II,  p.  io4. 


I 


L'EVOLUTION   DE   L'ECOLE    DU   CANDHARA.  WJ 

CHAPITRE    XVI. 

L'KVOLL!TIO\   l)K  L  ÉCOl.l'    1)1    GA\DHÂRA. 

Si  nous  ne  nous  sommes  pasinleidit,au  cours  de  notre  résumé  de 
l'histoire  politique  et  religieuse  du  Gandliàrn  pendant  la  période 
indo-grecque,  d'anticiper  parfois  sur  les  événements,  nous  ne  pré- 
tendons pas  pour  cela  avoir  complètement  résolu  le  problème  de 
l'art  gréco-bouddhique.  Tout  au  plus  avons-nous  exposé  les  cir- 
constances qui  rendent  possible  el  même  vraisemblable  l'apparition 
de  ses  premières  œuvres  vers  le  début  du  i"""  siècle  avant  notre  ère. 
Comme  fait  le  directeur  du  théâtre  dans  le  prologue  des  drames 
indiens,  nous  avons  simplement  préparé  la  scène,  annoncé  les 
personnages  et  prévenu  le  public  de  ce  qui  allait  se  passer.  C'est 
là  lin  rùle  ([ui  n'a  rien  de  dilïicile.  Dès  que  le  rideau  —  ou, 
comme  disaient  les  Indiens,  la  r? grecques  [yavanikd)  —  se  tire, 
il  en  va  tout  autremeraent  du  métier  d'auteur  ou  simplement  de 
critique.  Les  deux  entités  abstraites  de  l'Hellénisme  et  du  Boud- 
dhisme se  sont  incarnées  devant  nos  yeux  en  deux  individus 
concrets,  un  donateur  indigène  et  un  artiste  étrangei'.  Pour  accen- 
tuer la  vraisemblance,  nous  avons  même  pris  soin  d'indianiser  le 
\avana  autant  que  nous  hellénisions  le  Bauddha,  jusqu'à  les  con- 
sidérer comme  issus  tous  deux  d'un  pareil  métissage,  de  mère 
indienne  et  de  père  grec.  Ainsi  ils  se  comprendront  mieux,  ayant 
mêmes  idées  et  parlant  même  langue.  Mais  à  quel  moment,  à  quel 
propos,  sur  (juelle  initiative  s'est  engagée  entre  eux  la  conversa- 
tion et  quel  tour  au  juste  va-t-elle  prendre?  Cela  nous  échappe 
pour  l'instant  et  se  prèle  mal  à  tout  essai  de  reconstitution  histo- 
rique, ou  seulement  logique. 

Que  vous  voilà,  nous  dira-t-on,  embari'assé  pour  peu  de  chose! 
De  cette  longue  entrevue,  vous  connaissez  du  moins  le  résultat  , 
à  savoir  l'école  d'art  dont  \ous   avez  cntrepi'is  l'élude.  Or,    une 


'i70  [;i' VOl.l    l'KiN    l)K    L'IvCOI.K    DU    (i\M)ll\l!\. 

Icllc  liistoire  se  (léci)ii|)('  luujoiii's  l'ii  tiois  iiclos.  (lest  comme  une 
niante  qui  germe  et  croit,  lleuril  et  fructifie,  dépérit  et  meui't. 
(lliacini  sait  d'ailleurs  (jue  révolution  de  toute  chose  humaine  se 
déroule  en  trois  périodes,  ascendante,  culminante,  descendaiile. 
Il  Y  aura  donc  trois  paragraphes  à  votre  exposé  :  formation,  llo- 
raison,  décadence.  Et  maintenant,  allez  :  vous  voyez  comme  c'est 
simple...  —  Hélas,  nous  craignons  que  notre  cas  ne  soit  beau- 
coup ])lns  compliqui''.  Heureux  les  historiens  d'art  qui  ont  aiî'aire 
à  la  courbe  harmonieuse  d'une  école  originale  et  dont  aucune 
inlluence  étrangère  ni  aucun  cataclysme  politique  ne  viennent  tra- 
verserle  développement  spontané.  Ils  assist(Mil,  émus  et  joyeux,  aux 
timides  premiers  pas,  puis  aux  progrès  déplus  en  plus  rapides  du 
cher  objet  de  leurs  soins;  et  s'ils  ne  peuvent  se  défendre  au  passage 
de  quelque  mélancolie  en  constatant  combien  est  fugitif  l'instant 
de  sa  suprême  perfection,  ils  ont  de  quoi  se  consolei'et  se  complaire 
dans  la  lenteur  toujours  savoureuse  de  son  déclin.  Par  ailleurs, 
mil  souci  :  l'esthétique  marche  la  main  dans  la  main  avec  la  chro- 
nologie; tout  s'ordonne  de  soi-même  et  sans  effort,  comme  dans  la 
région  sereine  des  idées  pures,  et  l'œuvre  même  de  l'historien  par- 
ticipe à  la  simplicité  de  lignes  de  son  sujet.  Une  telle  chance  n'est 
pas  la  nôtre.  Notre  école,  roulée  et  ballottée  entre  tant  de  courants 
contraires,  ne  nous  a  laissé  qu'une  œuvre  baroque  et  tourmentée 
où  nous  essaierions  en  vain  de  lire  à  première  vue  le  progrès  de 
son  développement:  tels  ces  coquillages,  trop  longtemps  battus 
de  f océan,  chargés  d'accrétions  et  déformés  par  les  chocs,  où 
fœil  du  naturaliste  cherche  en  vain  le  jeu  régulier  des  spires. 

Voilà  en  effet,  sans  métaphore,  l'impression  que  nous  ont  tou- 
jours donnée  nos  monuments,  chaque  fois  que  nous  avons  voulu 
tirer  d'eux  ce  ([u'on  peut  appeler  une  chronologie  intrinsèque.  A 
trois  reprises  différentes,  à  propos  des  motifs  décoratifs,  des  scènes 
légendaires  et  des  images  ('',  nous  avons  déjà  dû  constater  i'inex- 

'''  Cf.  t.  t..  p.  aSSetGi.T.H  I.  II,  p.  3i4. 


Ll':VOLUTln\  DE  L'ÉCOLE  DU   GANDHARA.  'i71 

tricable  biouillamiiii  (|u  ils  présentent.  Aussi  bien  A.  Bartb  nous 
avait-il  depuis  longtemps  averti  que  «c'est  à  peine  parfois  si  Ion 
peut  parler  de  tradition  dans  ces  contrées  où  l'art  a  élé  soumis  à 
tous  les  hasards  d'un  article  d'importation'')  n.  Aucune  illusion  ne 
subsiste  donc  sur  les  dillicultés  de  notre  tache  présente  :  ce  n'est 
pas  une  excuse  valable  pour  nous  en  dispenser.  Tout  d'abord  nos 
incertitudes  proviennent  pour  une  bonne  part  de  la  façon  dont  les 
premières  fouilles  ont  été  conduites  :  celles  de  l'avenir  ne  nous 
fourniront  pas  seulement  des  groupes  topographiquement  déter- 
minés, elles  nous  permettront  encore  de  distinguer  dans  chaque 
site  les  couches  chronologiques  successives  (-).  En  attendant  il  est  tout 
au  moins  permis  de  dresser  les  cadres  généraux  entre  lesquels  nous 
tâcherons  de  classer  l'actuelle  confusion  des  sculptures.  Si  Gœthe 
a  eu  raison  de  dire  que  ce  qui  est  contre  natuie  est  encore  nature, 
une  évolution,  même  contrariée  et  rompue,  est  encore  une  évolu- 
lion.  Enlin  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  longévité  des  écoles  d'art 
se  compte  par  centaines  d'années.  Pour  prendre  l'exemple  le  plus 
analogue  en  même  temps  <[ue  le  plus  voisin  de  nous,  on  atlribue 
couramment  à  l'art  roman  quatre  ou  cinq  siècles  d'histoire  (^'.  Il 
n'y  a  aucune  raison  a  priori  pour  refuser  à  l'école  gréco-boud- 
dhi(|ue  une  pareille  durée.  Sur  ce  point  comme  sur  les  autres,  les 
faits  actuellement  connus  parleront.  Mais  déjàl'on  devine  que  beau- 
coup d'opinions  avancées  à  son  propos  peuvent  être  justes  en  soi, 
et  ne  deviennent  contradictoires  que  faute  d'être  rapportées  à  des 
époques  dilFérentes  d'un  même  développement.  Que  l'on  y  ail  tour 
à  tour  découvert  linlluence  hellénique,  romaine,  voire  byzantine, 
nous  n'y  voyons  aucun  inconvénient  préalable'')  :  nous  vérifierons 
seulement  s'il  n'y  a  pas  lieu  de  répartir  ces  diverses  assertions,  en 

•''  A.  Babth,  Bull.des  Rclig.  de  riiule,  '?'  Du  vm*  au  xii°  siècle,  en  y  com- 

iSgli(OEuvres,[.  11,  p.  i63,n.i;  p.  i65).  prenant,  comme  il  est  naturel,  la  période 

'^'  Cf.  t.  I,  p.  32,  sio3,  etc.  Les  (1er-  dite  carolinfficnne,  qui  fut  celle  de  son 

nières  fouilles  ont  dëjà  donné  les  résultats  élaboration. 

attendus;  cf.  t.  H,  p.  /i3.î  et  ci-dessous  '*'  Toutefois,    il    ne   saurait   èlre,   ii 

p.  582-583  et  592-5g3.  notre  avis,  question  d'influence  propre- 


/i72  L'ÉVOLUTION   DE   L'ÉCOLE   DU  GANDlliUA. 

apparence  inconciliables,  entre  plnsieiirs  siècles.  Ce  sera  en  même 
lemps  la  seule  manière  de  n'être  pas  dès  l'abord  submergé  sous 
l'abondance  de  documents  classiques,  indiens  on  chinois,  que  l'in- 
dustrie des  philologues  européens  a  déjà  réunie  avec  tant  de  dili- 
gence sur  cette  question,  particulièrement  passionnante  pour  eux, 
des  relations  du  monde  méditerranéen  et  de  l'Inde. 

§     1.     L\     CRITIQUE     DES     DOCUMENTS. 

Il  faut  s'y  résigner  :  notre  sujet  a  ses  qualités,  comme  d'être  en 
partie  nouveau  et  à  cheval  sur  deux  mondes;  mais  il  manque  de 
simplicité  et  de  clarté,  et  c'est  vainement  qu'on  y  chercherait  les 
linéaments  de  cette  logique  intérieure  qui  préside  au  développe- 
ment d'un  organisme  vivant  placé  dans  un  milieu  favorable.  Par  une 
sorte  de  paradoxe  qui  ailleurs  serait  inconcevable,  ce  n'est  donc  pas 
dans  l'école  même,  mais  autour  d'elle,  dans  ses  tenants  et  aboutis- 
sants les  plus  divers,  que  nous  réunirons  les  plus  sûrs  éléments  de 
son  histoire.  Qu'on  ne  soit  pas  trop  surpris  de  voir  juscpi'où  il  fau- 
dra parfois  aller  les  chercher.  Cette  méthode  discursive  ne  parait 
que  trop  naturelle  aux  indianistes,  dès  longtemps  accoutumés  à 
faire  l'histoire  de  l'Inde  surtout  avec  celle  de  ses  conquérants. 
Bien  entendu,  nous  continuerons  de  ne  retenir  parmi  tous  ces 
témoignages,  rarement  indiens,  ordinairement  étrangers,  que  ceux 
qui  se  rapportent  en  quelque  façon  au  point  spécial  qui  nous 
occupe  :  encore  y  touchent-ils  de  plus  ou  moins  près.  11  importe, 
comme  nous  venons  de  le  dire,  mais  il  ne  suffit  pas  de  les  disti'i- 
huer  entre  plusieurs  groupes  chronologiques.  Les  dévider  ensuite 
pêle-mêle  et  sur  le  même  plan  ne  servirait  qu'à  diviser  en  plu- 
sieurs lots  la  confusion  dans  laquelle  nous  voudrions  au  contraire 
contribuer  à  introduire  un  peu  d'ordre.  Il  faut  encore,  et  d'abord, 
les  passer  rapidement  en   levue  atin  de  les  classer  par  catégorie 

menl  l)yzantiue,  sauf  peut-être  sui-  certains  rejetons  siîrindiens  de  Técole  du  Gandliàra 
(cf.  liff.  .53o). 


LV  CRITIQUE  DES  DOCUMENTS.  473 

selon  les  secours  que  nous  eu  pouvons  attendre  :  nous  apprendrons 
du  même  coup  avec  (juelles  précautions  et  dans  quelle  mesure 
il  est  permis  d'en  user. 

Les  LiTTÉRATur.ES  iNDKiÈNEs.  — 11  Serait  exagéré  de  dire  que  l'Inde 
ait  comjtiètement  réussi  à  donner  le  change  aux  historiens  sur  ses 
relations  forcées  avec  la  Grèce.  A  la  longue,  on  se  trahit  toujours 
par  quelque  endroit.  Mais  il  faut  bien  avouer  que  si  nous  ne 
savions  des  Grecs  que  ce  qu'elle  nous  rapporte,  nous  ne  serions 
pas  beaucoup  plus  renseignés  sur  leur  compte  que,  par  exemple, 
sui-  celui  des  Kambojas,  dont  elle  nous  parle  souvent  dans  la  même 
haleine  et  dont  nous  ignorons  tout,  sauf  le  nom.  C'est  uniquement 
parce  que  nous  connaissions  d'avance  ce  qu'elle  entend  par 
Yavanas  que  nous  parvenons,  avec  beaucoup  de  bonne  volonté,  à 
les  reconnaître  sous  quantité  de  demi-aveux,  pour  ne  point  dire 
de  réticences,  épars  dans  la  littérature  sanskrite.  M.  S.  Lévi  n'a  pu 
écrire  une  petite  thèse  ingénieuse  et  nourrie  sur  ce  ce  que  les  docu- 
ments de  l'Inde  ancienne  nous  ont  transmis  au  sujet  des  (îrecsA 
qu'à  condition  de  tout  mettre  à  contribution,  monuments  figurés, 
inscriptions,  monnaies,  faits  linguistiques,  etc.,  et  de  poursuivre 
dans  ses  plus  lointaines  conséquences  chaque  emprunt  de  chose  ou 
de  mot'').  Si  l'on  s'en  tenait  au  témoignage  direct  des  texies  brahma- 
niques, en  réquisitionnant  jusqu'aux  exemples  grammaticaux,  on 
obtiendrait  à  peine,  vannage  fait,  ces  quelques  grains  d'histoire  : 
l'existence  à  l'occident  de  l'Inde  d'un  peuple  de  Pavanas,  qui  se 
coupent  les  che\ eux  et  mangent  couchés  sui'  des  lits;  Irur  incur- 
sion dans  l'Inde,  où  ils  auraient  régné  quatre-vingt-deux  ans  et 
fait  preuve  d'un  courage  milifaire  qui  les  rend  dignes  d'être  consi- 
dérés comme  des  hmlriya,  d'ailleurs  irrémédiablement  déchus  de 
leur  caste  ;  enfin  leur  habileté  incontestable  dans  les  sciences  et 
les  arts.  La  notice  veut  être  llatleuse,  dût  notre  insatiable  amour- 

'"'   Quid  (le  Grœcis  velerum  Iiuloriiiii  inumiiiicnta  triidiiliriitl.  Paris,   i8ijo. 


\lh  L'ÉVOLUTION   DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA, 

[)ropre  eiii-op(''en  l'aire  la  grimace.  C'est  que  nous  avons  toujours  à 
l'esprit  la  Grèce  de  Lycurgue  et  de  Selon,  de  Platon  et  d'Aristote, 
de  Phidias  et  de  Pi-axilèle.  Nous  ne  sommes  que  trop  disposés  k 
oublier  (|ue  l'Inde  n'a  guère  reru,  en  l'ait  de  Grecs,  que  des  sol- 
dats mei'cenaires  et  des  aventuriers,  et  qu'elle  n'eut  pas  à  se  louer 
de  leur  visite.  11  est  même  remarquable  que  ses  lettrés  aient  su 
découvrir,  derrière  l'inévitable  brutalité  du  conquérant  colonial, 
la  supériorité  scientifique  et  technique  de  la  métropole;  il  l'est  plus 
encore  que,  l'ayant  découverte,  ils  aient  consenti  à  la  consigner 
par  écrit.  Après  tout  les  brahmanes  n'étaient  pas  à  même  de  de- 
viner —  ni  par  suite  de  nous  laisser  deviner,  si  nous  ne  la  con- 
naissions d'enfance  —  la  mère  de  nos  arts,  de  nos  sciences  et  de 
nos  lois. 

On  ne  peut  guère  espérer  mieux  du  caractère  moins  orgueilleu- 
sement conservateur  des  bouddhistes.  Le  Milinda-jHiiiha  a  tout  à 
l'heure  singulièrement  éclairé  pour  nous,  du  point  de  vue  oriental, 
la  vie  des  petites  colonies  grecques  du  Penjàb  et  de  leurs  dyuastes 
—  du  moins  quand  celui-ci  était  un  homme  à  l'esprit  assez  ouvert 
pour  s'intéresser  aux  idées  philosophiques  et  religieuses  des  indi- 
gènes. De  même,  en  dépit  de  l'éloignement  de  Ceylan,  ses  cliro- 
niques  nous  ont  déjà  fourni  et  pourront  encore  nous  fournir  quel- 
ques données  utilisables.  Mais  la  grande  masse  des  textes  sacrés, 
à  commencer  par  ceux  qui  nous  ont  an  point  de  vue  iconogra- 
phique rendu  le  plus  de  services,  va  désormais  nous  fausser  com- 
pagnie. La  faute  n'en  est  pas  seulement  à  leur  destination  exclusi- 
vement édifiante;  elle  tient  surtout  au  vague  de  leur  propre  chro- 
nologie et,  en  fin  de  compte,  aux  trop  médiocres  exigences  de 
l'esprit  indien  en  fait  de  précisions  historiques.  A  peine  pourrons- 
nous  y  glaner  quelques  légendes  oà  se  traduit  rinq)ressi()ii  pro- 
duite au  sein  de  la  Communauté  par  le  talent  des  artistes  Yavanas 
et  l'apparition  des  images  du  Maître  '■'. 

(')  Cf.  plus  bas,  p.  539-530  et  chap.  XVIII,  S  m. 


LA   CIUTIQUE   DES   DOCUMEiVTS.  /i75 

La  recolle  est  maigre;  et  ce  ne  sera  pas  une  consolation  d'ajouter 
que  les  autres  races  qui  ont,  pèle-niêle  ou  toiii'  à  loui',  envahi 
l'Inde  du  Nord-Ouest,  ne  sont  pas  mieux  partagées.  Les  épopées 
et  les  pHra/irt  accusent  l)ien  connaissance  des  Bàlilîka  ou  Bactriens, 
des  Çakas  ou  Scythes,  et  des  Pahlavas  ou  Parthes,  pour  ne  citer 
que  les  peuples  qui  nous  intéressent  :  mais  c'est  tout  juste  s'ils  font 
à  ces  barhares  l'honneur  de  les  nommer.  Du  cycle  légendaire  qui 
s'était  formé  autour  dekani.ska,  sur  le  modèle  de  celui  d'Açoka, 
nous  ne  possédons  pas  la  rédaction  indienne  (').  La  Rdjatamngini^^'i 
se  borne  à  citer  son  nom  et  celui  d(!  deux  autres  rois  rcTuruskasn. 
Sans  douie  son  souvenii'  avait  été  conservé  au  Kaçmîr  tant  par  ses 
monnaies,  encore  courantes  aujourd'hui,  que  par  l'appellation  de 
la  ville  qu'il  y  avait  fondée.  Mais  on  sait  que  ce  n'est  pas  au 
I'"''  livre  de  la  chronique  kaçinîrieime  qu'il  est  permis  d'attrihuei' 
la  moindre  valeur  chronologique;  et  pas  plus  que  le  pandit  Ka- 
Ihana,  le  lama  Tàranàtha  ne  nous  renseignera  d'après  les  sources 
indiennes  sur  la  date  si  controversée,  et  pour  notre  objet  essen- 
tielle, de  Kaniska. 

Les  littératures  étrangères.  —  Si  nous  sommes  déjà  arrivés  à 
quehjue  approximation  sur  ce  point,  nous  le  devons  au  témoignage 
des  Chinois,  non  moins  précieux  pour  nous  que  celui  de  nos  clas- 
siques. Par  bonne  chance  il  commence  à  se  faire  entendre  dès 
avant  les  débuts  de  l'école  et  il  se  prolongera  jusqu'après  sa  des- 
truction. Puis,  que  ces  textes  proviennent  d'annales  oUicielles  ou 
de  relations  privées,  loui'  teneur  est  faite  pour  remplir  daise  le 
cijerchenr  européen.  Les  historiens  chinois  professent  le  même 
intérêt  que  les  nôtres  pour  ces  vaines  contingences  ([u'on  appelle 
les  noms  de  rois  et  les  dates  de  leurs  règnes;  et  quant  aux  pré- 
dilections de  leurs  pieux  voyageurs,  elles  sont  d'avance  d'accord 
avec  les  préoccupations  de  nos  archéologues.  Oij  en   seraient  les 

'''  Cf.  plus  haut,  t.  II,  [).  /ii8:  cl  /.  ^.,  nov.-déc.  1896  etjan.-fév.  1897. 
S.  Lévi.   .\otes  sur  les  Iiulo-sci/tlics  daus  '''  I,  st.  168-170. 


'i7G  L'ÉVOLITIO.N'   Dl']   LKCOLE   DU  G\NDII\n\. 

iiidiaiiisles  sans  le  renl'orl  (|iie  les  sinologues  sont  venus  leur 
apporter?  Mallicureusemenl  il  subsiste  dans  cette  inappriîciable 
si^rie  de  documents  une  grave  lacune.  Les  relations  entre  la  Cliine 
et  l'Occident  se  poursuivent,  bien  qu'avec  des  intermittences  dans 
leur  activité,  de  la  fin  du  ii'"  siècle  avant  notre  ère  à  celle  du 
i'^''  siècle  après;  elles  reprennent  à  la  lia  du  iv''  siècle,  et  successive- 
ment les  visites  de  Fa-bien  (vers  600),  de  Song  Yun  (vers  .Vjo),  de 
Iliuan-tsang  (entre  629  et  (iAi),  de  Wou-k'ong  (entre  75i 
et  790)  nous  fournissent  autant  de  tableaux  de  l'Inde  du  Nord  au 
moment  de  leur  passage.  Entre  les  années  100  et  /luo,  mentions 
des  annales  et  récils  de  pèlerins  font  à  la  fois  défaut  :  nous  res- 
sentii'ons  cruellement  leur  absence. 

H  n'y  a  pas  en  ellet  à  compter,  pour  bouclier  ce  trou,  sur  les 
renseignements  de  nos  auteurs  classiques,  grecs  ou  latins.  Dans 
leurs  œuvres  bistoriques  ou  géograpbi(|ues,  qu'elles  nous  soient 
ou  non  parvenues  à  l'état  de  iVagmenIs,  il  est  peu  de  passages 
concernant  la  région,  l'époque  et  le  sujet  qui  nous  intéressent. 
Que  ne  donnerions-nous  pas  pour  avoir  la  relation  de  voyage  d'un 
amateur  grec  qui  aurait  visité  le  Penjàb,  mettons  vers  le  milieu 
du  1"  siècle  de  notre  ère?  Le  plus  désappointant  est  que  nous 
sommes  censés  l'avoir.  Mallieureusement  ce  n'est  qu'une  partie  de 
la  biograpiiie  d'Apollonios  de  Tyaue,  un  tbaumalurge,  rédigée  à 
cent  cinquante  ans  de  distance  d'après  les  notes  de  sou  compagnon 
Damis,  un  gobeur  ou  un  Iiàbleur,  par  un  rbéleur  de  profession 
nommé  Pbilostrate,  pour  le  divertis.sement  d'une  impératrice  théo- 
sopbe,  la  Syrienne  .Iulia  Domna,  femme  de  Septime  Sévère. 
Comment  s'étonner  après  cela  de  n'y  trouver  à  la  lecture  —  bro- 
dée sur  un  canevas  qui  ne  manque  pas  de  vraisemblance'')  — 


'''  Exeni|)lc  :  le  loi  paitlie  Bardanès,  |ias,  comme  on  l'a  compris  parfois,  jiis- 

qui  facilite  le  voyage  d'Apollonios  à  Ira-  qu'à  l'iadus  —  mais  jusqu'à  la   rivière 

vers  ses  Klats,  est  relui  dont  Tacite  nous  qui  si'pare  l'Ajie  de  la  Raclriane  (Daliaj, 

dil{AnH(iks,W,  10)  qu'il  avait  poussé  Ta-liia").  I]eaucoup  d'autres  détails  sem- 

ies  l'ronlières  de  son  royaume   —   non  Lient  également  authentiques. 


L\    (.l'.ITIOUE   DES   DOCUMENTS.  Ml 

qu'une  pitoyable  rhapsodie  de  tous  les  racontars  qui  tralnaienl 
alors  sur  l'Inde!  L'Evangile  de  saint  Thomas  contient  de  même  des 
laits  évidemment  exacts,  les  uns  parce  qu'ils  sont  conlirmés 
d'autre  source,  les  autres  parce  qu'ils  sont  de  ceux  que  l'on  u'iii- 
veute  pas  :  dans  l'ensemble,  il  n'en  est  pas  moins  apocryphe.  Le 
ton  posilil"  cl  le  style  commercial  du  Périple  de  la  Mer  Erijthrée 
feraient  une  heureuse  diversion  à  ces  œuvres  décevantes  :  mais, 
par  définition,  ses  renseignements  se  bornent  presijue  uniquement, 
comme  ceux  d'une  carte  marine,  aux  ports  de  la  côte  arabique  et 
indienne.  Enlin  la  [)lupart  des  données,  plus  on  moins  sujettes  à 
caution,  ([u"(Mit  recueillies  Pline,  Strabon  ou  Ptolémée,  ne  nous 
concernent,  il  faut  l'avouer,  que  de  fort  loin,  il  y  a  un  tri  à  faire 
parmi  toutes  ces  informations  éparses.  Celles  qui  sont  d'ordre  géo- 
graphique, politique  ou  mercantile  ne  peuvent  guère  foinnir  que 
le  cadre  de  nos  recherches,  ou,  à  l'occasion,  rehausser  d'une  touche 
plus  claire  le  fond  obscur  du  tableau.  Somme  toute,  ce  n'est  pas 
l'histoire  diplomatique,  militaire  ou  économique  de  l'Asie  anté- 
rieure, c'est  celle  do  l'art  classique  qui  pourrait  nous  fournir  les 
lumières  les  plus  directes  sur  l'influence  que  cet  art  a  exercée 
dans  l'Inde. 

L'archéologie  classique,  —  Cette  fois  il  semble  que  nous  ayons 
trouvé  une  source  d'information  plus  immédiate  et  plus  sûre.  On 
ne  s'est  pas  fait  faute  d'y  puiser,  et  nous  persistons  à  nous  croire 
en  droit  d'établir  (juelque  parallélisme  entre  les  vicissitudes  de 
l'art  hellénistique  dans  les  deux  moitiés,  occidentale  et  orientale, 
du  monde  connu  des  anciens.  Les  dilïicultés  ne  commencent  que 
quand  on  descend  dans  le  détail  et  qu'on  veut  fonder  la  cbrono- 
logie  de  tel  ou  tel  morceau  soit  sur  de  simples  considérations  esthé- 
tiques, soit  sur  des  rapprochements  entre  des  œuvres  qui  se  res- 
semblent des  deux  parts,  en  prenant  avantage  du  fait  que,  dans  le 
bassin  de  la  Méditerranée,  styles  et  objets  d'art  portent  leur  date. 
L'une  el  l'autre  démarche  oblige  à  d'infinies  précautions  quiconque 


f,18  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

veiil  la  mettre  à  l'abri  de  tout  reproclje,  sinon  de  tout  soupçon. 
En  pi-emier  lieu,  les  questions  de  style  sont  livrées  aux  discussions 
des  hommes,  et  leur  solution  est  sujette  à  des  écarts  considérables 
selon  les  experts.  M.  Goblet  d'Alviella  en  a  donné  un  piquant 
exemple  à  propos  du  reliquaire,  ci-dessus  reproduit  (fig.  7),  de 
Dell  Bîmarân.  rtOuaud  je  montrai,  éciit-il  (^',  ce  dessin  à  trois  des 
membres  les  plus  distingués  de  la  Société  d'archéologie  de 
Bruxelles,  deux  d'entre  eux  crurent  y  reconnaître  une  œuvre  occi- 
dentale du  x*"  ou  du  xi'^  siècle;  le  troisième,  professeur  d'histoire 
de  l'art,  opina  pour  une  origine  byzantine.  Cependant  nous  avons 
là  non  seulement  une  œuvre  essentiellement  indienne  ou  plutôt 
bouddhique,  dans  le  sujet  et  dans  la  facture,  mais  encore  une  des 
rares  productions  de  l'Inde  antique  qu'il  soit  permis  de  dater,  ou 
à  peu  près.  En  effet  on  a  recueilli,  à  côté  d'un  vase  en  stéatite  qui 
renfermait  le  coffret,  quatre  monnaies  en  place  portant  l'edigie 
d'Azès,  remontant  par  conséquent  au  dernier  tiers  de  siècle  avant 
notre  ère.  11  A  la  grande  rigueur  cette  trouvaille  prouve  seulement 
(|ue  le  reliquaire  est  postérieur  à  Azès  :  mais  la  caractérisation  si 
nette  des  deux  divinités  orantes  donne  à  penser  qu'il  est  en  tout  cas 
antérieur  à  celui  de  Kaniska  '-'  :  nous  voilà  bien  loin  du  compte  de 
MM.  les  archéologues  classiques.  —  Mais,  dira-t-on,  il  s'agissait  là 
d'un  spécimen  isolé  et  tout  à  fait  en  l'air  :  on  marchera  sur  un 
terrain  plus  solide  quand  on  pourra  faire  porter  le  poids  de  la  con- 
clusion chronologique  moitié  sur  une  œuvie  occidentale  et  moitié 
sur  son  pendant  oriental.  Nous  n'en  disconvenons  pas.  Encore 
faut-il  être  sijr,  pour  que  le  rapprochement  soit  valable  dans  le 
temps,  qu'il  soit  le  seul  possible  dans  l'espace.  En  termes  plus  expli- 
cites, il  sera  prudent  de  n'user  qu'avec  une  extrême  discrétion,  et 
seulement  au  cas  où  l'Orient  hellénisé  ne  fournirait  aucun  point 
de  compai'aison  plus  proche,  des  monuments  de  la  Grèce  et  sur- 

'''  Ce  que  riiide  doit  à  la  Grèce,  p.  ç)-2.         p.  36,  n.  i).  Qu'on  rapproche  nolam- 
''1  TeUe  est  aussi  l'opinion  fie  M.  J.  Ph.         ment  le  Brahnià  de  la  (!{[.  7  de  celui  de 
VoGEL  {A.  S.  /.,  Ann.  Rep.  igoS-ujog,        la  fig.  i55  (cf.  t.  1,  p.  SSij). 


LA   CRITIQUE  DES  DOCUMENTS.  /i70 

lotit  de  l'Italie.  Qu'on  veuille  bien  se  reporter  aux  observations 
que  nous  avons  déjà  dû  faire  à  propos  de  l'introduction  de  per- 
sonnages sons  les  acanthes  des  chapiteaux  corinthiens'').  Que 
reste-t-il,  vérification  faite,  d'une  des  assimilations  les  plus  sédui- 
santes qui  se  soient  présentées?  Nous  l'avons  en  fait  échappé  belle  : 
car  sur  la  foi  de  la  fausse  analogie  des  bains  de  Garacalla  il  eût 
fallu  faire  descendre  jusqu'au  milieu  du  ni"  siècle  après  notre  ère 
—  soit  deux  siècles  trop  bas  —  quehiues-uns  des  meilleurs  mor- 
ceaux de  Jamàl-Garhî. 

La  numismatique.  —  Une  ressource  subsiste  dans  ce  qu'on  pour- 
rait appeler  à  son  gré  les  plus  artistiques  des  documents  ou  les  plus 
documentaires  des  œuvres  d'art.  Au  milieu  de  la  mêlée  tourbillon- 
nante des  renseignements,  l'avantage  devait  forcément  rester  à  la 
phalange  serrée  des  quelque  3o,ooo  monnaies  découvertes  depuis 
lantôt  cent  ans  dans  le  INord-Ouest  de  l'Inde.  Porteuses  d'inscrip- 
tions en  même  temps  que  d'images,  elles  ne  se  contentent  pas  de 
nous  fournir  des  noms  et  des  efhgies  de  rois  ou  de  divinités  : 
les  lois  spéciales  (|ui  régissent  la  numismatique  permettent  encore 
de  sérier  chronologiquement,  selon  les  types,  les  modules,  les 
poids,  ces  inappréciables  données.  C'est  elle  qui  a  posé  en  axiome, 
avant  même  qu'elle  ne  fût  vérifiée  par  les  fouilles'-',  la  succession 
des  dynasties  indo-grecque,  indo-scythe,  indo-partlie,  indo- 
koushane,  et  établi  un  ordre  approximatif  à  l'intérieur  de  ces 
dynasties.  Assurément  son  témoignage  a  encore  besoin  sur  bien  des 
points  d'être  précisé  et  assoupli  :  en  dehors  de  lui  tout  n'est  qu'in- 
cohérence. Nous  V  recourrons  d'autant  plus  librement  que,  selon 
tonte  apparence,  les  inonnayeurs  indo-grecs  ne  sont  autres  que 
les  initiateurs  des  sculpteurs  gréco-bouddhi(jues,  avec  lesquels  ils 
finissent  ])ar  se  confondre  :  et  ainsi  nous  ne  ferons  après  tout  que 
comparer  deux  variétés  de  leurs  œuvres  et  comme  deux  laces  de 

'■'  T,  1.  p.  •...'Î6.  —  '''  Cf.  ci-(|pssus,  (.  II,  p.  '43.5- 'i3tl. 


/i80  L'ÉVOU'TION    l»H   F/KCOI.R    1)1!   C  VNDHÀRA. 

Ifiir  talent.  Aussi  l)ieii  avons-nous  déjà  couslaté,  chemin  faisant, 
plus  d'une  analogie  de  détail  entre  les  reliefs  et  les  médailles.  Tout 
semble  donc  nous  convier  à  établir  au  Gandliàra  un  parallélisme 
suivi  entre  le  dévelo])pement  de  la  glyptique  el  celui  de  la  sculp- 
ture, ces  branches  si  voisines  de  l'art.  Leurs  procédés  à  toutes 
deux,  étant  d'origine  hellénistique,  seront  également  portés  dès 
le  début  à  leur  perfection:  puis  tontes  deux  subiront  la  même 
sorte  de  régression  enti'e  les  mains  d'apprentis  indigènes  de  plus 
en  pins  inexperts,  jusqu'au  moment  où  la  tradition  greci|ue 
achèvera  de  se  perdre  dans  le  plus  lamentable  bousillage.  Telle  est 
bien,  en  efl'et,  nous  l'avons  vu''',  l'évolution  des  monnaies  du  Nord- 
Ouest  de  l'Inde  :  car,  par  une  chance  favorable,  c'est  sensiblement 
la  même  série  numismatiipie  qui  se  continue  ainsi,  des  pièces 
les  plus  belles  aux  plus  barbares,  |)endant  six  siècles.  Cette  fois 
ou  jamais,  nous  tenons  le  fil  conducteur  cherché  :  l'ordre  chrono- 
logique marchant  en  sens  inverse  de  la  valeur  esthétique,  ce  que 
l'école  indo-grecque  aura  en  de  mieux  sei'a  son  commencement  et 
son  histoire  deviendra  celle  de  sa  décadence.  Enfin,  pour  mesurer 
le  degré  de  celle-ci  nous  disposerons  d'un  étalon  infaillible  :  il 
sullira  d'en  juger  d'après  l'élimination  progressive  de  l'élément 
hellénique,  au  début  tout  à  fait  dominant,  et  qui  va  s'elTaçant 
peu  à  peu. 

De  notre  point  de  vue  européen,  cette  théorie  ne  peut  manquer 
de  nous  apparaître  comme  indubitablement  conforme  au  cours 
naturel  de  nos  pensées,  sinon  des  choses  elles-mêmes  :  mais  ce 
n'est  pas  une  raison  pour  fermer  l'oreille  à  la  fâcheuse  voix  de  la 
critique.  Si  la  corrélation  entre  le  monnayage  et  la  sculpture  était 
à  ce  point  étroite,  on  ne  comprendrait  plus  que  les  médiocres 
monnaies  des  Guplas,  sur  lesquelles  les  derniers  vestiges  de  lettres 
grecques  ont  achevé  de  disparaître,  soient  justement  contempo- 
raines  des   plus  belles    statues    de  Mathurà   et   de  Bénarès  (par 

"'  r.f  t.  II.  |,.  .05  et  '..■^7. 


LA   cniTIQUE  DES  DOCUMEMS.  /i81 

exemple,  lig.  555  et  587).  —  Pardon,  répoiidra-t-on  peul-être  : 
il  sulFit  à  l'argument  que  ces  statues  soient  justement  celles  où  le 
génie  indien  a  le  plus  évidemment  repris  le  dessus  sur  l'influence 
étrangère.  Ce  que  nous  soutenons,  c'est  qu'en  toute  occurrence 
l'élément  hellénique  est  forcément  allé  en  s'atténuant  et  que.  dans 
le  cas  particulier  de  l'école  indo-grecque,  le  mérite  artistique 
a  fléchi  de  façon  concomitante;  mais  nous  ne  prétendons  pas 
refuser  du  même  coup  tout  mérite  artistique  aux  écoles  indiennes 
postérieures.  —  L'aveu  est  précieux  à  recueillir,  et  il  n'était  pas 
mauvais  d'ahjurer  dès  à  présent  un  préjugé  qui  n'est  que  trop 
répandu  en  Europe.  On  ne  saurait  toutefois  se  croire  quitte  avec 
cette  seule  restriction.  Oublie-t-on  que  nous  avons  dû  également 
reconnaître  à  l'école  gandhârienne  une  certaine  individualité  locale 
et  sa  juste  part  d'originalité?  Puis  le  fait  que  les  destinées  de  la 
gravure  en  creux  ou  en  relief  ont  pu  ainsi  diverger  dans  l'Inde 
centrale  force  à  se  demander  si,  même  au  Gandliàra,  elles  sont 
restées  aussi  fidèlement  mêlées  qu'on  veut  bien  le  dire.  Notons  que 
leurs  procédés  et  conditions  d'exécution  sont  fort  loin  d'être  sem- 
blables. Certes  nous  professons  toujours  l'opinion  que  l'homme 
capable  d'exécuter  telle  monnaie  gréco-bactrienne  était  de  force 
à  camper  une  statue  :  qui  peut  le  plus  peut  le  moins.  Mais  la  réci- 
proque n'est  pas  vraie,  et  nul  ne  soutiendra  que  tout  bon  tailleur 
de  pierre  soit  en  état  de  graver  un  coin  et  de  frapper  un  flan.  Ceci 
est  un  métier  à  part,  où  les  commandes  sont  assez  rares,  et  qui 
dut  être  toujours  le  privilège  d'un  petit  nombre  de  spécialistes; 
le  tour  de  main  technique  du  graveur  en  médaille  avait  fort  bien 
|)u  se  perdre  alors  (|ue  les  ateliers  formaient  encore  d'Iionorables 
sculpteurs  (').  Bref,  il  est  toujours  permis  de  répéter,  après 
M.  Senart'-',   que   (hms  l'école  indo-grecque   la    sculpture    a  dû 

'''  licnvoynns    le    liicteiir   aux    judi-  Iiidiit,[.  If.  p.  78 :  il  en  ressort  claire- 

cieuses     réllexioiis    de     M.    A.     l'imtw  nicnl  que  les   ijeux  techniques  ne  sont 

{CEiwrcs,    I.   Il,    |).    lOo,   11.   1)   et  lie  pas  rigoui-eusement  connexes. 

M.    Fi.icET,  dans   Yliiipt-i-iul    l'iir.cllrcr  <if  ''"'  J.  .1.,  fév.-mnrs  i8f)o,  p.  i.ïi. 

(.  iNiiiiÀm,  -   II.  '■'i  I 


/i82  L'ÉVOLUTION   T)F,  L'KCOLE   DU  G\M)ll\r,\. 

suivre  une  (voliilion  analooue  à  ceiie  de  la  numismatique;  mais  il 
raiil  r(Mion((M'  à  calquer  pas  à  pas  le  développement  de  l'une  sui' 
celui  (le  raulie. 

L'ÉPHiRAPHiiî.  —  Qui  sait  d'ailleurs  au  juste  jusqu'à  quel  point 
valent  les  arguments  tirés  de  la  numismatique  et  combien  de  fan- 
taisies individuelles  et  de  caprices  du  hasard  se  dissimulent  sous  la 
fixité  purement  théorique  de  la  série  ?  Le  fait  seul  que  les  mon- 
naies doivent  être  elles-mêmes  rangées  au  nombre  des  productions 
de  l'école  indo-grecque  sulïit  à  vicier  quelque  peu  leur  témoi- 
gnage. Tel  est  en  elTet  le  maléfice  particulier  qui  s'attache  aux  arts 
d'importation.  Sans  doute,  dans  toute  histoire  artistique,  il  y  a  des 
éléments  de  variations  dont  on  doit  tenir  compte,  selon  que  l'ar- 
tiste est  plus  ou  moins  bon,  le  donateur  plus  ou  moins  riche, 
le  site  plus  ou  moins  voisin  des  grands  centres,  les  matériaux  dis- 
ponildes  plus  ou  moins  favorables  à  l'exécution  ou  à  la  conserva- 
tion des  (iMivres,  etc.  Mais  s'il  faut  encore  ajouter  à  toutes  ces 
raisons  de  perplexité  l'éventualité  perpétuellement  menaçante  que, 
jadis,  un  passant  ait  brouillé  comme  à  plaisir  la  contexture  de  la 
trame  dont  nous  tachons  de  démêler  les  fils,  mieux  vaut,  semblc- 
t-il,  renoncer  à  ce  vain  casse-tête.  Avouons-le  sans  ambages  :  il  ne 
subsiste  vraiment  qu'un  instrument  de  précision  pour  fixer 
l'époque  exacte  d'une  sculpture  déterminée,  à  savoir  les  inscrip- 
tions     Le  lecteur  qui  nous  voit  depuis  si  longtemps   nous 

débattre  et  nous  enliser  dans  les  sables  mouvants  de  l'histoire 
indienne  a  déjà  son  opinion  faite  :  les  inscriptions  nous  sauveraient, 
mais  il  n'y  en  a  pas.  —  C'est  en  quoi  il  se  trompe  :  il  y  en  a,  et 
tant  au  Gandhâra  que  dans  les  pays  circonvoisins  on  en  a  déjà  réuni 
une  quarantaine'".  —  Mais  alors  elles  ne  se  déchiffrent  pas?  — 
Pardon;  bien  que  le  caractère  si  cursif  de  la  kharosthi  soit  d'une 

'''  Nous  pouvons  renvoyer  le  loeteur  thian  Perioil  of  ln(Unnhistonj,lnd.  Aiiliq., 
aux  listes  de  M.  R.  D.  Banerji  [Lisl  oj  février  1908,  p.  67)  el  du  Prof.  J.  Ph. 
datcd KliaroM Inscriptions,  (hns  The  Scy-         Vogel   (Inscribcd    Gandltdra   Sculptures, 


LV   CRITIQUE   DES  DOCUMENTS.  483 

lecture  peu  facile,  cependant  elles  se  lisent,  et  même  elles  se 
comprennent,  le  pi'âkrit  dans  lequel  elles  sont  rédigées  voisinant 
de  près  avec  le  sanskrit.  —  Mais  alors  elles  ne  se  rapportent 
jamais  aux  sculptures?  —  Erreur  :  quinze  au  moins  d'entre  elles 
sont  directement  gravées  sur  des  bas-reliefs  ou  des  statues  de 
l'école.  —  Mais  alors  ces  inscriptions  votives  ne  sont  pas  datées? 
—  11  y  en  a  au  moins  deux,  sinon  trois,  qui  débutent  par  une  date 
clairement  lisible.  —  Mais  alors,  cju'attend-on  pour  faire  des 
œuvres  qui  les  portent  les  points  de  repère  dont  le  besoin  se  fait 
si  vivement  sentir?  —  Seulement  de  savoir  à  quelle  ère  leur  date 
se  réfère.  .  . 

Telle  est  l'ironie  du  sort.  Les  documents  qui  devaient  enfin  — 
suprême  recours  —  nous  apporter  quelque  sécurité  sont  la  source 
de  difficultés  nouvelles  et  ont  déjà  fourni  matière  à  des  discussions 
sans  fin.  On  n'attend  pas  de  nous  que  nous  prétendions  résoudre 
en  passant  les  épineux  problèmes  auxquels  tant  d'indianistes  émi- 
nents  se  sont  attaqués  sans  parvenir  à  s'entendre  t'I  Nous  ne  sau- 
lions  toutefois  nous  soustraire  à  l'obligation  de  prendre  parti  ou, 
jioiii'  mieux  dire,  d'introduire  dans  le  débat  les  conclusions  aux- 
([uelles  nos  documents  artistiques  nous  ont  nécessairement  con- 
duits :  car  là  se  borne  notre  rôle.  Tout  le  monde  s'est  d'ailleurs  mis 
d'accord  sur  le  fait  qu'il  n'y  a,  en  gros,  que  deux  solutions  pos- 
sibles, quitte  à  se  diviser  ensuite  tant  sur  le  clioix  à  faire  entre  elles 
que  sur  le  mode  de  leur  traitement.  Selon  la  première,  la  midtipli- 
cilé  des  peuples  f|ui  ont  dominé  l'Inde  du  Nord  suppose  une  variété 
d'ères  entre  lesquelles  se  répartissent  leurs  diverses  inscriptions. 
Quant  aux  ditlicultés  de  moindre  importance  que  laisse  subsister 
cette  première  complication,  elles  trouveraient  tant  bien  que  mal 
un  remède  dans  un  usage  qui  nous  est  familier  et  qui  est  posté- 

il;ins  A.S.L,   Ami.    Rcp.    i()oS-ir)oi,  '''  On  tiouvLTa  commodément  réunis, 

]).  aW). —  Bien  entendu,  nous  ne  faisons  sur  l'initiative  du  D'  l"".  W  .  Thomas,  tous 
pas  entrer  ici  en  ligne  de  eoraple  les  les  éléments  delà  cause  dans  le  7. /?.. 4.  S. 
inscrijition.s  de  iMatliurà.  de  igtS. 

3i. 


liSli  L'ÉVOLUTION  DE   LÉCOLE  DU   (lANDHÀRA. 

l'ieuremenl  attesté  dans  l'Inde  :  il  siiirimit  d'admettre  que  les  dates 
ont  pu  dès  lors  s'écrire  de  façon  abrégée  en  omettant  le  chiffre  des 
centaines,  et,  à  plus  forte  raison  (mais  cette  éventualité  est  ici  hors 
de  cause),  celui  des  milliers.  Les  lecteurs  désireux  d'entendre  les 
deux  sons  de  cloche  feront  bien  de  lire  les  critiques  que  M.  Fleet, 
le  champion  de  l'opinion  adverse,  a  dirigées  avec  une  verve  incisive 
contre  ce  double  expédient,  selon  lui  périmé.  Partisan  d'une  ère 
unique,  il  ramène  bon  gré  mal  gré  à  une  seule  série,  quel  que  soit 
le  chiffre  d'années  quelles  énoncent  ou  la  race  du  roi  qu'elles 
nomment,  toutes  les  inscriptions  sorties,  du  sol  du  Gandhâra  ou  du 
Penjàh.  Il  a  pu  ainsi  édifier  à  son  tour  une  théorie  d'une  rigueur  et 
d'une  simplicité  admirables.  En  fait  nous  ne  lui  connaissons  qu'un 
défaut  :  c'est,  comme  on  l'a  montré,  de  se  réduire  elle-même  à 
l'absurde  ('). 

UisE  HYPOTHÈSE.  —  Aussi  croyous-nous  devoir  renoncer  pour 
notre  part  à  imposer  à  la  manifeste  complexité  des  faits  ce  système 
de  simplification  à  outrance.  Dès  lors  nous  devons  retomber  dans  les 
anciens  errements  de  la  tf  pluralité  des  èresr)  et  de  cr  l'omission  des 
siècles fl,  sauf  à  prendre  nos  précautions  contre  les  défauts  les  plus 
évidents  de  ces  pis-aller.  Tout  d'abord  nous  nous  gardei'ons  d'attri- 
buer indistinctement  l'invention  d'un  comput  spécial  à  tous  les 
envahisseurs  qui  ont  successivement  défilé  au  Gandhâra;  nous 
réserverons  cet  honneur  à  ceux  d'entre  eux  qui  pouvaient  se  dire 
civilisés.  Il  paraît  à  première  vue  tout  à  fait  improbable  que  des 
Barbares,  comme  les  kusanas  et  les  Çakas,  aient  jamais  possédé 
de  fait,  sinon  de  nom,  une  ère  particulière'"-).  Nous  savons  en 
revanche  —  et  une  monnaie  de  Platon  le  confirme  à  propos (''  — 
que  les  Indo-Grecs  avaient  ado])té  celle  de  leurs  anciens  suzerains, 

'■'  Cf.  ci-dessous,  p.  hob.  cake   d'ExIirmc- Orient,    t.   III,    190.'!, 

'"'  Au   vi'  siècle  Song  l'un  a  encore  p.  lioli). 
trouvé    les    Heplillialiles    complètement  <''  Cf.  P.  Garbner,   CaL,  pi.  \I,   11 

brouillés  avec  le  calendrier  (Irad.  Cii\-  et  p.  20;  ou  E.  .1.  Rapson,  hicliiiii  Coins, 

VANNES,  daus  le  llnllclin  de   l'Ecole  Ivu'i-  p.  o ,  i>  20. 


LA   CP.ITIQUE  DES  DOCUMENTS.  /i85, 

les  Séleucides  (3i  2  av.  J.-C).  Les  Pahhnas,  de  leur  côté,  avaient- 
ils  apporté  avec  eux  dans  l'Inde  celle  des  Arsacides?  La  réponse  à 
celle  question  reste  incertaine,  et  la  branche  orientale  des  Parthes 
a  peut-être  choisi  pour  compter  les  années  un  point  de  départ 
autre  que  l'an  2/18  av.  J.-C.  Mais  il  est  un  fait  sur  lequel  nos  docu- 
ments nous  contraignent  à  des  afhrmations  positives  :  c'est  à  savoir 
l'emploi  courant  par  les  habitants  mômes  du  pays,  lesquels  étaient 
après  tout  aussi  policés  que  personne,  d'une  ère  proprement  indi- 
gène et  complètement  indépendante  de  celles  de  leurs  conqué- 
rants parthes  ou  grecs.  Il  serait  vraiment  par  trop  excessif  de 
n'oublier  dans  l'Inde  que  les  Indiens,  et  de  ne  tenii-  aucun  compte 
de  l'importance  des  changements  politiques  introduits  dans  le  Nord- 
Ouest  par  ce  qui  fut  peut-être  pour  eux  la  première  révélation  de 
leur  unité  nationale.  On  devine  que  nous  voulons  parler  de  ce 
Mauriju-hàla  dont  on  a  déjà  cru  lire  la  mention  — depuis  contestée 
et,  il  faut  l'avouer,  contestable  —  sur  une  inscription  de  l'Orissa''), 
à  l'autre  extrémité  de  l'empire  de  Candragupta  dont  ce  "  temps  n 
aurait  commémoré  l'avènement  au  trône  (322-821  av.  J.-C). 
Apparemment  le  rival  heureux  de  Séleucos  avait  cru  devoir  imiter 
sur  ce  point  son  exemple  ,  non  sans  faire  son  profit  des  circonstances 
qui  lui  permettaient  de  prendre  rétrospectivement  dix  ans  d'avance 
sur  le  grand  roi  des  \avanas.  Une  chose  du  moins'est  sûre  :  c'est 
que  l'existence  de  cette  ère  des  Mauryas  est  un  postulat  nécessaire 
de  nos  statues  datées.  Là-dessus  aucune  hésitation  ne  nous  demeure 
permise,  à  telles  enseignes  qu'il  nous  laut  délibérément  risquer 
sur  cette  exigence  impérative  de  nos  documents  la  valeur  histo- 
rique de  l'exposé  qui  va  suivre.  Mais  voici  le  plus  nouveau.  Non 
seulement  les  Indiens  du  Nord-Ouest  ont  continué  à  se  servir  sous 
le  joug  étranger  de  l'ère  qui  était  en  vigueur  parmi  eux  depuis 
qu'ils  avaient  été  annexés  à  l'empire  des  Mauryas  dans  les  der- 

'''  BhagvànlâlIxdrajî, /1(-/cs"(/hsi',iiV'wc  1910,  p.  So'i.  et  Prof.  Llders,  List  oj 
Congrès  des  Orieiikilisit's,  t.  Ili,  p.  i'j!\-  Briiltmi  Iiisciiplioiis,  n"  l3i5,  dans  Epi- 
177;  mais  cf.   Fleet   dans  J.  R,  A.  S.,         grapliia  Indica ,  vol.  X,  Appeudix. 


/,8G  I;KV0LUTI0N  de  L'ECOLE  DU  GANDIIARA. 

nières  années  du  iv''  siècle  avant  J.-C,  mais  encore  ils  l'ont  natu- 
lellenient  imposée  à  ceux  de  leurs  vainqueurs  qui,  n'étant  que  des 
Barbares,  n'en  possédaient  pas  de  leur  cru.  L'ère  employée  sons 
les  l'oisKusanas  et  à  laquelle  a  fini  par  s'attaciier  le  nom  des  Çakas 
débute  en  eiïet  en  78-79  ap.  J.-C.  avec  le  v""  siècle  de  celle  des 
Manryas,  dont  elle  n'est  que  le  prolongement  déguisé  sous  une 
appellation  nouvelle.  Telle  est  du  moins,  pour  reprendre  une 
expi'ession  anglaise,  rfl'liypothèse  ouvrière :i  —  ouvrière  de  vrai- 
semblance à  défaut  de  certitude  —  qui  nous  aidera  à  dresser  la 
charpente  de  notre  essai. 

§   II.     L\   FORMATIOiN   DE   l'eCOLE    (l"^""   SIECLE  AVA^T  .I.-C). 

Il  était  seulement  lionntMe  de  n'entretenir  dans  l'esprit  du  lec- 
teur aucune  esjièce  d'illusion  sur  le  caractère  problématique  et 
provisoire  de  la  construction  historique  que  nous  allons  édifier  sous 
ses  yeux.  Une  franche  erreur  peut  encore  contribuer  à  l'avance- 
ment de  la  science  :  ce  qui  est  pis  qu'inutile,  c'est  d'éluder  les 
questions  ou  de  ne  leur  apporter  que  des  solutions  à  dessein 
évasives.  Lors  même  que  nous  ne  réussirions  qu'à  esquisser  le 
plan,  à  dégrossir  quelques  matériaux,  à  poser  çà  et  là  quelques 
pierres  d'attente,  notre  efTort  ne  sera  pas  complètement  perdu. 
Or,  à  condition  de  nous  borner  à  ce  modeste  programme,  les 
moyens  de  l'exécuter  ne  nous  feront  pas  défaut.  Grâce  aux  nom- 
breux chercheurs  qui  nous  ont  précédé,  les  documents  sont  déjà 
entassés  à  pied  d'œuvre  :  il  ne  s'agit,  en  attendant  de  nouvelles 
découvertes,  que  de  les  faire  tenir  debout  en  les  étayant  les  uns 
par  les  autres;  et  plus  d'une  tentative  heureuse  a  déjà  été  faite  en 
ce  sens.  Nous  serons  également  servi  par  l'expérience  acquise 
ailleurs  et  les  lois  nécessaires  de  toute  évolution.  C'est  ainsi  que 
personne  ne  nous  demandera  de  justifier  l'ouverture  de  la  présente 
rubrique.  Sans  doute  la  naissance  de  l'Ecole  gréco-bouddiiique, 
provoquée  qu'elle  fut  par  l'invasion  successive  de  deux  éléments 


LA   FOinUTlON   DE   L'ÉCOLE.  'i87 

également  étrangers  à  son  pays  natal  du  Gandliàra,  ne  ressemblera 
que  de  loin  à  une  génération  sponlanée:  tout  de  même  il  faut  bien 
qu'elle  soit  née  et  qu'à  un  moment  donné,  qui  rcsle  seul  à  définir, 
elle  ait  créé  et  fixé  le  répertoire  dont  nous  avons  conservé  les 
débris.  Enfin,  pour  écarter  auUint  qu'il  est  possible  tout  élément 
d'appréciation  par  trop  personnel,  nous  nous  ferons  dans  les  cas 
douteux  un  devoir  de  suivre  les  opinions  moyennes  et  couramment 
acceptées  de  préférence  aux  bypothèses  isolées,  si  originales  qu'elles 
soient  et  si  brillamment  qu'elles  aient  été  soutenues^''. 

Le  cadre  génehal.  — Nous  avons  laissé  le  royaume  grec  de  l'Inde 
du  Nord  partagé  dès  le  début  par  Tambilion  de  deux  familles 
rivales.  En  Bactriane  et  dans  la  vallée  de  Kaboul  règne  la  lignée 
d'Iùikratidès,  tandis  que  le  Penjàb,  avec  Çâkala-Eutbydèmia 
comme  capitale,  est  devenu  le  siège  de  la  puissance  des  successeurs 
de  Dèniètrios.  Cependant,  entre  i/io  et  i.'3o  avant  .I.-ti.,  les  Çakas 
débordent,  comme  nous  l'avons  vu,  sur  la  Bactriane:  Ilélioklès 
l'évacué,  mais  il  l'éussit  à  fermer  derrière  lui  les  passes  de  l'Ilindou- 
kousb.  Détourné  par  ce  rempart  naturel,  le  flot  des  envaliisseurs 
se  rejette  dans  la  direction  du  Sud-Ouest  contre  les  Parthes  et  en 
moins  de  dix  ans  leur  tue  deux  rois,  Phraate  (i  38-i  28) qu'auraient 
tralii  ses  mercenaires  grecs,  et  son  oncle  Artabane  (lâH-iaS), 
frère  du  premier  Mitbridate.  D'aj)rès  Justin  ('-),  Mitbridate  II  le 
Grand  (128-88),  fils  d'Artabane,  aurait  seul  l'éussi  aies  refouler. 
Ils  refluèrent  alors  du  côté  de  l'Aracbosie  et  de  la  Drangiane,  dans 
ce  Çaka-stbâna  (aujourd'bui  le  Séistan),  où  ils  retrouvèrent,  sem- 
ble-t-il,  des  tribus  de  même  race,  déjà  sédentaires  et  plus  ou 
moins  teintées  de  civilisation  indo-iranienne.  Us  leur  apportèrent 
le  nombre,  elles  leur  fournirent  des  cbefs  :  et  c'est  ainsi,  croyons- 

'''  Aussi,  tout  en  acce[>tanl  la  respon-  H.  Oldenberg,  E.  J.  Rai'sox,  E.  Senart, 

saliilild  de  notre  système,  nous  range-  Vincent  Smith,  F.  \V.  Tiioas,  J.  Pli.  Vo- 

l'ons-nous  le  jilus  souvent—  nous  en  gei.  ,  etc. .  (juc  seuls  <les  desacronls  d'ordre 

demandons  pardon  à  M.  Fleeï  —  à  Lavis  secondaire  séparent  à  piesenl. 

de  MM.  A.-M.  Uover,  J.  IL  Muishall.  '''  .\i.u,  i-a. 


/i88  I.KVOLUTION    DK    I.V.V.OIK   DU  G  ANDII  \  lî  \. 

lions,  que  leur  horde  semi-barbare  pénétra  enfin  dans  l'Inde  par 
les  passes  (pii  conduisent  dans  le  bassin  inférieur  de  l'iiidus,  les 
inèiiies  qu'utilisèrent  plus  tard  les  premières  invasions  musul- 
manes C.  Peut-être  même  est-ce  à  cette  invasion  que  la  ville  de 
Moultàndut  de  rester  consacrée  au  culte,  moins  indien  qu'iranien, 
du  Soleil.  Que  se  passa-t-il  ensuite  ?  Nous  ne  savons  au  juste  :  mais 
c'est  en  vain  que  les  derniers  Indo-Grecs,  tels  que  Pbiloxène  et 
llippostrate,  se  transforment  sur  leurs  monnaies  en  intrépides  ca- 
valiers comme  pour  mieux  résister  à  ces  nomades  qui,  plus  encore 
que  les  Parllies,  vivaient  littéralement  à  cheval.  Quand  la  cf  plaque 
de  cuivre  de  Taxilai:  et  le  tccliapiteau  aux  lions  de  Mathuràw  nous 
renseignent,  nous  trouvons  partout  installés  des  satrapes  Çakas, 
—  les  premiers  en  l'an  72  et  78  dune  ère  inconnue^-'  et  sous  la 
suzeraineté  d'un  roi  des  rois  nommé  Mogas,  que  l'on  identifie  ha- 
bituellement avec  le  Mauès  des  monnaies.  Or  ce  Mauès,  sans  doute 
pour  affirmer  de  façon  plus  ostensible  la  transmission  de  souverai- 
neté, frappe  des  monnaies  directement  imitées  de  celles  du  pre- 
mier des  Indo-Grecs,  Dèmètrios.  Aussi  craignons-nous  que  les  nu- 
mismates n'aient  une  tendance  à  le  remonter  plus  que  de  raison, 
les  uns  disent  jusqu'à  l'an  120  avant  J.-G.  P'.  Nous  venons  de 
voir  qu'à  cette  date  les  Çakas  étaient  encore  occupés  à  se  frayer, 
les  armes  à  la  main,  un  chemin  à  travers  la  Parlhie,  et  la  con- 
quête de  tout  le  Nord-Ouest  de  l'Inde  ne  s'est  pas  faite  en  un  jour. 
Le  pouvoir  incontesté  de  Mauès  se  placerait  ainsi  au  plus  tôt  dans 
le  premier  quart  du  1*"'  siècle,  dont  ses  successeurs,  Azès,  Azilisès, 
etc.,  occuperaient  le  reste.  Désormais  il  n'est  plus   question   de 

'''  S'il  n'est  j);is   superflu    il'appoi lor  llii',    soil    l'an    70    (=2/18—178)   avant 

sur  ce  point  noti'e  témoignage ,  nous  con-  notre  bre  ? 

sidérons  que  l'idée  de  les  faire  descendre  '''  E.  J.  Rapson,  Iinlian  Coins,  p.  7, 

dans  l'Inde  par  le  Raçniir  est.  d'après  ce  S  a 9  :  il  est  vrai  que  P.  Gardner  (Cal., 

(pie  nous  avons  vu  des  moyens  d'accès  de  p.  xl)  allirnie  seulement  qu'il  est  rrim- 

i  pays,  une  aberration  pure.  CF.  F.  \V.  ))ossibIe  de  placer  le  roi  Mauès  à  une 


ce 


Thomas,    dans    J.    fl.   A.    S.,     190I),         date  plus  tardive  que  le  milieu  du  1"  siè- 
p.  2 1 6.  de  avant  J.-C.  n.  Nous  proposons  une  so- 

'"'   Faut-il  lire  l'an  [i]78  de  l'èi-e  pai-         inliuM  moyenne. 


L  \   FORMATION    l>E   LKCdLlv  i89 

doininalion  hellénique  dans  le  Pciijàb  ;  seule  la  haute  vallée  de 
Kaboul  olFrira,  jusqu'aux  premières  années  du  siècle  suivant,  nu 
refuge  inexpugnable  aux  derniers  héritiers  des  Indo-Grecs. 

Ainsi  s'organise  le  plus  simplement  lu  chronologie  du  f  siècle 
avaut  notre  ère.  Est-ce  à  dire  que  dans  ce  système  toutes  les  diffi- 
cultés s'évanouissent?  Bien  suspect  nous  serait  au  contraire  celui 
qui,  sans  le  secours  d'aucun  l'ait  nouveau,  prétendrait  dès  à  pré- 
sent les  lever  toutes.  Mais,  tel  quel,  celui-ci  satisfait  à  toutes  les 
exigences  raisonnables  de  notre  sujet.  La  pi'incipale  est  évidem- 
ment celle  qui  nous  a  incliné  à  prolonger  quelque  peu  la  durée 
de  la  domination  hellénique  au  Gandhàra.  Encore  ne  faut-il  pas 
oublier  qu'entre  les  premières  conquêtes  indiennes  de  Dèmètrios 
(vers  9  00  avant  notre  ère)  et  la  substitution  des  Çakas  aux  Ya- 
vanas,  nous  avons  à  loger  les  deux  tiers  au  moins  des  trente-sept 
Basileus  indo-grecs  connus  ;  et  il  n'est  pas  sur  que  la  liste  en  soit 
close'').  Même  en  mettant  les  dynasties  doubles,  est-ce  trop  de- 
mandei'  pour  tant  de  règnes  qu'une  marge  de  lao  ans?  Mais 
d'autre  pari,  il  serait  vain  de  vouloir  contester  que  la  juridiction 
des  satrapes  se  soit  étendue  de  Taxila  à  la  rive  droite  de  l'Indus, 
alors  que  nous  savons  qu'elle  a  remonté  la  rivière  de  Kaboul  jus- 
qu'au Kàpiça,  c'est-à-dire  jusqu'il  Jellalabàd'- .  Si  donc  le  Gandhàra 
fut  bien  le  berceau  de  l'école  gréco-bouddhique î^',  il  s'ensuit  que 
le  grain  semé  sous  les  dynastes  grecs  n'a  achevé  de  lever,  ainsi  que 
l'avait  pressenti  M.  SenartW,  que  sous  les  satrapes  scytho-parthes. 
Reste  à  savoir  si  tel  est  aussi  le  témoignage  des  monuments  con- 
servés. 

Les  documents  g4ndhârie\s.  —  On  ne  saurait  en  effet,  sous  pré- 
texte que  des  certitudes   manquent,  adopter  au  gré   de  ses  préfé- 

''1  Cf.  R.  B.  Whitehead,  Cat.  oj  coins,  '^'  Cf.  ci-dessus,  t.  II,  p.  /i43  et  suiv. 

Lahore,  igii  ,  p.  7.  et  ci-clessons,  p.  635  et  suiv. 

"'  Cf.   E.  J.   Rai'som,  Ancieiit   Iiulia,  ("  Juiirual  Asiatique,  lév.-mars  1890, 

p.  1  4  I  et  suiv.  p.  i55. 


'l'.to  i;evoluti(»\  de  L'ecole  du  gam)Ii\i;\. 

rences  n'importe  quelle  probabilité.  11  faut  eiicoi'c  (iiie  pas  nu  fait 
lie  vienne  pour  l'instant  heurter  le  système  préléré  ;  contre  un  tel 
bélier  il  n'est  aucun  de  ces  châteaux  de  cartes  qui  tienne.  yVussi 
notre  ])remier  soin  scra-t-il  de  rechercher  si  nos  sculptures,  nos 
monnaies,  nos  inscriptions  gandhâriennes  consentent  à  entrer 
sans  violence  dans  le  cadre  que  nous  venons  d'ajuster  à  leur 
intention. 

Les  statues  inscrites. —  Des  trois  statues  datées  que  nous  possédons, 
une  seule  nous  intéresse  directement  ici  :  c'est  le  Buddha(fig.  677) 
provenant  du  val  de  Loriyàn,  dans  les  montagnes  limitrophes  du 
Gandhàra  et  de  l'Udyàna,  et  sur  le  piédestal  duquel  M.  Senarl  a  lu 
la  date  Samv.  3i8(''.Si  mutilé  qu'il  soit;  il  porte,  comme  celui  de 
Chàrsadda  (fig.  àjS).,  dans  les  plis  de  son  manteau  la  marque 
(Tune  main  hellénisti(|ue  et  —  pouvons-nous  ajouter  à  présent  — 
la  preuve  de  son  antériorité  par  rapport  aux  Buddhas  de  kauiska. 
Aussi  M.  .1.  Ph.  Vogel  a-t-il  déjà  proposé  de  référer  le  chiffre  gravé 
sur  sa  base  à  l'ère  des  Séleucides  (3 12  avant  J.-C).  D'accord  avec 
lui  sur  les  prémisses,  nous  demandons  la  permission  d'adopter  une 
conclusion  légèrement  différente.  Autant  l'emploi  du  comput  grec 
nous  parait  à  sa  place  sur  une  pièce  officielle  et  gouvernementale 
par  essence,  comme  la  monnaie  de  Platon,  autant  il  nous  semble- 
rait difficile  à  justifier  dans  le  cas  d'un  ex-voto  privé,  émanant  d'un 
simple  donateur  indigène,  tel  que  le  Buddhaghosa  de  l'inscription. 
Or  nous  n'avons  le  choix  qu'entre  l'ère  des  Séleucides  et  celle  des 
Mauryas,  pour  la  simple  raison  que  toute  auli'c  nous  conduirait  en 
pleine  décadence  de  l'école.  Rapportée  à  la  seconde  (021  avant 
J.-C),  la  statue  de  Loriyân  serait  de  l'an  —3  et  fournirait  une  pre- 
mière confirmation  des  présomptions  que  nous  avons  déjà  accu- 
mulées en  faveur  de  l'existence  des    images   du   Buddha  dès    le 

"'  J.  A.,  mai-juiu  1899,  P-  ^^^-  —  ^"  coulraiie  assez  basse  (11"  siècle  après 

Est-il  nécessaire  (le  faire  remarquer  que  J.-C.?"),  et  qu'il  n'y  a  aucune  conlrailic- 

l'époque  du  s.u)pa  de  Ldriyàii-Tangai,  qui  lion  à  admeUre  des  dates  diiïérenles  pour 

nous  a  fourni  de  nombreuses  illustrations  des  objets  relevés  sur  le  même  site  ?  Cf. 

fig.  21.3,  220,  271,  etc.),  nous  paraît  ci-dessous,  p.  583. 


]A    For.M  \TI()\    DE    L'ECOLE.  V.H 

i"  siècle  avant  notre  ère^'J.  iNolons  que  snr  le  bas-rolief  (jni  décore 
le  piéJestal,  le  donateur  el  Indra  même  ont  justement  pris  soin  de 


'-™  illIP*''  9¥"^3(!^  '  #■ 


A£<m' 


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l'"lG.   ^l-J^-Zl^S.  Les    DEl  \    BUDMIIAS  DATÉS  (  cf.   p.   'njo,  5 'l 'l  ,   fj'lS,    7-.'8). 

Fig-.  l'ijy.  —  Musée  de  CalciiUa,  n°  ÙQOi.  Provenant  de  Loriijiin-Tangai.    Hauteur:  i   m.  Ga- 
Fig.  /i-jS.  —  Statue  de  Ràjar  :  la  tète,  rapportée,  a  été  supprimée  ici;  le  piédestal  est  reproduit 
à  part  sur  lafig.  i'Q. 

D'après  .1.  Pli.  VocEi, ,  /l.  .S,  /.  ,  Ann.  lUj}.  if)0.1-/j ,  pi.  I.MX  a  cl  /;. 

revêtir  le  costume  scyllie,  culotte  et   tunique  -  :   on   ne  saurait 
entrer  de  meilleure  srrfke  dans  nos  vues. 


c  Cr.  I.  II.  p.  /i38  ('[  suiv.  —   =    Cf.  L  II,  p.  88  et  92,  n.  2. 


'i92  L'EVOLUTION  DE   L'ECOLE  T)l!   (;\\l)ll\i;\. 

Les  types  monélaires.  —  Aulres  images  inscrites,  les  monnaies  sont 
susceptibles  de  nous  rendre  deux  sortes  de  services.  Trouvées  in  situ 
au  cours  des  louilles,  elles  datent  apj)roximativement  le  dépôt 
auquel  elles  sont  associées:  tel  est  par  exemple  le  cas  des  monnaies 
d'Azès  jointes  comme  offrandes  au  reliquaire  de  Dèli  BImaràn 
(fig.  7)  ou  déposées  sous  l'iconostase  du  rr temple  ionique ii  de 
Taksaçilâ  '').  A  notre  avis  leurs  catalogues  apportent  des  infor- 
mations encore  plus  sûres  par  le  simple  relevé  des  types  et  des 
motifs  qui  se  retrouvent  à  la  fois,  et  de  façon  évidemment  con- 
temporaine, sur  elles  et  sur  les  sculptures.  Peut-être  n'a-t-on  pas 
oublié  le  triton  qui  enroule  les  replis  de  ses  jambes  sur  les  mon- 
naies d'Hippostratos'-';  ni,  sur  les  mêmes  ou  celles  de  Polyxène, 
la  cité  coiffée  de  la  couronne  crénelée '•')  ou  la  déesse  à  la  corne 
d'abondance  (');  ni  comment  celle-ci  foisonne,  accompagnée  ou  non 
de  son  partenaire ,  en  passant  des  pièces  des  derniers  Indo-Grecs 
à  celles  des  premiers  Indo-Scyllies.  Le  rapport  le  plus  frappant  reste 
peut-être  celui  que  présente,  au  turban  près,  le  Pàncika  de  Laliore 
avec  le  type  monétaire  du  satrape  ('').  Mais  bien  d'autres  arrêtent 
l'œil  le  moins  perspicace.  Rappelons  la  Ménade  au  voile  de  la 
fig.  128,  qu'on  dirait  directement  copiée  de  celle  de  Mauès''');  la 
Yavanî  de  la  fig.  3^2,  qui  affecte  exactement  l'allure  et  le  costume 
de  l'Atliènè  d'Azès''');  la  INikè  à  la  palme  (cf.  fig.  88  a)  que  ces 
deux  rois  ont  encore  léguée  à  leur  successeur  Azilisès'*),  etc.  Cette 

">  Cf.  J.  S.  /.,t.  V,  p.  72  et  190  et  '■"'  Cf.  t.  I,  [>.   aiô   et  P.  Gardner, 

notre  lig.  110.  Tlie  roins  of  the  Greek  and  Sci/tltic  Liiigs 

'"'  Voir  1. 1,  p.  ai  2  et  cl.  lig.  la/i  avec  of  Bacivia  nuit  Initia  in  llie  ISrilisli  Mu- 
pi.  III,  19  (cf.  la  monnaie  de  Télù|)h(>,  seuin,  pi.  XVI,  9.  Comparez  aussi  la  pan- 
sur  Cal.  Lnhore,  pi.  IX,  x).  llière  (le  la  fig.  1  29  et  celle  des  monnaies 

<''  Voir  t.  I,  p.  3Go  et  II,  p.  68  el  cf.  d'AgathocIe  {ibil,  pi.  IV,  6-8). 

pi.  III,  90.  '"'  Nous  sommes  heureux  de  pouvoir 

'*'  Voirl. II, p.  i/i3etsuiv.,  17  1-173,  placer  ce  rapprochement  sous  l'autorité 

et  cf.  pi.  III,  12,  18;  IV,  7,  1 4,  16.  de   M.   P.  Gardner,  Grcelc  injtiieuce  ou 

'*'  Voir  t.  II,  p.  1 19  et  cf.  fig.  368  avec  Indian  Art,  dans  les  Traiisacl.  titird  Int. 

pi.   IV,    17    et    19.   Rappellerons -nous  Congi:  llist.   Iti'lig.,   Oxford,  1908,  II. 

aussi   le  type  des   assistants  laïques  de  p.  83. 

la  fig.  279?  Cl   Cf.  I.  Il  ,  |i.  170. 


LA  FORMATION  DE  L'ÉCOLE.  /i93 

séi'ie  d'analogies  dont  la  cohésion  (est-il  besoin  de  le  faire  remar- 
quer ?)  augmente  encore  la  valeur  probante,  nous  paraît  dater 
sûrement  du  i"  siècle  avant  J.-C.  les  premiers  exemplaires  de  ces 
motifs  décoratifs  et  de  ces  statues.  On  en  tronvera  peut-être  Ténu- 
mération  un  peu  courte  :  il  est  vrai,  mais  elle  vaut  à  elle  seule 
bien  des  pages,  car  c'est  une  pincée  de  faits. 

Les  modèles  liellénistiqnes.  —  A  côté  de  ces  rapprochements  décisifs 
viendront  se  ranger,  mais  en  seconde  ligne,  cenx  que  nous  avons 


l'ii".  47(1.  —  L'IssTicATinN  nii   BonHisiTifA  ET  DONATEun  (cf.  p.  () a ,  220-931,  548,  552). 

liiilish  Muséum.  Provenant  de  Polalu-Dhéii,  près  de  Ràjar.  Hauteur:  o  m.  iq. 

Picflcstal    inscril .  dit  de  HiislUnngar;  pour  la  ^latiic ,  cf.  Op.  -'178. 


pu  Faire  également  entre  les  productions  de  l'art  hellénistique  an- 
térieur à  la  conquête  romaine  et  celles  des  sculpteurs  gandhàriens. 
Le  moindre  défaut  de  ces  artistes  tard  venus  et  travaillant  en  des 
pays  neufs,  à  l'abri  du  contrôle  et  de  l'Iiumenr  fastidieuse  des 
connaisseurs,  est  la  manie  de  s'inspii'er  des  œuvres  en  vogue,  pour 
ne  pas  dire  tout  crûment  l'habitude  du  plagiat.  La  loi  du  moindre 
effort  devait  inévitablement  les  y  conduire,  et  c'est  ainsi  qu'ils  tra- 
hissent à  la  fois,  et  si  clairement,  leur  temps  et  leurs  origines.  Ici 
encore  il  sulbrade  récapituler  les  remarques  notées  chemin  faisant. 
Nous  avons  déjà  relevé,  au  cours  d'un  précédent  volume,  les  scènes 


'i9'i  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDinP.  \. 

de  Gigantomacliio  ou  les  Atlantes  ailés  qui  raj)|icllent  la  fameuse 
IVise  de  Pergaine  ;  les  jeux  d'Amours  renouvelés  des  eroloïKcnnia 
alexandrins  ;  ou  encore  les  quelques  vestiges  rencontrés  d'un  oi'dre 
indo-ionique  apparemment  antérieur  à  l'universel  engouement 
pour  l'acantlie  corinthienne f.  Depuis,  l'on  aura  vu  cette  liste 
s'augmenter  de  l'enlèvement  de  la  Nàgî,  imité  de  celui  de  Gany- 
mède'"'^',  et,  enfin  et  surtout,  de  la  pliqjart  des  types  utilisés  par 
l'iconographie.  (Ju'il  s'agisse  de  celui  d'Apollon  ou  de  Zeus,  de 
Dionysos  ou  d'Éros,  d'Héraklès  ou  de  Pau''),  tous,  dès  leur  appa- 
rition, se  rattachent  directement  à  des  modèles  hellénistiques;  et 
cette  fois  aussi  un  tel  faisceau  d'emprunts  ne  laisse  pas  d'avoir  son 
poids  dans  la  balance.  Où  l'on  devine  que  notre  embarras  com- 
mence, c'est  quand  il  s'agit  de  préciser,  parmi  tant  et  tant  de 
répliques,  quels  sont  les  spécimens  parus  les  premiers. 

Les  motifs  tndo-iranirns.  —  Voici  qui  complique  encore  le  pro- 
blème :  on  ne  voit  aucune  raison  pour  que  les  autres  éléments 
qui  entrent  dans  la  composition  du  répertoire  n'aient  pas  égale- 
ment participé  à  sa  formation.  Il  n'y  aurait  en  principe  rien  d'ab- 
surde à  faire  coïncider  l'adaptation  des  motifs  persans,  palmettes, 
nierions,  chapiteaux  persépolitains,  pyrée '*',  etc.,  avec  la  domina- 
tion des  Çaka-Pahlavas,  si,  chez  ces  demi-civilisés,  il  était  seule- 
ment permis  de  parler  d'une  tradition  artistique.  Et  peut-être  se 
souvient-on  que  la  question  a  déjà  été  posée  de  savoir  s'il  ne  con- 
venait pas  de  considérer  comme  ffprimitifn  l'emploi,  également 
constaté,  des  décors  et  des  symboles  (lotus,  balustrades,  arche  en 
fer  à  cheval,  arbre,  trône,  roue,  stupa,  etc.)  qui  sont  la  plus  au- 
thentique création  du  vieil  art  indien  f'^.  Rien  ne  serait  même  plus 
logique,  nous  l'avons  reconnu,  que  de  répondre  par  l'atlirmative. 
Iraniennes  ou  indiennes,  toutes  ces  reprises  sont  semblablement 
empruntées  à  ce  que  nous  avons  appelé  l'ancienne  école  :  et  de 

'■>  Cf.  t.  I,  p.  ai/i,  9.33,  ai/i.  (''  Voir  surtout  t.  II,  p.  36o. 

'''  Voir  t.  11,  p.   36  et  cf.  fig-.  3i8-  "  Cf.  t.  I,  p.  qos,  aa/i,  aGa. 

320.  <')  Cf.  I.  I,  i).  2i8el  suiv. 


LA   FORMATION   DR  L'ÉCOLE.  '.95 

même  qii';\  roriginc  (11111  métis  au  premier  degré  on  a  besoin  de 
deux  ascendants  de  race  pure,  aux  débuts  de  recelé  indo-grecque 
nous  placerions   au   même   litre  les    motifs    caractéristiqucment 


'^, ^-..  -  ._ 


''lu.   'iSi).  —  [il  i>i)iiA  m:  MoiitLE  am;ikn  (cl.  |).  3yO,.'li3,  h'i'\,  h.)n,  -K\-~n-\, 
Musée  de  Cali-ulla,  ii"  G.  IÙ8.  Provenant  de  Jnmàl-Garhi?  Ilinilnny  :  n  ni.  .'i-'i 


,91. 


indiens  à  côté  de  ceux  qui  sont  foncièrement  liellénisliqnes.  Mal- 
heureusement on  ne  tarderait  pas  à  s'apercevoir  que,  dans  la  jira- 
tif^uc,  les  règles  les  mieux  déduites  ne  compten*  parfois,  en  fait 
d'exemples,  que  des  exceptions.  Tout  dabord  nous  avons  déjà  pu 
constater  l'absence  totale  dans  les  fouilles  d'ensembles  décoratifs 


/i96  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÀRA. 

|mi'('inenl  indigènes  W;  en  rovaiiclio,  légion  sont  les  compositions 
gandliàrionncs  que  nous  savons  par  ailleurs  lardives,  et  où  cepen- 
dant décors  indiens,  pei-sans  et  grecs  contiuuent  à  s'entasser 
pêle-mêle  dans  une  conliision  telle  que  l'on  en  reste  d'abord 
déconcerté  ''^'. 

L'oeuvre  du  i"  siècle  ava^t  notre  ère.  —  Devons-nous  donc 
décidément  renoncer  à  tirer  du  seul  examen  de  nos  monuments 
aucun  renseignement  d'ordre  chronologique  ?  Il  est  temps  d'en 
finir  avec  cette  éternelle  question;  mais  nous  ne  nous  en  tirerons 
qu'à  condition  d'introduire  dans  le  débat  un  élément  d'apprécia- 
tion que,  jusqu'à  ])résent,  nous  n'avions  pu  faire  entrer  en  ligne 
de  compte.  Répétons-le  une  dernière  fois,  cela  dépend  des  espères  : 
et  ajoutons  que,  dans  tous  les  cas,  on  devra  soigneusement 
distinguer  entre  ce  que  traite  l'artiste  et  la  manière  dont  il  le 
traite.  Volontiers  nous  dirions,  en  outrant  à  peine  notre  pensée, 
qu'en  matière  de  chronologie  gandhàrienne,  le  sujet  n'est  rien  et 
le  style  est  tout.  Justement  parce  que  le  trait  dominant  de  l'école, 
après  un  éclectisme  qu'aucun  motif  ne  rebute,  est  une  routine  que 
ne  lasse  aucune  répétition,  la  façon  de  sculpter  y  est  infiniment 
plus  significative  que  ce  qu'on  sculpte.  Dès  la  seconde  moitié  du 
1'"'  siècle  après  J.-C,  quand  les  divers  ingrédients  dont  elle  est 
faite  auront  été  sullisamment  délayés  et  brassés  ensemble  dans 
les  ateliers  locaux,  le  gros  de  son  tieuvre  va,  hélas,  nous  apparaître 
comme  empâté  dans  l'uniforme  médiocrité  d'une  technique  ma- 
chinale et  molle.  Quel  que  soit  le  sujet  de  la  statue  ou  du  lias- 
relief,  ceux-ci  ne  mériteront  d'être  classés  sûrement  parmi  les 
œuvres  du  siècle  précédent  qu'autant  qu'ils  conserveront  la  trace  de 
([uelquc  tâtonnement  ou  garderont  nu  accent  de  nouveauté  plus 
facile  à  sentir  qu'à  décrire.  Gomme  nous  ne  pouvons  discuter 
chaque  cas  particulier  et  faire  l'histoire  de  chaque  type  —  ce  sera 

f    Vdii-  I.  Il,  |i.  ',('}■!  cl  cf.  p.  'iii'i.  —   '■    Cf.  1.  I,  [1.  o.ïS-aSg. 


LA   FOnvnTION    DE  LÉCOLl':.  '(07 

l'affaire  des  monographies  iuUii-es,  — ■  force  est  de  nous  borner 
à  rjiielques  indications  aussi  vagues  que  prudentes.  Que,  par 
exemple,  une  sculpture  nous  présente  des  types  vigoureusement 


l'"lU.    'iSl.   —   BlBDHA  AVANT   l'ÉPAILE   Dnon  E  et   les  pieds   DÉCOl  VEliTS 

(cf.  p.  334  .  5'i/i ,  S.-io,  55 A,  701-709  ,  709). 

Musée  de  Calculla,  n"  31/rjG.  Hauteur  :  n  m.  55. 

Sur  If  piédp^lai  In  fVi>ilo  ri'Iiidra-'  ,  ciilrf  tloux  Htidliisafh.i'ï. 

traités,  mais  à  peu  près  seuls  en  leur  genre,  comme  c'est  le  cas 
des  dieux  marins  delà  figure  19  G,  nous  lui  reconnaîtrons  volontiers 
le  caractère  d'un  premier  essai,  d'ailleurs  sans  lendemain.  Lors 
même  que  le  modèle  aura  réussi  à  s'imposer,  nous  placerons  de 


/i98  L'ÉVOLUTION   1)1-.   L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

])référencc  au  début  les  répliques  qui  portent  la  marque  du  ciseau 
duu  arlisto  do  race,  telles  les  figures  87  et  325  parmi  les 
Atlantes,  1  17  parnu  les  Amours  ou  t-2'd  parmi  les  Tritons.  Quand 
enfin  nous  nous  trouverons  en  présence  des  images  le  plus  com- 
munément reproduites,  conmie  celles  du  Buddlia,  nous  croirons 
discerner  les  prototypes  non  seulement  à  l'excellence  de  leur 
technique,  mais  surtout  à  ce  qu'ils  témoignent  d'efTorts  pour 
comprendre  et  pour  rendre  l'Ame  du  personnage  représenté  (cf. 
lig.  /iû5).  Qu'un  bas-relief  de  facture  tout  hellénistique  admette  en 
son  sein,  tel  un  corps  étranger  et  insulTisamment  assimilé,  le  vieux 
symbole  bouddhique  de  la  Prédication  (cf.  fig.  2  1  6  et  218),  il  y 
aura  de  grandes  chances  pour  qu'il  faille  le  rapporter,  sauf  véri- 
fication de  détail,  à  une  époque  où  l'école  n'avait  pas  encore  pris 
nettement  parti  et  achevé  de  stéréotyper  ses  modèles.  Devant  telle 
aulre  frise,  par  ailleurs  assez  médiocre,  un  détail  exceptionnelle- 
ment grec  pouria  nous  donner  la  même  chose  à  penser  :  c'est  un 
sculpteur  fraîchement  imprégné  des  usages  artistiques  de  l'Ionie 
qui  s'est  avisé  de  donner  sur  la  figure  1086  à  la  mère  du  dieu  des 
Indiens  le  char  attelé  de  lions,  véhicule  traditionnel  de  la  Magna 
Mater.  Nous  découvrons  des  laisons  encore  meilleures,  parce 
qu'elles  sont  plus  indépendantes  de  l'indice  personnel  de  l'auteur''', 
pour  assigner  une  haute  époque  à  ceux  de  nos  bas-reliefs  où  la 
taille  du  personnage  central ,  qu'il  s'agisse  de  Çuddhodana  (fig.  1  5  1), 
de  Màyà  (fig.  162),  du  Bodhisattva  (fig.  179,  ^^7)  ou  du  Buddha 
(fig.  289  et  957),  ne  dépasse  pas,  ou  à  peine,  celle  des  autres 
figurants.  Mais,  avec  tout  cela,  il  n'empêche  que  dans  l'immense 
majorité  des  cas,  nous  nous  sentons  à  nouveau  ballottés  sur  une 
mer  d'incertitudes  où  risquent  de  sombrer  par  contagion ,  en  s'en- 
traînant  l'une  l'autre,  nos  précédentes  conjectures:  car  pour  légi- 
liine  (|u'il  soit,  le  critérium  du  style  n'est  malheureusement  pas 
infaillible.  Aussi  sommes-nous  trop  heureux  de  raccrocher  toute 

'''  Cf.  l.  Il,  p.  3'io  el  ci-dessous,  p.  55o-55i. 


LA  FORMATION  DE   L'ÉCOLE.  'i!)9 

cette  flottante  chronologie  à  l'ancre  de  salut  des  monnaies  et  des 
inscriptions.  Cette  fois,  il  ne  s'agit  plus  d'impressions  subjectives 
ou  de  déductions  logiques,  mais  de  faits  précis,  palpables,  dont 
chacun  devra  tenir  compte  et  qui,  acceptés  de  bonne  foi,  ne 
semblent  pas  susceptibles  de  deux  interprétations.  La  trame  serrée 
des  médailles  indo-grecques  et  indo-scythes  retient  dans  ses  mailles 
plus  encore  de  motifs  décoratifs  et  de  types  iconographiques 
qu'elles  n'en  portent  figurés,  tandis  que,  debout  au  seuil  de  notre 
ère,  le  Buddha  de  Loriyân-Tangai  achève  de  rejeter  dans  le  passé 
l'éclosion  de  l'œuvre  la  plus  spécifiquement  gréco-bouddhique  de 
toutes.  C'est  pourquoi  nous  ne  craignons  pas  d'aflîrmer  que  la 
meilleure  partie  du  répertoire  de  l'école  s'est  constituée  au  cours 
du  !*"■  siècle  avant  J.-C. 

Est-ce  la  peine  de  revenir,  à  la  lueur  de  cette  conclusion 
ferme,  sur  les  conditions  historiques  de  cette  création?  Tout 
d'abord,  il  va  de  soi  que  nous  persisterons  à  en  attribuer  l'initiative 
au  talent  des  artistes  formés  dans  les  ateliers  de  l'Asie  antérieure 
et  qu'avaient  su  se  procurer  les  colonies  grecques  d'Alexandrie  du 
Caucase,  de  Peukélaôtis  et  de  Taxila.  Pas  un  instant  nous  ne  son- 
gerons à  en  faire  honneur  au  vague  philhellénisme  des  Parthes, 
tant  vanté  par  les  historiens  classiques  :  tout  au  plus  ces  heureuses 
dispositions  des  Arsacides  pourraient-elles  servir  à  écarter  d'un 
esprit  inquiet  la  crainte  que  le  royaume  indo-grec  ait  jamais  été 
isolé  et,  comme  on  dit,  coupé  de  sa  base.  Que,  pour  le  reste,  Çakas 
et  Pahlavas  n'aient  jamais  joué  dans  le  Penjàb  que  le  rôle  de 
spectateurs  et,  jusqu'à  un  certain  point,  de  bénéficiaires  de 
l'influence  hellénistique,  la  preuve  en  est  donnée  par  leur 
monnayage,  monument  de  servile  imitation.  Nous  n'irons  pas 
davantage  chercher  dans  le  goût  personnel  des  rois  ou  satrapes 
scytho-parthes  la  raison  d'être  des  motifs  iraniens  qui  entrent 
dans  la  composition  des  sculptures  gandhâriennes,  alors  que  nous 
les  avons  vus  s'introduire  dans  l'Inde  dès  le  temps  d'Açoka.  Encore 
moins  nous  attarderons-nous  à  discuter  le  paradoxe  qui  substitue- 


;-)()()  i;i;\  (11,1  Ti(i\  i)K  i/Kcoi,!':  di:  cwoiniiv. 

rail  pour  car.iflrriser  l'ocole  du  Gandliâra  fépithète  d'indo-ira- 
nicnno  à  celle  d"i;i(lo-n[recf|ue.  C'est  trop  maniteslemeiit  exagérer 
limportancc  de  l'apport  indirect,  par  l'intermédiaire  du  vieil  art 
bouddhique,  des  quelques  décors  persans  noyés  dans  la  variété 
de  son  répertoire.  L'élément  hellénistique  n'est  pas  seulement, 
quoi  qu'on  en  puisse  dire,  celui  qui  a  attiré  et  fixé  sur  elle  l'atten- 
tion des  archéologues  européens  :  c'est  encore  celui  qui  lui  a  ap- 
porté l'étincelle  de  vie.  Nous  avons  retourné  sous  toutes  ses  faces 
la  question  dos  rapports  de  l'Inde  et  de  la  Grèce  ;  sous  quelque 
angle  qu'on  l'envisage,  l'impression  reste  la  même  :  le  principe 
mâle  était  le  grec.  L'école  n'est  proprement  ni  la  renaissance  d'une 
branche  quelconque  de  l'art  oriental,  ni  le  produit,  inexplicable- 
ment engendré  à  distance,  de  cette  inlluence  cr  romaine '%  à  la(|uelle 
on  a  parfois  voulu  donner  le  premier  rôle  dans  son  élaboration  C  : 
elle  est  l'enfant  naturel  et  à  peine  posthume  de  la  domination 
hellénique  dans  le  Nord-Ouest  de  l'Inde.  Ses  premières  œuvres  sont 
bien  véritablement  nées  de  la  rencontre  cpii,  nous  l'avons  montré 
dans  le  précédent  chapitre,  devait  inévitablement  survenir  entre 
l'artiste  grec  et  le  donateur  indien  :  il  ne  s'est  agi  que  d'attendre  le 
nombre  d'années  nécessaire  pour  (jue  client  et  fournisseur  se  trou- 
vassent en  état  de  se  comprendre.  Par  ailleurs,  il  nous  avait  semblé 
que  Puskaràvati  était  le  théâtre  désigné  de  celte  heureuse  entente. 
Aussi  n'est-ce  pas  pur  effet  du  hasard  que,  dans  les  rares  cas  où 
le  lieu  de  trouvaille  des  pièces  que  nous  désignions  tout  à  l'heure 
est  notoire,  il  s'agisse  le  plus  souvent  des  environs  de  Chàrsaddai'-'. 
C'est  sur  les  recherches  pratiquées  aux  abords  des  principaux 
centres  de  la  colonisation  grecque  f[ue  nous  comptons  pour 
accroître  le  nombre  des  morceaux  susceptibles  d'être  rapportés 
sans  hésitation  au  i'"' siècle  avant  notre  ère.  Car,  il  faut  l'avouer,  et 
nous  l'avons  déjà  reconnu,  leur  liste  est  encore  restreinte.  11  est 

'''  Nous  rcvieiiilrons  plus  bas,  p.  533  '"'  Tel  est  le  cas  des  fig^uies  117,126, 

Pt  suiv.,  sur  celte  question  ou  plutôt  ce  'J78;  de  même  le  modèle  de  la  ligure  1 10 
malenleudu.  d'ailleurs  Incite  à  irsoudre.         a  Mè  trouve  à  Taksaçilà. 


I,  \    KdliM  \TI()\    l)K    l/KCOLK. 


"lOI 


inéiiio  permis  de  se  demander  si  cet  arl  li\bride  et  local  aurait 
dépassé  la  banlieue  des  grandes  villes,  et  si,  sans  l'intervention 
d'un  ou  de  plusieurs  lacleuis  nouveaux,  il  n'était  pas  voué  à  une 
aussi  prompte  résorption  par  le  milieu  indijjène  que  les  autres 
manifestations  de  la  civilisation  occidentale.  Pour  notre  part,  nous 


fSÊ^ 


FlG.    '|8!!.    —   BuDDIlA    ENSEKiN.lNT    (ri.   |1.    Ss'S.    55 'l  .    70I-7O2.   7OIJ  ) 

Musée  de  Lnhorp,  ii°  sr).  Ilatileiir  :  o  m.  Q'i. 


y  consentons  :  mais  en  même  temps  nous  tenons  qu'il  est  nécessaire 
d'admettre  —  et  ([u'il  est  permis  de  s'attendi-e  à  voir  confirmer 
par  les  fouilles  —  l'existence  d'une  |)remière  période  de  l'école 
du  Gaiulliàra  correspondant  par  sa  date  comme  par  son  inspira- 
tion à  la  période  hellénistique,  et  non  point  encore  gréco-romaine, 
de  l'art  méditerranéen.  Qui  réllécliira  verra  d'ailleurs  que,  faute 
d'ailmcllif   cette  époque  décisive  de  création  (jui  a  préparé   les 


502  L'ÉVOLUTION   DE  L'KCOLE  DU  GANDHARA. 

esprits,  distribiié  les  rôles  «lécoralifs  et  fixé  les  types  iconogra- 
phiques, 011  ne  comprendrait  rien  à  la  soudaine  multiplication 
des  sculptures  qu'il  va  falloir  attribuer  au  premier  siècle  de 
notre  ère. 

S  III.   La  floraison  de  l'école  (i^''  siècle  après  J.-C). 

Il  serait  oiseux  de  s'attarder  à  deviner  quelles  auraient  été  en 
d'autres  circonstances  les  destinées  de  l'école  :  mieux  vaut  tout  de 
suite  énumérer  les  trois  événements  principaux  qui  marquèrent  au 
Gandhâra  le  cours  du  1'='"  siècle  après  J.-C. ,  et  qui  eurent  tous 
trois  une  iniluence  inégale,  mais  certaine,  sur  le  grand  développe- 
ment qu'allait  y  prendre  l'art  bouddhique.  Le  premier  —  et  celui 
qui,  n'était  la  miraculeuse  conversion  de  Kaniska,  aurait  le  moins 
d'importance  à  notre  point  de  vue  —  est  la  substitution  de  la  do- 
mination des  Kusanas  à  celle  des  Çaka-Pahlavas  :  car,  si  la  période 
de  formation  de  l'école  est  à  cheval  sur  les  deux  dynasties  indo- 
grecque et  indo-scythe,  celle  de  plein  épanouissement  chevauche 
également  sur  celles  des  Indo-Parthes  et  des  Indo-Koushans.  Le 
second  est  l'extension  considérable  qu'a  prise  au  début  de  l'Empire 
romain  le  commerce  de  l'Occident  avec  l'Inde  :  et  ceci  nous  touche 
déjà  plus  directement,  tant  à  cause  du  rôle  d'intermédiaire  souvent 
joué  par  les  marchands,  et  des  importations  possibles  d'objets  d'art, 
qu'à  raison  de  la  facilité  croissante  des  voyages  et  de  l'effet  de 
l'augmentation  de  la  richesse  publique  sur  le  nombre  et  la 
splendeur  des  fondations  religieuses.  Enfin  le  troisième  fait,  et  de 
beaucoup  le  plus  intéressant  pour  nous,  est  la  diilusion  de  l'art 
classique  et  les  lointaines  migrations  d'artistes  dont  s'accompagna 
la  prospérité  économique  dans  toutes  les  parties  du  monde  connu 
des  anciens.  On  ne  s'étonnera  pas  que  l'école,  entraînée  dans  ce 
grand  mouvement,  se  soit  mise,  elle  aussi,  à  fleurir  avec  une 
abondance  extraordinaire ,  ni  que  l'éclat  banal  de  sa  prospérité 
ait  jusqu'à  présent  obscurci  aux  yeux  des  archéologues  la  hardiesse 


r,  \    FLOliAISON   1)K   i:VJ]()\AL 


r.03 


créatrice,   mais  eiicoi'e  peu    vulgarisée,  do    la  jiériode  d'élabora- 
tion (". 


FiG.  /i83.  —  Le  mkme,  stïi.isé  (cf.  p.  o'iS,  ^oi-to'J. 
Musée  de  Pèshawar.  Provenant  de  Sahri-Balilul. 
D'après  une  plmtogr.  de  VArch.  Siirve)j. 


"i))- 


Le  facteur  politique.  —  A  la  suite  de  fjuelies  circonstances  la 
souveraineté  du  Nord-Ouest  de  l'Inde  a-t-clle  [)assé,  pendant  la 


'''  M.  le  prnf.  A.  (ÎRi  NWEDEL  fixe  encore  l'origine  île  TeVole  à  3o  A.  D. 


.')()'(  i;i';\()Li  TKiN  DK  i/KdoiJ',  \n   v.\\\)\\\\\\. 

|)remière  moitié  du  i"  siècle  (1«  noire  ère,  des  nitiiiis  des  Çeikas  à 
celles  de  leurs  cousins  les  Pahlavas,  nous  ne  savons.  Le  fait,  attesté 
par  la  nnnn'smatiijne,  est  confirmé  par  un  texte  chrétien  et  par  une 
inscription  bonddliique.  D'après  les  Actes  apocryplies  de  saint  Tlio- 
mas,  c'est  le  roi  pnrtlie  Gondopliarès  rpie  l'apôtre  serait  venu  évangé- 
liser  dans  l'Inde;  et  ce  nom,  porté  par  de  nombreuses  monnaies, 
s'est  retrouvé  gravé  sur  une  pierre  de  Taklit-î-BaJiai  (''.  Celle-ci 
place  même  la  vingt-sixième  année  de  son  règne  en  1  an  loo  d'une 
ère  apparemment  ofiicielle  et  que  !<■  lapicide  connaissait  trop  bien 
pour  la  spécifier  davantage,  mais  dont  il  a  emporté  avec  lui  le 
secret.  Il  semble  que  ce  doive  être  celle  à  laquelle  nous  avons 
déjà  rapporté  la  menlion  du  roi  Mogas  en  l'an  ^8  :  car  il  s'agit 
dans  les  deux  cas  de  dynasties  iraniennes,  dont  la  seconde  même 
est  de  pure  extraction  partlie.  Seulement  l'identification  de  Mogas 
avec  Mauès  deviendrait  alors  intenable;  et  il  ne  suffirait  même 
pas,  pour  ai'rangei'  les  choses,  d'y  renoncer:  car  linscriplion  con- 
tinuerait à  placer  en  l'an  103  —  26  =  77  l'avènement  de  Gondo- 
pliarès à  un  troue  qui  nous  est  donné  comme  occupé  en  78  par 
Mogas,  et  ainsi  l'on  ne  ferait  que  tomber  d'une  dilllculté  dans  une 
autre.  Le  seul  remède  commun  serait  d'admettre  entre  ces  deux 
rtrois  des  roisu  un  intervalle  de  ])las  d'un  siècle.  Rapportée  dans 
ces  conditions  à  l'ère  partlie,  la  date  de  TakIit-î-Baliai  se  traduit 
par  l'an  55  après  J.-C.(-',  ce  qui  répond  bien  à  notre  attente.  Mais 
c'est  ici  qu'intervient  un  fait  nouveau  et  encore  inexpliqué.  Il 
existe  dans  l'Inde  une  ère  connue  sous  le  nom  de  Vikrama,  dont 
on   ignore  l'origine  exacte   et  dont  le   début  est  fixé  à   08/7  ans 


'''  Cf.  A.-M.  BoYER,  J.  A.,  mai-juin 
ir)i)A,  p.  i58.  —  Nous  ne  ferons  pas 
état  de  l'artrument  paléogi'aplii(pie,  car 
s'il  a  conduit  Biihler  à  placer  Gundopha- 
rès  avant  Kaniska  [liul.  Palœogr.,  p.  aS), 
il  a  détermin(î  M.  R.  D.  Iîaneiiji  [IikI. 
Aiil!//.,  {é\.  H)o8,  p.  /17)  à  le  placer, 
:ui  l'ouliaii'e,  après. 


'"'  2/18  —  3o3  =  +  55.  En  d'autres 
termes,  il  faudrait  lire  [i]78  pour  Mogas 
et  3o3  pour  Gondopliarès.  Dans  celte 
liy|)ollièse,  le  scriljc  n'auiait  écrit  io3, 
au  lieu  de  3 ,  qu'à  raison  du  récent 
cliangenient  de  siècle  et  pour  éviter 
l'incongruité  de  placer  eu  une  année  3 
ia  vingt-sixième  année  d'un  règne. 


L\   TLORAISOiV   1>K    l.'KCoLE.  505 

avant  la  noire.  Oi-,  calculée  d'après  cet  autre-  point  de  départ, 
l'année  io3  aboutit  à  l'année  /17  de  notre  style,  chiffre  trop 
voisin  du  preiniep  pour  n'être  pas  également  satisfaisant.  Si  cette 
l'éussite  n'est  (lu'un  ellet  de  hasard,  aucune  ne  pouvait  avoir  des 
cousé(piences  plus  lunesles  pour  la  chronologie  encore  balbu- 
tiante du  (landliàra.  Il  n'en  a  pas  fallu  davantage  [)Our  inviter  à 
rapporter  à  cette  même  ère  Vikrama  la  série  des  dates,  allant 
de  h  à  122,  (|ue  nous  possédons  d'une  tout  autre  dynastie,  celle 
des  Knsanas.  Du  coup,  Kaniska  s'est  trouvé  remonté  jusqu'au 
milieu  du  f  siècle  avant  notre  ère,  expulsé  d'autorité,  ainsi  que 
ses  successeurs  immédiats,  de  la  vallée  de  Kaboul  et  condamné  à 
cohabiter  dans  le  plus  inextricable  pêle-mêle  tant  avec  les  Indo- 
Scythes qu'avec  les  derniers  Indo-Grecs  ;  après  quoi ,  pour  raccorder 
la  théorie  avec  les  faits  acquis  d'autre  part,  son  auteur  s'est  trouvé 
acculé  au  parti  désespéré  de  rejeter  les  deux  Kadphisès  api'ès  le 
groupe  Kaniska-Vasiidêva  et  les  premières  conquêtes  des  kusanas 
après  l'apogée  de  leur  empire  —  ce  qui  est  proprement  mettre  la 
charrue  avant  les  bœufs. 

La  date  de  Kaniska.  —  Mais  ici  nous  abordons,  on  le  sait,  une  des 
questions  les  plus  controversées  de  l'histoire  de  l'Inde  '"'.  Elle 
paraissait  pourtant  avoir  de  bonne  heure  reçu  sa  solution.  Selon 
Fergusson  et  M.  le  Prof.  H.  Oldenberg,  Kaniska  avait  fondé  l'ère 
dite  Çaka  en  l'an  ■78/9  après  J.-C,  ce  qui  cadrait  parfaitement 
avec  les  données  de  la  numismatique.  Toutefois,  des  objections 
s'élevèrent,  dont  la  plus  topique  est  que  Kaniska  n'a  jamais  été  un 
Scythe;  et,  sitôt  ce  lien  rompu,  la  date  du  rshàh  des  shahs n  est 
partie  à  la  dérive,  tantôt  dans  un  sens,  tantôt  dans  un  autre,  au 
gré  du  llux  et  du  rellux  des  fantaisies  individuelles,  depuis  l'an  38 
avant  notre  ère  jusqu'en  l'an  278  après.  Nous  nous  serions  volon- 

'''  Il  sulFit  de  renvoyer  ici  à  l";uliele  J.lt.A.S..  année  igiH.  —  Noire  théorie 

de  M.  le   l'roC.   It.   Oi.denbrrc  dons  les  a  élé  coninuini(juée  à  la  Société  Asialiqne 

Nnclir.    k.  lien.    Iti'.vs.  Guliiiiyrii .    l'iiil.-  de    l'aris    dans   sa    séance  du    11    dé- 

Hist.  Kl.,   if)i  1  ,  p.  li-2']  et  suiv.,  et  an  ceniLre  if)i'i. 


m;  L'ÉVOLUTION   DE  L'ÉCOLK  DU  GAiNDHÀRA. 

tiers  borné  à  jeter  un  voile  pieux  sur  ces  divagations,  capables  de 
compromettre  la  réputation  de  l'indianisme.  Malheureusement,  il 
n'en  va  pas  de  Kaniska  comme  de  Gondopharès.  Son  nom  est  trop 
intimement  mêlé  à  la  légende  bouddhiqne  et  associé  à  une  fonda- 
tion religieuse  trop  importante  pour  que  nous  puissions  nous  en 
débarrasser  au  passage  avec  une  simple  mention  :  il  est  de  toute 
nécessité  que  nous  précisions  l'époque  à  laquelle  il  a  régné  sur  la 
terre  artistique  et  sainte  du  Gandhâra.  Or,  ce  qui  nous  a  dès 
l'abord  frappé,  c'est  qu'après  une  période  d'affolement  l'aiguille  de 
la  boussole  tendait  à  revenir  à  son  point  de  départ.  Parmi  les 
adversaires  les  plus  déclarés  de  la  tiiéorie  dite  de  l'ère  Çaka,  la 
plupart  en  venaient  à  placer  Kaniska  quelques  années  avant  ou 
après  la  date  initiale  de  cette  ère,  si  bien  que,  selon  l'expression  de 
M.  F.  W.  Thomas,  cr  c'eût  été  miracle  qu'il  l'eût  manquée  (')  n.  Aussi 
nous  préparions-nous,  sous  la  pression  unanime  de  nos  docu- 
ments et  sans  croire  manquer  de  respect  à  nos  savants  confrères, 
à  prendre  avantage  du  fait  que  l'archéologie  se  contente  de  compter 
par  lustres  pour  faire  l'économie  d'un  comput  de  plus. 

Il  nous  apparaissait  d'ailleurs  de  plus  en  plus  clairement,  après 
les  brillantes  controverses  dont  la  Royal  Asiatic  Society  avait  été 
le  théâtre,  qu'une  bonne  part  des  dilficullés  tenait  à  ce  que  dès  le 
début  la  question  s'était  trouvée  mal  posée.  S'il  est  bien  certain  que, 
comme  tout  le  monde,  Kaniska  a  eu  une  date,  il  est  infiniment 
douteux  à  nos  yeux  qu'il  ait  jamais  été  le  créateur  d'une  ère  t'^). 
Sans  doute  il  se  peut  que  nous  nous  trompions,  et  nous  ne  deman- 
dons pas  mieux  que  d'en  recevoir  la  preuve  :  mais  cette  preuve  est 
justement  celle  que  les  partisans  de  la  fondation  par  Kaniska  de 
l'ère  Vikrama  ou  de  l'ère  Çaka  ont  été  également  inqmissants  à  nous 
donner  :  et  ainsi,  jusqu'à  démonstration  du  contraire,  il  y  a  tout 

'''  Cf.  J.  R.  A.  S.,  1913,  p.  65o.  En  la  seconde  édition  de  son  Histoiij  h  irto 

effet,  M.  A. -M.    Boyer  ramène   la   date  (p.  2 i o  )  et  dans  son ///s/or^  »/  /"Vjic /lc( 

proposée  par  M.  Sylvain  Lévi  de  l'an  —  5  m  India  (p.  iSa)  à  78. 

à  l'an +  76:  et  M.  V.  Smith,  après  être  '"'  Cf.    les     observations     présentées 

descendu  jusqu'à  125,  est  remonté  dans  ci-dessus,  t.  II,  p.  484  et  suiv. 


L\   FLUH AISO.N    ])]■]   L'ECOLE. 


)07 


intérêt  à  ne  pas  embrouiller  les  choses  à  plaisir  en  mêlant  la  ques- 
tion de  l'ère  à  celle  de  la  date.  En  termes  plus  précis,  c'est  de  façon 
tout  à  fait  arbitraire  et  purement  gratuite  (jue  l'on  a  d'abord  lu, 
sur  la  série  des  inscriptions  portant  au  génitif  le  nom  de  Kaniska, 


Fir..  fiStt.  —  Lk  GiiAND  MinAciK  DE  ÇiiÀvAsTi  (cf.  |).  877,  38ii,  55'i,  r)G7-568,  <'(jo,  710). 
Musi'i'  (le  Pèsliaivar.  Provenant  ilc  Taliltl-i-hahui. 
Cf.  A.  S.  I. ,  Ami.  Hep.  igoj-S,  pi.  \LIV  c. 

les  chillres  d'années  3,  8,  1 1,  etc.,  comme  inaugurant  un  comput 
nouveau.  Ainsi  que  l'a  bien  montré  M.  Fleet  et  que  la  suite  de  la 
série,  3i,  Go,  7^,  98,  etc.,  avec  le  génitif  des  noms  de  Huviska 
et  de  Vàsudêva,  le  prouve  surabondamment,  ie  génitif  du  nom  du 


508  L'ÉVni.ITION   DE   L'ÉCOLE    1)1    C  \  \  DU  \  li  \. 

roi  n'a  aiicuneinent  ce  sens  sur  les  inscriptions.  II  signifie  simple- 
monl  :  |  sous  le  règne]  de  Kaniska,  de  Huviska,  etc.,  en  l'an 
3,  3  1 ,  etc.  d'une  ère  non  autrement  spécifiée.  C'est  à  ce  ])oint  de 
notre  raisonnement  que  nous  avons  été  très  vivement  frappé  par 
une  coïncidence  au  moins  singulière  :  l'an  78/9  de  notre  ère  com- 
mence exactement  le  v"  siècle  de  l'ère  indienne  des  Mauryas.  En 
effet  392/1  4-  78/9  =  /loo. 

Pourquoi  le  cacher?  Cette  simple  opération  d'aritliméti([ue  a 
été  pour  nous  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  un  trait  de  lumière; 
et,  après  tout,  il  n'y  a  pas  grand  mal  — puisqu'aussi  bien  nous  ne 
saurions  nous  en  dispenser  —  à  ce  que  nous  entreprenions  à  notre 
tour  d'ap|)rofondir  ce  douloureux  rc  secret  de  kaniska  n  dont  se  lan- 
guissent nos  études.  Notre  solution  a  du  moins  pour  elle  le  mérite 
de  la  simplicité  la  plus  extrême  :  et  en  effet,  il  n'y  avait  aucun 
secret.  En  fan  78/9  il  ne  s'est  rien  passé  de  particulier,  sauf  qu'on 
eut  à  enregistrer  un  changement  de  siècle,  phénomène  qui  dans 
toutes  les  è^s  se  reproduit  régulièrement  tous  les  cent,  ans.  kaniska , 
qui  peut-être  ne  coiimiença  à  régner  que  trois  ans  plus  tard,  n'eut 
absolument  rien  à  décréter,  mais  seulement  à  se  lais.ser  vivre.  Les 
donateurs  indigènes,  dont  les  nombreuses  inscriptions  nous  ont  été 
conservées,  ont  continué  paisiblement  —  aussi  bien  (notoz-le)  à  Bé- 
narès  et  à  Mathurà  que  sur  la  frontière  du  Nord-Ouest  —  à  dater 
leurs  inscriptions  dans  l'ère  indigène  traditionnelle  :  seulement, 
au  lieu  d'écrire  laborieusement,  comme  tout  à  l'heure  :  Sai/i.  m  c 
i  0  /i  ^  =  3i8,  en  sept  chiffres,  ou  Sam.  m  c  90  20  90  20  /|  =  38/i, 
en  neuf,  ils  font  désormais  l'économie  de  cet  appareil  décidément 
trop  encombrant,  et  écrivent  en  abrégé  :  Soin.  3,  1  1,  etc.  pour 
[^o]  3,  [h]  1  1,  etc.  Ceci  admis,  toutes  les  difficultés  tombent.  Les 
inscriptions  ne  sont  pas  datées  de  l'an  3,  11,  etc.  à  paitir  du  sacre, 
de  la  conversion  ou  du  concile  (ou  quoi  encore?)  de  kaniska, 
mais  de  l'an  [^0]  3,  [6j  1  1,  etc.  sous  le  règne  de  kaniska.  On  con- 
çoit qu'elles  déroulentl^avec  la  même  sérénité  la  série  des  années 
[^]3i  à[4]6o,  sous  Huviska,  76  à  98  sous  Vàsudêva,  etc.,  pour 


i,\  FLornisoN  ])]•:  i;ecole.  509 

lie  iiommer  ici  ([iio  les  principaux  membres  de  la  dynastie.  C'est 
seulement  quand  les  vassaux  des  Kusanas  continuèrent  machinale- 
ment ù  compter  jusqu'à  3io,  qu'ils  se  trouvèrent  avoir  créé  l'ap- 
parence d'un  comput  orifjinal.  Tel  fut  justement  le  cas  des  grands 
satrapes  Çakas  qui,  sous  la  suzeraineté  plus  ou  moins  elTective 
des  Kusanas.  conservèrent  longtemps  le  gouvernement  du  Sind  et 
d'une  partie  de  l'Inde  occidentale.  C'est  d'eux  que,  pour  le  plus 
grand  embarras  des  futurs  historiens,  l'ère  ainsi  prostituée  aux 
barbares  a  fini  par  prendre  son  nom  de  crscylhique^^,  sans  doute 
après  leur  écrasement  par  les  Guplas  à  la  fin  du  iv"  siècle,  et  afin 
de  la  mieux  distinguer  de  la  nouvelle  ère  nationale  instituée  ])ar 
les  restaurateurs  de  l'empire  \Iaurya  f).  C'est  à  eux  enfin  (jue,  sur 
la  foi  de  cette  désignation  tardive,  on  a  parfois  voulu  —  et  ici 
notre  théorie  rejoint  celles  de  Gunningham  et  de  M.  A.-M.  Boyer  — 
attribuer  sa  fondation  '-'.  Mais  ce  que  le  suzerain  n'aurait  su  faire, 
comment  le  vassal  l'aurait-il  fait?  En  réalité,  dans  ce  cas  particu- 
lier et  tout  à  fait  exceptionnel,  on  n'est  jamais  arrivé  à  dépister 
l'intervention  personnelle  et  certaine  d'aucun  souveiain,  grand  ou 
petit.  La  coutume,  mère  de  la  routine,  et  le  temps,  père  de  l'oubli, 
sont  seuls  responsables  de  toute  l'afTaire.  L'ère  dite  frÇakan  ou 
ffdes  rois  Çakasn  n'est  de  fil  en  aiguille  qu'un  avatar  méconnu 
de  l'ère  des  Mauryas,  artificiellement  rajeunie  de  quatre  siècles. 

Cette  conclusion,  qui  ne  compromet  personne,  ne  rend  pas  seu- 
lement compte  de  l'origine  mystérieuse  et  de  la  bizarre  appellation, 
quand  enfin  elle  en  reçoit  une,  de  cette  ère  indienne;  elle  fournit 
encore  la  clef  de  plus  d'une  énigme  accessoire.  Bornons-nous  à  en 

■''  D'après  M.  Fleet,  la  piemièie  nien-  mais  ceci  n'est  qu'unt  cnïncidenre,  notre 

tion  de  l'ère  sous  le  nom  d'ère  Çaka  da-  ère  élant  inexistante  pour  les  Indiens, 
ferait  seulement  de  5o5  {Journal  of  the  '^'  M.    A.-M.    Boyer   [J.    A.,  juillet- 

R()<ial  As'uUk  Socielji  of'Great  Britain  nnd  août   i8()7)  a  proposé,  comme  on  sait, 

Irelaiid,  1918,  p.  987).  —  C'est  encore  le  Ksaiiaràta  iNahapàna  de  Nàsik ,  tandis 

une  curieuse   roïucidence  que  1ère  des  i]ue  Gln-Mngiiam  [\iim.    Cliron.,    1888, 

Mauryas  date  de  822/1  avant  notre  ère.  |i.   282    et    1892,  p.    hh)  tenait   pour 

et  celle  des  Guptas  de   819/20  après:  Ghastana  (Tiaslanès)  d'iiyayinî. 


ilO 


L'ÉVOLUTION  DE    L'ECOLE   DU  GANDHARA. 


donner  deux  exemples  précis,  oiiiprimtos  l'un  à  l'histoire  et  l'autre 
à  la  légende.  Comment  expliquerait-on  que  les  Andliras,  ces  enne- 
mis jurés  des  Çakas,  aient  pu  employer  la  même  ère  que  leurs 
adversaires,  si  celle-ci,  loin  d'être  la  création  de  barbares  étran- 
gers, n'avait  été  au  fond  le  lien  commun  de  toutes  les  populations 
jadis  soumises  au  sceptre  des  Mauryas  ?  Du  même  coup  on  compiend 
pourquoi  les  nations  du  Deklian,  que  les  Guptas  ne  réussirent 
jamais  à  asservir  de  façon  durable,  ont,  avec  leur  conservatisme 
bien  connu,  persisté  à  s'y  tenir  et  l'ont  finalement  propagée  jusque 
dans  leurs  colonies  de  l'Indo-Cbiiie  et  de  l'Insulinde.  D  autre  part  il 
était  fatal  que,  parmi  les  peuples  à  la  fois  bouddliisés  etbarbarisés 
du  Nord-Ouest,  l'ère  indigène,  dont  le  point  de  départ  jn'écédail 
de  deux  générations  à  peine  la  propagation  locale  du  Bouddhisme, 
finît  par  être  considérée  comme  datant  de  la  mort  du  Buddha 
—  fait  infiniment  plus  saillant  devant  leur  vision  rétrospective  que 
l'avènement  d'un  empereur.  C'est  à  raison  de  cette  inévitable  con- 
fusion que  s'établit  danslesàmes  pieuses  la  croyance  traditionnelle, 
recueillie  par  Hiuan-tsang  au  Gandluira,  et  qui  voulait  que  Kaniska 
fût  monté  sur  le  trône  non  point,  comme  il  le  fit  en  eflet,  ioo  ans 
après Candragupta,  mais  600  ans  après. . .  le  Nirvana;  et  c'est  aussi 
pourquoi  des  textes  bouddhiques  et  Hiuan-lsang  lui-même  placent 
par  ricochet  Açoka,  que  trois  cents  ans  séparent  de  Kaniska, 
cent  ans  seulement  après  le  trépas  du  Maître  (''.  Et  qu'on  ne  s'étonne 


'■'  M.  Sylvain  ]A\'i  vient  de  monirer 
{J.R.A.S.,  igii,  p.  loiG)  que  le  té- 
moignage (le  Hiuan-lsang  au  sujet  de 
Kanisl<a  [Rcc,  1,  p.  99,  i5i;  Travck. 
1,  p.  -203,970)  est  emprunté  au  Vinuya 
desMùla-Sarvâstivndins,  rquedes  indices 
assez  nombreux  semblent  reporter  vers 
l'époque  de  Kanisiva  (cf.  Les  Eléments  de 
formation  du  Dknjàvadàna  dans  T'omig 
Piio,  1907,  p.  n/i  et  suiv.).  Du  même 
coup  le  chifTre  de  4oo,  adopté  par  les 
rédacteurs  de  ce  Vinaya ,  prend  une  im- 


portance qu'on  ne  saurait  nier".  —  Pour 
Açoka,   voir   encore  Hiuan-tsang  (liée, 

I,  p.  i.îo;  II,  85;  Trnt'els,  1,  p.  ^i)"]  ; 

II,  88);  Divydvaddna ,  p.  ioa  et  Avadd- 
naçataha,  éd.  Speyeb,  H,  p.  200.  —  Re- 
marquez qu'en  eU'et  Gandiagupla  monte 
sur  le  trône  en  Saa  av.  J.-G.(32a  +  80  = 
'102  ans  avant  Kanislia)  et  qu'Açoka 
règne  entre  a63  et  22/1(924  -i-8o  =  3o4 
ans  avant  Kaniska),  tandis  que  nous 
allons  placer  Kaniska  entre  80  et  1 10  de 
notre  ère. 


LA    FLORAISON  DR   L'ÉCOLK.  511 

pas  de  l'intérêt  que  nous  attaclions  à  ces  traditions  évidemment 
erronées.  Autant  il  serait  imprudent  de  les  accepler  sans  réserves, 
autant  il  nous  paraîtrait  insullisant  de  les  rejeter  purement  et  sim- 
plement :  il  est  encore  nécessaire  de  jusfilier  comment  elles  ont  pu 
germer  dans  les  esprits  et  surprendre  la  bonne  foi  populaire.  Or, 
c'est  ce  dont  notre  théorie  fournit  pour  la  première  fois  le  moyen. 


FlO.    'l85.    MkME    m  jet,    UKi;    UiDDUA    assis    à    l.'KllUIPtRNNK 

(cf.  p.  33'i,  828,  377-378,  567-.568,  586,  (igo). 
yfiisi'p  (Ir  Pi^xhawtir.  Prni:i>nai>t  âe   Tnhhl-i'-liahai. 


Mais  n'allons  pas  tomber  dans  le  travers  de  présenter  nue  simple 
hypothèse  —  nous  parîil-elle  avoir  de  [jrandes  chances  d'avenir  — 
comme  une  panacée  capable  de  redresser  à  elle  seule  toutes  les 
entorses  dont  boite  encore  l'histoire  ancienne  de  l'Inde  :  il  suffit 
que,  dans  le  petit  domaine  et  pendant  la  courte  période  que  couvre 
notre  sujet,  elle  nous  permette  d'harmom'ser  au  mieux  tous  les 
témoignages,  d'où  qu'ils  viennent. 


51^  i;i';\()i.i  ïi(t\  i)K  i/Kcoi.K  1)1   (;\M)ii\n\. 

Les  Kiisana.  —  Nous  n'oublions  p;\s  d'ailieiii-s  que  notre  con- 
naissance tic  l'état  j)olili(]uo  de  l'Iude  du  Nord  au  i" siècle  de  notre 
ère  repose  avant  tout  sur  les  Annales  chinoises,  commentées  par 
les  monnaies  et  les  inscriptions  indigènes.  Les  renseignements 
chinois  sont  même  si  explicites  que,  pour  une  fois,  ils  ont  mis  tout 
le  monde  à  peu  près  d'accord.  Chacun  répète  docilement  la  leçon 
qu'ils  nous  ont  apprise  :  comment,  lorsque  les  Yue-tche  firent  fuir 
devant  eux  les  Çakas  ''',  ils  cédaient  eux-mêmes  à  la  pression  de 
leurs  voisins  orientaux,  les  Huns,  auxquels  nous  ne  tarderons  pas 
beaucoup  à  avoir  all'aire;  comment  ils  quittèrent,  vers  l'an  i65 
avant  J.-C,  leurs  pâturages  du  Kan-sou,  à  la  frontière  do  Chine, 
pour  l'étonnante  migration  qui,  à  travers  toute  l'Asie  cimtrale, 
devait  les  conduire  jusqu'à  l'Inde;  et  comment,  en  l'an  128,  l'envoyé 
chinois  Tcliang  ivien  les  trouva  déjà  établis  au  nord  de  l'Oxus. 
rr  Quelques  années  plus  tardn,  ils  se  répandirent  au  sud  du  fleuve 
et  partagèrent  la  Bactriane  entre  leurs  cinq  hordes.  Admettons  que 
celte  répartition  et  l'adoption  d'un  genre  de  vie  sédentaire  leur 
aient  pris  le  temps  d'une  génération  :  crPlus  de  cent  ans  après,  le 
chef  du  clan  des  Kusans,  Kozoulo-Kadphisès,  attaqua  et  vainquit 
les  quatre  autres  chefs  {j'i1>-goii).  il  se  nomma  lui-même  roi  :  le 
nom  de  son  royaume  fut  Kusan'^'.n  Entendez  qu'il  fonda  une  dy- 
nastie de  ce  nom,  événement  que  d'autres  textes  s'accordent  à 
placer,  mais  avec  plus  de  précision,  aux  environs  de  l'an  9 5  de 
notre  ère  :  et  cette  date  est  d'autre  part  confirmée  par  la  façon 
dont  Kozoulo-Kadphisès  a  imité  sur  ses  monnaies  les  deniers 
d'Auguste.  Mais  l'hégémonie  sur  les  tribus  de  sa  race  ne  suflit  pas 
à  son  ambition  :  rrll  envahit  la  Partliie,  s'empara  du  territoire  de 
Kaboul;  en  outre  il  triompha  du  Pou-ta  et  du  Kaçmîr'^'  et  posséda 
entièrement  ces   royaumes,  n   Ces   conquêtes   nous   sont   données 

'''  Cf.  plus  liant,  t.  II,  p.  '187.  M.  A. -M.  Boyer,  ./.    1.,  mai-juin  igoo. 

<^'  Nous  suivons  la  tiailuclion  et  l"in-  '^'  Le  Pou-la  (cf.  itPaktuesn  et  rrpou- 

terprélation  de  Ed.  Ghavannes  [T'oiing  khtoiiT!)   serait  le  pays  de  Gliazni.    Par 

Pao,     mai    1907,    p.    187-194),    (pii  A /-/j/ii,  qui  désigna  plus  tard  le  Kàpira, 

sont  elles-mêmes  d'acconl  avec  celles  de  il  faut  entendre  à  cette  date  le  Kacniir. 


LA   FLORAISON   DE  L'ÉCOLE.  513 

comme  faites  aux  dépens  de  la  Parthie  (Ngaii-si);  et  ce  trait  est 
bien  conforme  à  ce  que  nous  avons  vu  de  la  domination  parthe  sur 
toute  celte  région.  Toutefois  les  documents  numismatiques  certi- 
fient que  le  roi  supplanté  dans  la  vallée  de  Kaboul  par  Kozoulo- 
Kadpbisès  fut  le  dernier  des  Indo-Grecs,  Hermaios.  On  a  beaucoup 
spéculé  sui-  le  fait  que  certaines  pièces  de  cuivre  portent  ces  deux 


Kl(i.    /iSO.    Sl'tClMEN    DE    ttDOUBLE    lillIXE"'    (  ff.    ]).    092). 

Fouilles  (If  Sii-    liirel  Smiy  à  Saltri-lliihlol. 
Cf.  .1.  S.  L,  Ami.  Ilff.  irju-is,  pi.  XXXVil. 

noms  conjugués.  On  a  imaginé  (|u'un  instant  b;  Kusana  et  le  Grec 
ont  battu  monnaie  ensemble,  voire  même  qu'ils  auraient  commencé 
par  sceller  sur  le  dos  des  Partbes  une  alliance  contre  nature  (''. 
Nous  préférons  pour  notre  part  une  explication  beaucoup  moins 
romanesque.  Faute  de  posséder  aucun  monnayage  de  son  cru,  le 
jab-gou  dut,  pour  s'en  procurer,  laisser  fonctionner  selon  sa  routine 

'"'    P.     Garuner,      (!(it.,      p.      xi.vili;  R.   R.  \\  iiiteiiead,   Cd/.   Laliorr ,  p.    ly-j 

E.  J.  Rai'son,  Indiaii  Coins,  p.  iC),  S  65;         et  cf.  J.R.A.S.,  igiB,  j).  966  et  io3'i. 

GANBIlAllA.  -   H.  3.3 


nutniE   n\r(uX4).K. 


fiU  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  TiV   CANDIlllIA. 

habituelle  lalelier  du  vaincu  :  c'est  peu  à  pou  (]u  il  (mi  vint  à 
ajouter,  puis  à  substituer  définitivement  son  nom  en  exergue. 
Exactement  de  même,  le  kalil'e  Omar  frappe  on  Syrie  à  l'efïigie  de 
l'empereur  Héraclius,  en  Perse  à  celle  du  dernier  des  SassanidesC. 
Par  ailleurs  les  acquisitions  territoriales  du  chef  turc  restent  en 
somme  limitées  à  l'Alghanistan  et  au  kaçmîr.  Il  a  franchi  avec 
l'Hindou-Koush  le  glacis  naturel,  ou,  comme  disent  les  Anglais,  la 
cf frontière  scientifique n  de  l'Inde;  déjà  il  en  tient  les  clefs  :  il  est 
réservé  à  son  successeur  de  pénétrer,  le  premier  de  sa  race,  dans 
celte  terre  promise  des  hordes  du  Nord-Ouest.  Poursuivons  en  effet 
noire  lecture  :  et  kozoulo-Kadphisès  mourut  âgé  de  quatre-vingts  ans 
(vers  60  après  J.-G.?).  Son  llls  Vima-Kadphisès  devint  roi  à  sa 
place.  A  son  tour  il  conquit  l'Inde  et  v  (Hablit  un  chef  pour  l'admi- 
nistrer. A  partir  de  ce  moment  les  Yue-tche  devinrent  extrêmement 
puissants.  .  .  -n  Est-ce  la  peine  de  faire  remarquer  que  cette  der- 
nière phrase  contient  la  condamnation  péremptoire  de  toute 
théorie  qui  voudrait  ne  faire  de  la  conquête  de  Vima-Kadphisès  que 
la  reprise  en  sous-œuvre  de  celle  de  Kaniska  "?  Kozoulo-Kadphisès 
nous  est  explicitement  donné  comme  le  fondateur  de  la  dynastie 
des  Kusanas  et  son  fils  comme  le  premier  d'entre  ces  potentats  qui 
ait  envahi  l'Inde  et  jeté  les  bases  de  leur  empire.  Auquel  des  suc- 
cesseurs de  Gondopharès,  nous  ne  savons,  mais  c'est  sûrement  à 
un  roi  parthe  c|ue  Vima-Kadphisès  enleva  le  Gandhàra  et  le  Penjàb 
entre  60  et  y 0  de  notre  ère;  et  peut-être  étendit-il  du  même  coup 
sa  domination  sur  les  satrapes  Çakas  et  Pahlavas  des  bassins  de 
l'Iudus  et  du  Gange. 

Ici  les  Annales  chinoises  nous  abandonnent  et  les  historiens 
européens  retombent  dans  leurs  divergences  :  pourtant  la  route 
s'étend  toute  droite  devant  nous.  La  première  mention  de  Kaniska 
est  faite  pour  le  moment  par  une  inscription  de  Bénarès  en  Snm.  3 
et  la  première  de  Huviska  enS(i>ii.  3i  par  une  inscription  de  Ràl- 

''  IL  f^woiv,  Ciit.  ili-s  inninuiira  muiulmaiics  d"  hi  liibliothhfiue  Nationale,  Klialife.i 
orientaux,  préface,  |i.  mi. 


LA  FLORAISON   DE   L'ÉCOLK 


515 


Bhadàr,  près  de  MalhuiaO.  ('/est  donc  eiilre  80  et  i  i  o  après  J.-C. 
que  nous  placerons  avec  confiance  le  règne  du  deuxième  grand 


•-^-  -"--'"-^Ti^i'iif^f 


'iH-.  —  Hiniii  DE  BASSE  ÉpnQDE  (cf.  p.  i35.  I  '18,  S.'iS,  Sijf)). 
Miisi'p  (le  Phhaivni:  Provniaiil  de  Sahri-Bnhtiil. 
r.r.  A. S.  {.,  .lu».  «f;i.  ir,,,-,s.  |ii.  \LI,  li(;.  16. 


empereur  bouddlinpie.  Kn  revanclie  nous  ignoi'ons  tout  des  cir- 
constances de  son  avènement,  (lomme  on  ne  lui  connaît  pas  de  iien 
de  parenté  avec  les  deux   kadpliisès,   nous  avions  été  tenté  un 

'''  Epigrapliia   liidini,  \III,   p.    i^;!.         gicdl  ]luseu)ii  at  Malhiinl,  p.  6ï),n"  Aji 
J.  P.  VoGEL,  Catalogue  nf  ilic    [vchœolo-        et  181,  etc.  Le  Vàsiska  de  l'an   19  (?), 


âlG  L'ÉVOLUTION    KE   LKCOLE  Dli   GANDH  À    A. 

instant  dimaj'/nfi"  une  sorte  d'nsiir|)iiti()n  du  trône.  Ainsi  qu'il 
advint  à  plus  d'un  des  rudes  envahisseurs  descendus  du  Nord- 
Ouost,  Vinia-Kad|diisès  semble  s'être  mal  accommodé  du  climat 
do  riude,  oh  les  Annales  cliinoises  stipulent  qu'il  préféra  installer 
un  vice-roi,  sans  doute  choisi  dans  son  clan.  Est-co  cette  vice- 
royauté  qui  i'raya  au  Kusana  Kaniska  l'accès  du  pouvoir  suprême  ? 
Nous  devons  avouer  que,  à  y  regarder  de  près,  aucun  indice  ne 
vient  corroborer  cette  supposition  qui,  au  premier  abord,  nous 
avait  séduit.  Le  premier  Kadphisès,  en  qui  nous  ne  pouvons  voir 
(|u"un  potentat  relativement  chétif  et  un  jnh-gou  encore  mal  dé- 
grossi, n'avait  jamais  pu  ou  su  trouver  un  artiste  capable  de  lui 
graver  pour  ses  monnaies  des  poinçons  originaux  :  et  c'est  ainsi 
que  nous  l'avons  vu  contrefaire  tantôt  celles  dun  roi  grec  et  tantôt 
celles  d'un  empereur  romain  (pi.  V,  1-2).  Au  contraire  les  gra- 
veurs de  son  fds  nous  ont  donné  de  lui  une  image  d'une  pi'écision 
tout  ethnographique  (pi.  Y,  3).  Qu'il  les  ait  recrutés  dans  sa  nou- 
velle conquête  du  Gandluàra,  nous  avons  deux  raisons  de  le  croire  : 
d'abord  l'excellence  du  travail,  puis  l'emploi  persistant  de  l'alpha- 
bet kliaimthi  dans  la  légende  du  revers.  En  tout  cas  nous  connais- 
sons grâce  à  eux  les  traits  et  le  costume  d'un  Kusana  aussi  bien 
que  ceux  d'un  Valois  ou  d'un  Bourbon.  C'est  très  exactement  le 
même  type  que  nous  retrouvons  sur  les  pièces  de  Kaniska  (pi.  V,  5,  7) 
et  nous  n'apercevons  pas  qu'il  ait  été  le  moins  du  monde  alliné  par 
le  contact  de  l'Inde  :  il  est  et  reste  le  Tarlare  dans  toute  son  hor- 
reur. Mais,  à  notre  point  de  vue,  il  y  a  ])is.  Un  observateur  que 
ne  hanterait  aucune  idée  préconçue  n'hésiterait  pas  une  minute 
à  déclarer  que  ses  monnaies  ont  dû  être  frappées  au  nord  du  Paro- 
pamise.  En  efTet  leurs  exergues  arborent  exclusivement  l'alphabet 
grec'"'  et,  des  quelque  trente  divinités  qui   figurent  au  revers, 

a^i  ou  a8.  n'a  jamais  dû  jouer  que  les  '''  Nous  ne  disons  pas  la  langue  grec- 
seconds  lôies,  puisqu'il  n'a  pas  laissi^  de  que:  cf.  lesobseivalions  de  M.  F.  W.  Tho- 
monnaies,  et  il  en  serait  de  même  du  m\s,  dans  J.R.A.S.,  igiS,  j).  6.30  et 
Kaniska  de  l'an  /i  i .  i  oi  3.  —  Est-ce  la  peine  de  répéter  à  ce 


LA   FLORAISON   DE  L'ÉCOLK.  517 

l'iininense  majorité  est  iranienne  ou  bien  porte  des  noms  iraniens''). 
En  un  mot  les  pièces  de  kaniska  peuvent  loien  être  encore  répan- 
dues dans  le  iNord-Ouest  de  l'Inde  :  aux  images  de  Çiva  et  du 
Buddlia  près,  elles  n'ont  litléralenient  rien  d'indien,  mais  lémoi- 


FiG.  488.  —  HÀniii,  AU  Kaçmîr  [fake  ict  profit.]  (cf.  p.  i  'l'i-i/if),  Go'i). 

Slatuc  Iroiiri'c  dans  le  Pâpaharana-I^dga  de  Brdr  (vallée  du  Liddai).  Ilaiitviir:  o  m.  G3. 

Cf.  Mémoires  co'.crruaitt  l'Asie  f>v'ti"il/jle,  I.  ji!.  LMII. 

giient  au  contraire  d'une  orientation  exactement  tournée  à  l'oppo- 
site.  Et  ceci  nous  donne  à  craindre  que  les  indianistes  ne  se  soient 
ci'éé  à  plaisir  de  graves  embarras  en  voulant  à  toute  force  faire  de 
ce  tt  fds  du  ciel  •»  et  de  ce  rt  sliâli  des  shahs  -n  un  maharaja  de  leur  façon 
et  le  fondateur  d'une  de  leurs  ères.  Ils  ont  beaucoup  trop  tiré  le 

propos  ce  que  nous  avons  dil  de  l'aljsence        chez  les  anciens  Bactiicns  (t.  11,  p.  hhh 

de  culture  nalionale  nou  seulemenl  riiez        el  igg)? 

les  Çakas  et  les  Turu.skas,  mais  im'me  '"'  Cf.  ci-dessus,  t.  Il,  ]).  ililirl  suiv. 


518  L'ÉVOLUTION   DK   LM':(:OLE  DU   (;\M»ll\i;\. 

Turc  à  eux.  Sans  doute  kaiiiska ,  (|uc  ce  soit  de  sou  l'ait  ou  du  fait 
de  son  prédécesscuir,  a  (Heiulu  plus  ou  moins  uoiuinalement  son 
pouvoir  sui'  le  cœur  rnènie  de  l'Inde,  peut-être  jusqu'à  Patna,  à 
coup  sûr  jusqu'à  Bénarès;  mais,  si  l'on  en  croit  la  tradition,  il 
aurait  (''gaiement  poussé  ses  conquêtes  jusque  ilans  le  Turkestan 
chinois  actuel,  et  nous  n'avons  aucune  raison  de  penser  qu'il  atta- 
cliàt  moins  d'importance  à  ses  possessions  des  bassins  de  l'Oxus 
ou  du  Tarim  que  de  l'indus  ou  du  Gange.  H  faudra  bien  que  les 
inilologues  se  résignent  à  rendre  la  meilleure  part  de  Kaniska  à 
la  Haute-Asie.  Quoi  (ju'ils  aient  pu  croire,  c'est  un  personnage 
dUn  tout  autre  acabit  qu'un  simple  roi  indien:  indo-bactrien  ne 
serait  même  pas  assez  dire;  souverain  d'un  empire  qui  servit 
de  trait  d'union  entre  l'Inde  et  la  Chine,  il  mérite  déjà  l'épithèlc 
de  sérindien. 

Le  rôle  de  Kaniska.  —  (les  constatations  ne  sont  pas  laites,  tout 
au  contraire,  pour  diminuer  l'importance  de  son  rôle  dans  la  suite 
de  notre  exposé  historique.  Nous  aurons  notamment  à  nous  souve- 
nir de  l'extension  de  sa  souveraineté  en  Asie  centrale  quand  il  sera 
question  de  l'influence  de  l'école  gréco-bouddhique  dans  ces  para- 
ges (').  Mais  dès  à  présent  rappelons-nous  bien  que  kaniska  est 
resté  avant  tout  connu  dans  la  tradition  populaire  sous  le  litre  de 
ff  roi  du  Gandhâran,  à  telles  enseignes  que  la  dynastie  locale  des 
Çàhiyas  se  réclamait  encore  de  lui  au  ix"  siècle  de  notre  ère  (-). 
C'est  là  en  effet,  dans  cette  sorte  de  vestibule  attenant  à  la  fois  aux 
plaines  et  aux  passes  montagneuses,  que  se  trouvait  le  centre  de 
gravité  de  son  pouvoir,  ou,  si  l'on  préfère,  le  point  vital  de  la  seule 
grande  artère  qui  fît  communiquer  les  deux  moitiés  de  son  empire, 
jeté  en  travers  sur  le  Toit  du  Monde  comme  un  bissac  sur  un  bât. 
On  conçoit  que  dans  l'intervalle  de  ses  expéditions  belliqueuses 
il  s'y  soit  plus  volontiers  tenu,  ainsi  que  l'araignée  au  milieu  de 

'''  Cf.  ci-dessous,  p.  662.  Nous  Irai-  '"'  Pour  les    références   relatives  aux 

terons  également  (p.  6/i5)  la  tpiestiou         rois    Çâhis  de  Kaboul,    cf.   ci-dessous, 
des  relations  de  Kaniska  et  de  l'an-lchao.        j).  ,^91 ,  n.  1. 


LA  FLORAISON  DE  L'ECOLE.  .".M) 

sa  toile,  prêt  à  parer  à  tout  événement,  soulèvement  intérieui'  de 
vassal  ou  empiétements  d'ennemis  sur  les  frontières.  Remarquons 
que  dans  cette  région,  ce  natif  de  la  Haute-Asie  était  à  mèuie  de 
choisir  à  son  gré  son  climat  et  de  goûter  tour  à  tour  la  doucmir 
des  hivers  indiens  ou  la  fraîcheur  estivale  des  montagnes,  ("est  là 
enfin  qu'il  se  serait  converti  au  Bouddhisme,  là  qu'il  aurait  bàli, 
dans  la  banlieue  de  sa  capitale  d'hiver,  Purusapura,  la  magnifuiue 
fondation  par  laquelle  il  voulut  commémorer  sur  place  ce  miracle  ''>. 
H  est  passablement  douteux  que  le  premier  Kadphisès  ait  eu  quel- 
que penchant  pour  la  Bonne  Loi''^).  Au  second  la  légende  Uiarostlù 
de  ses  moimaies  donne  le  titre  de  mâheçvara,  c'est-à-dire  çivaïtet'', 
ce  qui  ne  nous  a  pas  paru  après  tout  plus  étrange  que  d'entendre 
un  Héliodore,  fils  de  Dion,  s'intituler  vishnouïte  (^bkdgavala).  D  un 
autre  côté,  s'il  est  quelque  part  question  d'une  conversion  de  Gon- 
dopliarès,  c'est  au  christianisme.  Seul  kaniska,  que  ce  soit  par 
conviction  ou  par  politique,  aurait  embrassé  la  seule  i-eligion  qui 
put  servir  de  lieu  commun  entre  ses  hétérogènes  sujets.  Est-ce  à 
dire  qu'il  faille  faire  dépendre  de  cet  événement  sensationnel  la 
floraison  de  l'art  du  Gandhâra?  Nous  avons  déjà  mis  le  lecteur  en 
garde  contre  une  exagération  si  manifeste  ''').  Mous  croyons  savoir 
que,  sous  Gondopharès  comme  sous  Vima-Kadphisès,  l'école  avait 
poursuivi  paisiblement  le  cours  de  ses  destinées;  et  si  Kaniska  a  pu 
exercer  une  influence  favorable  sur  son  évolution,  ce  ne  sera  tou- 
jours pas  par  son  goût,  mais  seulement  par  son  zèle.  Un  néophyte 
fervent  n'est  pas  nécessairement  un  bon  connaisseur.  Que  l'exemple 
du  royal  bâtisseur  et  sa  protection  déclarée  aient  encouragé  (toujours 
comme  au  temps  d'Açoka'^))  la  multiplication  des  couvents  et  des 
sanctuaires  —  el  cette  fois  même  sur  les  deux  versants  des  Pàmirs  — 
le  fait  n'est  évidi'mment  pas  négligeable  et  méritait  d'èti'e  soigneu- 

'''   Cf.  I.  H,  |i.  i3ij.  nous  Irailuisons  le  piiikiil  iiiiihiçvara  (cf. 

'''  cj:  I.  II,  |).  ix3H.  t.  II.  p.  ;î(,.|,  11"  à  et  |).  /ir>7  ). 

C  Du    moins    c'est   ainsi    ijui;    nous  '''  Cf.  ci-dessus,  l.  H,  |>.  'i'i3. 

transcrivons  en  sanski'il  el  par  suite  que  '''  Cf.  ci-ilessus,  t.  ll.p.  'iiH. 


520  i;ÉV()l,l  Tl()\    l»F,  I/I'C.OIJ':  Dl"   (;\M)ll\li\. 

sciiHMil  consigné  ici;  mais  de  là  à  lui  altiibuer  une  aciion  jierson- 
nello  siii'  lo  dr'velo|)|ienient  esthétique  de  l'école,  il  y  a  aussi  loin 
que  (les  villes  d'Ionie  aux  steppes  du  Kan-sou. 

Le  facteur  t'coîsoMiQCE.  —  En  réalité  la  lloi'aison  de  l'école  a  ses 
racines  dans  des  mouvements  sociaux  dont  l'ampleur  déborde,  en 
même  temps  que  les  limites  du  Gandliàra,  les  opinions  religieuses 
et  l'éducation  artistique  de  ses  monar(jues.  Il  suffira  de  résumer 
ici,  mais  il  inqjorte  de  noter  le  fait  considérable,  et  d'ailleurs  bien 
connu,  du  développement,  déjà  i?  mondial n  pour  l'époque,  qu'avait 
piis  le  commerce  de  l'Empire  romain.  Notre  génération  se  souvient 
encore  du  profond  retentissement  qu'eut  au  xv"  siècle  la  l'eprise  des 
relations  maritimes  avec  l'Extrême-Orient;  elle-même  éprouve  les 
bienfaisants  efTets  du  raccourcissement  de  la  voie  trop  détournée 
du  cap  de  Bonne-Espérance  par  l'ouverture  du  canal  de  Suez  ; 
elle  pressent  les  résultats  plus  importants  encore  qu'apportera  dans 
le  prochain  avenir  le  raccordement  des  chemins  de  fer  de  l'Europe 
avec  ceux  de  l'Asie.  Or,  dès  le  début  de  notre  ère,  les  échanges 
avec  l'Inde  se  faisaient  de  façon  courante,  ou  tout  au  moins  annuelle, 
à  la  fois  par  deux  routes,  celle  de  terre  et  celle  de  mer.  Celle-ci 
menait,  grâce  au  jeu  périodique  des  moussons,  redécouvert  par 
Hippale,  des  ports  égyptiens  du  Golfe  Arabique,  à  travers  l'Erythrée, 
jusqu'à  ceux  de  la  cote  indienne  —  à  ceux  du  moins  qui  étaient 
accessibles  aux  navires  étrangers  :  car  l'Inde  connut  dès  lors  ce 
régime  des  tt  ports  ouverts '*' n  que  nous  voyons  encore  fonctionner 
en  Chine.  Les  détails  les  plus  circonstanciés  sur  cette  navigation  et 
le  genre  de  transactions  dont  elle  s'accompagnait  ont  été  consignés 
dès  avant  la  On  du  i"'  siècle  par  l'honnête  rédacteur  du  Périple  et 
sont  confirmés  par  Pline  l'Ancien  comme  par  Stiabon  (•^).  De  son 

'■'  AiroSeSe/^ f/eva  (désignés),  và^ii^ia  '•'  Stbabon,  II,  v,  12;  XMI,  1,  i3; 

(rt'jjuliers)  ou  erÔsafia    (légaux):    ainsi  Pline,    Histoire   naturelle,    XII,   Ai.  — 

les  qualifie  le  lexlc  du  Pcriple  (cli.   1,  Voir  siir  ces  questions  rinléressanl  ar- 

82;  II,  ai,  35;  62).  ticle  de  M.  Vidal  de  I^ablache,  Comptes 


L\   FLORAISON^   DE  L'ÉCOLE.  521 

cùlé  IHolôinée,  au  milieu  du  ii''  siècle,  nous  reuseigne  sur  la  route 
(le  terre  la  plus  iVérjuentée,  celle  qui  avait  été  suivie  ])ar  Isiilore 
de  Cliarax,  l'envoyé  d'Auguste''',  et  qu'on  pouvait  appeler  la  route 
du  Nord.  Son  grand  souci  était  en  elTet  d'éviter  les  déserts  de  Perse 


FiG.  /i8().  —  PiiKHiiiiii;  MtDirvTioN  di:  Iîddiiisattva  ,  a  Mathuhà  (cf.  p.  606). 
Musée  de  l.akhmui.  l'nn'enniil  du  rtjait  Mniiiid-^.  ilauleur:  0  m.  50. 


et  de  Caranianie  ;  et  c'est  pourquoi  de  l'Euphrate  elle  gagnait 
d'abord,  par  le  fameux  défilé  de  Zagros,  Ecbataue  (Ilamadan);  puis, 
par  les  Portes  Caspiennes,  entrait  en  Hyrcanie;  et  enfin,  à  travers 
les  régions  les  mieux  arrosées  de  la  Partliie  et  de  la  Margiane 


rendus  de   V Académie  des  Inscriptianx  et        qucs. — Il  s'agit  probablcnu^nl  de  l:i  ville 
Belles-Lettres,  i8f)G,  p.  Ii5i)  et  siiiv.  de  Cliarax  située  à  l'emboucliiiie  du  Tigre 

''•  i^Ti^fiOf  M'xpdixot  ou  l^tiijii's  pinilil-         et  de  rRiiplirato. 


ri22  L'ÉVOLUTION  DK   L'ÉCOLE  DU   (;\M)ll\n\. 

(Merv),  se  diri{;e;iit  di'oit  sur  Bactres  (Balkli).  Là  elle  birui'([uait  : 
ruuc  (les  brandies  coiiliniiait,  comme  nous  verrons  l)ienlnt,  clans  la 
direction  du  Nord-Kst,  à  Iravei's  l'Asie  ccnirale,  jusqu'au  pays  des 
Sères  ;  l'autre  descendait  au  Sud-Kst,  par  les  passes  de  la  vallée 
de  KAhoul,  vers  les  bazars  et  les  ports  de  l'Inde.  Tel  était  du 
moins  le  grand  tt  Trans-iranien  ^i  du  temps.  Nous  ne  pouvons  entrer 
dans  le  détail  des  chemins  d'intérêt  secondaire ,  ceux ,  par  exemple , 
(|ui  menaient  également  aux  bords  de  l'Indus  en  côtoyant  le  ver- 
sant sud  de  l'Hindou- Koush,  soit  par  l'Arie  (Hérat)  et  Kaboul, 
soit  par  la  Sakastèue  (Çaka-stbàna,  Seistàn)  et  l'Arachosie  (Kan- 
dabai'),  en  un  mot  ])ar  Itclnde  blanche n.  Mentionnons  toutelois 
comme  un  intéressant  nioyen  terme  entre  les  deux  grandes 
voies  de  terre  et  de  mer,  celle  mi-maritime  et  mi-terrestre  du 
Golfe  Persique. 

Tous  ces  faits  sont  du  domaine  commun  :  mais  il  peut  être 
intéressant  de  signaler  que  l'Inde,  à  son  habitude,  nous  laisse 
deviner  ce  que  les  textes  classiques  nous  apprennent  explicitement. 
De  cette  activité  commerciale  elle  a  conservé,  notamment  dans  les 
livres  bouddhiques,  plus  d'un  souvenir.  11  en  est  de  fort  vagues, 
tels  que  les  perpétuels  récits  de  voyages  au  long  cours,  par  cara- 
vanes ou  par  bateaux,  qu'entreprennent  les  marchands  des  contes. 
11  en  est  de  plus  précis,  comme  la  mention  dans  le  Sàlràhnhdra  du 
négociant  de  Taksaçilâ  qui,  ruiné,  s'en  est  allé  refaire  sa  fortune 
dans  le  pays  de  Ta-tsin  ('■  :  car  par  ce  nom  tous  les  sinologues  enten- 
dent l'Orient  romain  ou,  plus  précisément,  la  Syrie;  et  d'autre 
part,  si  le  témoignage  est  bien  d'Açvagbosa,  il  remonterait  au 
moins  au  \f  siècle.  Enfin  l'indianiste  détient  sur  ce  point  d'histoire 
des  documents  historiques  au  premier  chef:  telles  les  inscriptions 
laissées  dans  les  hypogées  du  Koiikan  par  la  colonie  Yavana  (on 
dirait  aujourd'liui/e/'m^/«)  des  ports  ;  telles  les  monnaies  romaines 
trouvées  en  si  grand  nombre  dans  le  sol  de  l'Inde ,  depuis  les  passes 

I''   Trad.Ed.  HiJBER,  p.  /lOi. 


I.  \    FLOIÎ AISON    DE   LËCOLE. 


523 


de  l'Afghanistan  jusqu'à  la  cote  du  Malabai't''.  L'étonnante  dilFusion 
de  ces  dernières  est  clairement  commentée,  du  côté  européen,  par 


FlU.    'ir)().    PÀSClKA-MAUÀkÀLA  ,   À    MaTIIUIIÀ    (ff.   |l.     1  :!  5  ,     1-2-].     l-'l'J.    flO^i). 

Miisre  de  Malliunl,  n°  C.  'i.  Hauleuv :  o  m.  5o. 


les  doléances  de  Pline  l'Ancien  et  de  Tacite'-'  sur  les  centaines  de 
millions  de  sesterces  que  coûtait,  bon  an  mal  an,  à  l'Empire  ro- 
main la  coquetterie  de  ses  femmes.  Elle  n'est  pas  moins  nettement 

f   Cf.  Vi.SEvyEU.,  rtoman  Coins  in  hidia,  '''   Punk, //îs/. /V((^,  VI,  26  et  \il, /ii; 

dans  le  Joiini.  nf  tlie  Royal  Asiatir  Socicli/  Tacite,  Annales,  III,  52  (par  la  bouche 
0/  Gnal  Ur'.Uiin  and  Ircland.  orl.  igo4.         île  rempereiir  Tibère). 


r)2'i  L'KVOr.UTION  DE  L'ECOLE  DU  GANDII  \R.\. 

soulignée  du  côté  indien  par  la  substitulion  qui  s'effectua  vers  ce 
même  temps,  dans  l'usage  de  la  langue,  du  mot  f/mw/ra  (denier) au 
mot  drommo  (draclime).  On  a  même  pu  chercher, et  non  sans  vrai- 
semhlance,  dans  cet  afTlux  du  numéraire  occidental  la  principale 
raison  de  la  double  nouveauté  numismatique  (|ue  constituent,  d'une 
part,  l'abondance  et  peut-être  aussi  le  poids  du  monnayage  d'or 
des  Kusanas,  de  l'autre  le  caractère  semi-cosmopolite  à  lui  conféré 
par  l'usage  exclusif  de  l'alphabet  grect''. 

De  ces  considérations  d'ordre  économique  que  devons-nous  sur- 
tout retenir  à  notre  point  de  vue?  Au  moins  trois  choses,  semble- 
t-il.  Tout  d'abord  sur  l'immense  circuit  fermé  qui  mène  ou  ramène, 
par  terre  ou  par  mer,  d'Alexandrie  dans  llnde,  le  Gandhàra  occupe, 
pour  ainsi  parler,  l'autre  pôle  de.  la  courbe.  Non  seulement  la 
grande  route  de  terre  y  conduit  directement  ;  mais' le  Périple  nous 
avertit  en  propres  termes  qu'en  dépit  de  la  distance  le  grand  port 
de  Barygaza  (Bharukaccha,  Barotch,  Broach),  près  de  l'embou- 
chure de  la  Narmadda —  et  non  point  seulement,  comme  on  aurait 
pu  s'y  attendre,  celui  de  Barbarikè,  dans  le  delta  de  l'Indus  — 
était  considéré  comme  le  débouché  maritime  de  la  Proclaïde  <-'.  De 
fait,  si  Apollonios  de  Tyane  est  censé  avoir  gagné  Taksaçilâ  à  tra- 
vers la  Parthie'^',  c'est  parla  voie  du  Golfe  Arabique  que  l'apôtre 
saint  Thomas  se  serait  rendu  à  la  cour  de  Gondopharès.  L'impor- 
tance du  fait  que  le  Gandhàra  se  trouvait  ainsi,  de  notoriété  pu- 
blique, à  un  nœud  de  la  grande  route  du  commerce  international, 
n'échappera  à  aucun  lecteur.  En  second  lieu  ce  commerce  portait 
avant  tout  sur  des  articles  de  luxe,  les  marchandises  de  choix  étant 
par  mer  les  pierres  précieuses  et  les  perles,  par  terre  la  soie:  il 
en  résultait  des  bénéfices  considérables  pour  les  exportateurs. 
Aussi  est-ce  le  moment  ou  jamais  de  se  souvenir  que  la  clientèle 

'''  Cf.  J.  Kennedy,  T'/feSecrrto/Â'anrs/.'rt  inalion  du  nom  du  pays  de IleuxeAa&JTiï 

ihnsJ.ÏÏ.A.S.,  1912,  p.  981  et  suiv.  ou  Puskaràvati. 

'"'  Périple,  S  47.  On  recouuail  nalu-  '^'  Apollonios  serait  reveiui  par  le  Golfe 

relleraeut,  dans  celte  Proelaïde,  la  défoi-  Peisique. 


LA  FLORAISON   DE   L'ÉCOLE.  525 

des  moines  boiuldliiques  et  la  communauté  elle-même  se  recrutaient 
plus  volontiers  dans  cette  caste  des  Vaiçyas''),  à  laquelle  nous 
devolis  également  en   Occident  saint  François  d'Assise.  Nous  ne 


i 


•\.-, 


Fil..  'ic)i.  —  Mkmk  ptnsoNNAGE  ( cf.  p.  I  3 -"i ,  127,  6o3  ). 
Musée  lie  Maihurd .  n"  C.  3.  Hauteur  :  i  m.  oô. 

serons  plus  surpris  do  voir  si  souvent  dans  les  légendes  les  bons 
marchands,  au  l'etour  de  quelque  fructueuse  expédition,  s'em- 
presser de  faire  les  frais  d'une  fondation  religieuse  :  façon  sans  doute 
de  rendre  des  actions  de  grâce,  peut-être  aussi  de  purifier  par  ce 


'•1  Cf.  1. 11,  p.  81. 


326  L'ÉVOLUTION   DE  L'ÉCOLE   DU   GANDHÂRA. 

pieux  prélèvement  sur  leur  béiiélicc  les  procédés  plus  ou  luoius 
licites  lie  sou  acquisition.  Parfois  n)ênie  c'est  dans  le  dessein  de 
réunir  ou  de  compléter  les  fonds  nécessaires  pour  la  construction  et 
la  décoration  d'un  slùpa  ou  d'un  couvent,  qu'ils  entrepremient  une 
nouvelle  tournée  de  négoce'').  Car  l'art  aussi  est  un  article  de  luxe, 
et  sa  prospérité  suppose  l'existence  de  donateurs  aussi  riches  que 
généreux.  Enfin  il  est  une  remarque  de  détail  qui  vaut  encore  la 
peine  d'être  faite.  C'était  la  coutume  des  navigateurs  étrangers, 
en  abordant  clans  l'Inde,  d''c adoucir  la  figure '-'n  du  ràja  local  par 
quelques  cadeaux  de  bienvenue,  qui  tenaient  lieu  de  droits  de 
port.  Or  \q.  Périfle^^'i  recommande  d'apporter  comme  [)résents  non 
seulement  des  instruments  de  musique  et  même  de  jolies  musi- 
ciennes, mais  encore  de  l'argenterie  (àj2)  vpwfxara)  —  celle-ci  sans 
doute  de  fabrication  alexandrine.  Pensez  seulement  au  fameux 
trésor  de  Bosco-Pieale,  où  d'ailleurs  se  mêlent  tant  de  traits  orien- 
taux, et  ne  vous  demandez  pas  plus  longtemps  d'où  viennent  les 
modèles  des  patères  de  Dêbra-lsmaïl-Kluln  (fig.  890)  et  du  Bada- 
kshânW. 

Le  facteur  AUTiSTiQUE.  —  Mais  ce  n'est  pas  seulement  l'impor- 
tation des  objets  d'art  qu'ont  provoquée  l'augmentation  de  la  richesse 
publique  et  la  facilité  régulière  des  communications  :  elles  ont  encore 
favorisé  l'immigration  d'artistes  d'Occident.  Nous  avons  dès  long- 
temps insisté  à  propos  de  l'art  du  Gandhâra  —  et  non  sans  courir 
le  risque  d'en  méconnaître  les  origines  hellénistiques  —  sur  la 
prodigieuse  prospérité  dont  jouit  l'art  grec  à  la  faveur  de  la  paix 
romaine  et  dont  témoigne  aussi  bien  son  inépuisable  fécondité  que 

''*  D'wyâvadâna ,  p.  262  et  passiiii.  nillcaliun   de   la    ville  d'Alexandrie,   est 

'■'  L'expression  est  empruntée  à  tîer-  coilTée  du   même  casque  que  Dèmèlrios 

nier.  sur   la  ])l.  lit,  5.  —  Pour  une  repro- 

'''  S  69.  Cf.  t.  II,  p.  70.  duclion    de     la    palère     du    Badaksliàn, 

'*'  On  sait  que  la  figure  centrale  de  la  aujourd'hui  au  Brilisli  Muséum,   cf.   Sir 

{jrandc  palèrede  Bosco  Reale,  au  musée  (îeorge  ]iiïiD\\ooD,  ImluslrLd  Art  oj  Iiidia, 

du  Louvre,  en  qui  l'on  voit  une  person-  p.  168,  pi.  II. 


LA  FLORAISON   DE   l/ÉGOLE.  527 

l'universalité  île  son  expansion  '').  El  sans  doule  il  s'agit  de  l'art 
grec  déjà  sur  son  déclin  ,  ne  produisant  ])lus  guère  en  pays  classique 
(]ue  des  répliques,  en  pays  barbare  que  des  adaptations,  et  toujours 
et  partout  des  copies  de  copies.  Mais  jamais  il  n'a  été  à  meilleur 
marché  ni  d'un  usage  plus  courant:  nous  le  trouvons  en  même 
temps  à  la  mode  dans  toutes  les  classes  de  la  société,  jusqu'aux 
plus  bourgeoises,  et  répandu  sur  toute  l'étendue  du  monde  civilisé, 
d'Alexandrie  à  ïliulè  et  de  Gadès  à  Séleucie.  Cet  aspect  des  mœurs 
classiques  au  temps  d'Auguste  et  des  Antonins  a  été  depuis  long- 
temps dépeint  en  Italie!-'  :  il  est  loisible  d'élargir  à  présent  le 
tableau  par  delà  l'horizon  familier  de  la  Méditerranée.  Que  de  fois, 
pour  notre  part,  devant  la  richesse  décorative  des  ruines  gandhà- 
riennes,  n'avons-nous  pas  entendu  des  olliciers  anglais,  gens  d'esprit 
fort  rassis  et  plus  préoccupés  de  sport  que  d'archéologie,  évoquei", 
sous  le  coup  d'un  ravissement  de  sui'prise,  le  magique  souvenir 
de  Pompéï.  Leur  enlhousiame  les  emportait  un  peu  loin  :  mais 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  là  comme  ici,  la  profusion  et  aussi, 
avouons-le,  la  médiocrité  générale  des  œuvres  atteste,  dans  tous 
les  sens  du  mot,  la  vulgarisation  de  l'art.  Et  il  ne  serait  pas  impos- 
sible de  discerner  dans  la  littérature  indienne,  si  imparfait  miroir 
qu'elle  soit  de  la  vie,  la  répercussion  de  ce  phénomène  social.  La 
rhétorique  s'enrichit  soudain  de  comparaisons  empruntées  au  voca- 
bulaire spécial  des  amateurs.  Dans  le  Sûlràlanhàrd ,  par  exemple, 
ipiand  le  roi  des  Çibis  s'est  dépouillé  de  sa  chair  pour  la  jeterdans 
la  balance,  il  est  pareil,  nous  dit  Açvaghosa,  à  une  statue  (jui  se 
délite  sous  l'aclion  de  la  pluie  au  point  de  devenir  méconnaissable. 
Le  même  texte,  d'accord  avec  le  I^nUla-viatam.  attribue  au  Bodlii- 
sattva  des  talents  de  peintre  et  de  sculpteur '".  Les  aris  plastiques, 
considérés  comme  de  bon  Ion  en  dépit  des  basses  exigences  de  leui' 

'"'    7î.  /y/47.  /?c/l'|(|.,  X\.\,  l8f)'4  ,  p.  305.  '      FllIEDLANDER,   /J(/C.s7('//»»,«-P«    aiis  (Irr 

—  Nous  serions  à  ])n'sent  disposé  à  ac-  Siilcngcschklile  Roms,  etc. 

cordei' moins  d'importance  au  fait,  d'aii-  <"'  Sùirâlahkdra ,    U'ad.     Ed.    Hobek, 

leurs  vraisemblable,  de  celte  immifjiatinii  p.SSy  et  3i9  (cf.  Sylvain  Lévi,  dans  le 

d'arlistes  itinérants.  Journal   Asiatique,    juillet- août    igo8, 


528  L'ÉVOLUTION   DE   L'ÉCOLE  DU   CAiNDHARA. 

lccliim|iH'  manuelle,  feront  désorinitis  partie  dune  éducation  libé- 
l'ale.  Ce  ne  sera  [)lns  qu'nn  jeu  pour  les  héros  et  même  les  héroïnes 
de  roman  el  tie  lliéàtre  (|iic  de  taire  le  portrait  ressemblant  de  leurs 
amours.  Tous  ces  lieux  communs  traîneront  indéfiniment  dans  les 
traités  de  poétique  :  encore  faut-il  qu'à  un  moment  donné  ils  aient 
correspondu  à  fétat  des  mœurs;  el  nous  placerions  plus  volontiers 
au  i*^""  siècle  l'apparition  de  ces  coutumes  nouvelles. 

Une  contagion  aussi  déclarée  de  i'art  n'a  pu  se  passer  de  l'inter- 
médiaire de  ses  agents  ordinaires,  les  artistes  ;  et  par  suite  il  y  a 
de  grandes  chances  pour  que,  dans  le  nombre  de  ceux  qui  tra- 
vaillèrent alors  au  Gandhàra,  il  s'en  soit  glissé  plus  d'un  tout  fiais 
émoulu  des  ateliers  méditerranéens.  Nous  connaissons  par  ailleurs 
assez  bien  les  gens  de  métier  auxquels  tant  d'oeuvres  de  sens  dis- 
parates et  de  facture  similaire  doivent  d'être  nées  vers  ce  même 
temps  aux  quatre  coins  de  la  terre.  Certes  ils  n'avaient  pas  tous 
du  génie,  ni  même  du  talent  :  d'ordinaire  cétaient  des  praticiens, 
plutôt  que  des  artistes,  mais  apparemment  bons  à  tout  faire  et  prêts 
selon  l'occasion  à  s'inqiroviser  peintres,  sculpteurs,  graveurs, 
ciseleuis  ou  fondeurs.  Au  besoin  ils  se  faisaient  aussi  mosaïstes, 
mais  nous  ne  nous  souvenons  pas  qu'on  ait  encore  retrouvé  dans 
les  fouilles  gandhàriennes  aucun  spécimen  de  ce  procédé.  En  tout 
cas  leur  habileté  de  main  et  la  l'ichesse  de  leur  répertoire  sont 
indéniables,  indéniable  aussi  l'aplomb  avec  lequel  ils  s'attaquent 
à  n'importe  quel  sujet.  On  sait  de  reste  qu'un  trGnecnlusu,  surtout 
quand  la  faim  l'aiguillonne,  n'est  jamais  embarrassé.  On  nous  la 
montré,  s'eufouçant  dans  les  provinces  à  la  recherche  de  généieux 
patrons,  tombant  le  plus  souvent  sur  des  gens  désireux  de  s'ac- 
quérir des  mérites  par  quelque  fondation  pieuse,  et  toujours  prêt 
à  assurer  contre  argent  la  réalisation  artistique  de  leurs  vœux.  Nous 
pouvons  à  présent  le  suivre,  au  delà  des  bornes  de  l'Empire,  sur 
les  grandes  routes  commerciales  de  rExtréme-Orient  :  et  sans  doute 

p.  88);   Lalita-vistara ,  éd.  S.  Lefmann,         conipaiaison  ilii  Biiddlid-citrita  citée  plus 
p.    i56,    I.   /|.    —   Faut-il    lappeler    la         haut,!.  I,p.  2a9V 


LA  FLORAISON  DE  L'ÉCOLE.  Ô29 

ce  n'est  pas  là  que  ces  aventuriers  auront  rencontré  les  moindres 
de  leurs  aventures.  Des  avaddnn  entiers  sont  consacrés  à  exalter 
leur  talent  extraordinaire,  et  l'on  ne  s'étonnera  pas  que,  comme  les 


l'iG.  I\q2.  —  (T Scène  de  Cacciiawlet  ,  À  Matuuuà  (cf.  p.  i5(j,  6o/i  ). 
Musée  de  Malhurd ,  n°  C.  s.  Provenani  de  Pdli-Khérd.  Hauleiir  :   t  m.ao. 

récits  conservés  de  notre  antiquité  classique,  ils  s'attachent  surtout 
à  vanter  leur  savoir-faire  dans  le  genre  du  trompe-l'œilC'.  Mais  si 
ces   artistes  étraiigers  ont  suscité  des  admirateurs  enthousiastes, 


A.  voN'SciiiEFXi:»,  ïilieltm  Tales[irM\.  Halstonj,  p.  36o.  CI'.  Tàranâïiia  (cli.  xlhj. 

3/1 


.AND11AHA.  -    11. 


ilMMiIU    NATtUX 


530  L'EVOLUTION   DE   L'ECOLE  DU  GANDHAHA. 

peut-être  aussi  leur  fallul-il  parfois  compter  avec  les  cruels  caprices 
dos  petits  despotes  orientaux.  On  nous  parle  de  donateurs  qui 
lanlôt  crèvent  les  yeux  au  praticien  qu'ils  viennent  d'employer, 
tanfol  complotent  de  le  laisser  mourir  de  faim  an  haut  de  la  colonne 
qu'il  a  érigée'''.  Les  moyens  varient,  l'intention  ne  change  pas: 
on  veut  s'assurer  qu'il  n'aille  pas  recommencer,  voire  éclipser  plus 
loin  son  dernier  chef-d'œuvi'e. 

Histoires  de  brigands  ou  contes  à  dormir  debout,  ces  traditions 
populaires  pourraient  servir  à  illustrer  de  façon  assez  pittoresque 
l'odyssée  indienne  de  nos  rcGrcPculin;  elles  ne  sauraient  passer 
pour  nous  fournir  une  relation  authentique  de  leur  venue.  Sur  ce 
point  les  renseignements  nous  font  tristement  défaut.  On  peut 
cependant  alléguer  le  précédent  favorable  créé  par  le  voyage 
d' Apollonius  de  Tyane  :  sur  la  route  suivie  par  le  sophiste,  pour- 
quoi des  artistes  n'auraient-ils  pas  passé?  Un  autre  indice,  plus 
probant  peut-être,  nous  est  apporté  par  les  Actes  de  saint  Thomas. 
Quoiqu'on  doive  penser  de  ce  texte  apocryphe,  il  est  du  moins 
certain  que  l'auteur  a  dii  s'efforcer  d'en  rendre  le  contenu  digne 
de  foi.  Or  de  quel  expédient  s'est-il  avisé  pour  aplanir  devant  son 
héros  la  voie  de  la  Judée  à  l'Inde  ?  De  le  faire  embaucher  comme 
architecte  par  un  marchand  que  Gondopharès,  le  roi  du  Gandiuîra, 
avait  spécialement  chargé  de  cette  commission'-)'.  Devons-nous  dans 
cet  honnête  courtier  reconnaître  le  marchand  de  Taksaçilâ  que 
nous  avons  vu  tout  à  l'heure  revenir  de  Syrie,  ou  diagnostiquer 
plutôt  quelque  marchand  nabatéen  que  son  négoce  ramenait 
annuellement  dans  l'Inde?  Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'aucun  prétexte 
de  mission  ne  saurait  à  présent  nous  paraître  plus  naturel  ni  mieux 
d'accord  avec  ce  que  nous  croyons  savoir  des  deux  parts  sur  les 
conditions  de  l'olfre  et  de  la  demande.  Reconnaissons  toutefois  que 
quelques  précisions  feraient  encore  mieux  notre  affaire.    Mais  on 

'''   Sùlrdlaiiktira ,     Irafl.     Ed.     ttuBRii,  île  M.  J.  Dahlmann,   Die   Thomds-l.egrnde 

|).  f^b'i  ;  Jiilaka ,  n"  aS.'i.  (1912),  ilont  le  sent    lort  peut-ède  est 

'^'  Renvoyons  pour  le  délail  au  livre        de  vouloir  tiop  prouver. 


LA   FLORAISON   DE   LKCOLR. 


')31 


s'étonnera  beaucoup  moins  que  nous  n'en  puissions  pas  apporter  sur 
ce  point,  si  Ton  veut  bien  remarquei"  que  nous  sommes  en  train, 
et  pour  cause,  d'écrire  une  histoire  de  l'art  du  Gandliâra  sans 
jamais  citer  un  artiste.  Gomment  pourrions-nous  définir  exacte- 
ment la  patrie  de  gens  dont  nous  ne  savons  même  [)as  les  noms? 


Fie.  4().3.  —  Tèïe  de  MATHUiiÀ  [ci.  [).  i)C),  6o.S). 
Télé  avec  hnnnet  persan.  Musée  de  Mathiirà ,  n'  G.  3a.  Hauteur  :  o  m.  ù.'k 

Encore  ceux-ci  ne  suffiraient-ils  point  à  nous  renseigner  de  façon 
tout  à  fait  précise.  La  seule  œuvre  gréco-bouddliique  ([ui,  à  nolri; 
connaissance,  ne  soit  pas  anonyme,  est  la  cassette  de  Sliàii-ji-kî- 
Dlièrî,doiil  les  inscriptions  désignent,  en  même  temps  que  le  dona- 
teur Kaniska,  Agiçala,  le  nava-lurmiha  on  rr maître  de  l'œuvre'')". 
On  ne  saurait  raisonnablement  hésitera  recoimaitre,  sous  le  dégui- 


'''  On  peut  comparer  le  liti'u  d'AriSfifjis,  r.rnrlor  (iiimim  n'/nihiim  fie  Charlemagnc. 

36. 


53:2  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHARA. 

sèment  d'une  prononciation  indienne  qu'un  liasard  (sans  doute  un 
|)eu  aidé)  a  faite  significative,  le  nom  d'AgésilasC.  Pour  nous  refu- 
ser à  admettre  une  interprolalion  aussi  simple,  il  faudrait  rejeter 
en  bloc  non  seulement  toutes  les  transcriptions  indiennes  de  mots 
grecs  que  nous  donnent  les  textes  classiques  et  les  légendes  des 
monnaies,  mais  encore  l'Héliodore,  fils  de  Diya  (Dion),  de  l'in- 
scription de  Besnagar  el  le  Thaidora  (Théodore),  fils  de  Datis,  de 
celle  de  Kaldarra'^'.  En  fait  l'unique  défaut  du  reliquaire  de  Kaniska 
nous  paraît  être,  dans  la  circonstance,  de  nous  donner  justement 
la  sorte  de  signature  que  nous  pouvions  espérer.  Cela  est  trop  beau 
pour  n'être  pas  suspect  :  tant  il  est  vrai  que  la  défiance  toujours 
prête  de  l'esprit  critique  est  au  fond  voisine  de  cette  vague  inquié- 
tude trqui  fait  que  riiomme  craint  son  désir  accompli  n.  Mais 
aurions-nous  les  meilleures  raisons  de  surmonter  ce  morbide  scru- 
pule que  nous  ne  serions  toujours  pas  en  état  de  deviner  au  seul 
nom  d'Agésilas  si  celui  qui  le  portait  était,  comme  le  qualificatif 
de  dasa  (=  ddsa,  esclave)  le  donnerait  à  penser,  un  Eurasien  natif 
du  Gandhàra  et  héritier  de  la  profession  paternelle,  ou  un  Grec 
d'Asie  Mineure  récemment  entré  au  service  du  roi.  Il  faut  en  con- 
venir :  sur  le  point  de  savoir  s'il  s'est  elTectivement  produit  au 
Gandhàra,  dans  le  cours  du  i"  siècle,  de  nouveaux  arrivages  de 
Yavanas,  nous  sommes  encore  réduits  à  des  présomptions  assez 
vagues  ;  nous  ne  voyons  pourtant  pas  que  personne  songe  ou  puisse 
songer  à  contester  la  vraisemblance  générale  du  fait,  d'autant 
(|u'on  ne  peut  guère  expliijuer  autrement  la  propagation  jusque 
sur  les  bords  de  l'indus  des  dernières  nouveautés  artistiques  de  la 
Syrie  ou  de  Palmyre  (^). 


'iiii , 


'''  Cf.  |)iusbaul,  t.  Il,  p.  4io  ;  Agiçala  '''  \oiv  Archmological  Siiney  of  Imlit 

peut  donner  en  sanskrit  Agni^-àla  (qui  Animal    Report    igoS-g,    p.    i-ay;    et 

possède  un   (rlemple  du  feui);  mais  la  Journal     Asiatique,     mai-juin     1899, 

coutume  subsiste  dans  l'Inde  de  transfor-  p.  ,S33  o\i  Indian  Antiqtiarij,  mars  1908. 

mer  les  noms  étrangers  de  manière  à  leur  p.  66. 

donner,  si  possiiile,  un  sens  dans  le  dia-  '^'  Cf.  les  correspondances  que  nous 

lecte  local.  relèverons  plus  loin,  p.  546-547. 


LA  FLORAISON  DE  L'ÉCOLE.  533 

La  question  de  l'influence  romaini:.  —  L'afïliix  de  la  main-d'œuvre 
artisliqiie,  le  rapide  enrichissement  des  donateurs,  finalement  la 
conversion  du  souverain  au  Bouddhisme,  tels  sont  donc,  si  nous 
les  récapitulons  bien,  les  trois  facteurs  principaux  de  l'épanouisse- 
mniit  de  l'école  du  Gandhâra  au  cours  du  premier  siècle  de  notre 
ère.  Nul  ne  disconviendra  de  leur  importance  :  mais  c'est  une 
autre  fonction  que  certains  ont  voulu  leur  attribuer.  A  leurs  yeux 
ces  trois  éléments  ne  seraient  pas  de  simples  adjuvants,  mais  le 
germe  même  de  la  croissance  de  l'école.  Ils  n'y  voient  pas,  comme 
nous,  des  sortes  d'affluents  venant  renforcer  sa  vitesse  acquise  et 
sa  force  d'expansion  :  ils  croient  bel  et  bien  y  découvrir  ses 
sources.  L'art  du  Gandhâra  serait  né  au  temps  de  kaniska  de 
l'ensemble  de  circonstances  favorables  que  nous  venons  d'exposer: 
et,  ce  fait  une  fois  admis,  on  n'a  pas  reculé  devant  les  consé- 
quences. Dès  lors  il  ne  serait  pas  seulement  vrai  de  dire,  comme 
nous  l'avons  fait,  que  la  floraison  de  l'art  du  Gandliàra  n'est,  à 
regarder  les  choses  d'un  peu  haut,  qu'un  cas  particulier  d'un 
phénomène  général  et  qui  s'est  étendu  à  tout  l'ensemble  du  monde 
antique  :  c'est  sa  formalion  même  qui,  dans  l'hypothèse  que  nous 
envisageons,  serait  le  produit  direct  d'une  influence  non  plus  hellé- 
nistique, mais  gréco-romaine.  Aucun  critique  n'ose  plus  guère 
répéter,  après  Fergusson,  que  les  sculptures  du  Gandhâra  sont 
rtplus  byzantines  que  romaines  '''11;  mais  il  s'en  trouve  encore  pour 
soutenir  que  leur  style  comme  leurs  modèles  sont  beaucoup 
moins  grecs  que  ff  romains  r.  On  a  déjà  lu  ci-dessus  les  raisons 
qui  nous  ont  déterminé  à  chercher  plus  avant  dans  le  passé 
les  origines  purement  hellénistiques  de  l'école  gandharienne  ^^K 
Nous  les  considérons  toujours  comme  valables,  et  nous  n'y 
reviendrions  pas,  si  leur  témoignage  ne  pouvait  être  adroite- 
ment tourné.    Hien    n'empêche    en  effet  de   supposer   que   l'art 

'"'  Cf.  plus  haut,  t.  I,  p.  89  :  voir         Grent  Britain  and  Irelaïul ,  1918,  p.  gôi. 
pourtant   M.  ie  Colonel  Waddell  dans  "'   Voir    notamment   t.    11,    p.    449- 

Jounial  of  the  Royal  Asiatic  Society  of        443  et  5oo. 


53/i  L'ÉVOLUTION  DR  L'ÉCOLE  DU  GANDHArA. 

gi'(5co-bouddhique  ail,  Iraversi!  vers  la  fin  du  i'^''  siècle  de  notre 
ère  une  crise  de  croissance  telle  qu'elle  équivaille  à  un  cliange- 
niciit  d'orientation,  voire  même  à  une  rénovation O.  Aussi  faut-il 
spécifier  pounjuoi  l'idée  que  nous  nous  faisons  de  son  évolution 
répugne  aussi  bien  à  Ihypotiièse  d'une  déviation  trop  brusque 
qu'à  celle,  déjà  réfutée,  d'un  retard  par  trop  anormal. 

Nous  ne  résisterons  pas  toutefois  à  l'envie  de  produire,  pour 
commencer,  contre  les  partisans  de  la  création  tardive,  parce  que 
romaine,  des  ateliers  gandhâriens,  un  argument  topique,  que 
l'élargissement  de  notre  horizon  vient  de  faire  surgir.  Si  l'école 
avait  attendu  Kaniska  pour  naître,  il  n'est  pas  sûr  (ju'elle  fut 
jamais  née;  en  tout  cas,  elle  n'aurait  jamais  atteint  sous  lui  le 
degré  de  splendeur  auquel  chacun  se  plaît  à  reconnaître  qu'elle 
a  monté.  Ni  la  dévotion  générale  au  Bouddhisme,  ni  le  commerce 
et  la  richesse  qu'il  apporte,  ni  même  une  immigration  d'artistes  ex- 
perts et  ingénieux  n'ont  en  aucun  temps,  ni  nulle  part,  suffi  à  créer 
d'un  seul  coup  et  de  toutes  pièces  un  mouvement  artistique  d'une 
pareille  ampleur.  Et  nous  n'avons  pas  à  en  chercher  bien  loin  la 
preuve.  Car,  s'il  en  était  autrement,  nous  devrions  trouver  les 
mêmes  effets  produits  sous  l'action  des  mêmes  causes,  par  exemple 
autour  de  Barygaza  ou  des  autres  ports  indiens,  où  nous  savons 
que  toutes  ces  conditions  se  trouvaient  alors  aussi  bien  rem- 
plies. S'il  n'y  a  pas  vestige  d'une  école  classico-bouddhique  du 
Surâstra,  ou  du  Konkan,  ou  de  Taprobane,  c'est  donc  que  cela 
ne  s'improvise  pas  en  un  jour  et  qu'il  y  fallait  encore  auti'e  chose. 
11  fallait  encore  que  la  clientèle  lût  créée,  les  procédés  décoratifs 
arrêtés  dans  leurs  grandes  lignes,  le  répertoire  pour  une  bonne 
partie  fixé  :  il  fallait  en  un  mot  que  l'atmosphère  et  le  terrain 
eussent  été  préparés  d'avance.  Or  cette  préparation  qui  manquait 
sur  la  côte  occidentale,  c'est  justement  celle  dont  nous  venons  de 
suivre  les  progrès  dans  la  région  gandhàrienne  et  que,  pour  les 

'''  Telle  semble  êlie  à  peu  près  l'aUllude  adoptée  par  AL  Vincent  Smith  dans  son 
History  oj  Fine  Art  in  litdia,  p.  i  a6. 


LA   FLORAISON   DE   L'ÉCOLE.  535 

raisons  liisloriques  piécédemmenl  exposées,  celle-ci  était  seule  à 
posséder!').  Là,  el  là  seulement,  comme  un  essaim  à  qui  l'on 
présente  une  ruche  avec  ses  rayons  dressés  d'avance,  les  artistes 
du  1^''  siècle  de  notre  ère,  aussi  bien  ceux  recrutés  sur  place  que 


l''iG.  /lyi-'iç).).  —  Tétks  de  MiiiiuuÀ     c'I.  p.   187,  Oui)  |. 
Tètes  lie  Délias  ou  âi:  lintlhisultvas.  Muspc  île  Lakhnau.  Hauteur  :  o  m.  ôo. 

ceux  immi{jrés  d'Occident,  ont  trouvé  tout  préparés  les  cadres 
de  leur  activité  professionnelle.  Ainsi  seidcment  on  comprend  à 
la  lois  la  par.lialité  avec  laquelle  ils  n'ont  f^uère  travaillé  que  dans 
cet  unique  coin  de  l'Inde,  el  la  promptitude  avec  laquelle  ils  ont 


'''  Cf.  des  considéralions  aiiaingiies  au 
sujet  de  Malhurà,  ci-dessous,  p.  G07  et 
suivantes.  —  Ajoutons  que  nous  verrons 
liien    riiilliiciice   de    l'ail    du    rîandli.-'ii-a 


desceuili'o  h  Mathurà,  sur  la  roule  île 
liary,o[aza  :  nous  ne  verrons  auninie  iii- 
lluence  elassique  remnnter  de  Barygaza 
veis  le  liassin  du  Canffe. 


535  L'IÎVOLUTION  DE   L'IÎCOf.E   DU   f,  \NDI1\R\. 

rempli  jusqu'à  la  uioindre  cellule  du  miel  de  leur  art.  Est-ce  la 
])eine  à  présent  de  rappeler  que  ce  lent  travail  d'élaboration,  tant 
au  point  de  vue  du  goût  nouveau  que  de  la  ferveur  bouddhique, 
remonte  par  ses  origines  jusqu'au  u*"  siècle  et  avait  déjà  pro- 
duit ses  premiers  fi'uils  au  i"  siècle  avant  notre  ère?  Ne  craignons 
pas  du  moins  de  le  répéter  hautement  :  nous  devons  avant  tout 
l'art  du  Gandhàra  aux  artistes  hellénistiques  qui  en  ont  créé  ou 
directement  inspiré  les  premiers  modèles,  puis  à  ceux  de  leurs 
successeurs,  descendants  ou  apprentis,  qui  ont  su  conserver  et 
développer  encore  cet  héritage.  Qu'au  cours  du  i''"' siècle  de  notre 
ère  le  nombre  de  ces  derniers  se  soit  grossi  de  quelques  praticiens 
apportés  par  le  courant  commercial  de  l'Empire  romain,  nous  ne 
demandons  pas  mieux  que  de  l'admettre;  mais  nous  devons  faire 
observer  que,  sehm  toute  vraisemblance,  ces  nouveaux  venus  ne 
furent  jamais  qu'en  ])etit  nombre;  et  si  nous  consentons  à  les 
associer,  en  cours  d'exercice,  à  l'honneur  connue  aux  bénéfices  de 
l'entreprise,  nous  nous  refusons  en  tout  cas  à  leur  accorder  des 
parts  de  fondateurs. 

Nous  ne  sommes  pas  davant;ige  disposé  à  admettre  que  celle 
minorité  nomade,  si  agissante  fùt-elle,  ait  bouleversé  de  fond  en 
comble  la  technique  et  le  répertoire  de  leurs  prédécesseurs  et  con- 
frères sédentaires  du  Gandhàra.  Sur  ce  point  encore  nous  tenons 
en  réserve  un  argument  de  nalure  à  dissiper  les  illusions  de  ceux 
qui  voudraient  assigner  aux  artistes  immigrés  un  rôle  aussi  révolu- 
tionnaire sous  le  spécieux  prétexte  qu'ils  étaient  les  adeptes  d'une 
nouvelle  école  d'art,  non  plus  grecque,  mais  romaine.  C'est  qu'en 
elfet,  quoi  qu'en  aient  pu  dire  naguère  des  archéologues  trop 
accoutumés  à  n'apercevoir  la  Grèce  qu'à  travers  l'Italie,  il  n'y  a 
jamais  eu  d'art  spécifiquement  romain.  Celui  qui  fleurissait  au 
i"  siècle  sur  toute  l'étendue  de  l'Empire  n'était  toujours  que  l'art 
grec  décadent  :  tout  ce  qu'il  avait  de  romain,  c'était  le  fait  de 
prospérer  et  de  se  difl'user  à  l'abri  de  la  paix  romaine.  On  sait  la 
question  qu'a  posée  M.  Strzygowski  au  sujet  du  véritable  berceau  de 


LA  FLORAISON   DE   L'ÉCOLE.  537 

l'art  chrétien  :  «Orient  ou  Rorae?')i  A  plus  forte  raison  pouvons-nous 
répondre  pour  l'art  bouddhique  que  ses  origines  se  trouvent,  non 
point  en  Italie,  mais  dans  l'Orient  hellénisé.  La  géographie  l'in- 


s^.. 


t-^  / 


FiG.   496-497.  —  MAiiRiirA,  À  Mathuhà  (cf.  p.  a;5'i,  ^71),  oo5). 
Musée  de  Mathurd,  ti"  A.  à3  et  68.  Hauteur  :  0  m.  Ù3  et  0  m.  Oi. 

dique  de  façon  assez  claire.  Si  l'on  songe  que  l'Egypte  avec  Alexan- 
drie et  la  Syrie  avec  Anlioche  sont  alors  les  centres  industriels 
et  commerciaux  du  monde  méditerranéen,  on  ne  voit  pas  pour- 
quoi l'on  chercherait  ailleurs  son  centre  artistique <•'.  En  lout  cas, 


'"'  Cf.  J.  Daiilmann,  Die  Thomas-Légende,  p.  120. 


538  L'ÉVOLUTION  DE   L'ÉGOLL  DU  GANDHÂRA. 

pour  aiicuii  des  faits  qui  concernent  l'Inde,  qu'ils  soient  d'ordre 
esthétique,  économique  ou  politicpie,  nous  n'avons  à  nous  écarter 
davantage  vers  l'Ouest.  (îesl  de  là  que  sont  successivement  venus  les 
mercenaires  qui  l'ont  conquise,  et  les  marchands  qui  l'ont  enrichie, 
de  là  que  viennent  encore  le  marin,  le  théosophe,  l'apôtre  que  nous 
savons  l'avoir  visitée  :  pourquoi,  jouant  la  difficulté,  les  artistes  qui 
lui  ont  apporté  les  formules  classiques  auraient-ils  eu  à  venir  de 
plus  loin?  Comme  ceux  des  deux  derniers  siècles  avant,  ceux  du 
i"  siècle  après  J.-C.  qui  conduisirent  leurs  pas  jusque  dans  la  loin- 
taine Gandaritis,  continuent  à  sortir  des  fameux  ateliers  d'Asie  Mi- 
neure. C'est  toujours  au  fond  la  même  influence  qui,  avec  des  hauts 
et  des  bas,  persévère  à  s'exercer  par  l'intermédiaire  des  mêmes 
agents.  Ainsi  l'on  ne  réussit  pas  plus  à  apercevoir  de  raison  que  de 
trace  quelconque  d'une  transformation  profonde  de  l'école  gandliâ- 
rienne  :  tout  au  plus  celle-ci  accusera-t-elle  le  contre-coup  des 
modifications  fatalement  subies  par  l'art  hellénistique  au  cours  de 
cette  longue  période  d'acclimatation  en  Orient. 

Théorie  contre  théorie,  dira-t-on  peut-être  :  en  effet;  mais  la 
nôtre  n'a  pas  seulement  sur  celle  des  tcromanistesi^  l'avantage 
d'emprunter  une  conception  moins  vieillie  de  l'archéologie  clas- 
sique :  elle  sort  encore  victorieuse  d'une  vérification  expérimentale 
aisée  à  pratiquer.  Car  enfin,  pour  savoir  à  quel  art  un  art  res- 
semble et  en  quoi  l'un  et  l'autre  se  ressemblent,  on  n'a  encore 
trouvé  d'autre  moyen  que  de  voir  et  de  comparer.  C'est  bien  sur  ce 
terrain  solide  que  Fergusson  avait  dès  l'abord  porté  le  problème  : 
«Si  nous  venons  à  comparer  les  sculptures  du  Gandhâra  avec 
celles  du  monde  occidental,  particulièrement  avec  les  sarcophages 
et  les  ivoires  du  Ba^-Empire,  il  semble  impossible,  opinait-il,  de 
ne  pas  être  frappé  des  nombreux  points  de  ressemblance  qu'elles 
présentent.  ..  .11  Cette  conq)araison,  M.  Vincent  Smith  l'a  jadis 
reprise  (')  et,  avec  sa  loyauté  coutumière,  il  convient  qu'elle  ne  lui 

'■'  Feugisso.n,  Hisl.  uj  Iiulian  Arcli.,  i"  (•ditioii,  j).  181;  V.  Smith,  J.  A.  S.  fi., 
LVlll,  part  1,  i88(),  p.  (\i\  et  siiiv. 


LA  FLORAISON   DE   L'ÉCOLE.  539 

a  fourni  que  des  ressemblances  trop  générales  pour  (ju'il  fût  per- 
mis  d'en  faire  état.   Mais,  disait-il,  on    trouverait   des  parallèles 


KlG.    iljb.  LtS   HUIT  (,I1AN1)S   MIRACLES,  À    BÉSAllIiS  (cf.  J).  ()  1  0 ,    685). 

Sièle  découverte  à  Sàniàlli  ;  cf.  A.  S.  L,  Ann.  Bep.  iqoG-j,  pi.  AXI7//,  i. 
Diaprés  une  pbotogr.  coiiimuiiiquée  par  Sir  Jolin  Maiisiiall. 


beaucoup  plus  frappants  dans  l'art  chrétien  primitif,  tel  ([u'il  se 
montre  dans  les  catacombes.  Nous  avons  donc  feuilleté  à  notre 


5.'i0  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHARA. 

toiii"  les  publications  de  Rossi,  de  Roller  et  de  Wilpert.  Désireux 
de  voir  ce  que  pourrait  également  nous  fournir  l'art  païen,  nous 
Y  avons  joint  les  volumes  parus  de  l'imposant  Recueil  des  bas- 
reliefs,  statues  et  bustes  de  la  Gaule  romaine,  de  M.  Espérandieu. 
Enfin  le  juste  souci  de  contrôler  l'impression  des  gravures  par 
l'examen  direct  des  monuments  nous  a  conduit  à  étudier  sur  place 
les  musées  du  Latran,  d'Arles  et  de  Trêves.  Nous  ne  saurions 
entrer  ici  dans  les  minuties  de  cette  enquête  :  sa  conclusion  est 
exactement  la  même  que  celle  tirée  par  M.  Vincent  Smith  de  sa 
revue  des  reliefs  byzantins.  Oui,  l'analogie  générale  des  styles  est 
frappante,  et  certains  motifs,  certains  personnages,  voire  même 
certains  groupes  sont  curieusement  pareils  :  nous  avons  plus 
d'une  fois  signalé  au  passage  ces  ressemblances  et  nous  ne  nous 
ferons  pas  faute  d'y  revenir  (^'.  Ce  qu'on  rencontre  le  moins,  ce 
sont  ces  petits  traits  indifférents,  mais  caractéristiques,  qui  ne  s'in- 
ventent pas  deux  fois,  qui  ne  se  répètent  que  de  façon  machinale, 
et  par  où  justement  se  trahissent  le  mieux  les  communautés  d'ori- 
gines et  les  fréquentations  d'ateliers.  Ouvrez  au  contraire  le  peu 
qui  a  été  publié  des  monuments  alexandrins,  syriens  ou  palmy- 
réniens  des  premiers  siècles  de  notre  ère  :  vous  serez  surpris 
de  voir  comment  se  présentent  aussitôt  en  nombre  appréciable 
ces  rapprochements  de  détail.  Nous  aurons  à  en  énumérer 
quelques-uns  tout  à  l'heure.  Pour  l'instant  il  suffit  d'appeler 
l'attention  sur  le  fait  aisément  vérifiable  que  les  sculptures  du 
Gandhàra  ont  bien  un  vague  air  de  famille  avec  celles  de 
l'Italie  ou  des  Gaules,  mais  qu'elles  n'offrent  de  points  de  compa- 
raison précis  qu'avec  les  productions  orientales  de  la  décadence 
grecque. 

MÉDiocRrrÉ  N'EST  PAS  DÉCADENCE.  —  Ainsi  s'efface  définitivement 
le  fantôme  tenace  de  l'influence  romaine.   Avec  lui   disparaît  la 

'■'  Cf.  ci-dessus,  t.  Il,  p.  174  et  ci-dessous,  au  S  m  de  nos  Conclusions ,  p.  yygetsuiv. 


LA    FLORUSON   DE  L'ÉCOLE.  541 

seule  raison  qu'on  eût  de  retarder  jusque  vers  Ja  fin  du  i"  siècle 
de  notre  ère  la  création  de  l'art  du  Gandhâra,  et  dès  lors  celui-ci 
redevient  libre  de  se  réclamer  d'origines  hellénistiques  plus  an- 
ciennes. Mais  si  le  règne  de  Kaniska  n'a  décidément  pas  signalé  la 
naissance  de  l'école  gréco-bouddliique,  avec  quel  moment  de  son 
évolution  est-ce  donc  qu'il  coïncide  ?  A  cette  question  d'autres 
archéologues,  se  jetant  brusquement  dans  l'extrême  opposé,  ont 
nettement  répondu  :  tr  Avec  la  décadence.  11  Ainsi  flottent  encore 
à  l'heure  actuelle  les  décisions  des  experts.  Sans  doute  cette  der- 
nière opinion  ne  repose  que  sur  un  unique  témoignage  :  mais  le 
témoin  est  on  ne  peut  plus  digne  de  foi,  puisqu'il  s'agit  d'un  reli- 
quaire (''  commandé  par  Kaniska  lui-même  (pi.  VI).  Ses  heureux 
inventeurs  ont  eu  la  déception  de  constater  la  grossièreté  de  sa 
facture;  ils  en  ont  tout  naturellement  conclu  à  la  dégradation  de 
l'art  gandhârien.  La  démonstration  paraît  inattaquable.  De  fait, 
nous  ne  songeons  pas  le  moins  du  monde  à  contester  l'appréciation 
portée  par  MM.  Marshall  et  Spooner  sur  la  valeur  esthétique  de 
leur  trouvaille;  le  mieux  qu'on  en  puisse  dire,  c'est  que  c'est  un 
travail  bâclé.  Nous  ne  nous  inscrivons  pas  davantage  en  faux 
contre  la  vérité  générale  du  principe  qui  a  guidé  leurs  déductions 
et  qui  veut  que  bonne  ou  mauvaise  facture  so'\l  ipso  /aclo  synonyme 
de  haute  ou  de  basse  époque  :  il  y  a  d'heureuses  archéologies  pour 
lesquelles  cette  loi  si  commode  est  pleinement  valable.  Nous  voulons 
seulement  rappeler  qu'elle  ne  saurait  s'appliquer  sans  réserves  à 
celle  du  Gandhâra.  Ce  n'est  pas,  hélas!  par  pure  précaution  ora- 
toire que  nous  nous  sommes  si  souvent  excusé  auprès  du  lecteur  des 
complications  spéciales  qui  embrouillent  notre  sujet'-)  :  le  moment 
est  venu  d'en  faire  la  fâcheuse  épreuve.  Telles  sont  les  conditions 
historiques  et  la  situation  géographique  de  l'école  gréco-boud- 
dhique qu'on  n'y  saurait,  comme  ailleurs,  subordonner  d'avance 
aux  questions  d'exécution  celles  de  chronologie,  ni  se  dispenser 

'"'  C'est  ceiui  dont  ii  a  déjà  été  question  ci-dessus,  p.  iSo  et  p.  5.3 1.  —  *''  Cf.  ci- 
dessus,  t.  II,  p.  470,  liçf'\  et  suiv. 


5'i2  i;kvo[jiti()n  de  l'kcole  du  gandhara. 

d'évoquer,  à  propos  de  cliaque  monument  particulier,  toutes  les 
circonstances  de  la  cause. 

Ces  assertions  valent  bien  d'être  illustrées  par  quelques  exem- 
ples, à  commencer  par  l'objet  qui  en  a  été  l'occasion.  Dans  le 
cas  du  reliquaire  de  kaniska,  couclui'e  aussitôt  de  son  mauvais 
travail  à  la  décadence  de  l'art,  c'est  aller  un  peu  vite  en  besogne. 
MM.  Marshall  et  Spooner  conviennent  eux-mêmes  que  si  la  fac- 
ture est  «très  médiocre  11,  ce  le  dessin  dans  son  ensemble  est  admi- 
rable au  plus  haut  degré ''^i.  Les  deux  choses  peuvent  en  elTet 
aller  de  front,  mais  chacune  vaut  d'être  retenue  séparément,  et 
nous  ne  cacherons  pas  que  la  seconde  importe  beaucoup  plus  que 
la  première.  Rien  ne  prouve  que  le  tf  maître  de  l'œuvre  n  Agiçala 
ait  fait  autre  chose  que  d'en  établir  le  croquis  :  il  se  peut  fort 
bien  qu'il  en  ait  confié  l'exécution  à  un  orfèvre  indigène.  Y  aurait-il 
mis  lui-même  la  main,  qu'il  lui  eut  été  diliirile  d'oublier  que  la 
destination  de  l'objet  était  d'être  à  tout  jamais  enterré  et  dérobé 
à  la  vue  sous  un  énorme  tumulus.  Il  eût  fallu  dans  ce  cas  spécial 
une  abnégation  singulière  pour  pousser  et  soigner  les  détails,  de 
même  qu'il  eût  fallu  une  particulière  honnêteté  pour  y  employer 
l'or  pur  sans  doute  prévu  et  payé  par  la  générosité  royale.  Cette 
double  probité  ne  s'est  pas  rencontrée,  et  c'est  tant  pis  pour 
l'humanité.  11  faut  d'ailleurs  avouer  que  la  tentation  était  forte.  Il 
ne  s'agissait  après  tout  que  d'une  boite  destinée  à  passer  juste  un 
instant,  toute  rutilante  de  sa  dorure  fraîche,  entre  les  mains  du 
moins  connaisseur  des  rois,  lors  de  la  cérémonie  habituelle  du 
dépôt  des  reliques '-).  Le  tour  a  parfaitement  réussi  :  quand  la 
double  supercherie  s'est  trouvée  découverte,  il  y  avait  dix-huit 
cents  ans  que  l'artiste  et  le  donateur  étaient  morts.  Mais,  en  ce 
qui  nous  concerne,  nous  ne  pouvons  guère  attacher  plus  d'impor- 
tance au  caractère  par  trop  sommaire  de  la  facture  qu'à  l'exces- 
sive proportion  de  cuivre  dans  l'alliage  du  métal.  Tout  ce  qu'il 

•''  A.  S.  1.,  Ahii.  Hop.  i()<>H-<j,  |).  00.  —  <-'  Cf.  t.  1,  p.  (j4. 


I.A   FLORAISON   DE  L'ECOLE. 


543 


sera  permis  de  retenir,  si  l'on  considère  cette  cassette  comme  une 
sorte  d'étalon  de  l'art  à  l'époque  de  Kaniska,  c'est  d'abord  l'aspect 
général  du  dessin  (et,  de  l'aveu  de  tous,  il  se  lient  fort  bien  dans 
les  grandes  lignes),  puis  le  cboix  et  le  style  des  motifs  décoi'atifs; 
et  il  faut  convenir  que  les  vives  gambades  des  Amours  ^sont  loin 
d'indiquer  une  basse  époque,  tandis  que  la  frise  de  hama ,  rappel 


Fio.  igg.  —  PÀSciKA-MAHiKiLA,  À  Sànchi  (cf.  p.  126,  iSa,  611). 
Panneau  de  la  terrasse  du  temple  médiéval,  n°  'i5. 


évident  d'un  décor  cber  à  Acoka,  prend  même  un  petit  air 
arcbaïque.  Eidin  et  surtout,  c'est  dans  les  détails  matériels  des 
poses,  des  draperies,  des  proportions  des  divers  personnages  que 
nous  pourrons  chercber  avec  sécurité  des  renseignements  chrono- 
logiques, indépendamment  de  la  finesse  plus  ou  moins  grande 
de  leur  exécution. 

Mieux  vaut  avertir  tout  de  suite  le  lecteur  que  cette  méthode, 
la  seule  défendable,  lui  réserve  plus  dune   choquante  surprise. 


5'i4  L'l5V0LUTI0N  DE   L'ÉCOLE  DU   GANDHÂRA. 

Elle  fournit  immédiatement  les  meilleures  raisons  du  monde  pour 
assigner  au  médiocre  Buddlia  du  couvercle  une  date  nettement 
antérieure  à  celle  de  la  figure  /i8i  par  exemple  (qui  pourtant 
témoigne  de  tant  de  virtuosité),  et  par  suite  assez  voisine  de  celle 
de  chefs-d'œuvre  tels  que  la  figure  680.  Et  il  serait  superllu  de 
se  récrier  contre  de  pareils  écarts.  Les  inscriptions  confirment  avec 
sérénité  ce  dérèglement  scandaleux  de  l'école,  livrée  par  sa  nature 
même  à  tous  les  jeux  de  l'art  et  du  hasard.  Bien  fou  qui  s'éver- 
tuerait à  la  ramener  aux  lois  de  l'esthétique  usuelle.  Le  Buddha 
de  Chàrsadda  (fig.  ^78)  est  certainement  postérieur  de  G 6  ans 
à  celui,  également  daté,  de  Loriyân-Tangai  (lig.  ^77);  or,  contre 
toute  attente,  il  est  d'une  exécution  visiblement  su|)érieure  : 
c'est  simplement,  comme  l'a  déjà  fait  remarquer  M.  J.  Ph.  Vogel, 
que  le  temps  n'est  pas  tout  dans  l'alTiiire  et  quon  pouvait  se 
procurer  dans  la  ville  de  Peukélaôtis  de  meilleurs  sculpteurs  que 
dans  la  vallée  du  Swât.  .  .  Ili  dik{h  bon  entendeur,  salut),  comme 
disent  les  commentateurs  indiens.  Ce  qui  importe  avant  tout  pour 
dater  une  statue  gandhârienne,  ce  sont  les  modes  qu'elle  porte  et 
les  attitudes  qu'elle  prend  :  mais  sa  valeur  esthétique  ne  saurait 
suffire,  sans  plus  anqile  informé,  à  la  convaincre,  au  gré  des 
théoriciens,  soit  d'archaïsme,  soit  de  décadence. 

L'oeuvre  du  i''  siècle.  —  Après  toutes  ces  réserves,  que  nous 
jugeons  nécessaires,  et  toutes  ces  discussions,  que  nous  eussions 
souhaitées  superflues,  arrivons  enfin  au  fait.  Nous  résumerons 
d'un  mot  l'opinion  que  nous  venons  de  défendre  en  disant  que 
le  !-'■  siècle  de  notre  ère  n'a  pas  été  pour  l'école  du  Gandhâra  une 
période  de  formation  ni  de  décomposition,  mais  d'épanouissement: 
subsidiairement  il  reste  bien  entendu  que  si  son  développement 
a  été  fortement  accéléré  par  les  circonstances  historiques,  il  n'en 
est  pas  sorti  profondément  modifié.  De  cette  dernière  constatation 
découlent  aussitôt  deux  conséquences  inégalement  heureuses  à 
notre  point  de  vue  d'historien.  Nous  devons  assurément  nous  louer 


LA  FLORAISON  DE  L'ECOLE. 


que  la  floraison  artistique  de  l'Empire  romain,  en  pénétrant  jus- 
qu'en Ariane,  y  ait  trouvé  achevée  la  combinaison  dont  est  issu 


FiG.  5oo.  —  Les  huit  grands  mibacles,  av  Mag.idha  (cf.  p.  Gio,  681,  706,  707). 

Sli}Ie  (le  JainHsjjiiy,  dislricl  de  Patna. 

D'après  une  [iliologr.  d«;  VAreh.  Snrvcy. 


l'art  gréco-bouddhique  et  son  répertoire  traditionnel  déjà  en 
grande  partie  fixé.  C'est  sans  doute  à  ce  fait  qu'il  doit  d'avoir  gardé 
dans  l'ensemble  un  air  de  physionomie  qui  n'est  qu'à  lui  et  auquel 


GANDIUnA.  -    II. 


00 

nti'niuRnic    NAttoNiie. 


546  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHARA. 

on  le  icconiiaît  du  premier  coup  d'œil  parmi  la  banale  promis- 
cuité des  musées.  C'est  à  peine  si,  devant  quelques  motifs  isolés 
de  décoration  pure,  il  serait  permis,  après  un  examen  tant  soit 
peu  attentif,  d'hésiter  sur  leur  patrie  d'origine.  Le  plus  souvent 
le  bas-relief  ou  l'image  gandhàriens  présentent,  dans  la  forme 
comme  dans  l'expression,  un  élément  d'originalité  irréductible, 
qui  les  difl'érencie  du  reste  de  l'art  cosmopolite  de  ce  temps  et 
leur  a  valu  l'ampleur  de  la  présente  monographie.  Mais  d'autre 
part,  il  faut  bien  le  dire,  le  fait  que  l'évolution  de  l'école  s'est 
poursuivie  sans  grand  heurt  vient  s'ajouter  au  caractère  trop 
évidemment  arliticiel  de  notre  division  par  siècles  (et  encore 
comptés  à  l'européenne!)  pour  rendre  des  plus  malaisées  toute 
entreprise  de  classification  chronologique.  Gomment  parvenir  à 
distinguer  et  à  mettre  à  part  les  œuvres  nettement  postérieures, 
mais  non  point  de  plus  d'une  centaine  d'années,  à  notre  ère, 
alors  que  par  définition  celles-ci  tendent  à  se  confondre  insensi- 
blement avec  celles  qui  les  ont  précédées  ou  suivies?  La  conviction 
patiemment  acquise  que  nous  n'avons  plus  besoin  de  procéder 
omme  tout  à  l'heure  à  une  sélection  timide  et  que  nous  pouvons 
cette  fois  puiser  dans  le  tas  à  pleines  mains,  ne  nous  apprend 
nullement  d'après  quels  points  de  repère  la  ligne  de  démarcation 
doit  être  tirée.  Aussi  va-t-il  falloir  mobiliser  de  plus  belle 
inscriptions,  monnaies  et  analogies  archéologiques,  bref  le  ban 
et  l'arrière-ban  de  nos  documents. 

Parmi  les  correspondances  entre  l'art  du  Gandhâra  et  celui  de 
l'Orient  romain,  il  en  est  une  que  nous  devons  surtout  retenir,  tant 
à  cause  de  sa  nouveauté  que  du  rôle  considérable  qu'elle  joue.  Nous 
voulons  parler  de  la  prédilection  et  même  de  la  monomanie,  sou- 
vent remarquée,  des  colonnes  et  des  pilastres  gréco-bouddhiques 
pour  l'ordre  corinthien.  On  sait  que  ce  contagieux  engouement  a 
gagné  toutes  les  provinces  de  l'Empire;  mais  c'est  seulement  avec 
les  chapiteaux  de  Baalbeck,  de  Pétra  ou  de  Palmyre  qu'il  y  a  uti- 
lité pour  nous  à  comparer,  toutes    proportions  gardées,  ceux  de 


c 


LA  FLORAISON  DE  L'ECOLE.  5/i7 

Takht-î-Bahai,  de  Jamal-Garhi  ou  de  Loriyân-Tangai  (fifj.  iii- 
119).  Nous  avons  déjà  noté  à  propos  de  ces  derniers  comment 
leurs  feuillages  ouvragés  sont  ornés,  à  la  mode  syrienne,  de  per- 
sonnages debout,  assis  ou  à  mi-corps  W.  Une  autre  particularité  a 
été  depuis  longtemps  signalée  par  M.  W.  Simpson  (^)  sur  les  petits 
pilastres  qui  encadrent  un  si  grand  nombre  de  nos  bas-reliefs.  La 
plupart  n'ont  pas  seulement  des  chapiteaux  d'acanthes  :  beaucoup 
présentent  encore,  comme  à  Palmyre,  incisé  sur  leur  grande  face, 
un  petit  panneau  i-ectangulairc  à  extrémités  courbes  (cf.  fig.  198, 
908,  286,  etc.).  Voilà  bien  le  type  de  ces  petits  traits  dont  nous 
parlions  tout  à  l'heure  et  que  leur  mécanisme  indifTérent  rend  à 
nos  yeux  d'autant  plus  significatifs.  Ce  n'est  pas  d'ailleurs  le  seul 
rapprochement  de  détail  qu'il  serait  d^^'à  loisible  de  relever  sur 
les  rares  débris  connus  de  Palmyre  :  car  il  semble  que  dans  ces 
ruines  plus  célébrées  que  fouillées  les  recherches  archéologiques 
soient  encore  moins  avancées  qu'au  Gandhâra.  On  en  noterait  plus 
d'un  autre,  non  moins  caractéristique,  soit  parmi  les  motifs  déco- 
ratifs (telle  la  moulure  ronde,  dont  la  convexité  est  ornée  de  feuilles 
de  laurier  imbriquées,  sur  les  figures  160,  2  33,  28/1,  970, 
271 ,  etc.),  soit  dans  les  draperies,  les  gestes,  les  coiffures  ornées 
de  figurines,  des  personnages.  Et  il  ne  s'agirait  pas  cette  fois  de 
vagues  analogies  pareilles  à  celles  que  l'on  a  cru,  par  exemple, 
trouver  entre  les  Nirvanas  et  les  banquets  funéraires  classiques, 
mais  de  véritables  affinités  électives,  et  qui,  si  elles  n'impliquent 
pas  davantage  une  ff  importation  n  ou  une  trcopieTi,  révèlent  que 
les  artistes  responsables  ont  dû  faire  leur  apprentissage  en  commun. 
Ce  qui  nous  arrête  si  vite  sur  cette  voie,  qui  pourra  être  un  jour 
fructueuse,  c'est  que  pour  l'instant  elle  ne  nous  mènerait  à  rien 
qu'à  enfoncer  la  porte  ouverte  de  l'influence  occidenlale.  Or  ce 
sont  des  domiées  chronologiques  que  nous  cherchons.  Tous  ces 
rapports,  désormais  sans  mystère  [)our  nous,  permettent  bien  de 


'     Cf.  t.  I,|).  -jlVl-aSG.  — ■'■    ./.  Iliiif.  Iii.sl.  lîrilish  Arrliilnls  .  ■>  \  iUi\  iKi)U,  p.  i(i- 


5i8  L'ÉVOLUTION   DE   LKCOLE  DU  GANDIllin. 

rejeter  en  gros  après  notre  ère  la  plus  grande  partie  de  l'œuvre  du 
Gandliâra.  Mais  par  en  haut  la  frontière  reste  d'autant  plus  incer- 
taine que  le  Buddha  altrii)ué  à  l'an  —  3  présente  déjh  sur  son  pié- 
destal le  gros  tore  feuillu  et  les  pilastres  corinthiens  incisés;  et  ce 
n'est  pas  une  limite  moins  llottante  que  fournirait  par  en  bas  la 
destruction  de  Pétra  (io5)  et  de  Palmyre  (27^1).  Cette  fois  encore 
nous  ne  trouverons  que  dans  les  monuments  datés  des  indices  sutîi- 
samment  précis  et  certains  pour  nous  guider  dans  la  répartition 
des  sculptures. 

Il  est  hors  de  question  de  dresser  ici  la  liste  de  toutes  les  in- 
scriptions découvertes.  Celles-là  seules  nous  intéressent  qui  aident 
en  quelque  manière  à  fixer  l'époque  d'une  œuvre  d'art,  et  nous 
aurons  vite  fait  de  les  passer  en  revue.  La  première  moitié  du 
siècle  reste  singulièrement  pauvre  en  ce  genre  de  documents.  La 
fameuse  mention  de  Gondopharès  dans  un  puits  de  Takht-î-Baliai, 
quelle  qu'en  soit  l'année,  ne  donne  aucun  renseignement  précis 
sur  l'état  de  la  fondation.  La  moisson  devient  un  peu  plus  fruc- 
tueuse à  partir  de  l'avènement  des  Kusanas.  La  trouvaille  de 
Ciiârsadda,  datée  de  S.  386  =  62/3  après  .l.-C,  se  compose  d'une 
statue  du  Buddha  (hg.  678),  malheureusement  sans  tète,  et  de 
son  piédestal  (fig.  679)  :  ajoutons  que  sous  sa  base  on  a  retrouvé 
in  situ  une  monnaie  de  Kadphisès,  ce  qui  s'accorde  parfai- 
tement avec  la  date  que,  par  miracle,  on  attribue  unanimement 
à  ce  dernier.  Nous  touchons  au  règne  de  Kaniska  dont  le 
nom  se  répète  désormais  sur  quantité  de  pierres  inscrites,  de 
Kaboul  à  Bénarès,  en  passant  par  Mânikyàla  et  Mathurâ.  M'ou- 
blions pas  non  plus  de  noter  la  monnaie  de  lui  qui  a  été  retrouvée 
dans  les  fondations  du  monastère  de  SanghaoC).  Mais,  pour  l'in- 
stant, il  va  de  soi  que  le  reliquaire  de  Pêshawar  (pi.  VI)  est  le  mo- 
nument de  beaucoup  le  plus  instructif  comme  le  plus  fascinant  qui 
nous  soit  parveiui  de  son  règne.  Par  ses  personnages  détachés  et 

•''  Coi.E,  Sec.  lieporl ,  p.  c\\. 


LA   FLORAISON  DR   L'ÉCOLE.  549 

ses  frises,  cette  boîte  renseigne  à  la  fois  sur  la  technique  de  la  sta- 
tuaire et  sur  celle  des  bas-reliefs.  Puis,  telle  qu'elle  nous  apparaît 
placée  à  la  fin  du  i"''  ou  au  début  du  \f  siècle  de  notre  ère,  elle 


Fir,.  5(n  ((-r.  |).  i;!(i,  i'i3.  (iii,  (181  1. 

«.    Biiiiiin.  —  h.  Couple  tctéi.aiiii;.  —   c.  Lutins,  au  Magauha 

lirilrslt  Miisriim.  I[nuteiiy  :  0  m.  3a. 


constitue  justement  le  jalon  dont  nous  avons  besoin;  ou  plutôt 
(car  pourquoi  le  dissimuler?)  c'est  sa  présence  à  cette  place  qui  a 
déterminé  la  division  de  notre  chapitre.  Vu  son  importance  capi- 
tale, nous  ne  regretterons  pas  comme  perdu  lo  temps  déjà  passé 


550  i;i':VOLUTION   DR  L'ÉCOLE   DU   f.AÎSnHÂRA. 

à  la  reloiirner  sur  toutes  ses  faces  et  à  fixer  les  règles  de   son 
inlerprélalionf''. 

Si  à  présent  nous  lui  appliquons  rigoureusement  la  méthode 
qui  nous  a  paru  la  plus  scientifique,  nous  serons  conduit  aux  consta- 
latiotis  et,  parcelles-ci,  aux  couclusious  suivantes.  Tout  d'abord  on 
observe  que  le  personnage  central  du  couvercle,  comme  celui  de 
la  panse t^),  accuse  sa  prééminence  par  une  taille  qui  s'élève  au- 
dessus  de  la  moyenne.  En  second  lieu  les  divers  assistants ,  Soleil  ou 
Lune,  Indra  ou  Brahmà,  sont  encore  assez  nettement  caractérisés 
par  leurs  costumes  ou  leurs  attributs.  En  troisième  lieu  les  laïques 
se  bornent  à  joindre  les  mains  et  les  Biiddhas  à  les  réunir  dans  le 
geste  de  la  méditation  ou  à  lever  seulement  leur  dextre.  En  qua- 
trième lieu  les  draperies,  déjà  stylisées,  gardent  néanmoins  les 
lignes  classiques  de  leurs  plis  :  le  manteau  monastique  du  Maître 
monte  notamment  jusqu'à  son  cou  et  cache  ses  ])ieds  croisés.  De 
cette  série  d'observations'-^',  nous  sommes  autorisés  à  déduire  pro- 
visoirement, et  sous  bénéfice  d'inventaire,  une  règle  générale  qui 
pourrait  s'énoncer  à  peu  près  ainsi  :  sont  sinon  antérieures,  du 
moins  d'un  modèle  antérieur  au  ]f  siècle  de  notre  ère  toutes  les 
œuvres  du  Gandliâra  :  i°  où  IcsBuddhas  n'ont  ni  l'épaule  droite 
ni  les  jueds  découverts;  2°  où  les  mêmes  ne  font  pas,  là  où  il  serait 
attendu,  le  geste  de  l'enseignement;  3°  où  les  divinités  tradition- 
nelles ne  sont  pas  encore  réduites  au  rôle  d'assistants  sans  carac- 
tère défini;  4° où,  entre  le  personnage  central  et  ses  acolytes,  ne  se 


o  Cf.  t.  II,  p.  /i3o,  53 1  et  54i. 

'*'  Par  ce  dernier  nous  entendons  le 
Kanislo  vu  dp  profil  sur  la  gauche  de 
la  pi.  VI ,  1  ,  et  de  face  sur  le  milieu 
de  la  pL  VI,  9. 

*''  Le  fait  (jue  les  nimbes  de  toutes 
les  déités  sont  ornes  au  moins  d'un  filet 
ou  de  pétales  de  lotus  nous  paraît  un 
détail  relevant  du  travail  de  l'orfèvre,  et 
dont  il  n'y  a  pour  l'instant  (mais  voir  ci- 
dessus,  t.  Il,  p.  870)  aucune  conclusion 
à  lirei-  au  point  de  vue  de  la  sculpture 


sui'  pierre  :  c'est  ainsi,  par  exemple,  que 
le  nimbe  du  Buddba  de  la  figure  48 1 
(u'  siècle?)  est  nu,  tandis  que  celui  delà 
figure  liSo  (i"  siècle?)  est  décoré.  —  On 
peut  en  revanche  observer  que  le  Buddha 
du  sommet  est  assis  non  sur  le  ])éricarpe 
du  lotus,  mais  sur  un  simple  évasement 
de  la  tige  (cf.  fig.  i  i5)  ':  nous  croirions 
volontiers  ce  ])rocédé  plus  archaïque  que 
celui  usité  sur  les  figures  76-79,  etc.: 
dans  le  cas  présent  il  est  d'ailleurs  néces- 
sité par  le  décor  du  couvercle. 


LA   FLORAISON   DE   L'ÉCOLE.  551 

dessine  pas  déjà  une  excessive  disproportion  de  taille...  On  ne 
pouri'a  manquer  d'être  favorablement  impressionné  par  la  façon 
dont  cet  énoncé  concorde  dans  chacun  de  ses  détails  avec  ce  que 


FlG.   Ô0-2.    MAIliKÀH-jAMBIlAI.A  ,    AU    ,MA(iAllllA    (cf.    |l.    12(),    (il  11. 

British  Muséum.  Provenant  de  liodh-Ga\jd.  Hauteur  ;  o  m.  as. 


nous  avons  cru  deviner,  au  cours  de  notre  étude  iconographique, 
au  sujet  de  l'âge  relatif  des  divers  monuments.  Il  ne  s'accorde  pas 
moins  dans  l'ensemble  avec  la  conception  que  nous  avons  été 
amené  à  nous  faire  de  l'évolution  de  l'école.  Il  levient  en  eflet  à 


55^  I;KV0L[JTI0N   de  L'ECOLE   DU  GANDHARA. 

attribuer  au  i''  siècle  les  nombreuses  sculptures  qui,  déjà  parve- 
nues à  combiner  Iiarmonieusemenl  la  forme  grecque  avec  le  fond 
bouddhique,  n'ont  pas  encore  commencé  à  sacrifier  leurs  tradi- 
tions classiques  aux  exigences  imminentes  du  goût  indigène, 
c'est-à-dire  celles  que  nous  avons  appris  à  regarder  comme  les 
échantillons    les    mieux    réussis    du    compromis    spécifiquement 


ganuharien. 


Loin  de  nous  l'intention  de  soutenir  que  cette  loi  générale  ne 
comporte  pas  d'exceptions  :  pourtant  nous  devons  faire  observer 
qu'elle  se  tire  assez  bien  des  contre-épreuves  auxquelles  il  est  déjà 
possible  delà  soumettre.  Oublions,  par  exemple  ,  que  dans  notre  sys- 
tème le  ])iédestal  de  Chàrsadda  date  de  l'an  63/4  après  J.-G.  et 
examinons-le  au  point  de  vue  chronologique.  Le  joli  modelé  du 
toise  du  Bodhisattva,  la  finesse  gracieuse  des  visages  et  autres  con- 
sidérations esthétiques  ne  nous  apprendront  rien  de  précis  sur  l'âge 
de  cette  réplique  du  samcodana'^'\  Mais,  d'une  part,  les  pilastres 
corinthiens  à  panneaux  et  l'introduction  du  donateur  nous  em- 
pêcheront de  la  faire  remonter  au  delà  de  notre  ère;  de  l'autre,  la 
disproportion  encore  raisonnable  entre  le  Bodhisattva  et  ses  deux 
conn)arses,  le  caractère  individualisé  du  Brahmâ  chevelu  et  de 
rindra  cnturbanné,  le  naturel  des  gestes,  la  souplesse  des  dra- 
peries, sont  autant  de  traits  antérieurs  au  style  de  kaniska.  Prenez 
la  moyeinie  :  vous  tomberez  à  peu  près  juste;  et  cette  réussite 
approximative  incite  à  se  laisser  guider  par  les  mêmes  indices  cha- 
que fois  qu'il  y  aura  lieu  de  procéder  à  l'examen  critique  d'un 
bas-relief.  Ce  n'est  pas  tout  :  les  détails  du  costume  et  de  la  coif- 
fure des  personnages  laïques  du  piédeslal  ou  du  reliquaire,  nœuds 
des  chignons  et  des  turbans  ou  dispositions  des  draperies,  nous 
deviennent  précieux,  une  fois  leur  date  fixée,  pour  classer  à  leur 
tour  nos  légions  de  Bodhisattvas.  Quant  au  Buddba,  nous  sommes 
fixés  sur  la    façon  dont  l'école  traitait  cette  figure  maîtresse  au 

«  Cf.  l.  Il,  p.  88  el  lig.  .'171,. 


LE   DÉCLIN  DE  L'ÉCOLE.  553 

début,  au  milieu  et  à  la  lin  du  T'  siècle.  Ce  sont  là  des  résultats 
positifs,  et.  ne  craignons  pas  de  le  dire,  des  plus  encourageants. 
Allons-nous  à  présent  passer,  sans  plus  de  préparation,  de  la 
théorie  à  l'application  et  rapporter  par  exemple  au  même  siècle, 
sur  la  foi  des  mêmes  signes,  le  Buddlia  de  la  planche  II  ,1e  Bodhi- 
sattva  de  la  planche  1  ou  les  bas-reliefs  des  figures  198-199,  etc.  ? 
Rien  ne  serait  à  notre  avis  plus  prématuré  qu'une  entreprise  aussi 
risquée.  Nous  avons  besoin  de  beaucoup  plus  de  jalons  —  autre- 
ment dit,  de  sculptures  datées  —  pour  atteindre  k  tant  de  préci- 
sion et  de  sécurité  d'esprit  dans  le  diagnostic  chronologique  :  mais 
nous  ne  voyons  pas  de  raison  pour  que  nous  n'en  possédions  un 
jour  les  moyens.  Laissons  faire  le  temps,  les  découvertes  de  l'Ar- 
chipological  Survey  et  la  compétence  accrue  des  archéologues;  et 
pour  l'instant  bornons-nous  à  marquer  les  premiers  points  de  repère 
dont  nous  disposions. 

§   IV.    Le  déclin  de  l'école  (n'"-ni''  siècle). 

Interprété  selon  les  règles  de  la  critique,  le  reliquaire  de 
Kaniska  (pi.  VI)  n'atteste  pas  seulement  le  niveau  assez  élevé  au- 
quel, en  dépit  d'une  stylisation  déjà  marquée,  se  maintenait  l'art 
gandhiîrien  vers  la  tin  du  i"  siècle  de  notre  ère  :  il  rejette  encore 
après  lui  une  partie  considérable  de  l'œuvre  de  l'école.  Que  sont 
en  eiïet,  en  vertu  même  des  principes  que  nous  venons  de  poser, 
les  sculptures  postérieures  au  1"  siècle?  La  réciproque  étant  vraie, 
ce  seront  d'abord  toutes  celles  :  1°  oîi  le  manteau  du  Buddlia 
découvre  son  épaule  droite  et  les  plantes  retournées  de  ses  pieds; 
5°  où  il  adopte,  quand  l'occasion  l'y  invite,  le  geste  désormais  fixé 
de  l'enseignement;  3°  où  l'individualité  des  assistants  s'etTace  en 
raison  même  de  leur  multiplicité;  /i"  où  le  personnage  central 
occupe  un  espace  démesuré  dans  le  panneau.  Or  ces  traits  carac- 
téristiques se  retrouvent  sur  des  ensembles  nullement  négligeables. 
Nous  attribnei'oiis,  par  exemple,  au  11''  siècle  au  [)lus  tôt,  en  raison 


55^1  L'iiVOLUTION  DR   f/ÉCOLR  DU  GANDH\R\. 

de  l'article  k,  les  bas-reliefs  du  stûpa  de  Sikri  (fig.  70,  etc.);  de 
rarliclc  ?>  et  /| ,  ceux  du  sltipa  de  Loriyàn-Tangai  (fig.  21  3,  220, 
'?.i\?),  •!7  I  );  <le  l'article  1  ,  le  Biiddlia  de  la  fiouro  /i8i  ;  des  arti- 
cles 1  et  ;>. ,  celui  de  la  ligure  A82;  des  articles  1  à  /| ,  les  stèles 
des  figui'es  ^(j  et  /log,  etc.  Ce  n'est  pas  tout  :  ainsi  que  nous 
l'avons  déjà  fait  remarquer  ci-dessus,  si  la  présence  et  surtout 
la  simultanéité  de  ces  caractères  donnent  à  penser  que  l'œuvre 
est  déjà  postérieure  à  Kaniska,  l'absence  de  tel  ou  tel  d'entre  eux 
ne  prouve  pas  ipso  facto  qu'elle  lui  soit  antérieure.  On  a  sûrement 
exécuté  au  cours  du  ii""  et  du  \\f  siècle,  à  côté  de  morceaux  dont 
certains  détails  marquent  la  relative  nouveauté,  quantité  d'autres 
qui  ne  sont  que  la  reproduction  servile  des  vieux  modèles.  Le 
Buddha  central  de  la  figure  hSk,  par  exemple,  est,  à  la  facture 
près,  la  copie  exacte  d'un  Buddha  du  i*'"'  siècle  :  l'aspect  général  de 
la  stèle,  comme  la  série  de  compositions  dont  elle  fait  partie,  exige 
néanmoins  qu'on  lui  assigne  une  date  beaucoup  plus  basse.  Nous 
aurons  à  revenir  une  dernière  fois  sur  ce  point  W.  Ce  c[u'il  importe 
de  bien  mettre  en  lumière  dès  le  seuil  de  ce  sous-chapitre,  le 
voici  :  la  période  que  nous  abordons  a  fait  fructifier  une  part  encore 
exirêmement  considéi'ablp  —  bien  qu'à  nos  yeux  moins  impor- 
tante —  de  la  récolte  gandhârienne,  peut-être  même  la  plus  grosse 
part  de  ce  qu'il  nous  a  été  donné  jusqu'ici  de  recueillir.  Il  ne  faut 
pas  (|u'il  y  ait  de  méprise  sur  notre  pensée.  Si  nous  avons  placé 
la  pleine  lloraison  de  l'école  au  i'^'' siècle  de  notre  ère,  nous  n'en- 
tendons nullement  par  là  que  dès  le  11''  elle  ait  vu  diminuer  sa 
productivité.  Les  prodromes  d'un  lent  déclin  ne  sont  pas  synonymes 
d'arrêt  ou  d'inertie.  Nous  estimons  seulement  qu'avec  l'époque  de 
Kaniska  la  période  créatrice  de  types  et  de  motifs  est  à  ])eu  près 
achevée.  Désormais  l'école  ne  fera  plus  guère  que  rabâcher.  Mais  le 
rabâchage  est  ce  que  les  Bouddhistes  craignent  le  moins;  et  ainsi 

'''  ce.  ci-dessous,  p.  667.  —  De  iiiême  sa  coinTure,  au  temps  de  Vâsudèva  (cf.  ci- 
te Bodhi^allva  de  la  fig.  iai  ,  tpie  uous  dessus,  t.  II,  p.  933-234),  a  néanmoins 
avons  cin  pouvoir  rapporte)',  à  raison  de        les  pieds  couverts  ,  etc. 


LE  DEGLIN   DE  L'ECOLE.  555 

rien  nempêclie  que  pendant  deux  ou  trois  siècles  ils  n'aient  pro- 
longé sans  se  lasser,  dans  leur  art  comme  dans  leur  littérature,  cette 
môme  sorte  de  stérile  fécondité. 


l'i'i.  5o3.  —  La  TicsïATiDN  m;  Bhhdha,  à  Ajantà  (cl.  p.  0i3,  68t! ,  7ii'i). 

Scène  sculptée  sur  la  muraille  de  la  cnjple  XXVl. 

Vour  un  croquis,  rf.  .1.  lîunr.Kss,  Note^  un   ...  Ajaytti ,   pi.  XX. 


Longévité,  uniformité,  médiociuté.  -  Telle  est  du  moins  l'im- 
pression que  nous  ont  dès  l'abord  produite,  dans  leur  entasse- 
ment et  leur  désordre,  les  ruines  des  couvents  du  Nord-Ouest. 
Assurément  il  n'y  a  aucune  raison  de  douter  que  des  l'ondations 


556  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU   GANDHARA. 

roligiouses,  de  pied  en  cap  nouvelles,  n'aient  continué  à  s'élever 
sur  le  sol  gandhârien.  Peut-être  les  fouilles  bien  conduites  de 
l'avenir  nous  perinctti'ont-elles  un  jour  de  distinguer  ces  édifices, 
grâce  à  quelque  détail  technique  de  construction,  et  de  dater,  en 
même  temps  que  la  muraille,  les  sculptures  qui  la  recouvrent'''. 
Mais  déjà  nous  sommes  certains  que  l'activité  des  générations  pos- 
térieures à  Kauiska  ne  s'est  nullement  détournée  des  monuments 
que  son  règne  et  ceux  de  ses  prédécesseurs  avaient  vu  se  con- 
struire selon  un  plan  régulier  et  recevoir  leur  décoration  normale. 
On  se  rappelle  peut-être  combien  d'additions  et  de  reprises  succes- 
sives nous  avons  eu  l'occasion  de  constater  sur  les  sites  les  plus 
connus  parce  qu'ils  ont  été  les  mieux  déblayés  '-'.  Le  u"  et  le 
ni"  siècle  de  notre  ère  nous  paraissent  justement  être  l'époque 
des  nombreux  édicules  plus  ou  moins  asymétriques,  chapelles 
ou  stùpa,  par  lesquels  les  donateurs  tard  venus  ont  pris  à  tâche 
de  boucher  les  derniers  vides  entre  les  constructions  anciennes 
et  d'utiliser  tout  le  terrain  demeuré  disponible  aux  abords  d'un 
sanctuaire  consacré  par  une  longue  tradition.  Ainsi  s'explique 
par  exemple  que  des  monnaies  de  Huviska  et  de  Vâsudéva  aient 
pu  être  découvertes  à  Takht-Î-Bahai  et  à  Jamàl-Garlii  à  côté 
d'œuvres  qui  nous  ont  paru  remonter  à  la  meilleure  époque. 
L'aspect  des  fouilles  prouve  jusqu'à  l'évidence  que  la  piété  des 
zélateurs  s'est  exercée  pendant  plusieurs  centaines  d'années  sur 
ces  deux  collines  sacrées  :  et  sans  doute  il  en  a  été  de  même 
ailleurs,  surtout  dans  le  voisinage  des  grandes  villes.  11  ne  faut 
pas  chercher  d'autre  cause  aux  difficultés  presque  inextricables 
que  présente  le  déblaiement  d'un  couvent  comme  celui  de  Ka- 
niska  à  Shàh-jî-ki-Pliêrî,  où  les  premières  constructions  ont  eu  le 
temps  de  devenir  les  substructions  des  ruines  les  plus  voisines  de 

'''  L'Anmtiil  Report  àe  l'Archeeûlogical  dans  les  ruiues  de  ïaxila,  une  première 

Survey  pour  1912-1913  (llg.  i3)  nous  réalisation  de  notre  vœu. 
apporte  à  lu  dernière  heure,  grâce  aux  '■'  Voir  surtout  t.  I,  p.   17-3-177  et 

observations  faites  par  Sir  Juliii  Marshall  fig-,  G4-65. 


LE   DECLIN   DE  L'ECOLE.  557 

la  surface  '').  A  l'embarras  des  archéologues  il  reste  du  moins  cette 
consolation  qu'ils  en  peuvent  déduire,  comme  un  fait  acquis,  la 
longévité  de  l'école. 


FiG.  5o/i.  —  (f Scène  de  Bacchanale»,  à  Ajantâ  (cf.  p.  i.5i,  6i3). 

Panneau  du  plafond  peint  de  la  crypte  T. 

D'après  J.  Bcuge^s,  ?iotes  nn...  Ajantti,  pi.  IV,  a. 

Au.ssi  bien  cette  longévité  même  est-elle  la  source  originelle  de 
nos  constantes  perplexités,  depuis  que  nous  avons  entrepris  le  clas- 
sement chronologique  des  sculptures.  Ce  qui  crée  la  complexité 
du  problème,  c'est  justement  le  fait  que  nous  savons  exhumer  ainsi 
pêle-mêle  des  œuvres  appartenant  à  des  siècles  différents.  Mais  ce 


*''  Oti  sait  ijuo  les  pieiiiièfes  rouilles 
se  sonl  heurtées  à  uu  dédale  presque 
inextricable  de  murs  qui  se  recou|)eut 
à  différents  niveaux,  (j'est  justement  ce  à 


(jiioi  l'un  |iouviiit  s'attendre.  ([Uiind  (in 
constate  qu'au  milieu  du  vin' siècle  Wou- 
k'oiiff  a  encore  trouvé  ce  monastère ,  si 
l'on  peut  ainsi  dire,  en  activité. 


558  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDH\R\. 

qui  rend  sa  solution  décidément  ardue,  c'est  quand  nous  consta- 
tons, ainsi  que  nous  avons  dii  le  faire  dès  le  début ('),  que  le  carac- 
tère le  plus  saillant  de  nos  trouvailles  est  leur  surabondante  et 
désespérante  uniformité.  11  n'est  toutefois,  comme  nous  venons  de 
voir,  constatation  si  fâcheuse  qui  ne  comporte  son  enseignement, 
et  celle-ci  peut  également  nous  conduire  à  une  indication  d'ordre 
général  assez  intéressante  à  retenir.  Elle  nous  donne  en  efïet  à 
penser  que  non  seulement  la  productivité  de  l'école  s'est  longue- 
ment prolongée,  mais  encore  qu'en  se  prolongeant  elle  est  demeurée 
sensiblement  pareille  à  elle-même.  En  d'autres  termes  il  nous  fau- 
drait envisager,  au  lendemain  de  la  floraison,  une  période  d'au 
moins  deux  siècles,  caractérisée  par  une  fécondité  durable  et  rela- 
tivement honorable  dans  sa  perpétuelle  médiocrité.  Peut-être 
n'y  a-t-il  pas  lieu  de  trop  nous  étonner  de  l'insolite  lenteur  de  cette 
décadence  et  de  la  remarquable  persistance  du  style  gandhârien. 
Nous  n'aurons  pas  grand'peine  à  trouver  tout  à  l'heure  l'explica- 
tion de  cette  longévité  comme  de  cette  tenue  dans  les  conditions 
spéciales  du  pays  et  l'organisation  de  ses  ateliers  de  sculpture.  Il 
semble  aussi  qu'il  faille  faire  entrer  en  ligne  de  compte  le  fait  que 
les  relations  avec  lOccident  ne  se  sont  pas  interrompues  et  ont 
continué  à  alimenter  le  foyer  hellénisant  que  nous  avons  vu  se 
former  dans  le  Nord-Ouest  de  l'Inde.  En  tout  état  de  cause,  nous 
devons  à  notre  sujet  de  persister  à  rassembler  tous  les  faits 
d'ordre  politique  ou  commercial,  artistique  ou  religieux  qui  ont 
pu  de  près  ou  de  loin  influer  sur  l'évolution  de  l'école. 

Len  i-appoiis  avec  l'Occident.  —  Le  temps  n'est  plus  en  efïet 
de  nous  montrer  difficiles,  et  il  convient  de  recueillir  avec  soin 
le  peu  que  les  documents  nous  laissent  entrevoir  de  l'histoire  du 
u"  siècle.  Aux  règnes  brillants  de  Domitien  et  de  Trajan  correspon- 
dent ceux,  non  moins  prospères,  de  Kaniska  et  de  Huviska  (aussi 
bien  leurs   monnaies  voisinent-elles  dans  le  slûpa  d'Ahin-Posh)  : 

'■>  Voir  t.  I,  p.  3(5. 


5 


LE  DÉCLIN  DE  L'ÉCOLE.  559 

à  ceux  des  Antonins  celui  de  Vàsuska  ou  Vàsudêva.  Du  moins  les 
inscriptions  continuent-elles  paisiblement  tout  le  long  du  siècle  leur 
comput  traditionnel,  sous  sa  l'orme  (nous  a-t-il  semblé)  abrégée: 
la  série  [h]  3i,  48,  5i,  56,  58''),  etc.,  se  poursuit  sous  Huviska 


FiG.  5o5.  —  Le  Couple  TBTÉLAiRE,  X  Ajantà  (cf.  p.  ii8,  tuli ,  iZd-iZ-j ,  i 'i3 ,  870 ,  6i3). 

Sculpture  dans  la  chapelle  à  droite  du  sanctuaire ,  au  fond  de  la  crypte  II. 

D'-iprès  J.  IjOBCKSs,  Notes  on .  . ,   Ajaittd,  jtl,   VI. 

—  preuve  bien  claire  que  personne  n'a  jamais  compté  par  les 
années  de  règne  de  Kaniska,  — puis  reprend  sous  Vàsudêva  avec 
les  chiffres[/i]  76,  80,  ...  98,  ce  qui  nous  mènerait  déjà  jusqu'en 
176  de  notre  ère.  Bien  entendu,  nous  ne  retenons  ici  que  les  noms 
des  principau.vKusanas,  ceux-là  mêmes  qui  nous  sont  d'autre  part 

"'   CL  Hp.  Ind..  X,  (..   ii-j-ii'i. 


560  L'ÉVOLUTION   DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

conmiH  par  leurs  monnaies.  Le  même  ordre  dynastique  se  reflète 
clairement  sur  celles-ci,  tandis  que  leurs  légendes  grecques,  encore 
lisibles,  et  le  métal  précieux  dont  beaucoup  d'entre  elles  sont 
faites,  attestent  la  constance  et  le  profit  des  rapports  commerciaux 
de  l'Inde  avec  l'Empire  romain. 

De  ces  rapports  nous  avons  de  notre  côté  un  sûr  garant  dans 
les  renseignements  que  nous  a  conservés  la  Géographie  de  Ptolémée 
(entre  i  38  et  161):  mais  il  faut  avouer  que  nous  ne  trouvons  plus 
grandchose  à  mettre  autour  de  ce  plat  de  résistance.  Nous  avions 
dédaigné  jusqu'ici  de  relever  les  soi-disant  ambassades  indiennes 
auprès  d'Auguste  et  de  Claude  :  nous  notons  soigneusement  à  pré- 
sent celles  qu'auraient  reçues  Trajan  et  Antonin  le  Pieux  ('l  Nous 
n'avions  pas  fait  état  de  mainte  information  donnée  sur  les  Indiens 
—  à  la  vérité  dans  un  but  de  moralisation  ou  pour  en  tirer  quelque 
effet  de  rhétorique  —  soit  par  Plutarque,  soit  par  Dion  Chryso- 
stôme  :  nous  sommes  à  présent  trop  heureux  de  recueillir  les  don- 
nées éparses  dans  les  œuvres  de  Clément  d'Alexandrie  (entre  igrî 
et  9  1  y)  et  les  fragments  de  Bardesane  (i5^i  à  220).  Il  ne  paraît 
d'ailleurs  pas  douteux  qu'une  bonne  partie  de  leurs  informations 
ne  soient  des  acquisitions  nouvelles,  lesquelles  sont  enfin  venues 
s'ajouter  au  stock  traditionnel  hérité  des  historiens  d'Alexandre. 
Bardesane  entre  dans  trop  de  précisions  sur  le  mode  de  recrute- 
ment et  la  règle  des  Samanaioi,  Clément  d'Alexandrie  en  sait  trop 
long  sur  le  culte  des  reliques  du  Buddlia  —  dont  c'est  la  première 
mention  connue  en  Occident  —  pour  qu'ils  n'aient  pas  appris  di- 
rectement ces  détails  de  la  bouche  d'Indiens  te  résidant  à  Alexan- 
drie ('^)  T),  ou  de  passage  à  Babylone.  Si  Ihypothèse  n'est  que  vrai- 
semblable   en    ce    qui    concerne    Clément,    le    témoignage    oral 

'    CI.  Priaux,  Iml'ui  and  Rome.  Un  des  (|iii  iitlesle  ;i  nouveau  la  venue  d'Indiens 

pn'tcndns  ajubassadeurs  se  sérail  Ijiùle'  à  en  Europe  à  partir  du  ms"  siècle. 
Athènes  où  l'on  montrait  le  «  tombeau  de  '''  L'assertion  est  de  Chrysostônic  dans 

l'Indien  1.  C'est   ainsi  qu'aujourd'hui   à  son  cf Discours  au  peuple  d'Alexandrie». 

Florence  la  place  où  fut  créuié  je  ne  sais  —  Clément  peut  aussi  avoir  reçu  des  ren- 

quel  ràja   est  marquée  d'iui   monument  sei{>iiements  de   son   maître   Panto?nus: 


LE  DÉCLIN  DE  L'ÉCOLE.  561 

cl' ft  ambassadeurs  indiens  «  nous  est  donné  comme  la  source  de 
Bardesane.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  nouveau  et  de  plus  intéres- 
sant pour  nous  dans  ces  renseignements,  c'est  que  nous  les  rece- 
vions à  présent  de  la  plume  d'écrivains  gnostiques  ou  chrétiens. 
Ce  fait  seul  suffit  h  nous  avertir  qu'il  y  a  quelque  chose  de  changé 
dans  l'air  de  l'Asie  antérieure. 

La  Gnose  et  le  Bouddimme.  —  Songeons-y  bien  en  effet  :  pour 
ne  relever  (|ue  les  faits  qui  nous  intéressent,  c'est  le  temps  où 
Philostrate  écrit  pour  charmer  les  loisirs  d'une  impératrice  syrienne 
la  biographie  d'Apollonios  de  Tyanc;  où  l'on  commence  à  rédiger 
à  Edesse  les  aventures  de  saint  Thomas  dans  les  Indes;  où  Scythien, 
riche  et  ingénieux  marchand  de  la  Saracène,  devenu  théosoplie  en 
Egypte,  et  son  disciple  Téréhinthe,  qui  se  faisait  appeler  Buddha, 
jettent  les  bases  de  la  fameuse  doctrine  à  laquelle,  vers  la  fin 
du  nf  siècle,  Manès  prêtera  son  nom  et  le  prestige  de  son  cruel 
martyre  ('l  D'une  manière  générale,  c'est  l'époque  qui,  sous  de 
multiples  formes,  vit  Heurir  la  rr gnose  11,  cet  éclectisme  ou  (si 
Ion  préfère)  ce  syncrétisme  mystique  et  ésotériquej.qui  écrémait 
toutes  les  doctrines  religieuses,  s'autorisait  de  tous  les  livres  saints, 
utilisait  au  service  de  son  explication  métaphysique  du  monde  tous 
les  mythes  et  les  symholes  de  l'Orient.  Dans  l'étrange  symphonie 
dont  s'enivraient  alors  les  esprits,  l'Inde  tenait,  on  le  voit,  sa  partie. 
Si  l'on  voulait  préciser,  on  trouverait  sans  doute  que  la  théorie 
de  la  transmigration  des  âmes  selon  leurs  œuvres  ou  metensôma- 
tose,  et  la  discipline  ascétique  du  monachisme  représentent  sa 
plus  importante  contribution  à  cette  macédoine  de  toutes  les  tradi- 
tions égyptiennes  ou  babyloniennes,  mazdéennes  ou  juives,  plus  ou 
moins  liée  de  néo-platonisme  grec.  Et  il  serait  bien  surprenant 
quelle  n'eût  pas  de  son  cùté,  en  dépit  de  son  peu  de  perméabihté 


mais 


is  (les  doiik'S  (jiil  l'Ié  ('levés  par  E.  I^e-  '''  Tell(^  csl  du  iiKiins.  (I('|)i)(iill(;(;  de 

NAN  sur  la  visite  que  ce  dernier,  d'après  ses   dtUails   lendancieux,   la  version  des 

EisiînE  (llkt.  EccL,  V,  9-10),  aurait  l'aile  origines  du  nianicliéisme  qui  nous  a  été 

dans  l'Inde  aux  environs  de  l'an  200.  conservée  par  les  Actes  d'ArchcJaùs. 
GANDnÀn/i.  -  n.  36 


lupniutnti;    matiosam:. 


562  L'ÉVOLUTION   DE   L'ÉCOLE  DU  GANDHArA. 

aux  conceptions  et  aux  modes  étrangères,  fait  quelque  emprunt 
de  fond  ou  de  forme  à  cet  universel  pot-pourri. 

Une  première  présomption  est  aussitôt  créée  en  ce  sens  parles 
multiples  invasions  qu'elle  ne  cesse  de  subir  et  qui  toutes  font 
iiTuption  chez  elle  par  la  voie  du  Nord-Ouest.  Après  l'Iiégénionie 
des  Grecs  et  des  Scytho-Parthes,  celle  même  des  barbares  Yue- 
tche  dut  aider  à  la  pénétration  des  idées  religieuses  de  l'Asie  anté- 
rieure. Citerons-nous  tout  de  suite  un  fait  d'évidence  trop  maté- 
rielle pour  que  personne  songe  à  le  contester?  La  cohue  des 
divinités  grecques,  persanes  ou  indiennes  qui  se  pressent  sur  le 
revers  des  monnaies  des  Kusanas  constitue  un  véritable  panthéon 
gnostique  et  jette  un  jour  curieux  sur  la  bigarrure  de  leur  vernis 
de  civilisation.  Sans  doute,  si  l'on  en  croit  le  grand  rôle  joué  par 
Mithra,  Mao,  INana  (Anaïtis),  Ardoclisho,  Pharro,  etc.,  ils  s'étaient 
laissé  quelque  peu  iraniser  en  Bactriane.  Mais  leur  mazdéisme 
s'était  également  frotté  d'hellénisme,  puisque  c'est  l'alphabet  grec 
qu'ils  emploient  pour  écrire  tous  ces  noms  de  divinités,  à  continuer 
par  ceux  d'Hélios,  de  Sélènè  ou  d'Héraklès.  Et  enfin  ce  n'est  pas 
à  nous  d'oublier  le  contingent  fourni  par  l'Inde  en  la  personne 
d'Oèsho  (Çiva),  Skanda,  Mabâsôna,  etc.,  et  même  du  Buddha. 
A  la  vérité  ce  dernier  occupe  sur  le  monnayage  des  grands  kusa- 
nas une  place  beaucoup  plus  modeste  que  celle  que  nous  aurions 
été  disposé  à  lui  accorder  sur  la  foi  des  traditions  bouddhiques. 
Peut-être  oublions-nous  trop  aisément  que,  tout  d'abord,  ces  rois 
n'étaient  dans  l'Inde  que  des  envahisseurs;  qu'ensuite  rien  ne  se 
laisse  deviner  des  idées  religieuses  de  Iluviska  ;  et  qu'en  ce  qui 
concerne  Vâsudêva,  s'il  ne  se  proclame  nulle  part  crBhàgavatan 
aussi  nettement  que  Vima-Kadphisès  se  disait  tout  à  l'heure  trMa- 
hêçvaraw,  son  nom  semble  indiquer  des  tendances  au  vishnouisme. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  Buddha  paraît  tout  au  moins  sur  les  monnaies 
de  Kaniska,  le  seul  de  ces  potentats  dont  la  conversion  au  Boud- 
dhisme soit  avérée.  Cette  apparition  sensationnelle  pour  notre 
objet  ne  complète  pas  seulement  la  mixture  attendue  des  mythe- 


LE   DÉCLIN   DK   L'ÉCOLE.  5t;;5 

logies  :  la  compagnie  où  il  se  trouve  prouve  assez  qu'il  était  déjà 
passé  rlieu  et  tnènie,  pour  quelques-uns  de  ses  fidèles,  frdieudes 


FiG.  506-Ô07.  —  Les  qcatre  grands  miracles,  a  AMviiuni  et  Uenares. 
Fig.  SoG.  —  Musée  de  Madras.  Hauteur:  1  m.  afî  {rf.  p.  (h -'1-616,  6Sa). 
Fig.  5ri~.  —  Musée  de  Cakulla,  n°  S[àrndth)  3.  //.  :   o  m.  qo  {cf.  p.  iiiô,  610,  Gi5,  (Sfij. 
Grjn). 

dieuxn  (^devàtideva^  Le  fait  est  de  telle  importance  que  nous  avons 
déjà  du  le  noter  à  propos  de  son  iconographie''),  car  il  va  de  soi 
que,  pour  expliquer  la  création  et  surtout  la  multiplication  de  ses 


"'  Cf.  ci-dessus,  L  II,  p.  aS3  et  3(j.î. 


36. 


56^1  i;i':VOLLlTION   DE   L'ÉCOLE  DU   GANDHARA. 

idoles,  il  était  nécessaire  de  signaler  au  préalable  sa  divinisation  : 
on  voit  mieux  à  présent  comment  celle-ci  s'explique  dans  l'am- 
biance générale  du  temps. 

Faut-il  cependant  nous  borner  à  ces  constatations,  en  somme 
superficielles?  Elles  nous  invitent  plutôt  à  aborder  la  question, 
infiniment  plus  délicate  et  ouverte  aux  controverses,  de  l'influence 
de  l'Asie  antérieure  sur  les  idées  et  les  textes  du  Bouddhisme,  pour 
ne  pas  parler  des  autres  religions  de  l'Inde  du  Nord.  Gomment  ne 
pas  se  souvenir  que  cette  apothéose  du  Buddlia  faisait  partie  du 
mouvement  qui  transformait  alors  et  élargissait,  au  point  de  la 
rendre  méconnaissable  pour  ses  vieux  adhérents,  la  doctrine  du 
Maître?  Au  nom  de  Kaniska  s'associe  justement,  dans  l'histoire  de 
l'Eglise,  la  tenue  du  troisième  et  dernier  des  grands  conciles.  Le 
roi,  nous  dit-on,  l'aurait  réuni,  tôt  après  sa  conversion,  afin  de 
mettre  un  terme  aux  dissentiments  d'ordre  dogmatique  qui  divi- 
saient la  Communauté.  Apparemment  le  vénérable  Pàrçva  et  les 
autres  conseillers  du  barbare  néophyte  se  proposaient  d'étouffer 
l'esprit  nouveau  suscité  par  l'infiltration  des  idées  mazdéennes, 
voire  même  judéo-chrétiennes  :  car  les  marchands  syriens  devaient 
jouer  dans  leurs  comptoirs  orientaux,  en  attendant  les  vrais  mis- 
sionnaires, le  même  rôle  de  colporteurs  religieux  que  l'on  s'accorde 
à  leur  attribuer  en  Occident").  Sans  doute  il  est  bien  établi  que  la 
propagande  chrétienne  s'est  tout  de  suite  orientée  vers  la  Médi- 
terranée(-),  tandis  que  le  Bouddhisme  s'est  au  contraire  tourné 
vers  l'Asie  centrale  et  l'Extrême-Orient  :  mais  leur  rencontre  n'en 
était  pas  moins  inévitable  dans  la  zone  intermédiaire  de  l'Iran;  et 
d'ailleurs  l'existence  de  colonies  chrétiennes  dans  l'Inde  va  bientôt 
devenir  un  fait  historique.  S'il  y  a  eu  des  rapports  entre  le  Boud- 
dhisme et  le  Christianisme  (il  existe  déjà  sur  ce  sujet  toute  une 
bibliothèque),  c'est  à  ce  moment  et  dans  ce  milieu  qu'on  pourrait 
en  entrevoir  la  possibilité.  Il  ne  s'agirait  d'ailleurs  dans  notre  esprit 

'"'  C(.  DE  GvMO'iT ,  Les  Cultes  uriciiliiii.r,  p.  1-37  l'I  suiv.  —  '■"'  E.  Renan,  tes  Jpôdrs, 
p.  a8o. 


LE  DÉCLIN  DE   L'ÉCOLE.  565 

f|ue  d'une  iiilluence  de  la  légende  chrétienne  sur  le  néo-Boud- 
diiisme  du  temps,  pour  ne  rien  dire  de  son  néo-Krislinaisme. 
Quoiqu'il  en  soit,  de  l'espèce  de  concile  de  Trente  convoqué  par 
Kaniska  sortit,  comme  il  arrive,  l'affermissement  de  la  Réforme. 
Le  Maliàyâna,  qui  déjà  respire,  mais  se  cherche  encore  dans  les 
écrits  d'Açvaghosa,   achève  de  prendre  conscience  de  lui-même. 


FiG.  5o8.  --  La  Tentation  ih:  Buddha,  à  AMAinvAii  (l'I.  p.  Gili,  G82). 
Musée  (le  Madiiis.  Itmileiir  dp  la  partie  sculptée:  0  tn.  j8. 

Nâgârjuna  va  bientôt  réunir  en  un  premier  essai  de  synthèse  les 
traits  épars  et  visiblement  incohérents  qui  constitueront  désormais 
la  Voie  Supérieure'').  Mais  quand,  après  le  grand  docteui\  nous 
tâchons  vainement  de  concilier  cet  idéalisme,  voire  même  ce  nihi- 
lisme Lranscendantal,  avec  le  piétisme  le  plus  outré  en  passant  par 
les  rites  machinaux  d'un  culte  quasi  cabaliste,  comment  pour- 
rions-nous nous  défendre  de  penser  que  ce  fuyant  et  versalde  Mahà- 
yâna  n'est  après  tout  rien  d'autre  que  la  forme  indienne  de  la  Gnose? 

'''   G'esL  ainsi  (|ue  riiistoricii  du  lioud-         liisinriqucs  cnlre  \f.  concile  dé  Kaiiiska  el 
(Ihisme,  Târanâtha.  conçoit  les  rapports         li'  Mahûyâna  (p.  fit  ot  71). 


566  I;KV()IJITI0N   de   L'ECOLE  DU  GANDHARA. 

Cette  première  impression  ne  feiiiil  (|ne  se  conlirmer  si  nous 
nous  attacliions  à  retrouver  dans  les  nouveaux  siUra,  tels  que  le 
Loliis  (le  la  lionne  Loi,  par  exemple  (pour  ne  rien  dire,  cette  fois 
encore,  du  Mnhdbhdrula) ,  le  même  verbiage  moralisant  et  les 
mêmes  imaginations  apocaly[)li([ues  qui  caractérisent  les  traités 
gnostiques  du  génie  de  la  Uialis  ^o:piaL.  Mais,  sur  cette  pente, 
une  considération  nous  arrête.  Le  Gandhâra,  nous  l'avons  dit, 
était  le  pays  d'élection  de  la  vieille  secte  des  Sarvâstivàdins,  et  c'est 
cet  asile  de  l'orlhodoxie  hinayâniste  que  Kaniska  aurait  d'abord 
proposé  comme  siège  de  son  concile ('l  II  est  donc  à  présumer 
qu'il  sera  resté  assez  longtemps  indemne  de  rinfluence  dite  mahâ- 
yâniste.  De  fait,  c'est  bien  plus  tard  qu'il  se  mettra  à  fournir  de 
docteurs  la  nouvelle  doctrine.  Pour  l'instant,  même  dans  les  textes 
les  plus  avancés  de  la  secte  dominante ,  tels  que  le  Lalita-vistara,  nous 
ne  trouvons  pas  trace  ni  de  la  théorie  toute  mazdéenne  des  Dhyîlni- 
Buddhas  et  de  leurs  hyposlases,  ni  de  la  dévotion  à  l'Amshaspan 
de  lumière  que  dut  être  Amitâblia  avant  de  prendre  la  présidence 
du  paradis  bouddhiqjue  ade  l'Ouestn.  Est-ce  à  dire  que  l'on  ne 
puisse  déjà  déceler  dans  le  Lalùa-vislara  quelques  symptômes  non 
équivoques  d'inQuence  étrangère?  Plus  d'un  détail  y  sonne  trop 
familièrement  à  nos  oreilles  européennes  pour  ne  pas  éveiller  notre 
défiance  à  ce  sujet.  Rien  qu'en  l'examinant  à  notre  point  de  vue 
archéologique,  nous  avons  cru  relever  çà  et  là  l'indice  de  remanie- 
ments visiblement  inspirés  par  nos  conceptions  ou  nos  coutumes 
occidentales.  Tel  serait  le  cas ,  sans  sortir  du  cercle  de  nos  préoc- 
cupations habituelles,  pour  certains  aspects  qu'il  prête  à  la  Tenta- 
tion, et  surtout  pour  l'épisode  de  la  présentation  del'enfant-Buddha 
au  temple,  ou  encore  pour  le  couronnement  dont  il  souligne  le 
rôle  messianique  de  Maitrêya'^). 

'''  Cf.  tliL.vN-TSANG,  Trdrels ,1 ,  [).  2yO.  '■'  Nous  ;ivous  conservé  une  trace  de 

Lo  passage,  qui  n'avait  pas  été  compris  ces  remaniements  dans  les  textes  eux- 

pai-  S.  Heal,  a  été  mis    clairement   eu  mêmes:  M.  Sylvain  Lévi  veut  bien  nous 

lumière  par  T,  VVatters.  avertir  que ,  par  une  coïncidence  curieuse , 


LE  DÉCLIN   DE  L'ÉCOLE.  567 

Lps  ateliers  ganâhâriens.  —  \(jus  ne  l'oublions  pas  en  effet  :  le 
mouvement  reiifjieux  que  nous  venons  d'esquisser  ne  nous  touche 
qu'autant  qu'il  se  rellèle  sur  les  monuments  figurés.  Nous  ne  serons 
pas  surpris  de  constater  une  fois  de  plus  que  ceux-ci  se  sont  mon- 
trés encore  plus  réfraclaires  que  les  textes  aux  idées  nouvelles. 
Pour  commencer  ils  ignorent  totalement,  ainsi  que  nous  l'avons 
déjà  constaté,  les  deux  épisodes  du  Lalita-vistara  qui  nous  ont  paru 
particulièrement  suspects,  et  le  plus  souvent  ils  s'en  tiennent  à 
figurer  non  point  la  rr  tentatioim ,  mais  seulement  a  l'assaut  a  de 
Mâra.  Toutefois  il  existe  un  groupe  important  de  stèles  (voir 
fig.  76-79,  lxo6-ko8,  /iBS-Ziog,  /i84-/i85),  à  propos  desquelles 
nous  avons  justement  du  poser  la  question  du  mahàyânisme  de 
l'école'''.  Qu'elles  attestent  la  triomphante  ilivinisation  du  Buddha 
et  le  culte  de  latrie  dont  il  est  devenu  l'objet,  il  suffît  d'y  jeter  les 
yeux  pour  être  obligé  d'en  convenir,  tant  son  image  y  prend  une 
importance  écrasante.  Le  point  qui  restait  en  suspens,  c'était  la 
figuration  des  Dhyâni-Buddhas,  et  de  leurs  fils  spirituels.  Si  le  pro- 
blème nous  avait  paru  susceptible  d'une  solution  nette,  nous  ne 
l'aurions  pas  fait  attendre  jusqu'ici  :  l'iconographie  nous  l'aurait 
déjà  fournie.  Mais  enfin  l'histoire  générale  confirme  et  précise  nos 
premières  impressions.  Nous  voyons  mieux  à  quel  moment  de  son 
évolution  l'arl  du  Gandhàra  rejoint  et  côtoie  la  transformation 
doctrinale  du  Bouddhisme.  Celle-ci  devait  être  dès  le  ni''  siècle 
un  fait  accompli,  cent  ans  au  moins  avant  que  le  témoignage  de 
Fa-hien  n'aciiève  de  lever  tous  nos  doutes  sur  l'intronisation  des 
Bodhisattvas  autres  que  Maitrêya.  Oi- voici  des  stèles  que  tous  leurs 
traits  caractéristiques  (cf.  ci-dessus,  t.  II,  p.  5 5 3-5 5 /i)  rapportent 

les  Irafliiclions  cliinoises  du  Lalita-vislara  les  conceplions  messianiques   aient   pé- 

(date'es    respectiveiiieiit    de  .3o8   et    de  nétré  dans  l'Inde  et  que  celle-ci  en  ait  eu 

683)  ignorent  le  rr  couronnement  de  Mai-  pleine  conscience,  nous  en  trouvons  im- 

trêyai    et  abrègent    ou   suppriment   la  raédiatement  une  preuve  indéniable  dans 

nomenclature  des   dieux   dans  la   rrpré-  les  a|ipellalions  parallèles  de  l'Erchome- 

senlation  au  lempleTi.  VA',  ci-dessus,  1.  II,  nos  el  du  Talhâgata. 
p.  191  . -ioo  et  33a.  —  (juo  |i,u- ailliHirs  '    CI.  I.  Il,  p.  Jl^o  cl  siiiv. 


568  i;i:voi,uTioN  DE  i;kcole  du  GANDinin. 

au  ])lus  tôt  au  if  siècle  :  comment  ne  pas  croire  que  la  scène  du 
tt  Grand  miracle  de   Çrâvaslni  ait  fini  par  céder  la  place  à  des 
interprétations   nouvelles,  et  ses  (kvald  archaïques  par  se  méta- 
morphoser   en    modernes    Bodhisattvas?   L'hypothèse    que    nous 
avions  émise  à  ce  sujet,  déjà  très  probable  pour  les  figures  ^o5- 
Ao8,  devient  une  (juasi-certitude  devant  des  répliques  du  genre 
des   figures  Û8^    et    i85.   Ce  qui  nous  paraît  enfin  tout  à  fait 
sur,  c'est   que  ces   vieilles  compositions    contiennent   en    germe 
le  modèle  des  cr paradis  d'Aniitàbhaii  et  des  autres  cycles  icono- 
graphiques qui,  sous  le  nom  de  vunjdala,  allaient  fleurir  profusé- 
inent  dans  la  Haute-Asie.   Mais,  d'autre  part,  il  est  non  moins 
clair  que,  si  des  œavres  gandhâriennes  relativement  tardives  ont 
pu  se  prêter  avec   le  temps  à  des  identifications  nouvelles,  c'est 
donc  que  celles-ci  n'exigeaient  aucune  modification  profonde  dans 
leur  mode  de  présentation.  Non  seulement  le  Mahâyâna  a  trouvé 
le  répertoire  de  l'école  déjà  formé,  mais  il  ne  réclamait  en  fait 
aucune  rénovation  de  ce  répertoire;  et  c'est  justement  pourquoi 
nous  avons  pu  prétendre  qu'en  définitive  l'école  avait  plus  aidé 
à  son  développement  qu'elle  n'en  avait  subi  l'influence.  Les  futurs 
chercheurs  débrouilleront  mieux  que  nous,   dans  ce  cas  paiticu- 
lier,  l'action  et  la  réaction  réciproques,  toujours  si  intimement 
mêlées,  de  l'iconographie  et  de  la  religion;  dès  à  présent  —  et 
c'est  oti  nous  en  voulions  venir  —  il  nous  faut  renoncer  à  chercher 
un  facteur  de  répartition  chronologique  dans  le  caractère  plus  ou 
moins  ttmahàyâniquen  qu'auraient  affecté  nos  bas-reliefs  :  un  tel 
caractère  ne  pourrait  être  qu'une  illusion    arbitrairement   créée 
par  des  idées  préconçues  et  à  quoi  rien  ne  correspond  dans  la 
généralité  des  cas. 

On  peut  encore  imaginer  un  autre  mode  de  classement  que  ce 
serait  l'instant  d'appliquer  et  qui,  lui,  est  théoriquement  impec- 
cable :  dans  la  pratique  nous  n'en  attendons  guère  plus  d'effica- 
cité. 11  consisterait  à  répartir  les  sculptures  gandhâriennes  que  nous 
siqiposons  postérieures  au  i"  siècle  entre  le  n*"  et  le  m''  selon  leur 


LE   DÉCLIN   DE  L'ÉCOLE.  569 

degré  d'rrindianisatioii'nC).  En  principe,  c'est  une  loi  fatale  qu'à 
mesure  que  coulent  les  années,  l'art  gréco-bouddhique  ait  dû  voir 
ceux  de  ses  éléments  constiluanls  qui  étaient  le  plus  nettement 
grecs  s'éliminer  progressivement  au  profit  de  ceux  qui  étaient 
indigènes.  En  fait,  que  l'on  reprenne  la  liste  des  caractères  qui 


FlU.   50IJ.    La   l'IltSIiNlATION   DE   lUuULA,   À    AMAr.ivAli   (if.   p.    GiO,   G82), 

Musée  Je  Madras.  Rampe  de  balustrade.  Hauteur  :  0  m.  sS. 

D'après  une  pliolographip  rommiuiiqiicti  par  M.  V.  Goloubew. 

nous  ont  semblé  ci-dessus  dénoncer  une  date  tardive  :  on  s'aper- 
cevra aussitôt  que  la  pratique  des  gestes  conventionnels,  le  rite  de 
se  découvrir  lépaule  droite  et  l'babitude  de  se  retourner  les  pieds 
en  les  croisant  sont  autant  de  coutumes  indiennes.  Si  peu  à  peu 
elles  se  font  jour,  puis  s'imposent  de  façon  constante  sur  les  sculp- 
tures, c'est  parce  que  le  milieu  réagit  contre  les  modes  étrangères 


Cf.  l.  I,  |).  Cl 5. 


570  L'fiVOLUTlON  DE  I/ÉCOLE  DU  GANDI[\P.  \. 

et  finit  par  les  évincer  pour  leur  substituer  des  traits  de  mœurs  et 
des  usages  locaux.  Nous  verrons  bientôt  ce  phénomène  d'adapta- 
tion ou  même  d'assimilation  engendrer  promptenient  à  Mathurâ 
comme  à  Ainarâvatî  des  formes  d'art  inédites  et  faciles  à  dater. 
Dans  l'école  du  Gandhàra,  tout  au  contraire,  l'indianisation  des 
motifs,  pour  inévitable  qu'elle  soit,  traîne  à  ce  point  en  longueur 
qu'elle  ne  provoque  aucune  modification  de  style  tant  soit  peu 
brusque  ou  trancbée,  aucun  changement  de  manière  susceptible 
de  fournir  des  jalons  à  l'historien  de  l'art.  On  dirait  plutôt  qu'on 
s'est  indéfiniment  borné  à  reproduire  servilement  des  modèles  qui , 
il  est  vrai,  multipliés  sans  trêve  par  des  générations  d'artistes  et  de 
donateurs,  s'imposaient  de  toutes  parts  à  l'imitation  de  la  posté- 
rité. Nous  sommes  bien  forcés  de  croire  qu'après  une  si  longue' 
acclimatation  de  l'influence  classique,  le  Gandhàra  ne  réagissait 
que  faiblement  contre  un  apport  qui  avait  cessé  de  lui  être 
étranger. 

Toutes  ces  considérations  tendent  de  façon  concordante,  bien 
que  par  des  biais  difTérents,  à  nous  faire  comprendre  que  l'école 
ait  pu,  après  son  épanouissement  du  i^''  siècle  de  notre  ère,  durer 
encore  un  siècle  ou  deux  sans  subir  de  transformation  considé- 
rable ni  tomber  trop  au-dessous  de  son  niveau  primitif.  Mais  la  rai- 
son dernière  de  cette  longévité  uniforme  et  médiocre  nous  paraît 
résider  dans  l'organisation  de  ses  ateliers,  seuls  centres  agissants 
qu'embrasse  la  dénomination  abstraite  d'école.  Il  est  extrêmement 
vraisemblable  que  les  artistes  grecs  ou  métis  de  grecs  qui  reçurent 
les  grosses  commandes  du  début  aient  cherché  quelque  aide  dans 
la  main-d'œuvre  locale  et  formé  sur  place  des  apprentis.  Ceux-ci 
à  leur  tour  durent  se  croire  bientôt  à  même  de  satisfaire  les  be- 
soins courants  de  leur  clientèle  de  donateurs.  Nous  n'aurions  pas  à 
chercher  ailleurs  la  raison  de  la  relative  rareté  des  chefs-d'œuvre 
gandhâriens  en  face  de  la  profusion  des  répliques  sans  accent  et 
sans  vie  :  c'est  qu'en  réalité  très  peu  de  ces  sculptures  ont  été  vrai- 
ment exécutées  de  main  de  maître.  Et  du  même  coup  s'explique 


LE  DÉCLIN   DE   L'ÉCOLE.  571 

riinirorniiLé  de  cet  art.  Nous  avons  déjà  constaté  à  propos  des  scènes 
légendaires  que  chacune  d'elles  se  ramène  à  un  ou  deux  proto- 
types, qui  semblent  avoir  été  tixés  une  fois  pour  toutes  et  repro- 
duits depuis  sans  aucune  variante  ou  innovation  notable*').  11  nous 


FiG.  5io.  —  La  Soujiissios  de  i.'éi,épuam  ,  a  AmaiiÀvati  (cf.  p.  (iio). 
Musée  de  Madras.  Diamètre  du  médaillon  :  o  m.  80. 

apparaît  à  présent  que  toutes  ces  rééditions  sortent  de  chez  un 
fabricant  d'imagerie  l'eligieuse,  comme  c'est  aussi  le  cas  pour 
nombre  de  sarcophages  antiques  ou  de  retables  de  la  Renaissance, 
si  l'on  ne  veut  pas  descendre  jusqu'aux  te  chemins  de  croix  n  de 
notre  quartier  Saint-Sulpice.  Bref,  les  apparences  sont  pour  que 


'■)  Cl.  I.  I,  |,.  (ii7. 


572  L'EVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHARA. 

l'art  gi'éco-boiuldliique  ait  fini,   connue  on  dit,  par  irs'industria- 
lisem  dans  les  ateliers  dn  Gandliàrn. 


Les  débuts  de  la  décadence.  —  Nous  ne  craignons  pas,  on  le  voit, 
d'être  trop  sévères  pour  les  sculptures  qui  forment  après  tout  le 
gros  de  nos  collections.  Productions  d'artisans  qui,  pour  la  plupart, 
ne  possédaient  plus  que  de  seconde  main  le  métier  classique,  elles 
se  surchargent  volontiers  de  décors  hétéroclites  et  de  personnages 
stylisés,  figés  dans  des  poses  conventionnelles;  pourtant  on  ne  peut 
nier  qu'un  certain  talent  ne  continue  à  se  marquer  dans  la  compo- 
sition comme  dans  l'exécution.  La  question  est  dès  lors  de  savoir 
jus([u'à  qu'elle  époque  le  ciseau  de  nos  imagiers  aura  gardé  sa  sou- 
plesse et  sa  virtuosité.  A  défaut  de  changement  dans  leur  manière, 
la  baisse  de  leur  habileté  technique  sera  le  symptôme  évident  de 
l'imminente  décadence.  Sur  ce  point  nous  possédons  déjà  deux 
indices  assez  probants.  Le  premier  avertissement  nous  est  donné 
parles  monnaies.  Soudain,  après  Vàsudèva,  elles  ne  se  bornent 
pas  à  devenir  des  plus  médiocres  :  incapables  de  présenter  aucun 
type  nouveau,  elles  ne  savent  que  reproduire  indéfiniment  des 
Vâsudéva  déplus  en  plus  méconnaissables,  entourés  de  légendes 
grecques  de  plus  en  plus  illisibles.  Et  certes  l'avis  vaut  d'être  re- 
tenu :  toutefois,  pour  les  raisons  que  nous  avons  dites  ci-dessus''', 
ce  n'est  qu'un  avis  à  longue  échéance,  et  la  brusque  décadence  du 
monnayage  a  dû  précéder  d'un  bon  demi-siècle  celle  de  ia  sculpture. 
Seuls  des  monuments  datés  pourront  emporter  notre  conviction. 
Or  il  se  trouve  que  nous  disposons  dès  à  présent  d'un  de  ces  mo- 
numents et  que  justement  son  époque  cadre  avec  ce  qu'on  pouvait 
attendre.  Nous  voulons  parler  de  la  statue  représentée  sur  la 
figure  877.  Sa  lourde  gaucherie,  les  proportions  ridicules  de  ses 
enfantelets,  le  traitement  maladroit  de  ses  draperies,  tout  trahit 
chez  elle  une  impuissante  tentative  d'imitation  des  anciens  modèles. 

<■>  Cf.  t.  II,  p.  li8o-li8-}.. 


LE  DÉCLIN   DE  L'ÉCOLE.  573 

Or  elle  porte  inscrite  rannée  (^V«rsa,  et  non  Samvat.)   179''',   ce 
qui  nous  fait  descendre  jusiju'en  267-8  de  notre  ère,  juste  soixante 


Fiiv.  5i  I.  — -Le  GiiAND  Miracle  de  Çràtastî,  à  Bénarès  (cf.  p.  ÔûS,  681). 
Musée  (le  (Mlculta,  n°  S.  5.  Provenant  de  Sdrndth.  Hauteur:  om.  go. 

ans  après  la  dernière   date  connue  de   Vâsudèva.  Et,   cette   fois 
encore,  nous  nous  [gardons  de  conclure  trop  vile.  11  serait  sans 


'''  AL  Fi.KET  a  proposé  dans  le  7.  R. 
A.  S.,  1907,  p.  18/i,  (le  lire  Ekuna- 
rliadiiçalimae  =  Sgt) .  mais  sans  donner 
aucune  justification  de  cette  lecture.  .Après 


nouvel  e.xamen ,  notre  confrère  le  R.  P. 
A. -M.  BoïER  veut  bien  nous  faire  savoir 
qu'il  maintient  sa  première  transcription 

tlcuiiuçit^i]-çattmae  —  170. 


57'i  L'ÉVOLUTION  DE   L'ÉCOLE  DU  GANDHÀRA. 

aucun  doute  imprudent  de  construire  une  théorie  chronologique 
sur  le  style  de  cette  unique  statue.  L'ère  de  son  inscription  serait-elle 
hors  de  conteste,  qu'elle-même  pourrait  fort  bien  n'être  que  i'essiii 
malheureux  de  quelque  maçon  de  village  trop  pressé  de  jouer 
au  sculpteur.  Mais  si  nous  ne  prétendons  pas  la  prendre  comme 
étalon  de  toute  la  sculpture  gandhârienne  à  l'époque  que  nous  lui 
attribuons,  il  nous  faut  d'autre  part  remarquer  que  l'ensemble  des 
témoignages  historiques  vient  singulièrement  renforcer  la  valeur  du 
sien  :  tous  nous  invitent,  jusqu'à  preuve  du  contraire,  à  faire  com- 
mencer la  décadence  de  l'école  avec  la  seconde  moitié  du  ui''  siècle. 

Les  causes  politiques.  —  Dès  la  première  moitié  de  ce  siècle,  il 
est  en  effet  possible  —  et,  pour  nous,  important  —  de  noter 
les  signes  avant-coureurs  du  déclin  de  l'Empire  romain,  pressé 
déjà  de  tous  côtés  par  les  Barbares,  et  la  diminution  de  sa  force 
d'expansion  politique,  économique,  arlisti(jue.  Vers  l'Orient,  le 
seul  point  cardinal  qui  nous  concerne,  on  dirait  qu'il  travaille 
lui-même  à  la  ruine  de  son  influence,  en  s'attaquant  aux 
organes  mêmes  par  l'intermédiaire  desquels  il  l'exerçait.  Dès 
io5,  c'est  la  destruction  par  Trajan  du  royaume  nabatéen  de 
Pétra.  En  216,  c'est  Alexandrie  livrée  aux  fureurs  de  Caracalla, 
et  s'épuisant  depuis  en  discordes  intestines  ou  en  séditions 
durement  châtiées.  En  9 'y 2-9 '78,  c'est  la  prise,  puis  le  sac  de 
Palmyre  par  Aurélien.  Le  rude  soldat-empereur  put  traîner  en 
triomphe  derrière  lui,  en  même  temps  que  Zénobie,  des  Sara- 
cènes,  des  Perses,  des  Bactriens  et  des  Indiens,  et  jusqu'à  ces 
Blémyes  qui,  sortis  de  la  Nubie,  menaçaient  déjà  de  fermer  la 
route  des  ports  de  la  mer  Rouge  :  victoires  sans  lendemain  el 
politique  à  courte  vue!  L'opération,  comme  on  dit  aussi  bien  en 
style  chirurgical  que  militaire,  avait  réussi  :  mais  c'était  une 
amputation.  Après  ce  coup  de  hache  porté  dans  leurs  œuvres 
vives,  les  relations  entre  les  pays  méditerranéens  et  l'Inde  ne 
feront  plus  désormais  que  languir. 

La  faute  en  est-elle  d'ailleurs  au  seul  Occident?  Par  une  coïnci- 


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576  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

dence  fâcheuse,  au  moment  même  où  l'Asie  romaine  se  livre  sur 
elle-même  à  ces  mutilations  volontaires,  l'Inde  de  son  côté  se  sui- 
cide en  tant  qu'unité  collective  et  retombe  dans  son  émiettement. 
C'est  la  loi  de  son  histoire  que  la  périodique  reconstruction  et 
désintégration  de  ses  empires,  et  il  n'est  pas  encore  d'exemple 
qu'aucun  d'eux  ait  duré  plus  de  trois  cents  ans.  l.es  deux  grands 
royaumes  qui  s'étaient  partagé  définitivement  l'héritage  des  Mau- 
ryas,  au  Nord-Ouest  celui  des  Kusanas,  au  Sud-Est  celui  des  Andh  ras. 
s'écroulent,  semble-t-il,  au  commencement  du  lu^  siècle,  et  avec 
l'abolition  de  tout  grand  pouvoir  centralisateur  s'efface,  jusqu'à 
l'avènement  des  Guptas  vers  l'an  820,  tout  vestige  d'histoire.  Tout 
au  plus  entrevoyons-nous  que  les  descendants  des  grands  Kusanas 
continuèrent  à  tenir  la  vallée  de  Kaboul  et  le  Gandhàra,  si  même  ils 
ne  gardèrent  quelque  suzeraineté,  au  moins  nominale,  sur  le  Pen- 
jàb.  Non  seulement  les  Annales  chinoises  cessent  à  ce  moment  de  pro- 
jeter aucune  lumière  dans  les  ténèbres  où  nous  tâtonnons;  mais, 
comme  pour  les  épaissir  encore,  la  dynastie  sassanide,  sortie  (tou- 
jours dans  le  premier  quart  du  m"  siècle)  d'une  violente  réaction  in- 
digène contre  le  philhellénisme  des  Arsacides,  commence  à  étendre 
entre  l'Europe  et  l'Inde  le  rideau  opaque  de  son  mazdéisme  exaspéré. 
Les  raisons  tirées  de  l'Itisloire  de  Fart.  —  Ces  événements  poli- 
tiques ne  pouvaient  manquer  d'avoir  leur  répercussion  sur  l'art 
comme  sur  le  commerce.  On  voit  qu'ils  tendent  tous  à  entraver 
les  échanges  entre  le  monde  gréco-romain  et  l'Inde.  Mais  les  fossés 
qui  se  creusent  ou  les  obstacles  qui  se  dressent  sur  les  grandes 
voies  de  communication  ne  suffisent  pas  seuls  à  expliquer  la  baisse 
du  niveau  artistique  dans  telle  ou  telle  province.  Si  le  flot  qui  en- 
traînait les  praticiens  d'Egypte  ou  d'Asie  Mineure  vers  la  «Ganda- 
ritisu  et  continuait  à  alimenter  l'école,  ne  coule  plus  que  chiche- 
ment et  va  bientôt  s'arrêter,  c'est  moins  à  cause  des  difficultés  du 
chemin  qu'en  raison  du  fait  que  lui-même  était  déjà  menacé  de 
tarir  dans  sa  source.  Là  gît,  croyons-nous,  la  vraie  solution  du 
problème.  Pour  justifier  l'irrémédiable  décadence  comme  l'éton- 


LA    FIN   DE  L'ECOLE.  577 

naiitt^  lloraison  d'un  ait  à  demi  importt',   tel  que  celui  du   Gan- 


dliàra,  il  snilit  que  notre  art  classique  ail  cessé  d'être  à  partir 
du  lu*^  siècle  ce  qu'il  n'avait  commencé  de  devenir  qu'à  partir 
du  I"  :  un  article  d'exportation,  artisles  compris.  Le  parallélisme  si 
curieux  que  nous  avons  cru  relever  entre  les  monuments  religieux 
de  l'Inde  et  de  l'Asie  antérieure,  se  répète  dans  l'histoire  générale 
des  beaux-arts.  De  ce  point  de  vue,  il  nous  apparaît  nettement  que 
la  brandie  gréco-bouddhique,  si  lointaine  qu'elle  fût,  a  simple- 
ment partagé  les  vicissitudes  du  tronc  commun,  les  mêmes  par 
lesquelles  passe  vers  ce  niênie  lemj)s  la  branche  gréco-chrétienne. 
Pourquoi,  demande  M.  de  Rossi''),  l'ancien  art  chrétien  a-t-il  sur- 
tout prospéré  sous  les  empereurs  hostiles,  au  plus  fort  des  persé- 
cutions, pour  d(''cliiier  au  temps  de  Constantin,  alors  que  tout 
semblait  devoir  favoriser  son  expansion?  —  Pourquoi,  serions- 
nous  tentés  de  demander  à  notre  tour,  la  sculpture  bouddhique 
du  (iandhàra,  après  avoir  attendu  pour  s'épanouir  que  le  royaume 
giec  du  Penjiîb  eiit  passé  aux  mains  des  Barbares,  est-elle  tombée 
en  décadence  au  moment  même  où  le  développement  mythologique 
du  Mahàyâna  et  la  conversion  de  toute  l'Asie  orientale  lui  ouvraient 
un  champ  presque  illimité?  Les  questions  sont,  on  le  voit,  assez 
exactement  parallèles  :  la  même  réponse  vaut  aussi  dans  les  deux 
cas.  Les  raisons  de  ces  laits  surprenants  résident  tout  uniment, 
d'une  part  dans  la  condition  llorissante  de  l'art  gréco-romain 
au  i'^''  siècle  de  notre  ère,  de  l'autre  dans  la  pénurie  de  la  main- 
d'œuvre  artistique  (|ui  fut  l'une  des  conséquences  de  l'appauvris- 
sement économique  de  l'Empire  à  partir  du  m''  siècle. 


.S  V.  L 


A    FIN   DE   I-  KCOLK. 


La  décadence  est  sans  doute  lannuiicialrice  de  la  lin  :   toutefois 
une  école  peut  continuer  encore  longtemps,  si  les  circonstances 


'''    Uuiim  sollemiiiea  cnsltdiia,  I,  ii)<). 

uANDiiiuA.  -    11.  37 


578  L'ÉVOLUTION   DE   L'ÉCOLE  DU   GANDHÂRA. 

s'y  prêtent,  ;\  vivre  duiie  vie  ralentie,  qu'entretient  le  prestige 
des  œuvres  héritées  du  passé.  Combien  de  temps  aura  pu  se 
prolonger  l'agonie  de  l'art  gréco  -  bouddhique ,  à  l'ombre  des 
monuments  qu'il  avait  créés?  Ainsi  que  nous  commençons  à 
en  prendre  l'habitude,  c'est  surtout  à  des  témoignages  étrangers 
que  nous  devrons  le  demander.  Mais  désormais  ce  n'est  plus  de 
l'Occident  classique  que  nous  pourrons  attendre  quelque  lumière. 
Les  renseignements  qui  continuent  à  se  publier  sur  l'Inde  dans 
le  monde  méditerranéen  ne  sont,  à  partir  du  iv"  siècle,  qu'un 
tissu  d'inepties.  Nous  n'excepterions  même  pas  la  Topographie 
chrétienne  de  Cosmas  Indicopleustès  (vers  535),  si  cet  ennemi 
de  la  rotondité  de  la  terre  n'avait  consigné  quelques  informa- 
tions précises  parmi  ses  absurdes  théories.  Il  est  bien  évident 
que  le  contact  s'est  perdu,  et  que  le  commerce  passe  de  plus 
en  plus  entre  les  mains  d'intermédiaires  arabes  ou  persans'''. 
Si  nous  entrevoyons  quelque  chose  de  l'histoire  du  Gandhâra, 
c'est  avant  tout  grâce  aux  récits  de  voyage  des  pèlerins  chinois, 
jusqu'au  jour  où  la  parole  est  prise  par  un  écrivain  arabe.  C'est 
là  un  fait  pour  nous  des  plus  significatifs.  Sans  doute  les  échanges 
entre  l'Empire  et  l'Inde  ne  sont  pas  complètement  interrompus; 
mais  voici  que  cessent  définitivement  les  relations  suivies  et 
directes  dont  nous  venons  de  voir  fleurir,  au  i"  et  au  n^  siècle 
de  notre  ère,  les  esthétiques  résultats.  Les  destinées,  un  instant 
mêlées,  de  la  civilisation  gréco -romaine  et  de  l'indienne  se 
séparent  à  nouveau ,  et  nous  n'apercevons  plus  entre  elles  aucun 
rapport,  voire  même  aucun  parallélisme  qui  vaille  la  peine  d'être 
relevé.  Dès  lors,  et  par  une  conséquence  naturelle,  il  se  ferait 
temps  de  clore  l'histoire  de  l'art  indo-grec,  si  l'entreprise  com- 
mencée ne  devait  être  poussée  jusqu'à  son  terme  et  s'il  ne  valait 
la  peine  de  rapporter  brièvement  les  péripéties  dont  s'accom- 
pagna l'inévitable  dénouement. 


''   Cl.  I'riaIjI.x.  /;((//((  (()((/  Home.  |i.   171  l'I  suiv. 


LA    FI\  DE  L'ÉCOLE.  579 

La  siRviE  (iv'^-v*'  siècles).  —  L'école  du  Gandhàra  allait  devoir, 
semble-t-il,  aux  événements  un  sursis  de  deux  siècles.  Apparem- 
ment le  pays  était  resté  au  pouvoir  d'une  dynastie  de  rois  Kou- 


«mi^   ■    -..i.  i.ifiiii        jiiff  l'ijijMi  ,M^gp|,^ji,,lj,^llg^^^ 


fiG.  5l3.  PisCIKA  ET  AUTRES  ÏAKSAS,  À  JaVA  (  cf.  p.  ^3,  62.')). 

Doro-Boudour,  première  galerie ,  partie  gauche  du  bas-relief  n°  g  h.  Hauteur  :  o  m.  80. 
D'apro-i  une  ]ihotogr.  <lii  Mnjor  Van  Knr. 


shans,  alliée  aux  Sassanides.  On  a  \oulu  les  reconnaître,  non  sans 

quol(]ue  vraisemblance,  dans  ces  Chionitai  qui,  vers  3Go,  aidèrent 

Sliapour  II  au  siège  d'Amida  (aujourd'liui  Diarbékir)  :  du  moins 

Ammien    Marcellin   raconte-f-il   que  leur  vieux    roi   Grumbatès, 

qui  perdit  son    fils  dans  laflaire,  amena  avec  lui  des  élépbants 

37. 


580  l/KVOLllTION   DE   LËCOLE  DU   GANDHARA. 

indiens*').  En  fait  nous  ne  saurions  rien  si  nous  ne  possédions  le 
témoignage  oculaire  de  Fa-hien.  puis  de  Song  Yun.  Le  premier 
arrive,  au  début  du  v*^  siècle,  dans  une  contrée  en  pleine  pros- 
périté, et  où  jamais  le  Bouddhisme  n'a  été  plus  (lorissant.  Aussi 
bien  au  Gandliàra  même  que  dans  les  vallées  adjacentes  de  Kaboul 
et  du  Swàt,  tous  les  stupa  sont  encore  inviolés  et  les  monastères 
remplis  de  moines;  sanctuaires  et  reliques  célèbres  voient  aflluer  en 
foule  les  fidèles,  à  commencer  par  les  rajas  locaux.  L'Inde  du  Nord 
est  devenue  ce  que  nous  avons  déjà  dit  qu'elle  deviendrait  (^),  l'une 
des  terres  saintes  du  Bouddhisme  et,  plus  particulièrement,  la  terre 
sainte  du  Bodhisattva.  Trois  des  compagnons  de  Fa-hien  s'estiment 
satisfaits  d'avoir  visité  ses  quatre  grands  lieux  de  pèlerinage  et  s'en 
retournent  en  Chine,  ce  Le  peuple  est  surtout  adonné  au  Petit  Véhi- 
culer :  c'est  en  effet  la  secte  des  Sarvâstivâdins  qui  jouit  de  la  plus 
grande  popularité.  Toutefois  le  culte  de  la  Prajnàpàramità,  de 
Manjuçrî  et  d'Avalokileçvara  y  pénètre,  bien  que  Fa-hien  ne  le 
mentionne  qu'à  80  yojana  au  Sud-Est,  à  propos  de  Mathurà.  Ce  ([ui 
nous  impoi'te  surtout,  et  ce  que  nous  pouvons  déduire  en  toute 
sûreté  de  ses  des  criptions,  c'est  que  l'œuvre  entière  de  l'école  était 
encore  intacte,  jusque  dans  sa  jîolychromie  et  ses  dorures;  ou  du 
moins  sa  conservation  n'avait  à  compter  qu'avec  des  accidents  pareils 
à  ceux  dont  la  ft])agode  de  Kaniskan  fut  la  victime  :  Song  Yun 
nous  apprend  en  etlet,  au  début  du  vi''  siècle,  qu'elle  avait  déjà 
été  trois  fois  incendiée  par  le  feu  du  ciel  et  chaque  fois  réédifiée. 
Qu'était  cependant  devenue  l'ancienne  activité  des  ateliers  gan- 
dhariens?  Qui  étaient  leurs  artistes?  A  quoi  ressemblaient  leurs 
œuvres?  Autant  de  questions  que  nous  ne  pouvons  guère  pour 
l'instant  que  soulever.  Que  l'art  fût  déjà  en  pleine  décadence,  on 
n'en  peut  guère  douter,  ni  que  cette  décadence  lût  irrémédiable; 


'''   Vaut-il  la  peine  de  noter  ici  que,  déserteur,  natif  de  Paris?  Là  où  le  luar- 

d'après   le  même  historien   (xviii,   6),  cliand  ne    passait   plus,   le    coiidoltière 

Sliapour  (autrement  dit  Sapor)  einplo-  pénétrait  encore, 
yail  comme  espion   un  cavalier  romain  ''  Cf.  t.  II,  ji.  'iHJ-'iiy. 


i,  \    FIN    DR   L'I'GOLE.  .-SSl 

il  se  peut  toutel'ois  que  toute  fécondité  artistique  ne  lût  pas 
morte,  au  moins  dans  les  grands  centres  religieux.  Apparemment, 
dans  le  voisinage  des  sanctuaires  en  renom,  quelques  familles 
d'artisans  iudij'ènes  trouvaient  toujours  de  père  en  fils  à  gagner 
leur  vie  et  à  entretenir  un  héréditaire  talent  :  car  rien  ne  nous 
donne  à  penser  que,  comme  au  Tii)et.  l'imagerie  religieuse  soit 
jamais  devenue  dans  l'Inde  le  monopole  des  moines.  On  ne  com- 
prendrait guère  qu'une  dévotion  toujours  ardente  se  fût  unique- 
ment contentée  d'oflVandes  d'oriflammes  ou  do  fleurs.  Bien 
que  les  pèlerins  chinois  n  en  mentionnent  guère  d'autres,  çà  et  là, 
cependant,  il  est  incidemment  question  dans  leurs  Mémoires 
de  commandes  plus  intéressantes.  Song  Yun  fait  édifier  un  slùpa 
votif  au  lieu  où  l'on  commémorait  le  rrdon  du  corps i5  à  la  li- 
gresse  :  ce  stûpa  ne  comportait-il  pas  à  tout  le  moins  une  décora- 
tion en  mortier  de  chaux  ?  Un  de  ses  compagnons,  au  moment 
de  leur  séjour  à  Pêshawar,  prélève  sur  ses  fonds  de  voyage  la 
somme  nécessaire  pour  faire  exécuter  ttpar  un  excellent  artiste  ii 
des  modèles  réduits,  en  cuivre,  de  la  ff pagode  de  Kaniskaii  et 
des  quatre  autres  grands  sanctuaires  de  l'Inde  du  NordO.  Une 
fois  même  il  semble  que  les  tardifs  représentants  de  l'école 
gandliàrienne  ne  se  soient  pas  bornés  à  la  reproduction  stéréo- 
typée des  modèles  traditionnels.  Fa-hien  affirme  que,  malgré  tous 
les  essais  qui  en  avaient  été  tentés,  on  n'avait  jamais  pu  prendre 
copie  de  l'ombre  laissée  par  le  Bienheureux  dans  la  caverne  de  Na- 
garahàra.  Or  parmi  les  sept  statues  du  Buddha  que  Hiuan-tsang, 
selon  son  biographe,  aurait  rapportées  de  l'Inde,  figure  justement 
une  copie  de  cette  ombre;  et  cette  composition,  d'un  genre  loul 
nouveau  pour  nous,  aurait  représenté  le  Buddha,  tel  l'archange  saint 
Michel,  foulant  aux  pieds  un  dragon'^'.  Si  le  fait  est  authentique, 

'''  Song   Yun,   tiad.    Ed.   Chavannes,  (''  Fa-bien,  trad.  Legge,  p.  39;  trad. 

dans /{.£. F. i'.-O. ,  III,  p.  4is  el  6a6-  S.   Beal,    p.   xxxv.    —    Biographie   de 

637.  —  Le  musée  de  Pêshawar  possède  Hiuan-tsang,  Irad.  Stan.  Julien,  I ,  p.  298  : 

plusieiii'sdecesmodèlesdes/w/Jflen  méinl.  Uad.  S.  Beal,  p.  21/1. 


:)S:>  I.K V(»F.rTln\   DE   L'KCOI.E  DU  GWDHARA. 

il  y  aurait  donc  eu  création  diiii  iiiotil' nouveau  dans  i'inlervalle  des 
deux  voyages,  c'est-à-dire  au  plus  tôt  dans  le  cours  du  v'=  siècle. 

Ce  qui  ferait  donner  créance  à  cette  anecdote,  c'est  qu'il  y  est 
question  d'un  motif  de  statuaire  :  au  cas  où  quelque  innovation 
était  encore  possible;  c'était  dans  cette  direction.  De  bonne  heure 
il  nous  est  apparu  !''  que  les  images  lurent  l'article  le  plus  long- 
temps demandé  et  par  suite  exécuté  au  Gandhàra.  A  mesure  que 
le  souci  de  la  biographie  du  Maître  cède  le  pas  au  culte  idolàtrique. 
du  dieu,  on  voit  les  scènes  légendaires  disparaître  de  la  décoration 
des  stupa,  laquelle  finit  par  ne  plus  compoi'ter  que  des  aligne- 
ments de  statues.  A  cette  évolution  dans  le  choix  des  sujets  paraît, 
d'autre  part,  avoir  correspondu  une  transformation  parallèle 
dans  celui  des  matériaux  habituellement  employés.  C'est  durant 
cette  période  que,  pour  les  deux  raisons  que  nous  avons  déjà 
données'^),  dut  se  généraliser  l'usage  du  mortier  de  cbaux,  ou 
comme  on  dit  communément,  du  stuc.  Assurément  ce  procédé 
décoratif  n'est  nullement  inconnu  à  notre  antiquité  classique,  ni  à 
la  bonne  époque  de  l'école  du  Gandhàra:  mais  jamais  le  bas  prix 
de  la  matière  ne  l'aura  davantage  recommandé  à  l'appauvrissement 
graduel  des  donateurs,  tandis  ([ue  la  facilité  relative  de  l'exécution 
—  peut-être  aidée  sur  le  tard  par  l'emploi  des  moules —  n'aura 
pu  manquer  de  tenter  l'habileté  décroissante  des  artistes.  Aussi  y 
a-t-il  de  fortes  présomptions  pour  que,  sur  tous  les  monuments 
tardifs  du  Nord-Ouest,  la  substitution  des  idoles  aux  scènes  figurées 
se  soit  accompagnée  du  remplacement  de  la  sculpture  sur  pierre 
par  le  modelage  en  stuc. 

A  ces  questions,  qu'aujourd'hui  nous  nous  bornons  à  poser,  des 
fouilles  bien  faites  répondront  :  déjà  elles  ont  commencé  à  ré- 
pondre. La  lecture  du  rapport  de  Sir  Aurel  Stein  sur  ses  fouilles 
de  Saliri-Bahlol  en  191a  montre  tout  ce  qu'on  peut  attendre  à  ce 
point  de  vue  d'investigations  conduites  par  un  esprit  et  sous  un  œil 

'    CI.  I.  11.  p.  3'i5.  —  -    Cf.  I.  I.,,.  ,,,-.Mç|3. 


LV   FIN   DE  L'ÉCOLE.  583 

avertis:  rrAux  deux  sanctuaires  C  etD,  nous  dit-il,  des  statues  et 
bas-reliefs,  appartenant  à  une  époque  où  lliabileté  et  la  tradition 
de  la  meilleure  période  de  l'art  du  Gandhàra  étaient  encore 
vivantes,  sont  trouvés  mélangés  avec  des  sculptures  d'un  type  in- 
déniablement décadent.  .  .  n  Et,  comme  pour  nous  donner  quel- 


FiG.  5i'i.  —  PJNiiiKv,  ÀJava  (cf.  p.  107,  118.  13(3.  iSy.  ôaS). 
Coidiiir  (l'eiilrn'  ilii  Ciiinli  Mniiliil.  Hauteur  du  persoiiymiri'  :  o  m.  80. 

ques  lueurs  sur  les  dates  respectives  de  ces  œuvres  qu'un  même 
lieu  rassemble  et  que  plusieurs  siècles  séparent,  et  les  monnaies 
trouvées  dans  le  tumulus  C  comprennent,  à  côté  d'une  pièce  d'Azès, 
à  lair  remarquablement  neul',  d'autres  du  type  associé  avec  Vâsu- 
dèva,  le  dernier  monarque  Kousban,  et  d'autres  encore  émises 
par  les  derniers  Iiido-Scythes(^).  .  .  n  En  un    mot,   la  décoration 


"  Cf  M.  .\.  Steiv,  1.  S.  /..  ,1»». 
Rep.  l(jtl-l(jl-2,  |).  100-101.  —  Il 
faut    eniftiiiliv   |i:ii'    les   "(lei-iiifis  Iiulo- 


Scytbesi  les  trlalcr  ludo  ScylhiaiiSTi  de 
CuxNiNGHAM ,  auti'enieut  dit  les  derniers 
dvnastes  Koiislums. 


58/i  L'I'VOF.IITION    DE  L'ÉCOLE  DU   GANDHÂRA. 

du  sanctuaire  dont  les  ruines  ont  été  découvertes  sous  ce  tertre 
:.e  serait  poursuivie  depuis  le  i'^"'  siècle  avant  notre  ère  jusqu'au 
V*  siècle  après. 

Il  y  a  lieu  de  croire  qu'il  en  avait  été  de  même  un  peu  partout 
où  s'étendait  le  domaine  propre  de  l'école.  Assurément  nous 
n'oserions  attribuer  au  iv''  ou  au  v''  siècle  que  les  plus  courtaudes 
et  les  plus  mal  venues  des  idoles  de  pierre  :  mais  rien  n'empêclie 
de  faire  descendre  aussi  bas  des  images  de  stuc  qui  soient  d'une 
exécution  encore  décente.  Les  rangées  de  Buddhas  en  mortier  de 
cliaux  dégagées  par  le  D"'  D.  B.  Spooner  sur  le  soubassement 
du  sli'ipa  de  Kaniska  à  Shâli-ji-kî-Dhèrî  se  laisseront  vraisembla- 
blement rapporter  à  une  réfection  du  sanctuaire  tombant  dans 
la  période  qui  nous  occupe.  Et  le  cas  de  la  fameuse  pagode  serait 
loin  d'être  unique,  d'après  ce  que  nous  savons  déjà  des  fouilles  de 
Taxila.  Celles-ci  donnent  décidément  à  penser  que  le  modelage 
aurait  survécu  au  naufrage  de  la  sculpture.  Nous  ne  voyons  aucune 
raison  pour  en  être  surpris.  Sans  doute  il  faut  toujours  se  méfier 
des  analogies  :  il  en  est  pourtant  une  que  nous  ne  pouvons  nous 
empêcher  de  noter  au  passage.  Tandis  que  l'Inde  contemporaine 
compte  peu  de  sculpteurs,  elle  est  encore  très  riche,  comme  le 
savent  tous  les  touristes,  en  coroplastes  de  talent,  qui  se  trans- 
mettent de  père  en  fils  une  vivacité  de  coup  d'oeil  et  une  dextérité 
de  mains  remarquables'''.  Ces  dons  naturels,  qu'ils  ont  hérités  de 
leurs  ancêtres,  étaient  sûrement  déjà  l'apanage  des  artistes  du  Nord- 
Ouest.  On  se  rappelle  à  quel  point  nous  avons  été  frappés  plus 
haut'-'  par  le  caractère  tantôt  idéal  et  tantôt  réaliste  ou  même 
caricatural,  mais  toujours  vivant  et  savoureux,  des  têtes  de  chaux. 
Pourquoi  reculer  devant  les  conclusions  auxquelles,  sur  la  foi  des 
dernières  trouvailles,  ces  considérations  nous  invitent?  N'hésitons 
pas  davantage  à  le  déclarer  ;  alors  que  la  sculpture  sur  pierre  avait, 
d'une  façon  générale,  suivi  l'exemple  du  monnayage,  et  sombré  à 

'■'  Cf.  I.  II.  p.  i5n.  —  1=)  Cf.  t.  II.  ],.  iS.  9()-ioo,  3'i8. 


LA  FIN   DE   L'ÉCOLE.  585 

son  toui-  dans  la  décadence,  les  ateliers  gandhâriens  auraient  con- 
servé jusqu'au  bout  une  certaine  maîtrise  dans  ces  rudiments  du 
métier  de  sculpteur,  que  représenle  j)ar  définition  le  modelage. 

Rien  n'est,  après  tout,  plus  vraisemblable.  Quand  on  songe  que 
l'art  bouddbique,  issu  du  Gandbàra,  jetait  alors  tout  son  éclat 
dans  l'Inde  comme  dans  la  Haule-Asie.  on  s'expliquerait  mal  qu'il 


KiG.  5iy.  —   HÀBiii,  À  Java  (cf.  p.  107,  118.  187,  (jaSj. 
Couloir  d'entrée  du  Candi  Mendut.  Hauteur  du  personnage  :  o  m.  Si), 

lût  complètement  éteint  au  centre  de  son  rayonnement.  Seulement 
il  convient  de  remarquer  qu'en  ce  cas  une  question  plus  délicate 
encore  se  greffe  sur  celle  que  nous  venons  de  résoudre  par  TaHir- 
mative.  Du  fait  que  l'école  gréco-bouddbique  aurait  si  tard  gardé 
quelque  semblant  d'activité,  il  s'ensuit  en  effet  quelle  était  à  son 
tour  exposée  à  subir  l'influence  des  foyers  artistiques  qu'elle-uiême 
avait  contribué  à  allumer.  Peut-on  découvrir  dans  les  œuvres  gan- 
dhariennes  tardives  quelque  réaction  pi'ovenant  soit  do  la  Sérinde, 


586 


r;KVOi,UTioN  dk  i;i-;c()Lk  nu  gandhara. 


soit  de  la  vallée  du  Gange?  11  y  Faudra  veiller;  car  déjà  certains 
indices  le  donnent  à  penser.  Dès  1907-1908,  le  dégagement 
de  certains  recoins  inexplorés  de  Takht-î-Baliai  a  fourni  au 
D''  D.  B.  Spooner  deux  spécimens  qui  nous  paraissent  porter  la 
trace  de  ces  contive-influences.  L'un  est  le  Buddha  reproduit  sur  la 
figure  liSb.  Son  attitude,  tout  à  fait  insolite  au  Gandliàra,  en  fait 
vraisemblablement  le  contemporain  des  nombreuses  images  de  style 
Gupta  que  ce  fut  la  mode,  à  Bénarès  (fig.  667)  comme  à  AjantâO 
et  jusqu'à  Java  (tig.  568),  d'asseoir  ainsi  à  l'européenne.  Dès  lors 
il  faut  admettre,  du  moins  en  principe,  que  cette  stèle  daterait  au 
plus  tôt  du  IV''  siècle  de  notre  ère,  et  par  suite  rien  n'empêcherait,  soit 
dit  en  passant,  de  voir  dans  les  deux  assistants,  au  lieu  d'Indra  et  de 
Brahmâ,  l'Avalokileçvara  au  lotus  et  le  iVlaitrèya  au  vase  (^'.  De  l'autre 
spécimen  t^)  nous  n'avons  pas  de  reproduction  :  mais  la  description 
qui  nous  est  donnée  de  ce  Buddha,  modelé  en  argile  sur  une  car- 
casse composée  de  fascines  de  roseaux,  suffit  à  trahir  un  procédé 
jusqu'alors  aussi  inconnu  dans  le  Penjâb  qu'il  était  courant  en 
Asie  centrale  :  cest  donc  du  Turkestan  qu'il  a  été  apporté  au  Gan- 
dhara. L'image  en  question  peut  être,  il  est  vrai,  encore  posté- 
rieure au  \f  siècle  et  remonter  seulement  à  la  restauration  dont 
les  monuments  gandhàriens  furent  un  instant  l'objet  après  leur 
première  ruine  W .  .  .  Car  il  est  écrit  qu'aucune  vicissitude  ne  sera 
épargnée  à  nos  sculptui'es,  ni  aucune  complication  à  notre  sujet. 

La  première  destruction.  —  Mais  reprenons  le  fil  des  événe- 
ments. SU  est  évident  pour  nous  que  l'école  ne  faisait  au  fond  que 
se  survivre  à  elle-même,  elle  gardait  encore  au  début  du  vi''  siècle 
toutes  les  apparences  de  la  vie  :  du   moins  aucune  solution  de 


'■'  Cf.  y.  A.,  jnuv.-fov.  1909,  pi.  IV. 

'*'  Cf.  ci-dessus,  t.  II,  p.  2 4o,  87 4  et 
568  pour  les  étapes  de  cette  identificalinn. 

''*  CL  A.  S.  I.fAïui.  Rep.  lyuS-iyoy, 
p.  43. 


'*'  C'est  en  tout  cas  cette  dernière 
date  que  nous  inclinerions  à  attribuer 
aux  tètes  d'argile,  à  l'aspect  mougoloïde, 
reproduites  sur  la  ligure  3,  p.  54,  de 
l'.-l.S.  /.,  Ami.  Hep.  1  yoS-}yo(j. 


LA   FIN   DE  L'ECOLE.  587 

continuité  ne  se  relève  jusqu'ici  dans  son  développement.  Quand, 
cent  ans  plus  tard,  le  rideau  se  relève  pour  nous  avec  la  relation 
de  Hiuan-tsang,  le  tableau  est  complètement  changé.  Le  pays  est 
ruiné  et  presque  dépeuplé;  du  peu  d'habitants  qui  subsistent  la 
plupart  ne  sont,  aux  yeux  du  pieux  pèlerin,  que  des  «•  hérétiques i\ 
Le  Gandhâra  n'est  plus  pour  lui  la  seconde  terre  sainte  :  sa  place 
a  été  prise  par  le  Màlva.  Le  Bouddhisme  y  a  visiblement  été  sapé 


FlG.   5  16-517.   —    TïPES  DU  RELIGIEUX   BBAUMANIQUE   ET  EOUDDUIQUE  ,   A  JaV  l 

(cf.  p.  258,  276,  618,  6a5). 

Fragment  Jes  bas-reliefs  ii"  i  ij  et  1 18  de  la  première  galerie  ilii  Bnro-Boudoiir. 
O'iijirès  des  ^holographies  du  Major  Van  Eup. 

dans  toutes  ses  œuvres,  vives  ou  inanimées.  A  peine  reste-t-il  quel- 
ques fidèles  de  la  Bonne  Loi,  et  de  rares  moines.  Les  rc mille 
monastères  11  de  jadis  sont  presque  tous  déserts  et  leurs  décombres 
envahis  par  la  bi'ousse;  la  plupart  des  s/M/^a  aclièvent  de  crouler. 
L'école  est  celle  fois  bel  et  bien  détruite.  Quel  typhon  a  donc 
passé? 

Ce  cataclysme  a  un  nom  dans  l'histoire,  et  que  nous  connaissons 
bien  par  le  témoignage  concordant  des  pèlerins  chinois,  dun  na- 
vigateur grec,   des  chroniques  kaçmîi'ies,  des   inscriptions  et  (h's 


r)88  l/KVOMITION  DK   L'Kf.OLE  DU  GANDTI\11\. 

monnaies  :  il  s'a|jpelait  MiliirakulaC,  surnommé  parla  tradition 
indienne  Trikoliliaii .  le  cr  tueur  de  trente  millions  n  d'hommes.  Ce 
n'était,  même  plus  une  sorte  de  Koushan,  comme  ce  Kidâra  qui 
vers  /i3o  serait  jiarti  de  Balkh  pour  recommencer  nu  Sud  de 
i'Hindon-Koush  les  conquêtes  de  kozoulo-Kadpliisès  -'  :  ainsi  que 
son  père  Toramâna  il  appartenait  à  une  autre  tribu  encore  plus 
barbare,  celle  dite  des  Heplithaliles  ou  Huns  blancs.  H  était,  assure- 
t-on,  beau  de  sa  persomie,  doué  d'une  grande  bravoure  naturelle, 
de  manières  rudes  mais  franches,  et,  en  dépit  d'un  caractère  in- 
traitable, capable  parfois  d'entendre  raison  :  il  ne  lui  manquait, 
pour  être  un  homme,  que  d'être  accessible  à  la  pitié.  Ce  fléau 
exterminateur  se  serait  même  réclamé  d'un  dieu  :  comme  jadis 
Vima-Kadphisès  ,  dit  le  Mâbéçvara,  il  aurait  trouvé  dans  le  terrible 
Çiva  une  divinité  à  sa  mode.  C'est  du  moins  ce  que  confirment 
ses  monnaies,  et,  à  en  croire  certaines  traditions  brahmaniques,  sa 
sanglante  carrière  n'aurait  été  qu'une  manière  de  culte  perpétuel 
rendu  au  principe  destructeur  de  la  ti'inilé  hindoue.  Car  il  s'est 
trouvé  des  brahmanes  pour  accepter  de  sa  main  des  dotations  et 
faire  son  apologie.  Ils  s'étaient  même  avisés,  nous  dit  Kalhana, 
d'une  excuse  admirable  :  c'est  que,  s'il  n'avait  aucune  compassion 
pour  les  autres,  il  n'en  avait  pas  davantage  pour  lui-même.  Et 
en  effet  il  aurait  couronné  sa  carrière  d'égorgeur  par  un  féroce 
suicide.  Ce  dernier  trait  relève  un  peu  la  figure,  par  ailleurs 
assez  banale,  de  cette  copie  d'Attila  ou  de  ce  modèle  de  Timour. 

Ce  qui  nous  intéresse  surtout  ici,  c'est  son  éloignement  pour  le 
Bouddhisme.  La  raison  en  est  assez  évidente  :  il  y  avait  incompati- 
bilité d'humeur.  Toutefois  la  tradition  bouddhique  rapportée  par 
Hiuan-tsang  croit  devoir  chercher  l'origine  de  cette  aversion  dans 


'''  Gosmas  abrège  sou  uom  en  Gollas;  1*^9^1  P-  i85;  Corimn  Inscr.  Lui..  III. 

voir  SoNG  Ydn,    p.   3oo;   Hiuan-tsaxg,  p.  lo  elsiiiv.:  Ind.  Anliq.,  XV,  j).  ai.ô 

Rec,  I,j).    iti'y;  Ràjatarahgini,  I,    289  ('tsuiv.;etc. 

et  suiv.  ;    Gunnincham  ,    Latcr  Iiido-Sci/-  '''  Ed.  Chavannes,   Toun^   Pan.  mai 

ihinns,  ou  ^^  Smith,  CaUil.  el  J.  A.S.B.,  1907,  |).   188. 


LA   FIN  DE  L'ECOLE. 


589 


mie  sorte  de  parodie  du  Milinda-panha ,  d'autant  que  ce  monstre 
inhumain  avait  lait  t;a  capitale  du  Çàkaln  do  Ménaiidrc.  Sa  haine 
de  la  Bonne  Loi  semble  être  d'ailleurs  allée  en  s'exaspérant  chez 
lui  avec  l'âge  et  les  malheurs  qui,  sur  le  tard,  l'assaillirent.  Quand 
Song  Yun  arrive  au  Gandhàra,  en  5âo,  il  y  a  déjà  deux  générations 
que  le  pays  est  soumis  aux  tc<fui  hephthalites.  Le  peuple  souffre, 
mécontent  de  son  prince  «qui  est  d'un  naturel  méchant  et  cruel, 
qui  fait  mettre  à  mort  beaucoup  de  gens  et  ne  croit  pas  comme 


Vu;.  5iS.  —  La  visite  d'Asita,  ad  Cambodge  (cf.  p.  a58,  ()i8,  627). 

Fronton  de  liniitày-Chmttr  (Sisopho7i). 

l)";iprès  uuc  photogrnpliie  du  (ji^néral  de  lisTLié. 


lui  à  la  religion  bouddhiques.  Mais  s'il  et  gémit  n,  c'est  donc  qu'il 
existe,  et  ses  sanctuaires  sont  encore  debout.  Quant  à  Mihirakula, 
il  est  à  ce  moment  engagé  depuis  trois  ans  dans  une  guerre  contre 
le  Kaçmîi',  et  fort  honteux  de  ne  pas  venir  à  bout  de  sa  résistance. 
Quelque  quinze  ans  plus  tard,  après  ses  aventureuses  expéditions, 
ses  revers  et  sa  captivité  dans  l'Inde  centrale,  c'est  au  Kaçmir  que, 
roi  dépossédé,  il  trouve  un  asile,  et  c'est  de  là  qu'il  sort  afin  de 
tirer  du  Gandhàra,  nous  ne  savons  au  juste  pour  quelle  raison, 
une  effroyable  vengeance.  Il  fit  égorger,  répète  Hiuan-tsang,  les 
deux  tiers  des  habitants,  réduisit  le  reste  en  esclavage,  et  détruisit 


590  L'ÉVOLUTION   DE   L'ÉCOLE  DU   GANDHARA. 

stûpa  et  monastères  bouddhiques,  ften  tout  mille  et  six  cents  fon- 
dations n. 

La  destruction  définitive.  —  Ceci  se  passait  entre  53o  et  56o, 
juste  cent  ans  avant  la  venue  du  grand  pèlerin,  bien  qu'à  l'entendre 
on  croirait  qu'il  s'agît  d'événements  vieux  de  plusieurs  siècles.  Les 
traces  de  cette  dévastation  étaient  encore  lisiblement  écrites  sur 
la  face  désolée  du  pays.  En  vérité,  si  l'historien  était,  lui  aussi, 
sans  pitié,  il  ne  pourrait  souhaiter  dénouement  plus  sensationnel 
ni  plus  décisif:  c'est  comme  si  toutes  les  précautions  avaient  été 
prises  pour  que  l'art  gréco-bouddhique  pérît  à  la  fois  dans  son 
œuvre,  dans  ses  clients  et  jusque  dans  ses  ouvriers.  Cette  fois, 
nous  pouvons  être  sûrs  qu'il  est  mort:  car  une  école  d'art  religieux 
ne  repousse  pas  aussi  aisément  que  le  figuier  de  la  Bodhi,  quand 
une  fois  elle  a  vu  ses  racines  coupées  par  la  main  sacrilège  d'un 
monarque  impie  (^).  Aussi  mettrions-nous  le  point  final  à  ce  chapitre, 
si  nous  n'avions  des  raisons  de  croire  que  beaucoup  des  ruines  que 
nous  fouillons  ne  sont  pas  restées  exactement  telles  qu'elles  étaient 
au  milieu  du  vi''  siècle.  Entendons-nous  bien  :  il  ne  s'agit  pas  de 
poursuivre  la  biographie  de  l'école  :  elle  est  décédée  ;  mais  nous 
ne  pouvons  nous  désintéresser  des  vicissitudes  qu'ont  pu  encore 
subir  ses  restes.  C'est  en  ce  sens  que  son  histoire  réclame  un  post- 
scriptum. 

Laissons  en  elfet  passer  un  siècle  et  revenons  au  Gandhàra  avec 
le  pèlerin  Wou-k'ong  en  l'an  763.  Le  pays  commence  à  se  remettre 
après  deux  cents  ans  du  coup  que  lui  avait  porté  Mihirakula  et  qui 
lui  eût  été  mortel,  si  les  peuples  pouvaient  mourir.  La  dynastie 
turque  régnante,  qui  n'avait  pas  tardé  à  remplacer  les  Hephthalites 
(vers  5G5),  avait  été  déjà  trouvée  par  Hiuan-tsang  convertie  au 
Bouddhisme.  Ce  beau  zèle  n'a  fait  que  s'accroître  :  le  khan,  la  khà- 
toûn,  leurs  fils,  les  ministres  rivalisent  de  fondations  pieuses.  Or, 

'■'  Cf.  l'histoire  de  Çaçànka  dans  Hioan-tsang  ,  Bec. ,  II ,  p.  1 1 8  ;  Travels,  II ,  p.  11 5. 


LA   FIN  DE   L'ÉCOLE.  591 

ces  rois,  nous  les  connaissons  d'autre  part  :  ce  sont  ceux  qu'Albi- 
roùni  appelle  les  Shâhis  de  Kaboul,  et  la  clironique  kaçmîrie  les 
Gâhiyas'^l  Ils  prétendaient  descendre  directement  de  kaiiiska  — 
à  peu  près  comme  nos  Capétiens  se  réclamaient  de  Pharamond, 
à  deux  ou  trois  accrocs  près  dans  la  lignée  —  et  continuaient  à 
porter  le  vieux  titre  iranien  de  ftsliàlm.  Mais  leurs  jours  étaient 
comptés,  et  l'arrivée  des  Musulmans  allait  achever  d'abolir  au  Gan- 
dhâra  jusqu'au  souvenir  du  Bouddhisme.  En  870,  Kaboul  est  pris 
par  les  Arabes  :  la  capitale  doit  être  transportée  vers  la  frontière 
orientale,  à  Udabhànda  sur  l'Indus.  En  même  temps  l'ébranlement 
du  royaume  jette  bas  la  dynastie.  Le  dernier  roi  turc,  Laga-Toùr- 
màn,  est  détrôné  par  son  ministre,  un  brahmane  de  caste,  le  pre- 
mier des  ttShàliisn  hindous.  Pendant  plus  d'un  siècle,  ceux-ci 
tiennent  vaillamment  tète  à  l'invasion  musulmane.  Quand  enfin 
Trilocanapàla  succombe  en  1021  sous  les  coups  de  Mahmoud  de 
Ghazni,  et  que  sa  maison  est  détruite  de  fond  en  comble,  Albiroùni 
ne  peut  s'empêcher  de  rendre  hommage  au  noble  courage  des 
vaincus.  Avec  eux  finissaient  les  dernières  manifestations  de  l'art 
religieux  de  llnde  sur  la  rive  droite  de  l'Indus. 

Est-ce  à  dire  qu'après  la  bourrasque  de  Mihirakula  l'art  gréco- 
bouddhique  y  ait  connu,  aux  vui'"  et  ix"  siècles,  une  sorte  de  renais- 
sance ?  Nous  ne  le  pensons  pas.  Ce  n'est  pas  sur  des  khàns 
turcs  que  nous  pouvons  compter  pour  rallumer  au  Gandhàra  le 
flambeau  éteint  de  l'hellénisme.  Aussi  bien  nous  avons  vu  que  dès 
le  V'-'  siècle,  si  l'école  continue  encore  à  accomplir  machinalement 
les  mêmes  gestes,  en  fait  elle  n'a  plus  aucune  vitalité.  Tels  ces  guer- 
riers des  contes  dont  tout  le  sang  a  déjà  fui  par  leurs  blessures  et 
qui  ne  s'aperçoivent  qu'ils  sont  morts  qu'en  délaçant  leurs  cuirasses, 
il  suflit  que  son  œuvre  soit  détruite  pour  révéler  son  incapacité  de 
recommencer  jamais  rien  de  pareil.  Mais  d'autre  part  il  est  impossi- 
ble de  ne  pas  tenir  compte  du  fait  que  Hiuan-tsang  signale  encore 

<''  A.  Stein.  Zur  Gfschie/ilc  lier  Çiihls  .StuUffart,  iSgS),  e(  Irad.  de  la  Hdjula- 
von  Kdbiil  (Festgruss  an  IL   von   Roth,         ;(//(^'/h(',  nolft  J ,  |i.  o3tJ. 


59l>  L'EVOLUTION   DE   L'ECOLE   DU   GAINDHAR\. 

quelques  couvents  échappés  au  naufrage,  où  un  culte  continuait 
d'être  ofTert,  et  que  Wou-k'ong  cite  plusieurs  fondations  nouvelles. 
11  y  a  tout  lieu  de  croire  que  ces  prétendues  fondations  n'étaient 
que  dos  reprises  en  sous-œuvre,  des  restaurations  plutôt  que  des 
réédifications  des  anciens  monastères  détruits.  Il  est  également  des 
plus  probables  que  ce  genre  de  travaux  ne  fut  entrepris  que  dans 
le  voisinage  des  grosses  agglomérations  urbaines,  où  le  besoin  de 
relever  les  couvents  se  fit  le  plus  vite  sentir  et  où  les  moyens  de  le 
faire  furent  le  plus  vite  réunis  (^'.  11  n'importe  pas  moins  de  prendre 
garde  que  nous  ne  pouvons  jamais  savoir  d'avance  si  tel  tertre  — 
même  parmi  les  rares  sites  qui  aient  été  respectés  jusqu'ici  — 
recouvre  une  ruine  du  premier  ou  du  second  degré,  en  d'autres 
termes  si  celle-ci  nous  est  parvenue  dans  l'état  où  Mihirakula  l'a 
mise  et  où  Hiuan-tsang  l'a  vue,  ou  si  elle  a  été  recommencée  sur 
nouveaux  frais  par  Mahmoud  de  Ghazni. 

Les  doubles  ruines.  —  Depuis  que  les  fouilles  sont  enfin  scienti- 
fiquement conduites,  tout  ceci  a  cessé  d'être  une  pure  vue  de  l'es- 
prit .  et  le  premier  rapport  de  Sir  Aurel  Stein  nous  a  apporté  sur 
ce  point  les  précisions  attendues.  Nous  tenons  à  présent  la  preuve 
matérielle  que,  comme  le  suggéraient  les  documents  écrits,  une 
partie  des  anciens  sanctuaires  gandhâriens  ont  été  réoccupés  et  au 
moins  partiellement  restaurés  par  les  fidèles  du  vn°  au  x^  siècle. 
Les  excavations  de  1912,3  Sahri-Bahlol.  ont  mis  une  fois  de  plus 
au  jour  «nombre  de  ces  petites  plateformes,  ordinairement  carrées 
et  décorées  en  stuc,  qui  servaient  de  bases  à  des  stupa  et  des  viluh^a 
isolés,  et  qui  jadis  s'entassaient  à  l'intérieur  de  toutes  les  places 
saintes  Ph  or  dans  les  deux  terties  (J  et  D  (cf.  fig.  ^86)  plusieurs 
de   ces   plateformes  avaient    vW'    utilisées,  longtemps   après  leur 

'"'  Cf.  ci-dessus,  t.  II,  [).  556.  Sir  Auiel  l'-lre  le  plus  longtemps  en  existence:  il 

Stein  remarque  incidemment  que  le  cou-  aurait  été  occupé  jusqu'au  x'  siècle.  .111- 

vent  E.  de  Sahri-Bahlol,  le  plus  proche  tant  dire  jusqu'à  l'invasion  nuisulniaric 
de  la  bourgade,  est  aussi  celui  qui  dut  ''  Cf.  t.  I,  p.  177. 


î: 


LA  FIN   DE   r;Ér,OLE.  593 

destruction,  comme  place  de  dépôt  pour  des  statues  et  des  bas- 
reliefs  de  toute  espèce.  Un  fait  significatif,  c'est  qu'en  certains  cas 
les  sculptures  ainsi  dressées  autour  de  la  hase  cachaient  derrière 
elles  une  frise  en  stuc  très  endommagée  et  manifestement  beaucoup 
plus  ancienne.  Mais  il  est  encore  plus  intéressant  de  remarcnier 
que ,  parmi  les  statues  ainsi  rangées  et  pour  la  plupart  d'apparence 
tardive,  il  y  en  avait  quelques-unes  qui  devaient  avoir  perdu  leur 


i 

^^S^^  «tel 

'-fT' 

7l 

m:s 

i  n  f\  m 


FiG.  5 19.  —  Religieux  bbahmi.mqdes,  au  Cambodge  (cf.  p.  268,  618). 

Première  enceinte  d'Angkor-Vat,  galerie' Sud ,  aile  Ouest. 

D'après  unp  phofographif  Je  Cb.  CiBPBADX. 

piédestal  ou  subi  quelque  autre  dommage  longtemps  avant  d'avoir 
été  redressées.  Il  est  clair  que  les  fidèles,  qui  ont  sur  le  tard  uti- 
lisé ces  bases  de  slûpa  en  ruines  d'une  manière  qui  ne  répondait 
nullement  aux  intentions  des  donateurs  originaux,  doivent  avoir 
l'ait  collection  non  seulement  d'images  du  genre  de  celles  que  les 
artistes  de  leur  temps  pouvaient  encore  produire,  mais  aussi  de 
débris  de  sculptures  de  date  plus  ancienne,  recueillis  dans  les 
portions  déjà  ruinées  de  ce  sanctuaire  ou  de  ceux  du  voisinage. 
Par  le  fait,  les  statues  incomplètes  qui  ont  été  ainsi  découvertes 

GASDIIÀIIA.    -     ]l.  38 


Mi:nic    NATio^Ai.r. 


59/1  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU   GANDHÂRA. 

montraient  souvent  une  facture  distinctement  supérieure.  Et  il 
n'est  pas  davantage  possible  d'expliquer  autrement  que  des  frag- 
ments d'images  colossales  aient  été  trouvés  à  diverses  reprises 
parmi  ces  dépôts  W.  .  .  n. 

Le  cas  est  typique,  mais  nullement  isolé:  aux  archéologues  de 
se  tenir  désormais  sur  leurs  gardes.  Après  le  passage  des  iconoclastes 
hephthalites  et  avant  la  venue  des  Musulmans,  entre  le  vu'=  et  le 
x*^  siècle,  des  mains  pieuses  ont  travaillé  dans  les  ruines  gandhâ- 
riennes,  relevé  les  statues  mutilées,  rassemblé  les  fragments  de 
bas-reliefs,  et  tant  bien  que  mal  restauré  les  anciens  sanctuaires. 
Reste  maintenant  à  savoir  si,  au  cours  de  ces  restaurations,  ils 
n'ont  rien  ajouté  de  leur  cru.  Dans  le  cas  présent,  nous  inclinerions 
à  penser  qu'ils  se  sont  bornés  à  refaire  ainsi,  uniquement  à  l'aide 
des  débris  ramassés  sur  place,  des  sortes  de  sanctuaires  de  fortune. 
Si  mince  est  la  couche  des  déblais,  que  Sir  Aurel  Stein  s'est  même 
demandé  si  l'on  ne  s'était  pas  borné  à  reconstruire  pour  les  desser- 
vants des  monastères  de  bois'').  Mais  il  serait  évidemment  téméraire 
d'ériger  des  cas  particuliers  en  règle  générale.  Ce  qui  a  pu  se 
faire  aux  abords  d'un  village  ne  devait  pas  être  de  mise  dans  la 
banlieue  d'une  grande  ville  comme  Pèshawar.  Aux  environs  même 
de  Sahri-Bahlol  tout  peut  dépendre,  selon  les  tertres,  de  l'élat  où 
se  trouvait  le  monument  ou  de  la  générosité  d'un  donateur  occa- 
sionnel. Enfin,  et  surtout,  il  serait  vain  de  vouloir  résoudre  a  priori 
des  questions  de  fait  dont  la  solution  ne  manquera  pas  d'être 
apportée  par  les  fouilles.  Remarquez  en  effet  que  ce  sont  les 
couvents  des  plaines  qui,  à  notre  connaissance,  ont  été  ainsi  re- 
maniés. Dans  les  replis  des  montagnes  limitrophes  du  Gandhâra 
reposent  probablement  encore  des  ruines  que,  depuis  le  vf  siècle, 
la  dépopulation  du  pays  a  dû  garantir  non  seulement  contre  le  fa- 
natisme des  Musulmans,  mais  encore  contre  la  dévotion  des  derniers 
Bouddhistes  de  la  contrée.  Leur  déblaiement  nous  apprendra,  par 

'''    (il.     I..S.  /.,     lllll.    Itl'll.     l(jl!-l->,  |).    101.    ''     11)1(1..   [).    1011. 


LA   FIN  DE  L'ÉCOLE.  5D5 

une  sorte  de  contre-épreuve,  à  quel  mouient  il  faut  tirer  la  lijjiie. 
Nous  dirons  seulement  que  les  présomptions  sont  pour  que  toute 
œuvre  de  style  proprement  gréco-bouddhique,  si  décadente  soit- 
elle,  doive  être  antérieure  au  vu''  siècle.  Aux  siècles  suivants  nous 
n'oserions   pour  l'instant  attribuer  que  deux  sortes  de  sculptures. 


FiG.    5aO.    —   TviMi  Oli    BnAHMANE.  AU  CAMBODGE  (  cl.  p.    258,  (il  8  ). 

Sema  [borne  de  temple)  troufé  à  Phnom-DH  [Siem-Réàp) 
D'après  uue  pliolograpliie  de  M.  J.  CoMMâiLLE. 

déjà  discernées  par  l'œil  pénétrant  de  Sir  Aurel  Stein.  Ce  sont 
d'abord  celles  qui  (telle  la  déesse  reproduite  sur  la  figure  ^187) 
se  trouvent,  dit-il,  tt occasionnellement  et  dont,  si  on  les  rencon- 
trait ailleurs,  on  aurait  pu  douter  qu'elles  appartinssent  à  la  période 
bouddhique  du  Gandharan.  Ce  sont  ensuite  celles  qui  trsont  évi- 
demment hindoues  vi  et  ont  d'ailleurs  été  trouvées  en  compagnie 
de  monnaies  des  Shàhis  liiudous.  En  résumé,  l'arrivée  de  Mahmoud 

38. 


596  L'ÉVOLUTION  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

de  Gliazni  n'aurait  fait  que  resceller  dans  sa  tombe  le  vieil  art 
indo-grec,  déjà  mort  depuis  quatre  siècles. 

Cette  fois,  c'est  fini  :  et  désormais  l'on  pourrait  reprendre  au 
compte  de  l'école  gréco-bouddhique  l'exclamation  que  pousse  Ka- 
Ihana  (')  à  propos  de  la  dernière  dynastie  gandhàrienne  :  trA-t-elle 
jamais  existé  ?n  Certes  le  pays  connaîtra  encore  bien  des  calamités 
et  verra  passer  bien  des  conquérants  :  après  les  Perses,  les  Grecs, 
les  Scythes,  les  Parlhes,  les  Yue-tche,  les  Huns,  les  Turcs  et  les 
Arabes,  ce  sera  le  tour  des  hordes  de  Mohamed  Ghori  (i  lyô), 
de  Timour  (i  898-9),  de  Baber  (i5o5),  de  Nadir  Shah  (i^SS), 
d'Ahmed  Shah  et  des  Afghans  Dourràni.  Mais  au  point  où  en  étaient 
ses  ruines,  elles  n'avaient  plus  rien  à  redouter  de  ces  périodiques 
dévastations.  On  peut  même  dire  que  l'incurie  musulmane  les 
aidait  plutôt  à  se  conserver  sous  leur  couche  protectrice  de  terre  ; 
c'est  tout  au  plus  si  la  paresse  indigène  trouvait  son  compte  à  en 
exploiter  quelques-unes  comme  carrière  pour  les  matériaux  de 
construction.  L'amour  du  gain  ne  fut  même  pas  assez  fort  pour  les 
déterminer  à  fouiller  tous  les  stupa  qui  jalonnaient  la  grand'route, 
et  ils  en  laissèrent  encore  beaucoup  à  violer  à  l'indiscrète  curiosité 
des  premiers  Européens  survenus  au  commencement  du  xix''  siècle 
avec  les  Sikhs.  En  fait  le  déplorable  vandalisme  qui  a  achevé  de 
bouleverser  la  plupart  des  ruines  du  pays  et  qui  a  causé  tant  de 
pertes  irréparables  à  la  science  archéologique  date,  dans  une 
large  mesure,  de  l'annexion  du  Penjàb  par  l'Administration  bri- 
tannique, en  18/18-/19.  Mais  la  suite  est  une  histoire  que  nous 
avons  déjà  contée'^). 


(') 


Rdjataranghù ,  vu,  69.  —  '•'  T.  I,  p.  i3  el  siiiv. 


INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA.  597 

CHAPITRE    XVII. 

INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHARA. 

Nous  avons  exposé  la  conception,  sur  bien  des  points  encore 
toute  provisoire,  que  nous  pouvons  nous  faire  de  l'évolution  de 
l'école  du  Gandhàra.  Nous  l'avons  vue  naître  de  la  rencontre  inat- 
tendue et  passagère  du  Bouddhisme  et  de  l'Hellénisme,  et  faire  ses 
premiers  pas  dès  le  i"  siècle  avant  Jésus-Christ.  Le  i''"'  siècle  de  notre 
ère  nous  a  paru  réaliser  la  plus  heureuse  synthèse  des  deux  facteurs 
composants,  le  grec  et  l'indien,  et  marquer  du  même  coup  le  plus 
haut  point  d'originalité  et  d'excellence  auquel  cet  art  soit  parvenu. 
A  partir  du  if  siècle,  la  balance  penche  du  côté  de  l'élément  indi- 
gène, et  cette  rupture  d'équilibre  est  le  prélude  d'une  décadence 
qui,  nettement  commencée  dès  le  m",  traîna  encore  deux  ou  trois 
cents  ans.  Mais  l'histoire  de  l'école  du  Gandhàra  ne  tient  pas  tout 
entière  dans  ses  destinées  locales.  De  très  bonne  heure  —  en  fait, 
dès  le  n*"  siècle  —  alors  qu'elle  était  encore  dans  toute  sa  vitalité, 
elle  a  commencé  d'agir  bien  au  delà  des  étroites  limites  de  son 
pays  natal.  Nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  rinlhience  qu'ont 
exercée  ses  œuvres  tant  sur  le  reste  de  l'Inde  que  sur  l'Extrême- 
Orient.  Bien  entendu ,  il  n'est  pas  question  d'entreprendre  à  ce 
propos  une  histoire,  même  abrégée,  de  l'art  bouddhique  dans  les 
diverses  contrées  de  l'Asie:  mais  nous  devons,  conformément  au 
titre  même  de  cet  ouvrage,  donner  un  aperçu  de  la  propagation 
de  l'influence  classique,  à  la  faveur  et  par  l'intermédiaire  de  l'art 
gréco-bouddhique,  dune  part  jusqu'au  Japon  et  de  l'autre  jusqu'à 
Java. 

A  première  vue,  ce  mouvement  peut  sembler  n'être  que  le 
prolongement  direct  de  celui  qui  avait  déjà  apporté  les  procédés 
hellénistiques  jusque  dans  le  Nord-Ouest  de  l'Inde.  D'un  même 
irrésistible  élan,  l'influence  ai'tislique,  grecque  en  son  essence,  de 


598  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

lEnipire  romain  se  serait  répandue  jusqu'aux  deux  extrémités  de 
l'ancien  monde,  de  l'Atlantique  au  Pacifique.  L'introduction  des 
idoles  gréco-bouddliiques  au  Japon  ne  serait  plus  que  le  pendant 
de  celle  de  notre  mythologie  classique  à  Thulè.  Bien  mieux,  le 
parallélisme  des  résultats  s'éclairerait  encore  par  celui  des 
moyens  :  car  ce  sont  toujours  les  grandes  routes  commerciales 
([n'empruntent  ces  disséminations  artistiques,  et  les  deux  voies  prin- 
cipales, l'une  terrestre  et  l'autre  maritime,  qui  mènent  de  l'Inde 
en  Extrême-Orient,  ne  font,  elles  anssi,  que  prolonger  celles  qui, 
par  terre  et  par  mer,  conduisent  d'Europe  dans  l'Inde.  Certes, 
nous  ne  contestons  ])as  qu'à  contempler  les  choses  de  haut,  il  n'y  ait 
beaucoup  de  vrai  au  fond  de  ces  vastes  perspectives*')  :  mais  dès 
qu'on  y  regarde  de  près,  comme  c'est  l'instant  de  le  faire  ici,  le 
détail  des  faits  se  complique.  L'expansion  de  l'art  gréco-bouddliique 
ne  se  poursuit  pas  exactement  suivant  les  mêmes  lignes  que  celle 
de  l'art  gréco-romain  :  la  première  se  sert  d'un  moyen  de  plus, 
mais  en  revanche  a  perdu  quelques-unes  des  ressources  dont  dis- 
posait la  seconde. 

Le  facteur  nouveau  est  la  formidable  impulsion  qu'a  communi- 
quée à  l'école  le  succès  de  la  Bonne  Loi  dans  tout  l'Orient  de 
l'Asie.  L'influence  artistique  n'est  plus,  de  ce  point  de  vue,  qu'une 
branche  de  la  propagande  bouddhique  :les  doctrines,  les  livres,  les 
images  marchent  de  front  à  la  conquête  de  l'Univers.  Au  début, 
l'art  hellénistique  n'avait  pas  seulement  pénétré  au  Gandhàra  par 
les  voies  commerciales:  il  y  était  lui-même  un  article  de  commerce, 
soumis  aux  lois  de  l'offre  et  de  la  demande.  Les  circonstances  spé- 
ciales que  nous  avons  dites  ont  seules  assuré  son  extraordinaire 
réussite.  Mais  à  présent  la  victoire  est  gagnée  pour  lui  :  une 
auréole  de  sainteté  environne  désormais  toutes  ses  œuvres  gan- 
dhâriennes,  devenues  non  moins  sacrées  que  le  texte  des  écritures; 
et  le  voici  qui  repart,  véhiculé  en  pompe  dans  le  char  de  la  religion. 

''  Nous  V  reviendrons  ci-dessous,  daus  le  S  in  de  nos  Conclusions. 


INFLUENCE  DE  L'ECOLE  DU  GANDHARA. 


599 


On  ne  saurait  exagérer  l'importance  des  forces  nouvelles  qui 
agissent  ainsi  en  faveur  de  son  expansion,  et  la  place  privilégiée 
qu'elles  vont  lui  assurer  sur  le  continent  comme  dans  les  îles. 
Indien  ou  chinois,  indo-cliinois  ou  sérindien,  il  n'est  plus  désor- 
mais de  peuple  qui  ne  doive  travailler  à  sa  gloire  et  mettre  tout  ce 
qu'il  a  de  talent  à  son  service.  Nous  ne  venons  pas  prétendre  que 
l'art  bouddhique  soit  tout  l'art  de  l'Asie  :  du  moins  ne  le  cède-t-ij 


FiG.  Sai.  —  BuDDiiAS  ASSIS  svn  le  Nàoa,  au  Cambodge  (cf.  p.  O28,  G8'i,  liSi), 
Sldlucs  de  Baiilny-Climar  (Sisoplion). 
D'après  une  phologi'apbie  du  général  oe  Betlib. 


:o.'l). 


en  rien,  pour  ce  qui  est  du  nombre  et  de  la  variété  des  écoles, 
à  notre  art  chrétien  d'Europe. 

Mais  si  cet  éclatant  triomphe  est  fait  pour  réjouir  les  adeptes 
de  la  lionne  Loi,  il  ne  peut  dissimuler  à  nos  yeux  l'aggravation 
croissante  du  caractère  exotique  de  cet  art.  A  mesure  qu'il  s'avan- 
cera vers  l'Orient,  il  s'orientalisera  davantage  et,  à  chaque  étape, 
diminueront  les  vestiges  de  cette  influence  classique  que  nous  avons 
pris  à  tâche  de  suivre.  A  cet  affaiblissement  progressif  de  l'élément 
occidental,  nous  apercevons  tout  de   suite  une  première  cause. 


600  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDIIARA. 

Prenant  I«  (iandliara  comme  Irenipliii,  l'arl  gréco-romain  a  |)ii 
rebondir  jusqu'aux  bornes  du  vieux  monde,  mais  ce  n'est  qu'un 
rebondissement.  La  balle  a  toucbé  terre,  elle  n'arrive  plus  de 
plein  fouet.  C'était  de  l'art  hellénistique  que  l'Inde  du  Nord-Ouest 
avait  importé  :  c'est  de  l'art  gréco-bouddin'que  qu'elle  réexporte, 
et  il  n'y  a  pas  que  le  nom  qui  ait  cbangé.  Puis  les  conditions  de 
cette  diiïusion  ne  sont  pins  celles  que  nous  avons  vues  jusqu'ici 
à  l'œuvre.  Nous  n'avons  pu  expliquer  la  création  locale  de  l'école 
gandhàrienne  qu'à  l'aide  d'un  alllux  d'artistes  hellénisants,  pro- 
longé par  grâce  spéciale  pendant  près  de  trois  siècles.  Désormais, 
nous  ne  rencontrerons  plus  guère  de  ces  artistes  itinérants,  mais 
surtout  des  pèlerins  et  des  moines  missionnaires,  colportant  des 
objets  de  piété  pêle-mêle  avec  des  textes.  Sans  doute  les  zélateurs 
de  Chine  ou  d'Insulinde  ont  voulu  remonter  à  la  source  :  mais 
pour  eux  cette  source  n'est  plus  l'Orient  hellénisé.  Conformément 
au  procédé  traditionnel  des  boutures  empruntées  à  l'arbre  de 
la  Bodhi,  ils  ont  désiré,  selon  une  curieuse  formule,  «obtenir  un 
maître  qui,  rameau  de  la  doctrine  du  Buddha,  devînt  la  racine 
de  la  secte  dans  leur  paysWn  :  mais  qu'il  s'agît  d'un  docteur  de  la 
loi,  d'un  traducteur  de  textes  ou  d'un  ouvrier  d'images,  c'était 
naturellement  vers  l'Inde  qu'ils  se  tournaient. 

On  le  voit,  les  causes  agissantes  ne  sont  plus  celles  que  nous 
exposions  au  début  du  précédent  chapitre  et,  par  suite,  nous  ne 
saurions  nous  attendre  à  enregistrer  les  mêmes  résultats.  D'inlluence 
hellénistique  en  Extrême-Orient,  il  ne  peut  en  être  question  que 
de  façon  indirecte  et,  pour  ainsi  dire,  au  second  degré,  par 
l'intermédiaire  de  l'art  gréco-bouddhique.  Cette  entremise  même 
s'exerce,  semble-t-il,  autant  par  un  apport  de  modèles  gandhâriens 
—  les  plus  transj)ortables  étant  les  copies  peintes  —  que  par  l'in- 
troduction de  praticiens  capables  de  les  répéter.  Il  en  résulte  immé- 
diatement cette  conséquence  que,  pour  éviter  tout  malentendu, 

"'  li.hJ.  F.  /i'.-a,lX,4,p.  799. 


L'INFLUENCE   DANS   L'INDE.  601 

il  sied  de  proclamer  dès  le  début  :  l'art  de  l'Inde  médiévale  et  de 
l'Extrêine-Orient  n'est  pas,  par  rapporta  l'école  du  Gandhàra, 
dans  l'état  de  dépendance  où  se  montre  celle-ci  par  rapport  à  l'art 
gréco-romain.  Sur  les  bords  de  l'iiidus,  la  virtuosité  hellénistique 
a  pu,  par  une  exception  unique,  remplacer  complètement  l'an- 
cienne technique  indienne  et  éliminer  au  profit  de  ses  expertes 
créations  les  procédés  indigènes.  Une  substitution  aussi  entière  ne 
devait  plus  se  l'eproduire  autre  part.  Le  rayonnement  de  l'hellé- 
nisme, si  loin  de  sa  source  d'émission  et  déjà  tamisé  par  l'écran 
bouddhique,  n'était  plus  assez  fort  pour  renouveler  cet  exploit,  en 
soi  peu  souhaitable.  Il  fit  mieux.  Là  où  un  art  national  existait  déjà, 
il  se  borna  à  l'enrichir  d'une  branche  nouvelle;  là  où  il  n'existait 
pas  encore,  il  encouragea  sa  naissance.  Loin  de  faire  la  loi ,  c'est  lui 
à  présent  qui  la  subit;  au  lieu  de  s'imposer  aux  peuples,  il  s'adapte 
à  leur  goût,  et  son  premier  soin  en  tout  lieu  est  de  revêtir  la  cou- 
leui'  locale.  Mais  ces  réserves  faites  (et  l'on  n'en  saurait  concevoir 
de  plus  complètes),  il  n'en  reste  pas  moins  ceci  :  la  propagande 
l)0uddhique  a  partout  apporté  avec  elle  des  types  de  statues,  des 
sujets  légendaires,  des  motifs  décoratifs;  or  ces  motifs,  ces  sujets, 
ces  types  sont  l'œuvre  de  l'école  gandhârienne;  et  par  suite,  en 
même  temps  que  ces  modèles,  n'ont  pu  manquer  de  s'insinuer 
jusqu'aux  confins  de  l'Asie  quelques  symptômes  de  cette  iniluence 
classique  dont  ils  étaient  tout  pénétrés.  C'est  là  du  moins  ce  que 
nous  croyons  pouvoir  démontrer  aux  incrédules,  de  quelque  coté 
(]n'il  s'en  trouve,  en  Europe  ou  en  Asie,  si  tant  est  qu'il  en  reste 
encore  aujourd'hui. 

§    I.     L'iNFLUflNCE  DANS    l.'IiNDE. 

11  est  deux  choses  qu'il  ne  faut  pas  se  lasser  de  répéter.  C'est 
l'iiliord  que  l'Inde  est  grande,  beaucoup  plus  grande  que  l'échelle 

linaire  de  nos  cartes  ne  le  donne  à  penser.  C'est  ensuite  que  le 
(iaiidhâra  occupait  une  position  tout  à  fait  excentrique  dans  la  vaste 
péninsule.  Or,  de  tout  temps,  et  l'Inde  du  Nordii  —  autrement  dit. 


602  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

le  Penjâb  —  a  été  la  moins  indienne  des  «cinq  Indes «.  Comment 
en  aurait-il  été  autrement,  alors  que  son  sol,  forcément  le  plus 
exposé  aux  invasions  et  le  plus  longtemps  soumis  aux  dominations 
étrangères,  avait  été  si  souvent  pétri  et  repétri  dans  le  sang  mêlé 
de  tant  de  races?  Les  modes  et  les  goûts,  les  coutumes  et  les  idées 
y  avaient,  par  rapport  à  ce  que  les  Hindous  orthodoxes  appelaient 
le  ftpays  du  milieu  n,  un  air  que  nous  qualifierions  d'occidental.  On 
a  pu,  non  sans  apparence  de  raison,  opposer  le  Bouddhisme  du 
bassin  de  l'Indus  à  celui  du  bassin  du  GangeW:  il  est  certain  que 
la  ferveur  des  zélateurs  y  avait  pris  une  attitude  quasi  particula- 
riste,  en  faisant  des  cquali'c  grands  pèlerinages n  du  Bodhisatlva 
une  sorte  de  concurrence  h  ceux  du  Buddha.  Dans  le  même  ordre 
d'idées,  l'art  gandliàrien  n'est  —  tout  comme  lalphabet  appelé 
kliaroslfu  —  qu'un  cas  spécial  de  ce  perpétuel  contraste  entre  le 
Penjàb  et  le  bas  pays.  Aujourd'hui  encore,  pour  qui  descend  du 
Nord-Ouest,  Pèshawar,  Lahore,  Dehli  sont  à  peine  des  villes  in- 
diennes. C'est  seulement  en  arrivant  à  Malhurâ  que,  sur  ses  quais 
fréquentés  par  les  tortues  sacrées  de  la  Yamunâ  et  dans  ses  temples 
hantés  de  singes,  on  a  vraiment  le  sentiment  de  respirer  l'atmo- 
sphère hindoue.  Or,  lisez  attentivement  la  relation  de  Fa-hien:  il 
vous  apparaîtra  clairement  que  son  impression  fut  toute  pareille. 
De  son  temps,  l'Inde  géographique  commençait  à  l'Hindou-koush  : 
pourtant  ce  n'est  qu'à  Mo-tou-lo  qu'il  suspend  son  récit  pour  faire 
un  tableau  des  mœurs  sociales  et  religieuses  du  Tien-tchou.  Nous 
croyons  volontiers  qu'il  en  était  de  même  dès  avant  notre  ère  :  et  c'est 
aussi  pourquoi  la  «Mathurâ  des  dieux  n  des  géographes  grecs  est  le 
premier  terrain  commun  sur  lequel  nous  rencontrions  côte  à  côte  les 
productions  des  écoles  de  l'Inde  du  Nord-Ouest  et  de  l'Inde  centrale. 

Mathurà.  —  En  ce  qui  concerne  la  lamentable  histoire  et  le 
résultat  étrangement  dispersé  des  fouilles  désordonnées  dont  ce  coin 

'■'  S.  Beal,  s.  B.  E.,  \1X,  p.  x;  cf.  ci-dessus,  t.  II.  p.  /Ii6 /117. 


L'INFLUENCE  DANS  L'INDE.  603 

de  terre  a  été  l'objet  depuis t83(),  nous  sommes  heureux  de  pouvoir 
renvoyer  le  lecteur  à  la  belle  étude  de  M.  J.  Ph.  Vogel  et  à  son 
excellent  catalogue  du  musée  de  Malburâ^''.  Quand  le  catalogue  du 
musée  de  Lakbnau  sera  venu  s'y  joindre,  on  n'aura  plus  besoi» 
d'entreprendre  le  voyage  de  l'Inde  pour  se  faire  une  idée  exacte  de 
la  sculpture  du  haut  bassin  du  Gange  entre  le  ii"  siècle  avant  Jésus- 


FiG.  5a2.  —  Lii  Retour  de  Cuasdaka  et  he  Kantuaki,  au  Caiipa  (cf.  lig.  .un  el  y.  (iaS '. 

Fragment  du  piédestal  de  la  tour  princiipale  de  Dong-Duong  {Aiinaiii). 

D^1pl■^*i  unp  photographie  de  Ch.  Carpeadx. 


Cin'ist  et  le  vi*'  après.  Les  quelques  spécimens  que  nous  avons 
reproduits  d'après  nos  photographies (-'  en  donnent  un  aperçu 
suffisant  pour  notre  objet.  L'examen  des  motifs  décoratifs  et  des 
scènes  légeudaires  nous  a  depuis  longtemps  suggéré  —  et  nous 
avons  eu  la  vive  satisfaction  de  voir  cette  théorie  adoptée  par 
M.  J.  Ph.  Vogel  —  que  la  ville  de  Mathurà  avait  été  la  première 
étape  de  l'influence  gréco-bouddhique  dans  l'Inde'^).  Elle  le  doit 


'"'  J.  Ph.  \or,EL,  Tlie  Mathurd  Sclinol 
of  Sculpture,  dans  A.  S,  I.,  Ami.  Rep. 
igo6-j  et  i()or)-io;  Catalogue  nf  thr 
archœologiral  Muséum  al  Mathurà  (Alla- 
liiibàd,  1910). 


<''  Cf.  (1^.9:5-94,  28a,/i89-497,5.5o- 
553,579,587. 

<''  Cf.'t.  I,p.  222  et  6i5.— Nous  ne 
parlons  pas  ici  de  Taksaçilà,  (jui  rentre 
dans  l'école  indo-grecque,  ni  du  Kaçmîr 


60/)  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÀRA. 

tout  d'abord  à  sa  situation  sur  la  grand'route  qui  y  descendait  du 
Gaiidhâra,  en  contournant  les  parties  déjà  désertiques  de  l'tclnde 
occidentale  fl,  et  là  s'embranchait  d'une  part  sur  Bénarès  et  Pâtali- 
putra  (Fatna),de  l'autre  sur  Ujjayinî  (Oujjaïn)  et  Barygaza  (Broach). 
Mais  à  côté  de  cette  raison  géograpliique,  il  y  en  avait  de  poli- 
tiques. Eu  même  temps  que  Puskaràvati,  Mathurâ  appartenait  à 
la  portion  indienne  de  l'empire  des  Kusanas.  Auparavant  elle  était 
déjà  gouvernée,  ne  l'oublions  pas,  par  des  satrapes  parthes  dépen- 
dant également  d'un  suzerain  du  Nord-Ouest  (').  Elle  a  fait  partie 
des  conquêtes  passagères,  sinon  de  Dèmètrios  et  d'Eukratidès,  du 
moins  d'Apollodotos  et  de  Ménandre.  D'une  façon  générale  on  peut 
dire  que  la  capitale  des  Çùrasênas,  placée  à  la  frontière  du  Madhya- 
dèça,  a  subi  à  peu  près  les  mêmes  vicissitudes  que  l'Inde  du  Nord; 
on  ne  s'étonnera  donc  pas  que  les  destinées  de  son  école  dart 
soient  aussi  intimement  liées  à  celles  de  l'école  gandhârienne. 

Si  l'on  nous  demandait  de  les  retracer  brièvement  et  de  classer 
chronologiquement  les  spécimens  publiés  ici-même,  le  premier 
point  sur  lequel  nous  voudrions  insister  est  l'existence  à  Mathurâ 
de  monuments  appartenant  à  l'ancienne  école  indienne.  Les  \aksi- 
nîs  des  figures  li-j-2  et  ûyS,  surtout  si  l'on  y  joint  les  scènes  de 
jA/rt/i-rt  sculptées  au  revers  despihers  contre  lesquels  elles  s'adossent, 
montrent  ce  que  l'art  de  Barhut  était  devenu  sur  les  bords  de  la 
Yamunâ'^'.  Ces  spécimens  prouvent  du  même  coup  qu'en  s'y  intro- 
duisant, l'influence  gréco-bouddhique  y  a  trouvé  en  pleine  activité 
des  ateliers  indigènes.  Aussi  distinguerions-nous  volontiers  deux 
périodes  successives  dans  ses  manifestations.  La  première  aurait  vu 
naître,  d'une  part,  les  œuvres  qui,  clairement  hellénisantes,  conti- 
nuent à  faire  preuve  de  quelque  liberté  d'interprétation,  telles 
que  les  groupes  bacliiques  de  Pàncika  (fig.  ^92)  ou  l'Héraklès  au 

où,  faute  de  fouilles,  lecole  n'est  encore  '-'  Cf.  J.  Pli.  \oGt,L,A.S.I.,  Ann.  Rep. 

représentée   que  par  une  unique  statue  igo6-j,  pi.  LI,  et  tgog-io,  pi.  XXVI. 

tardive  (fig.  488).  —  Pour  le  caractère  assez  Licencieux  de 

'''  Cf.  le  fameux  chapiteau  aux  Lions  cet  art,  "voir  les  références  données  ci- 

dc  Malliurà.  dessus,  t.  I,  p.  a48. 


L'INFLUENCE  DANS  L'INDE.  605 

lion  de  Némée,  qui  n'est  qu'un  travestissement  classique  de  Krisna , 
et,  d'autre  part,  les  premiers  modèles  de  ces  Buddhas  et  Bodhi- 
sattvas  dont  le  type  témoigne  encore  d'une  certaine  initiative  locale 


FiG.  oa3.  —  Les  quatre  grands  miracles,  en  Sérinde  (cf.  p.  602). 

Peinture  des  grottes  de  Qijzyl,  près  de  Koutcha. 

D'après  A.  Growkdel,  Altb.    fiulls.  Tiirk.,  lig.  383. 

(fig.  kf^-j  et  55o).  Cette  phase  tant  soit  peu  originale  peut  remonter 
jusqu'à  la  domination  parthe  et  s'est  prolongée  sous  les  premiers 
Kusanas,  alors  que  l'école  indo-grecque  élaborait  son  répertoire, 
et  n'agissait   à  distance    que  par  voie  de  suggestion.  Quand  une 


606  INFLUENCE  DE  L'ECOLE  DU  GANDHARA. 

fois  le  répertoire  gréco-boiuldhique  a  été  définitivement  fixé  et  s'est 
propagé  vers  l'Inde  centrale,  à  partir  des  règnes  de  Hiiviska  et 
de  Vâsudêva,  il  commande  l'imitation,  et  nous  n'avons  plus  guère 
alîaire  qu'à  des  répliques  serviles.  Si  l'on  veut  se  rendre  compte  de 
la  façon  quasi  mécanique  dont  les  artistes  du  cru  ont  imité  les 
motifs  gandluîriens,  il  suffit  de  se  reporter  soit  aux  épisodes  de  la 
Nativité,  delà  Tentation,  de  la  Première  Prédication,  de  la  Visite 
d'Indra,  de  la  Descente  du  ciel,  etc.,  qui  décorent  le  pourtour  de 
tel  petit  tambour  de  sldpa''^'i,  copie  dégradée  de  celui  de  Sikri  — 
soit  ici  même  aux  scènes  de  la  Première  Méditation  (fig.  ^89)  ou 
du  Pari-nirvana  (fig.  282).  A  chaque  foison  reconnaîtra,  mais 
traités  de  façon  beaucoup  plus  sèche  et  maladroite,  l'ensemble 
comme  les  détails  de  la  composition  gréco-bouddhique.  Les  Buddhas 
eux-mêmes  reproduisent  à  présent  le  prototype  gandhàrien,  seule- 
ment plus  figé  dans  sa  convention  (fig.  55 2-553);  et  c'est  de  ce 
modèle  que  descendent  directement  ceux  qui  plus  tard  honorent 
l'époque  des  Guptas  et  dont  nul  ne  songe  plus  à  contester  la 
valeur  artistique  (fig.  SS^).  Enfin  il  est  assurément  curieux  de 
devoir  noter  avec  M.  J.  Ph.  Vogel  que  «  l'activité  des  sculpteurs 
de  Mathurâ  cesse  avec  le  vi^  siècle n,  c'est-à-dire  juste  au  moment 
où  l'école  du  Gandhâra  vient  d'être  détruite.  L'état  de  dévastation 
des  monuments  déblayés  confirme  que  l'école  de  Mathurâ  a, 
elle  aussi,  reçu   le  coup  mortel  de  l'invasion  hephthalite. 

Mais  ni  ce  parallélisme,  ni  ces  analogies  ne  constituent  le  prin- 
cipal intérêt  que  ladite  école  présente  pour  notre  thèse  :  intérêt  à 
nos  yeux  si  considérable  que,  si  elle  n'existait  pas,  il  eût  fallu  l'in- 
venter. Pour  faire  ressortir  le  caractère  exceptionnel  de  l'art  gan- 
dhàrien, nous  aurions  dû  en  efl'et  tâcher  de  reconstituer  par  la 
pensée  comment  les  choses  se  seraient  passées  en  un  pays  foncière- 
ment indien  et  qui  n'aurait  subi  que  de  loin  l'influence  classique. 

'''  V.  Smith,  ,/fl/)i  Slùpaaiid  ollicr  Anti-  i.  Plj.  Vogel,  A.  S.  I.,  Aiui.Rep.  iqu6-j, 
quities  oj  Mathurâ  (Ailahabàd,  1901);  p.  101,  et  B.  E.  F.  E.-O.,  VIII,  1908, 
J.A.,   sept.-ocl.    1908,  p.  SaS,   n.    1;         p.  dga-Soo. 


L'INFLUENCE  DANS  L'INDE.  607 

A  cette  construction  trop  théorique  et  qui  fût  forcément  restée  peu 
convaincante,  il  est  heureusement  inutile  de  nous  h'vrer,  et  infini- 
ment avantageux  de  substituer  un  exemple  concret.  Ce  qui  serait 
advenu  au  Gandhàra,  n'étaient  sa  situation  sur  les  confins  de  l'Inde 
et  la  longue  préparation  que  lui  valut  un  siècle  continu  de  domi- 
nation grecque,  c'est  justement  ce  qui  s'est  passé  à  Mathurâ  même. 
Chez  lui,  comme  chez  elle,  dans  la  couche  la  plus  ancienne  des 


V 


FiG.  5ai.  —  AIasqde  grotesque,  en  Sébinde  (cl.  p.   ly,  053). 

Muséum  Jiir  Vôlherkunde ,  Berlin.  Hauteur:  o  m.  23. 

D'après  A.  Gri'nwedel,  IiUhiUchari,  pi.  XIII,  5. 


ruines  bouddhiques,  nous  aurions  exhumé  des  vestiges  importants 
de  l'ancienne  école  indienne;  chez  lui,  comme  chez  elle,  nous 
aurions  vu  persister,  à  travers  la  période  gréco-bouddhique, 
parmi  d'évidentes  et  classiques  nouveautés,  des  traditions  et  des 
procédés  hérités  du  vieux  style  indigène;  chez  lui,  comme  chez 
elle,  nous  aurions  déjà  trouvé,  à  côté  des  fondations  bouddhiques, 
des  sanctuaires  brahmaniques  et  jainas.  C'est  justement  l'absence 
de  ces  trois  choses  qui  caractérise  le  cas  exceptionnel  de  l'école  du 


608  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  0  VNDHÀRA. 

Gandlicira,  et  nous  a  permis  de  professer  au  sujet  de  ses  origiuts 
(les  opinions  si  catégoriques.  Dans  l'hypothèse  où  nous  ne  connaî- 
trions l'influence  classique  dans  l'Inde  qu'à  travers  Mafhurâ,  nous 
en  serions  encore  à  hésiter  sur  son  compte.  La  question  continue- 
rait à  se  poser  avec  vraisemblance  de  savoir  si  elle  ne  s'est  pas 
plutôt  exercée  à  travers  des  modèles  que  par  l'intermédiaire 
d'artistes,  ou  encore  si  le  développement  de  l'école,  bien  ([ue 
brusquement  enrichi  à  un  moment  donné  par  cet  apport  étranger, 
ne  s'est  pas  accompli  selon  des  lois  normales'''.  En  d'autres  termes, 
toutes  les  théories  que  nous  avons  écartées  à  propos  de  l'école  du 
Gandhàra  peuvent  légitimement  se  soutenir  à  propos  de  celle  de 
Matliurà.  Mais  pour  quiconque  a  devant  les  yeux  le  contraste  (jue 
présentent  leurs  œuvres  respectives,  il  n'y  a  pas  de  meilleure 
preuve  que  ce  qui  est  vrai  ici  ne  peut  être  que  faux  là-bas.  Ainsi 
la  sculpture  du  Doab  gangétique,  justement  par  le  fait  qu'elle  nous 
présente  une  image  déformée  de  celle  des  bords  de  l'Indus,  nous  aide 
indirectement  à  en  concevoir  plus  correctement  l'idée,  et  nous  rend 
le  signalé  service  de  vérifier  après  coup  nos  conclusions  à  son  sujet. 

Le  bassin  oniEiNTAL  DU  Gange.  —  Là  n'est  pas  sa  seule  utilité. 
Le  fait  que  ses  productions  se  reconnaissent  à  première  vue  grince 
à  la  couleur  rouge,  tachetée  de  jaune,  du  grès  des  carrières  de 
Fatehpour-Sikri,  nous  est  encore  un  appoint  précieux  pour  suivre 
la  diffusion  de  l'influence  gréco-bouddhique  dans  le  reste  de  l'Inde. 
La  belle  Hàritî  en  schiste  bleu  de  la  figure  SyS,  qui  a  été  trouvée 
à  Mathurâ,  est  visiblement  gandhàrienne  par  le  style  comme  par  la 
matière.  A  présent  c'est  le  style  et  la  matière  de  Mathurâ  que  nous 
allons  voir  se  propager  au  fil  du  Gange  et  de  ses  affluents.  Gun- 
ningham  pensait  déjà  que  cette  ville  ff  avait  été  la  grande  manu- 
facture pour  la  fourniture  des  sculptures  bouddhiques  dans  le 
Nord  de  l'Inde '^'n  :  les  découvertes  épigraphiques  nous  ont  apporté 

'')  Cf.  1.  1,  p.  6i2  etsuiv.  —(=1  A.S.I.,Xl,  p.  76. 


L'INFLUENCE   DANS   L'INDE.  009 

depuis  des  dates  et  des  noms.  Les  deux  grands  Bodhisattvas  décou- 
verts à  Çrâvastî  et  à  Bénarès  sont  des  produits  évidents  des  ateliers 
mathuriens,  exécutés  et  exportés  sur  l'initiative  d'un  même  moine 
Bala  :  or,  de  ces  deux  statues,  la  première  date  du  règne  de  Kaniska, 
la  deuxième  de   celui  de  Huviska  ".  Quatre  siècles  plus  tard,  une 


FiG.  âaS.  -    Tète  dk  Garuda,  en  SÉBiNot  (cf.  \>.  ào,  ().")3). 

Peinture  des  grottes  de  Qyzyl ,  près  de  Koutcha. 

D'après  A.  Onf-swEDEL,  .4/(6.   Kults.   Turk.,  fi|;.  iia. 

autre  statuette,  toujours  de  la  même  pierre,  nous  fournit  encore  à 
Kasia  le  nom  du  sculpteur  Diuna  de  Mathurâ,  l'auteur  présumé  de 
la  grande  statue  locale  du  Pari- nirvana^-).  Enfin  on  a  ramassé  uu 
piédestal  de  la  même  provenance  jusque  dans  les  ruines  de  Râjgir, 
en  plein  Magadha  '^'.  (Iràce  à  toutes  ces  précisions,  dues  aux  récentes 
recherches  de  l'Archseological  Survey  réorganisé,  le  rôle  considé- 


C'  Cf.  J.  Ph.  VOGEL  et  Th  Blocii. 
Epigr.  huL,  \'III,  p.  166  et  179;  J.  Pli. 
VoGEi, ,  A.S.I.,  Ann.  Hep.  i()o6-j,  p.  l 'i-î. 
I«  nom  de  Bala  se  retrouve  sur  la  Ijase 
'l'un  Buddha  assis  découvert  à  Bénarès. 


'"'  J.  Pli.  Vor.EL,  ihid.,  p.  /i():  c\. 
ihiil.,  I  i)oH-() ,  p.  i38. 

'''  A.S.I. ,  Anii.Rrp.  Kjoô-S ,\t.  io5-(). 
—  Voir  éguloment  (lig.  556)  le  Bii(lilli:i 
de  style  Kouslian  rclroiivé  à  Bodli-Ciavà. 

39 


fHltllIIIC     NATir 


610  INFLUENCE   DE   L'ÉCOLE  DU  GANDHARA. 

rable  joué   pur  Mathurâ  dans  l'adoption  et  la  diffusion  de  l'art 
gréco-bouddliique  est  définitivement  établi. 

Si  maintenant  l'on  veut  juger  sur  pièces  du  degré  de  fidélité 
avec  lequel  la  routine  de  l'art  bouddbique  peut  répéter  indéfini- 
ment un  modèle  donné,  il  sullit  de  se  reporter  à  nos  figures  607 
ou  209  et  d'en  rapprocher  les  quatre  scènes  également  figurées 
sur  la  figure  208  :  dans  toutes  on  retrouvera  aussitôt,  à  quelques 
différences  près*'',  les  lignes  générales  et  des  détails  significatifs 
des  compositions  gandbâriennes.  Aussi  estimons-nous  inutile  de 
délayer  ici  en  autant  de  pages  qu'il  y  a  d'épisodes  ce  qu'un  simple 
coup  d'œil  nous  apprend.  Cette  comparaison  pourrait  d'ailleurs  se 
continuer,  après  les  quatre  grands  miracles,  sur  les  quatre  miracles 
secondaires  :  Prodige  de  (Iràvasti,  Descente  du  ciel  à  Sànkâçya, 
Offrande  du  singe  à  Vaicàlî,  Subjugation  de  l'éléphant  furieux  à 
Ràjagriha.  Bornons-nous  à  reproduire  pour  la  commodité  du  lec- 
teur une  stèle  de  Bénarès'^'  qui  contient  les  huit  scènes  à  la  fois, 
savamment  réparties  selon  l'alternance  des  poses,  les  quatre 
grandes  aux  quatre  coins,  les  quatre  autres  dans  les  comparti- 
ments du  milieu  (fig.  Û98).  A  la  vérité  il  semble  que  de  tout  le 
riche  répertoii'e  du  Nord-Ouest,  où  il  n'est  guère  d'incident  de 
la  vie  du  Bouddha  qui  n'ait  été  représenté,  les  écoles  postérieures 
du  bassin  du  Gange  n'aient  retenu  que  ces  huit  miracles  :  du 
moins  les  ont-elles  répétés  à  foison.  On  les  reconnaît  encore  soil 
sur  les  sculptures  magadhiennes  (fig.  5 00)  de  l'époque  des  Pâlas 
(vui^-ix"  siècle),  soil  sur  les  miniatures  bengalies  ou  népalaises  du 
\f  siècle  de  notre  ère.  Sans  doute  l'exécution  est  devenue  fort 
médiocre  et  il  s'y  glisse  parfois  d'étranges  nouveautés'^);  mais  tou- 
jours subsiste  l'allure  générale  de  la  composition,  telle  qu'elle  avait 


'''  Suiiadilléience  principale,  laquelle  '"'  CI'../,  .t.,  jaiiv.-lév.  igoy,  p.4û-/i4. 

coQSiste  dans  l'iraportaïu-e  prépoiidéranle  '''  Icoiioijrajihic  buuililliù/ue,  I,  lig.  28 

prise  à  l'iiilérieui-de  clKupie  panneau  [)ar  (cf.  fig.  29  et  3o)  et  pl.  X.  —  Pour  un 

riniagc  du  Cuddlia,  cl.  ci-dessus,  I.  11,  exemple  de  nouveautés,  cl',  l.  1,  au  haut 

\^.U^o\h:^?K  delap.  5i/i. 


L'INFLUENCE  DANS  L'INDE.  611 

été  une  fois  pour  toutes  fixée  par  les  artistes  imlo-grecs.  Et  ce  qui 
est  vrai  des  scènes  légendaires  ne  l'est  pas  moins  des  images  :  ce 
sont  toujours  les  mêmes  types  que  s'eilorcent  de  rendre  les  repré- 
sentations du  génie  des  richesses  (fig.  /igg  et  5o2)  ou  du  couple 
tutélaire  (fig.  5oi),  par  exemple,  sans  parler  des  idoles  du 
Buddha  (fig.  55/i-F)o5,  557-5,^8,  etc.). 

Ainsi  donc  le  fait  matériel  de  l'imitalioii ,  patent  dans  l'en- 
semble, souligné  par  le  détail,  peut  être  considéré  comme  avéré. 
Est-ce  à  dire  à  présent  que,  dans  les  répliques  indiennes  des  motifs 
gandhàriens,  la  technique  hellénisante  ait  survécu  à  tant  de  siècles? 
Il  est  non  moins  visible  qu'il  n'en  est  rien,  et  que,  si  nous  ne 
possédions  pas  dans  l'école  gréco-bouddhique  un  intermédiaire 
certain  entre  l'art  de  notre  antiquité  classique  et  celui  de  l'Inde 
médiévale,  jamais  nous  n'aurions  sérieusement  songé  à  évoquer 
celui-là  à  propos  de  celui-ci.  Assurément  l'inlluence  reste  indé- 
niable :  mais  par  combien  d'intermédiaires  elle  a  passé  !  Ce  que 
les  artistes  du  centre  de  la  péninsule  ont  imité,  ce  ne  sont  pas 
à  proprement  parler  les  prototypes  indo-grecs,  mais  l'interpréta- 
tion que  leurs  plus  proches  voisins  en  avaient  déjà  donnée.  Selon 
toute  vraisemblance,  ce  sont  les  répliques  de  Maihurà  qui  ont 
servi  de  modèle  à  Bénarès,  et  ce  sont  les  copies  de  Bénarès  que 
le  Magadha  a  copiées  à  son  tour.  Aussi,  à  mesure  que  le  répertoire 
gréco-bouddhique  s'enfonce  dans  l'intérieur  du  pays,  devient-il 
à  chaque  pas,  comme  on  pouvait  s'y  attendre,  de  moins  en  moins 
hellénisant  et  de  ])lus  en  plus  indien.  Son  évolution  —  pareille  à 
celle  qu'il  a  subie  au  Gandhâra,  mais  ici  infiniment  plus  rapide  — 
se  traduit  encore  et  toujours  par  l'élimination  progressive  de  l'élé- 
ment étranger  sous  la  pression  du  goût  indigène.  Entendons-nous 
soutenir  par  là  qu'elle  consiste  en  une  décadence  continue  et  sans 
retour?  Tel  n'est  nullement  notre  dessein.  Nous  n'avons  pu  dissi- 
muler la  médiocre  valeur  artistique  des  premiers  essais  de  Mathurà 
dans  le  genre  gandhàrien.  Mais  très  supérieur  et  singulièrement 

savoureux  pour  l'orientaliste  est  ce  style  Gupta  ([ui  a  fleuri  parti- 

39. 


61-2  INFLUENCE  DE  LECOLE  DL    GANDHARA. 

ciilièremenl  à  Bénarès  et  (|iii  iiiai'qiie  1  iiislant  on  le  génie  indien, 
dégagé  juste  à  point  de  riniluence  occidentale  et  devenu  maître 
de  ses  motiCs  comme  de  ses  moyens,  a  donné  toute  sa  mesure (". 
Avec  le  style  des  Pàlas  et  les  œuvres  magadhiennes,  il  incline  déjà 
vers  l'exagération  des  conventions  et  vers  ce  maniérisme  où  il 
choit  si  volontiers,  pour  aboutir  enfin  aux  compositions  entortil- 
lées et  au  déhanchement  outrancier  des  personnages,  que  ne  nous 
épargne  aucune  des  dernières  miniatures  bouddhiques  du  Bengale. 

Le  DÉkHAiv.  —  Puisque  nous  venons  pour  la  première  lois  de 
citer  des  peintures  indiennes,  nous  ne  pouvons  suivre  dans  llnde 
méridionale  les  traces  de  l'influence  gréco-bouddhique  sans  men- 
tionner au  moins  le  nom  d'Ajantà.  Ce  qui  fait  aujourd'hui  l'attrac- 
tion de  ce  petit  ravin  perdu  sur  le  revers  septentrional  du  plateau 
du  Dékhan,  c'est  la  magnifique  ornementation  peinte  ou  sculptée 
dont  les  moines  de  jadis,  si  intimement  persuadés  qu'ils  fussent 
de  la  vanité  des  apparences,  ont  néanmoins  fait  revêtir  les  parois 
de  leurs  chapelles  et  de  leurs  couvents  souterrains.  Une  trentaine 
d'hypogées,  creusés  successivement  sur  la  rive  gauche  d'un  tor- 
rent, dans  une  haute  falaise  rocheuse  qui  se  recourbe  en  forme  de 
fera  cheval,  abritent  encore  contre  les  intempéries,  sinon  contre 
les  chauves-souris  et  les  touristes,  des  peintures  murales  a  tem- 
pera, derniers  vestiges  de  ce  qui  fut  peut-être  le  genre  favori  et  le 
plus  grand  succès  artistique  de  l'Inde.  L'exécution  et  la  décoration  de 
ces  grottes  artificielles  se  distribuent  entre  les  sept  premiers  siècles 
de  notre  ère;  mais  les  plus  riches  datent  du  vi'' siècle.  Nous  ren- 
voyons aux  planches  de  Grilfithst-'  quiconque  voudra  retrouver  une 
fois  de  ])lus,  sous  l'ample  développement  de  ces  fresques,  les  vieux 
modèles  gandhàriens  du  cycle  de  la  jeunesse  ou  de  la  carrière  du 
Buddha.  Certaines  scènes,  comme  celle  de  la  Tentation,  reviennent 
à  la  fois  en  peinture  et  en  sculpture  :  et  la  composition  sculptée 

'''  Cf.  ci-dossous,  p.  710  elsiiiv.  —  '^'   \'nir  J.  (Îriifiths,  TIic  Pmnthigs  in  llie  Bud- 
dhist  Cave-temples  of  Ajanin. 


L'INFLUENCE    DANS  L'INDK.  (il.", 

(fig.  ao3)  est  aussi  lourde  et  massive  que  l'autre  est  élégante  et 
parfois  même  un  peu  mièvre.  On  noterait  à  peu  près  le  même 
contraste  entre  le  tableau  de  la  figure  5o/i  et  les  images  rupestres 
de  la  figure  5o5,  ou  encore  entre  les  Buddlias  peints  sur  les  mu- 
railles ou  les  piliers  et  ceux  qui  ont  été  sculptés  sur  les  façades  ou 
dans  les  sanctuaires  intérieurs.  Tandis  que  les  premiers  ont  parfois 


KiG.  ûaG.  —  Coiffure  de  la  Sérinde  (cf.  p.  128) 

British  Muséum.  Terre  cuite  provenant  de  Yolkan. 

D'aprt's  M.  A.  Stpih,  Ancient  Kholan,  pi.  \L\. 


garilé  un  souvenir  très  présent  de  la  draperie  grecque  (cl.  fig.  58()), 
les  autres  se  bornent  à  reproduire,  avec  moins  de  grâce,  les  mo- 
dèles contemporains  de  la  vallée  du  Gange. 

Mais,  de  tous  les  sites  bouddlii({ues  de  l'Inde,  c'eût  été  à  Amarà- 
vatî,  si  le  stûpa  qu'on  a  pris  l'habitude  de  désigner  sous  ce  nom 
existait  encore,  que  nous  aurions  le  mieux  vu  l'école  du  (landhàra 
s'installer  victorieusement  à  côté  de  l'ancienne  et  la  sup|)lanter 
pi'til  à  petit.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  réciter  la  (b'plorabli'  odvs- 


Ol'i  INFM'ENf.E  DE   f/ÉCOLE  DU   T.WDIIUM. 

sée  des  débris  de  ce  merveilleux  édifice,  lune  des  ])liis  notables 
victimes  du  vandalisme  populaire  et  de  l'incurie  administrative, 
el  dont  la  ruine  définitive  ne  s'est  consommée  (ju'entre  i  ycjG  et 
1880.  Les  quelques  fragments  conservés  à  Madras,  à  Calcutta 
et  à  Londres,  resteront  l'un  des  plus  précieux  trésors  de  l'Inde  et 
sauveront  de  l'oubli  le  nom  de  la  dynastie  des  Andliras,  le  jour 
oij  l'humanité  se  décidera  enfin  à  faii-e  convenablement  l'inventaire 
et  l'estimation  de  son  héritage  artistique.  Tant  bien  que  mal  ils 
nous  permettent  de  reconstituer  l'histoire  du  monument,  et  aucune 
n'est  plus  intéressante  à  notre  point  de  vue.  Sa  décoration  a  com- 
mencé ])ar  être  conçue  et  exécutée  tout  à  fait  à  la  mode  de  la 
vieille  école  indigène,  seulement  avec  plus  d'adresse  qu'à  Barhut 
ou  à  Sânchi  et  avec  une  élégance  qui  confine  parfois  à  la  morbi- 
desse.  Mais  dès  le  \f  siècle  de  notre  ère,  sans  doute  à  raison  de 
l'agrandissement  dont  il  fut  alors  l'objetf^',  son  ornementation  dut 
être  reprise  sur  nouveaux  frais  et  fut  traitée  avec  un  luxe  dont  la 
figure  68  peut  donner  une  idée.  C'est  à  la  faveur  de  cette  réfection 
que  les  motifs  indo-grecs  envahirent  peu  à  peu  les  bas-reliefs  de 
marbre  dont  le  soubassement  et  une  part  de  la  coupole  étaient 
revêtus,  et  firent  reculer  à  chaque  pas  devant  eux  les  vieux  thèmes 
indigènes.  Les  figures  ^75^  et  5o6  montrent,  la  première  le  point 
de  départ,  la  seconde  le  point  d'arrivée.  Mais  en  outre  il  faut  voir 
en  feuilletant  les  planches  de  Fergusson  ou  de  Burgess'^',  soit  sur 
les  deux  faces  de  la  même  dalle,  soit  côte  à  côte  sur  la  même 
stèle,  voisiner  les  deux  formules  opposées  :  tantôt  la  A'ieille  repré- 
sentation schématique  et  aniconique  des  grands  miracles  symbo- 
lisés par  l'arbre,  la  roue  ou  le  sliipu,  et  tantôt  l'intronisation,  sur 

'"'  Sur  le  procédé  de  ces  ajji'andisse-  Inns  que  li'  rapport  étroit  claliti  si  tong- 

menls  par   fcpiiijjnilemeiit" ,   rpii  entrai-  lemps  entre  Aniaràvali  el    la  Bactriane, 

liaient  ta  réfeclioii  totale  de  la  décoiation,  sur  la  foi  de  la  traduction  par  Stanislas 

cf.  ci-dessus  t.  I,  p.  9a  et  suiv.  Ji  lien  et  S.  Ikir.  d'un  passage  de  Huian- 

'^' Voir  J.  Febgusson,  Tj-ee  niid  Serae/i(  tsang,  ne  reposait  que  sur    un  contre- 

Worship,  et  i.BvRGESs,  The  Buddhist  slii-  sens,    corrigé  depuis  par   UAixiins.  11, 

jHis  oJAmarùmÛ  and  Jnffgayapeta.  —  No-  p.  a  1 8. 


LIN'FMJENCE   D  \NS   f;iNF)E.  fi]  5 

le  siège  jusqu'alors  resté  vide,  du  Buddha  gandliàrien  ;  car  celui-ci 
est  aisément  reconnaissable  à  sa  draperie,  tandis  que  le  geste 
unique  et  vaguement  bénisseur  de  sa  main  droite,  encore  igno- 
rante des  mudrd  de  l'enseignement  et  ttdu  toucher  de  la  terres, 
proiive  sa  relative  antiquité'').  Noterons-nous  que  les  sculjileurs 
d'Amarâvalî  préfèrent  figurer  le  premier  mii-acle  par  le  départ  de 


FiG.  537.  CoSTDME  DE  LA  SÉBINDE   (cf.  p.  9A  ,    1  18). 

Biilish  Muséum.  Terre  cuite  provenant  de  Yotkan. 
D'après  M.  A,  Stbin  ,  Anctent  Khotan^  pi.  XLV. 

la  maison,  cette  sorte  de  renaissance  spirituelle,  plutôt  que  par 
l'enfantement,  tandis  que  les  stèles  postérieures  de  Bénarès  en- 
tassent dans  le  compartiment  corresj)ondant  les  épisodes  de  la 
Nativité  et  de  la  sortie  du  monde  (cf.  fig.  5o6  et  607  a)?  Plus 
curieux  encore  est  le  fait  qu'au  haut  des  stèles  dékhanaises  le  slûpa, 
ce  vieux  symbole  funéraire  du  Puri-nirvâna,  se  refuse  obstinément 
à  se  laisser  déloger,  comme  il  est  advenu  dans  le  bassin  du  Gange, 
par  la  conception  gréco-bouddhique  du  trépas  du  Bienheureux. 


'''  Sur  ce  pnini ,  cf.  ci-dessus,  t.  11,  p.  3aG  cl  5.5o. 


616  Ii\FF,IIENCE  DR   LliCOLE   DU  P,  \NUH\RA. 

A  cette  exception  près,  la  comparaison  des  stèles  prouve  de  façon 
péremptoire  la  substitution  du  répertoire  du  Nord-Ouest  à  celui 
de  l'Inde  centrale  :  mais  ])cut-ètre  vaut-il  la  peine  d'insister  sur  le 
singulier  bonheur  avec  lequel  l'école  d'Amaràvatî  a  plus  d'une  fois 
traité  à  sa  mode  les  sujets  gréco-bouddhiques.  Déjà  nous  avions 
remarqué,  à  propos  de  la  figure  298.  l'habileté  qu'elle  avait  su 
mettre  dans  la  représentation  détaillée  des  miracles  du  Buddha  sans 
figurer  celui-ci  autrement  que  par  des  symboles'''.  Quand  cette  res- 
triction traditionnelle  est  enfin  périmée,  sa  virtuosité  ne  se  donne 
([ue  plus  librement  carrière,  et  n'accepte  les  modèles  gandliâriens 
eux-mêmes  qu'à  condition  de  les  modifier  à  son  gré.  C'est  ainsi  par 
exemple  que,  dans  la  scène  de  l'Illumination,  nous  constatons  chez 
elle  une  tendance,  jusqu'alors  inédite,  à  restreindre  le  rôle  de 
l'armée  de  Mâra  au  profit  de  ses  filles  :  la  tr  tentation  11  qui  réside 
dans  les  voluptueuses  altitudes  de  ces  déesses  prend  décidément 
le  pas  dans  ses  compositions  sur  l' te  assauts  des  peu  eftVayants 
démons,  réduits  à  la  taille  de  nains  (fig.  5o6  b  et  5o8).  Ou  bien 
nous  voyons  qu'elle  insiste  sur  tel  incident  du  retour  du  Buddiia  à 
Kapilavastu  qui,  en  le  mettant  en  présence  de  son  ancienne  épouse 
et  du  fils  qu'elle  lui  avait  donné,  pose  de  la  façon  la  plus  drama- 
tique le  problème  moral  du  monachisme.  Nous  ne  connaissons  rien 
au  Gandhâra  (cf.  fig.  281  c  et  f/)  qui  surpasse  en  patliétiqne  les 
deux  versions  qu'Amarâvatî  nous  a  laissées  de  cette  scène  (fig.  509 
et  Fergusson,  pi.  60,  2).  Nous  ne  ferons  pas  davantage  difficulté 
pour  convenir  qu'en  face  des  médiocres  représentations  gandhâ- 
riennes  de  la  soumission  de  l'éléphant  furieux  (fig.  267-969),  tel 
médaillon  dékhanais  (fig.  5 10)  témoigne  de  beaucoup  plus  de 
talent,  tant  dans  le  rendu  de  l'agile  lourdeur  de  l'animal  que  dans 
les  détails  pittoresques  de  la  mise  en  scène.  On  n'en  saurait  douter, 
et  l'on  ne  peut  que  s'en  réjouir  :  conscients  et  soucieux  de  leur 
originalité,  les  ateliers  des  Andhras  ont  su  garder  en  face  des  mo- 

<'>  Cf.  t.  I.  p.  /i.^5-'..S0('l  [f.  \).  3i8. 


LA  VOIE  T)E  MER.  r.l7 

dèles  indo-grecs,  que  sans  doute  ils  ne  connaissaient  guère  que 
par  le  dessin,  leur  liberté  d'allures  et  la  saveur  spéciale  de  leur  style. 
Mais  si,  à  l'occasion,  l'école  du  Gandhâra  peut  se  trouver  en  état 
d'infériorité  passagère,  elle  n'en  gardait  pas  moins  dans  l'ensemble, 
grâce  à  sa  création  du  type  du  Buddba  et  à  sa  manière  directe 
d'aborder  la  représentation  des  scènes  légendaires,  une  supério- 
rité attestée  par  l'imitation  même  dont  nous  voyons  qu'elle  iïit 
partout  l'objet. 

§   II.    La   voie   de   mer. 

De  même  que  Matluirâ  a  été  le  grand  marché  d'art  entre  le 
Gandhâra  et  leMadhyadèça,  Amarâvatî,  située  non  loin  de  l'embou- 
chure de  la  Krishna,  semble  avoir  été  l'un  des  grands  ports  d'em- 
barquement de  l'influence  gréco-bouddhique  pour  son  exportation 
en  Indochine  et  dans  l'insulinde'').  Cette  exportation,  à  son  tour, 
n'est  qu'un  des  aspects  de  l'influence  civilisatrice  (pie  l'Inde  a 
exercée,  à  partir  de  notre  ère,  sur  tous  les  pays  transgangétiques. 
Cette  indianisation  de  la  Basse-Asie,  ordinairement  ignorée  eu 
Europe,  n'en  est  pas  moins,  dans  l'histoire  générale  du  vieux 
monde,  un  fait  presque  aussi  important  que  l'iiellénisation  tant 
célébrée  de  l'Asie  antérieure.  En  un  sens,  elle  n'en  est  que  le  pro- 
longement. Elle  emprunte  les  mêmes  routes  et  s'exerce,  au  moins 
en  partie,  par  les  mêmes  agents.  Enfin  elle  nous  est  connue  par 
les  mêmes  sources;  et  qui  voudrait  l'étudier  aurait  aussi  à  contrôler 
les  traditions  locales  par  le  téinoignage  des  navigateurs  grecs  ou 
des  pèlerins  chinois  et  à  préciser  les  données  des  monuments  à 
l'aide  des  textes  indiens,  sans  parler  des  inscriptions  sanskrites 
retrouvées  sur  les  édifices.  Tant  d'analogies  ris(pieraient  de  nous 
égarer  si  nous  ne  gardions  présente  à  l'esprit  la  ditîérence  essen- 
tielle dont  elles  s'accompagnent.  Dans  l'Inde,  l'hellénisme  s'est 
trouvé  confronté  avec  une  civilisation  déjà  ancienne,  pleinement 

''    Voir  encore  ci-(ies8ous,  p.  682  et  689. 


618  INFLUENCE   DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÀRA. 

consciente  d'elle-même,  et  au  milieu  de  laquelle  il  n'a  jamais 
coniph'  qu'un  nombre  ti'ès  restreint  de  représentants  :  aussi  son 
iniluence,  en  somme  superficielle,  se  borne-t-elle  après  tout  à 
l'introduction  de  notions  scientifiques  et  de  procédés  artistiques. 
Autrement  profonde  a  été  l'action  indienne  dans  le  Sud-Est  de 
l'Asie.  L;\  il  semble  bien  que  de  nombreux  émigraiils  —  pareils 
à  ceux  qui  envahissent  encore  actuellement  l'Afrique  orientale 
—  n'aient  rencontré  devant  eux  que  des  populations  sauvages 
d'cr hommes  nusT>.  Ce  qu'ils  ont  implanté  dans  ces  riches  deltas 
ou  ces  îles  fortunées,  ce  n'est  rien  moins  que  leur  civilisation, 
ou  du  moins  sa  copie;  ce  sont  leurs  mœurs  et  leurs  lois,  leur 
alphabet  et  leur  langue  savante,  c'est  tout  leur  état  social  et 
religieux  avec  une  image  aussi  approchée  que  possible  de  leurs 
castes  et  de  leurs  cultes.  En  résumé  il  ne  s'agit  pas  ici  d'une 
simple  influence,  mais,  dans  toute  la  force  du  terme,  d'une  véri- 
table colonisation. 

En  ce  qui  concerne  plus  particulièrement  la  propagande  reli- 
gieuse, on  se  serait  attendu,  si  les  hommes  ne  passaient  leur  temps 
à  démentir  leurs  théories  par  leurs  actes,  à  ce  que  seules  des  reli- 
gions à  missionnaires,  comme  le  Bouddhisme,  en  eussent  profité. 
Quand  on  songe  à  la  menace  d'excommunication  qui  pèse  sur  tout 
brahmane  qui  quitte  flnde,  surtout  par  mer,  il  semble  impossible 
que  l'hindouisme  ait  pu  avoir  sa  part  dans  ces  conquêtes  morales. 
Pourtant  —  sauf  à  Ceylan,  dont  la  conversion  au  Bouddhisme 
remonte  plus  haut  dans  le  passé  —  ce  sont  les  religions  sectaires 
que  nous  trouvons  d'abord  et  surtout  en  vogue  dans  les  contrées 
au  delà  du  Gange.  Et  nous  n'avons  pas  à  chercher  bien  loin  qui 
lurent  leurs  guru  ou  précepteurs  spirituels  :  ce  sont  ces  paiHJtta  et 
ces  pdçupata,  ces  lettrés  et  ces  ascètes,  brahmanes  plus  ou  moins 
authentiques,  religieux  plus  ou  moins  fidèles  à  leurs  vœux,  dont 
nous  parlent  les  textes  et  les  inscriptions,  et  dont  nous  trouvons 
partout  l'image  sur  les  monuments  du  Cambodge  et  de  Java  (cf 
fig.  5iG,  5i8-52o).  Dès  lors  le  champ  de  notre  étude  se  trouve 


LA  VOIE    DE   MER.  610 

singulièietnenl  rétréci  :  car,  non  contente  d'écarter  l'art  bralima- 
ni(|ue,  elle  ne  vise  même  pas  dans  son  ensemble  l'art  bouddhique 
de  ces  lointaines  régions.  Tout  ce  qui  nous  intéresse  ici,  ce  sont  les 


FiG.  5a8.  —  PàScika  ou  Vaiçbatana,  en  Sébinde  (of.  p.  1^3,  18."),  GS."!,  700). 
Personnage  d'angle  dans  une  cella  de  Danddn-Uiliq.  HniUeur  des  pieds  à  l'aisselle:  o  m.  (js. 
D'après  une  [ilioldgr.  communiquée  par  Sir  Aurel    Steiw  (cf.  Ancknl  Kholan^  I,  fig.  3o  el  3i,  et  II,  pï.  II). 

vestiges  que  ce  dernier  a  pu  conserver  de  l'influence  hellénistique, 
et  ce  sera  merveille  s'il  en  subsiste  encore.  Aussi  quelques  pages 
rapides  sufliront-elles  à  donner  un  premier  aperçu  de  notre  sujet 
et  à  tracer  un  cadre  que  les  recherches  archéologiques  ont  à  peine 
commencé  à  remplir. 


G20  INFLUENCE  DE   L'ECOLE  DU  GANDini'.  \. 

Ceylan.  —  Les  iradilioiis  locales  placent  la  colonisation  indienne 
de  Cevlan  an  milieu  du  vi''  siècle  avant  Jésus-Christ;  et  cette 
date  n'aurait  rien  que  de  vraisemblable,  si  elle  n'avait  pour  but 
de  faire  intervenir  la  personne  du  Buddlia.  La  conversion  de  l'île 
au  Bouddhisme  serait  d'ailleurs  postérieure  de  trois  cents  ans  et 
l'œuvre  d'un  propre  fils  d'Açoka  :  retenons  qu'elle  dut  commencer, 
comme  celle  du  Gandhâra ,  vers  le  milieu  du  m"  siècle  avant  notre 
ère'''.  On  sait  que  Ceylan  est  resté  jusqu'aujourd'hui  l'un  des 
loyers  les  plus  actifs  de  la  Bonne  Loi.  Ce  qui  nous  importe  sur- 
tout, c'est  que  statues  et  peintures  continuent  à  orner  les  autels  et 
à  décorer  les  parois  de  ses  sanctuaires.  De  cette  prospérité  artis- 
tique nous  avons  de  sûrs  témoins ,  au  v"=  et  au  mu"  siècle  de  notre 
ère,  dans  les  pèlerins  Fa-hien  et  Hiuan-tsang,  celui-ci  par  oui-dire 
et  celui-là  de  visu.  Enfin  les  précieuses  chroniques  singhalaises 
contiennent  d'abondants  renseignements  sur  le  nombre  et  la  riche 
décoration  des  fondations  religieuses.  Certes  nous  ne  suivrons  pas 
jusqu'au  bout  l'auteur  du  Mahâranisa  quand  il  nous  énumère,  à 
propos  de  l'érection  du  Mahâ-thûpa  par  le  roi  Dutthagâmani  au 
i"  siècle  avant  notre  ère,  toutes  les  images  et  les  scènes  dont  on 
aurait  à  cette  occasion  décoré  le  tabernacle  intérieur''^'.  Les  infor- 
mations qu'il  nous  donne  se  trompent  visiblement  d'époque  et  ne 
valent  que  pour  des  temps  beaucoup  plus  rapprochés  de  celui  où 
il  écrivait  (v^  siècle).  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'il  nous  énumère 
d'une  haleine,  sous  quarante  rubriques,  toutes  les  scènes  de  la 
carrière  du  Maître  qui  figurent  au  répertoire  gandhârien.  Il  ne 
connaît  pas  moins  bien  les  scènes  d'enfance  et  de  jeunesse,  sans 
parler  des  vies  antérieures;  et  d'autre  part  Fa-hien  nous  apprend 

'''  Cf.  ci-dessus,  t.  II,  p.  ûio.  citation  du  Muhdvama  (cli.  xsx)^,  \oir 

'''  Le  Mahâ-lhùpa  est  aujourd'hui  le  yAimualre  de  PEcole  des  Hautes  Etudes, 

Ruwanveli  Dagoba ,  près  de  la  vieille  ca-  Section    des   Sciences    Religieuses,    pour 

pitaled'Anurâdha-puraou°gràma,  l'Anu-  l'année  1908-1909,  où  le  passage  a  ëté 

rogrammum  de  Ptoléinée;  cf.  J.  Ssuther,  (Hudié  en  détail;  et  sur  la  date  de  Dut- 

Architectural    Remaiiis,     Anurddimpuia ,  ihagàmaiii,  cf.  W.  Geiger,  Miilulriimsn. 

Ceyloii,  p.   a.3  et  ])1.  XX1I-\X\V.  Sur  la  p.  \xxvii. 


LA  VOIE  DE  MER.  621 

qu'on  leiidait  le  cheinin  des  processions  avec  les  représentations 
des  cinq  cents  jdtaka,  repeints  de  façon  tout  à  fait  vivante n.  Hélas, 
toute  cette  peinture,  autant  en  aura  emporté  le  vent  et  détruit  la 


Kio.  539.  —  HÎBiîi,  EN  Sérisde  (cf.  p.  107,  i38,  65.3). 
lirilish  Muséum.  Peinture  murale  provenant  de  Domoko.  Hauteur:  o  nt.  Co. 
D'après  une  pholoijr,  comtiiunifjuéi^  par  Sir  Aurel  Stein.  Cf.  Désert  Cathaij,  Il  ,  pi.  \I  h. 

pluie  de  la  mousson,  sauf  quelques  figures  par  hasard  conservées 
aux  creux  du  gigantesque  rocher  de  Sigiri.  Et  d'autre  ])art,  c'est 
en  vain  que  dans  les  ruines  des  anciennes  capitales  on  a  cherché 
jusqu'ici  les  bas-reliefs  de  pierre,  seules  œuvres  qui  auraient  pu 


0 


622  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

subsister  jusqu'à  nos  jours.  Nous  sommes  donc  réduits  présente- 
ment aux  statues  du  Maître,  dont  nous  réservons  l'étude  pour  le 
chapitre  prochain. 

Java.  —  L'archéologue  est  singulièrement  plus  favorisé  quand 
il  aborde  l'autre  paradis  terrestre,  celui  de  l'hémisphère  austral. 
Dans  l'île  plus  luxuriante  encore  de  Java,  il  a  mieux  à  faire  qu'à 
énumérer  des  œuvres  perdues.  Les  monuments  parlent  pour  eux- 
mêmes,  à  commencer  par  celui  de  Boro-Boudour,  perle  de  l'Insui- 
inde ,  et  l'une  des  merveilles  artistiques  du  monde ,  ainsi  que  celui-ci 
linira  bien  par  s'en  apeixevoir  unjour.  Sur  l'énorme  sttipa,  prétexte 
l'une  somptuosité  décorative  ailleurs  sans  exemple,  nous  ne  re- 
viendrons que  pour  corriger  l'impression  fausse  que  nous  en  avons 
donnée  avant  de  l'avoir  vu  (t.  I,  p.  80).  Nous  y  cherchions  un 
dôme  juché  sur  une  superposition  de  terrasses,  à  la  façon  de  l'Inde 
du  Nord-Ouest.  Il  nous  est  clairement  apparu  depuis  qu'en  dépit 
des  murs  verticaux  et  coupés  à  angles  droits  de  ses  galeries  infé- 
rieures, toutes  les  lignes  maîtresses  de  l'édifice  sont  des  courbes. 
Lui-même  n'est,  en  tout  et  pour  tout,  qu'un  dôme  à  la  vieille  mode 
indienne,  seulement  beaucoup  plus  fouillé,  sillonné  verticalement 
d'escaliers  et  horizontalement  de  promenoirs,  enfin  coifl'é  lui-même 
de  coupoles  secondaires!".  L'inlluence  qu'il  a  subie,  aussi  bien  dans 
sa  conception  générale  que  dans  la  distribution  de  sa  décoration, 
ne  lui  vient  pas  directement  du  Gandhàra,  mais,  comme  il  était 
naturel,  de  l'Inde  méridionale  où  son  ancêtre  s'appelle  Amaràvati  : 
car  là  aussi  le  dôme  comiuence  déjà  à  se  rehausser  de  frises  super- 
posées de  bas-reliefs  auxquels  les  fidèles  devaient  nécessairement 
avoir  accès  (cf.  fig.  68).  Entre  les  quelque  deux  mille  panneaux 
sculptés  qui  ornaient  jadis  les  murailles  de  Boro-Boudour  et  dont 
environ  seize  cents  sont  conservés,  nous  irons  droit  à  ceux  qui, 
dès  la  première  galerie,  racontent  la  vie  de  Çâkya-muni  depuis 

(ii.  B.  E.  F.  t.  -0.,  IX,  1909,  p.  1,  ou  Beginnings  oj  Biiddlusi  Aii ,  p.  -joô. 


LA  VOIE  DE   MER. 


623 


sa  nativité  jusqu'au  début  de  sa  prédication.  S'il  subsiste  quelque 
trace  de  l'influence  gréco-bouddbique,  c'est  dans  ces  scènes  que 
nous  aurons  le  plus  de  chances  d'en  découvrir. 


FiG.  âiio.  —  HÎRiii,  EN  Séiunde  (cf.  \).  i.i8,  i'i2,  '172,  653,  787). 

Muséum  fur  \olherhunile ,  Bn-lin.  Peinture  sur  Iode  provenuiil  de  Tour/un.  Hauteur:  0  m. ou. 

lleproduite  en  coulotirs  dnus  Moiiiititmil!^  et  Slvttioircs ^   l.  XV!I  (itiog),  pi.  WIII 

H  A.  v<j\  Lk  C»iq  ,  Cfintsrlio  (1913),  pi.  !ni. 


L'entreprise  paraît  d'avance  désespérée.  Sans  doute  Java  est, 
comme  Ceylan,  une  colonie  indienne,  mais  elle  l'est  devenue  plus 
tardivemenl.  Aurait-elle  récusa  civilisation  dès  le  T'  siècle  de  notre 
ère,  elle  n'a  connu  le  Bouddhisme  que  bien  après.  Au  commence- 
lueiil  du  \''  siècle  Ka-liieii  atteste  qu'r^on  y  avait  à  peine  idée  de  la 


624  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHARA. 

loi  (lu  BudflliaT),  tandis  que  les  rr  brahmanes  y  fleurissent w;  et  il 
est  peu  probable  que  le  prince  héritier  de  Kaçmîr  qui  s'inslitua  son 
missionnaire  trait  converti  toute  lapopulatioii^n.  Il  l'aut  également 
compter  tant  avec  la  date  du  Boro-Boudour,  (jiie  les  savants  hol- 
landais rapportent  au  ix*^  siècle  de  notre  ère,  qu'avec  les  conditions 
matérielles  de  sa  décoration.  Les  scènes  y  forment  bien  —  et  ceci 
est  un  premier  héritage  du  passé  bouddhique  —  autant  de  tableaux 
séparés;  mais  ces  panneaux,  trois  fois  pluslarges  quehauts  (ils  mesu- 
rent environ  9'"/io  Xo'"8o),  forcent  les  sculpteurs  à  submerger  le 
sujet  principal  sous  une  débauche  de  figurants  et  d'accessoires  :  dé- 
faut d'autant  plus  sensible  que,  pour  la  plupart,  ils  se  font  un  point 
d'honneur  de  ne  laisser  vide  aucun  coin  de  la  surface  disponible. 
Enfin  il  leur  a  été  donné  à  tâche  de  délayer  l'enfance  et  la  jeunesse 
du  Maître  en  non  moins  de  120  tableaux.  C'était  les  condamner 
à  recourir  à  des  épisodes  de  pur  remplissage,  ce  qui  ne  les  empêche 
pas  parfois  d'empiler  dans  le  même  cadre  plusieurs  incidents  sen- 
sationnels f^).  Ajoutez  que  quelques  scènes,  telles  que  les  quatre 
sorties,  la  coupe  des  cheveux  et  le  passage  du  Gange''),  n'ont  pas 
d'antécédents  connus  au  Gandhâra.  Et  cependant,  malgré  toutes 
ces  circonstances  défavorables,  nous  n'avons  pu  passer  en  revue 
le  cycle  de  la  Nativité,  de  la  jeunesse  et  de  la  Bodhi,  sans  noter 
presque  à  chaque  scène  une  ressemblance  indéniable  et  portant  à 
tout  le  moins  sur  la  portion  centrale  du  tableau.  L'expérience  est 
facile  à  reprendre,  même  en  ne  se  servant  que  des  médiocres  des- 
sins publiés  jusqu'ici''^'.  Et  qu'on  ne  vienne  pas  dire  que  ces  ana- 
logies proviennent  du  fait  que  les  ce  îles  des  Mers  du  Sudn  appar- 
tenaient, comme  le  (iandhâra,  à  la  secte  des  Mûla-Sarvâstivâdins 

C  P.    Pelliot,     Bulletin    de     l'École  *''  Cf.  t.  I,  j).  348,  3G5, /ii5. 

française    d'Extrême-Orient,    IV,    1904,  '•'"  Voir  les  planches  de  i'alhum    de 

p.  274.  Leemans,    reproduites    par   M.    Pleyte, 

'''  Sur  ces  diverses  tendances,  et  aussi  Die    r>ii<lillia-Lcfrende    in   den   SLulptiiren 

sur  le  caractiTe  livresque  de  leur  œuvre,  des  Tempels  von  Horo-Biidur.  Amsterdam, 

voir  ci-dessus,  t.  I,  p.  3o5-3o6,3io,  1901-1902,    notamment   fig.    i3,    28, 

etc.,  et  617.  3o,  4o,  etc. 


LA  VOIE   DE   MER.  625 

et  lisaient  les  mêmes  biojTrapliies  du  Biuldlja.  Qui  oserait  sérieuse- 
ment soutenir  qu'il  a  suffi  à  des  artistes  aussi  éloignés  dans  le 
temps  et  l'espace  de  consulter  le  même  programme  pour  acroucher 
justement  des  mêmes  compositions? 

Hâtons-nous  de  l'avouer,  on  serait  tout  aussi  mal  venu  à  prétendre 
qu'après  tant  de  voyages  et  de  siècles  écoulés,  ces  ressemblances 
soient  tout  à  fait  pi-ochaines.  Si  les  motifs  de  Boro-Boudour  remon- 
tent à  ceux  du  Gandhâi-a,  c'est  bien  entendu  par  l'intermédiaire 
de  ceux  de  l'Inde.  Prenez  la  représentation  du  Grand  miracle  de 
Çrâvastf  (jui  décore  la  plus  baute  des  galeries  sculptées  (fig.  5  i  9)  : 
elle  est  avant  tout  la  transposition  dans  le  sens  de  la  largeur,  au 
gré  des  convenances  locales,  de  telle  stèle  en  bauteur  de  Bénarès 
(fig.  5 1 1  ) ,  lointain  succédané  des  compositions  gréco-bouddbiques 
(fig.  79  et  ^69).  Un  aulre  élément  appréciable  de  ditTérenciation 
consiste  dans  les  modes  malaises  dont  nous  voyons  par  exemple 
attifées  les  images  jumelles  de  Pàncika  et  de  Hârili  (fig.  5  1  /i-5  1  5). 
Enfin,  si  les  types  du  religieux  brabmanique  et  du  moine  boud- 
dhique (fig.  5  16-517)  l'entrent  dans  la  formule  habituelle,  on  ne 
saurait  refuser  à  celui  du  Yaksa  une  pointe  d'originalité  (fig.  5i3). 
Mais  à  travers  toutes  ces  différences  de  conception  ou  d'exécution, 
il  nen  persiste  pas  moins  dans  les  scènes  quelque  chose  de  l'ordon- 
nance générale,  dans  les  personnages  quelque  chose  du  sentiment 
des  prototypes   gréco-bouddbiques  :  or,  ce  sont  là  des  traits  qui 
ne  s'inventent  pas  deux  fois.  Nous  ne  tarderons  même  pas,  quand 
nous  en  viendrons  à  nos  conclusions,  à  démêler  l'influence  clas- 
sique jusque  dans  le  faire  si  spécial  de  l'école  de  Java.  Ses  qualités 
les  plus  évidentes  sont  la  justesse  des  proportions,  le  naturel  des 
gestes,  la  variété  des  poses,  de  même  que  la  mollesse  de  ses  lignes 
paraît   à  l'œil  européen  son  principal  défaut.  Admettons  que  ces 
|iarticularités  soient  chez  elle  des  dons  naturels.  Déjà  plus  suspecte 
dempriint  à  la  technique  occidentale  sera  l'élonnante  profondeur 
des  hauts-reliefs  que  le  ciseau  des  Javanais  a  su  tirer,  sans  se  laisser 
rebuter  par  la  grossièreté  du  grain  ,  de  la  pierre  volcanique  de  leur 


/lO 


iiirtiiMmii:    xatiovim 


626  INFLUENCE  DE  L'ECOLE  DU  GANDH\li\. 

île.  Mais  où  l'hésitation  n'est  plus  permise ,  c'est  sur  la  question  de 
savoir  d'où  leur  est  venue  leur  science  du  raccourcie). 

L'Indochine.  —  La  maestria  avec  laquelle  ces  artistes  exotiques 
emploient  des  procédés  aussi  lallinés  lait  le  plus  grand  honneur 
à  leur  exceptionnelle  habileté  de  mains:  et  ce  n'est  pas  un  si  mince 
éloge  pour  leurs  bas-reliefs  que  d'être  rangés  d'emblée  parmi  les 
chefs-d'œuvre  de  la  sculpture  bouddhique,  à  côté  de  ceux  d'Ama- 
ràvatî  ou  du  Gandhâra.  On  sent  encore  mieux  l'étendue  de  leur 
virtuosité  quand  on  passe  aux  grandes  comj)Osilions  continues  qui 
se  développent  à  perte  de  vue  sur  les  murailles,  contemporaines 
ou  postérieures,  du  Bayon  d'Angkor-Thoni  ou  d'Angkor-Vat.  Devant 
ce  pêle-mêle  de  figures  aux  méplats  à  peine  accusés,  plutôt  décou- 
pées que  modelées,  et  entassées  avec  une  totale  ignorance  du  rac- 
courci ou  de  la  perspective,  les  artistes  Khmèrs  nous  apparaissent 
comme  décidément  inférieurs  à  leurs  confrères  de  Java;  et  l'on 
regrette  presque  que  ce  ne  soient  pas  ceux-ci  qui  aient  eu  à  leur 
disposition  le  magnifique  grès  du  Cambodge ,  si  tendre  au  sortir  de 
la  carrière,  mais  qui  durcit  rapidement  à  l'air  et  est  susceptible 
d'un  si  beau  poli.  Il  ne  faudrait  pas  croire  d'ailleurs  que  les  monu- 
ments cambodgiens  de  la  bonne  époque  (vui''  au  xn^  siècle)  soient 
uniquement  brahmaniques,  ni  que  le  système  des  bas-reliefs 
encadrés  y  soit  complètement  inconnu.  Le  Bouddhisme  a  pénétré 
d'assez  bonne  heure  dans  cette  partie  de  l'Indochine'-).  11  y  a 
introduit  avec  lui  son  imagerie  et  celle-ci  a  apporté  avec  elle  ses 
procédés.   Les  frontons  de  Vat-Nokor.   près  de  Kompong-Gham, 

'''  Cf.  ci-dessous,  p.  7G8-770.  chine-"  aété  duiiiié  par  M.  L.  t^iNOT  dans 

'■'  A  la  suite  d'une  ambassade  chez  les  le  n°  d'oct.  1909  de  la  Buddhist  Revieiv, 

-Muiundas?  Cf.  Sylvain  Lévi,   Deux  peu-  p.    28 1    el  suiv.   En  ce  qui  concerne  les 

;(fes- w(ro»«Ms(daasles  n-Mélanges  de  Har-  monuments,  il  suffit  de  renvoyer  le  lec- 

lezi,  p.  176  et  suiv.);  Ed.  Chavannes,  teur  au  Cambodge  de  M.  Avmonier,  et  à 

B.E.  F.  E.-O.,  III,  p.  ioo;  P.  Pelliot,  Ï Inventaire  descriiitif  des  Monuments  liisto- 

{bid.,Y>.  2i8-3o3.  —  Le  meilleur  résumé  liques  du  Cambodge  de  M.  Lunet  de  La- 

de  l'histoire  du   rr  Bouddhisme  eu  Indo-  joNQuiiîRE. 


LA  VOIE  DE  MER. 


627 


sont  décorés  de  scènes  de  la  légende  du  Buddiia,  et  il  en  est  de 
même  de  ceux  d'un  édifice  plus  ancien,  le  temple  deBanlâi-(îlimar, 
qui  doit  remonter  au  xi"  siècle.  Nous  reproduisons  ici,  d'aj)rès  une 
photographie  due  au  regretté  général  de  Beylié,  celui  qui  repré- 
sente ft  la  visite  d'Asita  n  :  non  plus  assis  à  l'européenne ,  mais  accroupi 


FlG.  Ô3l. (^HAR   DU    Soi.lilL,    EN  SÉRINDE   (cf.  p.     i6'i,   653). 

Peinture  Jps  grnltes  de  Qumiura. 
D'après  A.  GniNWEDEL.  Altb.  Kulla.   Tarie,  (îj;.  67. 


à  la  mode  malaise,  le  vieux  lislii  n'en  continue  pas  moins  à  tenir 
dans  son  giron  leiifant  prédestiné  et  à  faire  le  geste  traditionnel  de 
porter  l'une  de  ses  mains  à  sa  tête(fig.  5  i  8;  cf.  fig.  i  G  i).  Nous  avons 
déjà  eu  plus  haut  l'occasion  de  montrer  deux  stèles  d'Angkor-Vat, 
figurant  l'une  la  naissance  (fig.  i53)et  l'autre  la  tentation  du  Maî- 
tre (fig.  2o5)  ;  et  nous  y  reconnaissons  comme  toujours  un  souvenir 
de  la  création  gandhârienne  à  travers  l'imitation  interposée  de  ses 

lu,. 


628  INFLUENCE  DE   I/ÉCOLE  DU  GANDHARA. 

répliques  de  l'Inde  nirridionale.  C'est  d'Aniarâvatî,  par  exemple, 
que  viennent  les  quatre  dieux  Brahmâ  de  la  Nativité  ou  la  fille 
deMéra''):  et  nous  découvrirons  bientôt  la  même  provenance  aux 
Buddlias  assis  sur  les  replis  du  Nâga  (fig.  Bsi)  comme  au  beau 
bronze  cam  de  la  figure  586. 

L'introduction  de  la  civilisation  et  des  religions  indiennes  ne  nous 
est  pas  de  moins  bonne  heure  attestée  dans  le  Campa  que  dans  ce 
royaume  de  Fou-nan  dont  hérita  au  vi'^  siècle  le  Cambodge.  Est-il 
besoin  d'avertir  le  lecteur  que  le  Campa  s'étendait  le  long  de  la  côte 
orientale  de  l'Indochine,  sur  l'étroite  bande  de  territoire  resserrée 
entre  la  montagne  el  la  mer,  où,  après  des  siècles  de  luttes,  l'Annam 
a  fini  par  le  supplanter?  Les  guerres  contre  l'envahisseur  descendu 
du  Nord  et  qui  apportait  avec  lui  la  civilisation  chinoise,  se  compli- 
quaient encore  de  batailles  presque  fratricides  avec  leurs  voisins 
et  cousins  cambodgiens.  Aussi  n'est-on  pas  peu  surpris  que  ce  cha- 
pelet de  vallées  exiguës  ait  pu  néanmoins  se  peupler  de  temples 
de  briques,  ornés  de  sculptures  de  pierre.  Inventaire  a  été  dressé 
de  ces  œuvres  qui  réclament  au  moins  une  humble  place  dans 
l'histoire  pour  le  nom  de  l'art  cam  '■-K  11  serait  cruel  de  se  montrer 
pour  lui  trop  sévère  :  mais  on  ne  saurait  s'en  dissimuler  l'ordinaire 
médiocrité.  Ajoutons  que  les  monuments  bouddhiques  sont  de  beau- 
coup les  plus  rares.  Pourtant  les  fouilles  de  Dong-Du'o'ng  ont  per- 
mis de  remettre  au  jour  les  ruines  d'un  sanctuaire  complet,  avec 
son  couvent  et  ses  chapelles.  Voici  par  exemple  (fig.  622)  l'une 
des  scènes  qui  décorent  le  piédestal  de  la  tour  principale'^)  :  l'extrême 

'''  Cf.  t.  I,  p.  3o/i-3o5  et  402.  M.  G.  '"'  (les  recherches  mélhodiques,  dont 

GoEDÈs  a  montré  dans  le  t.  Il  des  Mémoires  MM.  Fixot  et  L.  dk  Lajonqdière  ont  pris 

concernant  l'Asie  orientale,  que  la  figure  l'initiative,  ont  été  menées  à  bonne  fin 

de  femme  placée  à  la  gauche  du  lîuddha  par  M.  H.  Parmentier,  chef  du  service 

sur  la  ligure  2o5  est  interprétée  au  Cam-  archéologique  de  l'Ecole  française  d'Ex- 

bodge  comme  représentant  la  Terre  en  trême-Orieut,  dans  son  définitif /)(ve«taire 

train  de  se  tor-dre  les  cheveux.  Remar-  descriptif  des  monuments  cams  de  l'Annam. 
qucrons-nous  que  Mâra  a  déjii  à  Ajantà  '''  Ibid.,  p.  -'i66-i8i  et  fig.  io/»-i07. 

la  même  monture  et  les  mêmes  bras  mul-  Sur  la  fig.  1  1 4  on  croit  de  même  recon- 

tiples  qu'au  Cambodge?  naître  l'une  des  quatre  grandes  sorties. 


LA  VOIE  DE  MER. 


629 


Fig.  53i!. 


Fig.  533. 


FifT.  53i. 


FiG.  BSa-SSi.  —  Types  vr.  uiiahmane,  en  Sérim)E  i  cf.  p.  sSS-aSt),  6")3,  770). 
Fig.  53a.  —  Britisli  Muséum.  Tète  de  stuc  provenant  de  harasluir.  (Coll.  .Sri/.v.) 
Fig.  533.  —  Crnquis  de  M.  Le  nom: ,  d'après  A.  rox  Le  Coq,  Chotseho,  pL  3  g  d. 
Fig.  53Ù.  —  Cro(jxtis  du  même,  d'après  A.  CmjyiVEDEL ,  Altb.  Kults.  Titrlc,  fig.  555. 

gaucherie  de  rexécution  n'empêche  pas  d'y  reconnaître  le  retour 
à  la  maison  du  cheval  el  du  fidèle  écuyer  du  Bodhisaltva,  et  l'on 


630  INFLUENCE  DE   L'ECOLE  DU   (;ANDHARA. 

identifierait  de  même  les  autres  scènes  de  la  jeunesse,  depuis  la 
nativité  jusqu'à  la  sortie  du  monde. 

Ce  que  furent  au  juste  les  premières  productions  de  l'art  boud- 
dhique au  Pégou  et  en  Birmanie,  les  vastes  ruines  du  vieux  Prome 
et  celles  de  Pagan  le  savent:  mais  elles  le  tiennent  caché  jusqu'ici. 
Le  regretté  Ed.  Huber  a  signalé  qu'cr  entre  les  peintures  d'Ajantâ 
et  les  fresques  inédites  qui,  par  exception,  décorent  l'intérieur  de 
quelques  sanctuaires  en  amont  de  Pagan,  il  y  a  un  air  indubitable 
de  parenté''' VI.  Quant  aux  centaines  de  panneaux  de  terre  cuite 
vernissée  qui  décorent  les  soubassements  de  pagodes,  les  repré- 
sentations schématiques  qu'ils  nous  donnent  des  vies  antérieures 
ne  se  déchiffrent  qu'à  l'aide  des  inscriptions  dont  elles  sont  accom- 
pagnées'-', et  les  influences  s'y  laissent  d'autant  plus  malaisément 
démêler  que  le  climat  du  bassin  du  Gange  semble  avoir  détruit 
leurs  modèles  indiens.  Il  n'y  a  pas  davantage  à  tirer  des  scènes 
de  jàlaka  trouvées  dans  la  vieille  capitale  siamoise  de  Sukhodaya 
(Sukhotai)'^'.  La  récente  mission  de  M.  L.  de  Lajonquière  dans 
la  Chersonèse  d'or,  autrement  dit  la  presqu'île  de  Malacca,  n'a  pas 
été  plus  fructueuse'*").  Il  faut  en  prendre  notre  parti.  De  l'ancien 
art  bouddhique  de  l'Indochine  nous  ne  savons  encore  presque  rien. 
Quant  aux  sanctuaires  modernes  ou  modernisés,  depuis  les  grottes 
de  Moulmein  sur  la  baie  du  Bengale  jusqu'à  celles  des  Montagnes 
de  Marbre  sur  le  golfe  du  Tonkin,  et  des  pagodes  malaises  de 
Nakhon  Sri  Thammarat  aux  pagodes  laotiennes  de  Vieng-Chan  et 
de  Luang-Prabang,  nous  y  trouverons  bien  quantité  de  Buddhas, 
de  toutes  matières  et  de  toutes  dimensions,  depuis  les  petits  ca- 
chets d'argile  jusqu'aux  colosses  de  bronze  :  mais  n'y  cherchons 
pas  d'autre  souvenir  de  l'art  gréco-bouddhique  ! 


'''  B.Ë.  F.  E.-O. ,  \l ,  1911,  p.  1.  *■''  Foi'RNEREAD,   Siam   ancien,    t.    II. 

'*'   Cf.    A.    Grlnwedel,    Buddhistische  p.  i3  et  siiiv. 
Sludien  ;   Glasuren  von  Pagan  (Maùgala-  '*'  Bulletin  de  la    Commission  archéo- 

celiya);  A.S.I.,  Ann.  Bep.   igo6-j  el  logique  de  l'Indochine,    1910   et  1912, 

igia-iS  (Pagodes  de  Pet-leik,  etc.).  p.  8i. 


LA   VOIR    DK   MER.  (VM 

11  va  d'ailleurs  sans  dire  que  plus  d'un  des  bateaux  qui  condui- 
saient de  rinde  en  Indochine  et  dans  les  îles  de  la  Sonde,  pour- 
suivait sa  route  jusqu'aux  ports  de  Chine.  Nous  voyons  même  par 
les  récits  que  nous  fait  Yi-tsing  des  «  actes  n  de  soixante  pèlerins 
chinois,  ses  contemporains,  que  dans  la  seconde  moitié  du  vu'' siècle 
la  route  maritime  devient  la  plus  fréquentée  '').  C'est  celle  que  Yi- 
tsing  a  suivie,  à  l'aller  comme  au  retour,  et  que,  trois  siècles  plus 
tôt,  Fa-hien  avait  déjà  prise  pour  rapporter  dans  sa  patrie  ce  pré- 
cieux bagage  de  textes  et  d'images  bouddhiques,  qu'il  tremblait 
de  voir  jeter  par-dessus  bord  pendant  la  tempête  -).  Par  elle  était 
sans  doute  venu  vers  le  même  temps  ce  religieux  indien,  nommé 
Gunavarman  P',  qui,  en  l'an  /ia5  de  noire  èic,  peignit  dans  un 
temple  de  la  ville  de  Cho-king,  aujourd'hui  Chao-tcheou,  dans  le 
kouang-tong,  la  scène  du  Dlpankara-jàtaka ,  justement  l'une  des 
créations  les  plus  certaines  de  l'école  gandhârienne.  Plus  tôt  encore, 
vers  280,  un  certain  Seng-houei ,  issu  d'une  famille  sogdienne, 
c'est-à-dire  originaire  du  pays  de  Samarkand,  vient  à  la  cour 
chinoise  par  le  détour  du  Tonkin,  où  ses  parents  s'étaient  établis 
pour  les  besoins  de  leur  commerce  ('^^  C'est  également  l'instant  de 
se  souvenir  de  ce  marchand  du  pays  de  Ta-tsin  qui  visita  le  Ton- 
kin (^),  etc.  Ces  quelques  exemples  suffisent  pour  nous  avertir  que 
le  même  va-et-vient  dont  nous  sommes  témoins  à  la  même  époque 
en  Occident  se  produisait,  grâce  au  commerce  et  à  la  religion, 
jusqu'aux  confins  de  l'Extrême-Orient  :  et  dès  lors  nous  compre- 
nons mieux  comment  la  pénétration  artistique  a  pu  de  proche 
en  proche  s'opérer,  aussi  bien  par  voie  de  mer  que  de  terre. 

'''  Éd.  Ciiava:snes,  Rel.  Ém.,  et  Voija-  '^'   T'oiiiig  Pao,  190/1,  p.  lyij-aoo. 

geurs  chinois,  p.  13  (Guide  Madroile  de  '*'   T'oung  Pao,  mai   1909,  p.  199  et 

la  Chine  du  Sud).  siiiv. 

"'  S.  Béai.,  Rom.  icg.,  p.  lxw  et  cf.  '*'   Uu\th.  CJiinu  and  tlie  Roman  Oririil, 

p.  Lxxi  et  Lxxxiii  ;  cl",  ci-dessus,   t.    H,  p.    io3.   Cf.    PniAiLX,  India  and  Rome, 

p.  l'xh.  p.  i3o. 


C.-Jâ  IXFI.UKNCK   DE  i;E(,nLK   DU  CANDHARA. 

^    \\\.     La   IIOUTK   DE    TIÎRRE. 

La  route  tei'resti'e  de  l'Exti-ème-Orient  était  bien  connue  de 
Ftolémée  et  nous  en  avons  déjà  touché  un  motC':  car  toute  la 
partie  située  entre  l'Euphrate  et  la  Bactriane  coïncidait  avec  celle 
de  rinde.  Après  un  assez  long  séjour  à  Bactres,  les  caravanes  s'en- 
gagaient  dans  la  haute  vallée  de  l'Oxus  et,  par  le  pays  des  Kômêdai 
(le  Kiu-mi-to  de  Hiuan-tsang),  franchissaient  la  branche  de  rimaiis 
qui  sépare  aujourd'hui  le  Turkestan  russe  du  Turkestan  chinois. 
Au  sommet  se  trouvait  le  Xî6ivo5  TTvpyos,  la  rc  Tour  de  pierre  -n ,  peut- 
être  à  l'origine  un  simple  cairn  de  cailloux,  pareil  à  ceux  qui  mar- 
quent le  haut  des  passes  de  l'Himalaya ,  et  dont  l'affluence  des  cara- 
vanes avait  fait  une  importante  station  de  la  route.  De  là  celle-ci 
menait  à  Kashgar,  puis  aboutissait  par  l'Issedon  scythique  et  l'Isse- 
don  sérique,  au  passage  que,  sur  les  conseils  de  son  explorateur 
Tchang-k'ien,  l'empereur  VVou  avait  ouvert  de  vive  force,  de  1 1  5 
à  1 1 1  avant  notre  ère,  entre  Si-ngan-fou  et  Cha-tchéou  (aujour- 
d'hui Touen-houang).  Pratiqué  juste  au  point  de  jonction  entre  la 
race  turque  au  Nord  et  la  race  tibétaine  au  Sud,  ce  long  couloir, 
que  les  investigations  de  Sir  Aurel  Stein  nous  ont  montré  protégé 
par  un  prolongement  de  la  fameuse  cr Grande  Murailles,  a  été  le 
principal  chemin  de  communication  entre  la  Chine  et  l'Occident. 
On  sait,  en  elfet,  quels  formidables  obstacles  naturels  s'opposent 
encore,  en  dépit  des  ressources  de  nos  ingénieurs,  à  l'ouverture 
d'une  route  à  travers  le  Tibet  ou  entre  le  Yunnan  et  la  Birmanie. 
L'importance  politique  de  cette  sorte  de  pont  jeté  entre  les  civili- 
sations, ou,  si  l'on  préfère,  d'isthme  battu  à  la  fois  par  les  sables 
du  désert  et  les  incursions  de  la  barbarie,  est  donc  considérable. 
Son  importance  économique  ne  l'était  pas  moins,  puisque  c'était 
la  voie  suivie  par  les  soies,  pour  lesquelles  le  reste  du  monde  était 

'"'  Cf.  ci-dessus,  t.  II,  n.  Sai-Sa-j. 


LA  ROUTE   DE   TERRE.  633 

alors  tributaire  de  la  Chine.  Les  convoitises  qu'excitait  cette  mar- 
chandise de  luxe  durent  être  pour  quelque  chose  dans  les  campa- 
unes  qu'on  attribue  avec  vraisemblance  à  Kaniska  sur  le  versant 


FiG.  r];i5.  —  Brahmase  et  hutte  iie  roseaux,  en  Sérinde  (cf.  [).  a5(j,  653,  770). 
Croquis  de  M.  Lfiioink.  d'après  ïon  Lk  Coq,  Chotscho,  pi.  i*^. 


oriental  de  Tlmaiis.  De  leur  côté,  les  marchands  de  l'Orient  romain 
firent  tout  leur  possible  pour  se  débarrasser  au  moins  des  intermé- 
diaires. Ptolémée  nous  raconte,  sur  l'autorité  de  Marinus  de  Tyr, 
(]u  un  négociant  macédonien,  du  nom  de  Maès,  aurait  envoyé  ses 
agents  jusqu'à  la  capitale  des  Sères.  Certains  historiens  ont  même 


63/1  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

pii  prétendre  que  des  considérations  du  même  genre  n'étaient  pas 
étrangères  aux  longues  luttes  entre  les  Faillies  et  les  Romains.  Plus 
tard  nous  voyons  l'Empire  byzantin  s'entendre  avec  les  Arabes 
contre  les  Sassanides  pour  tâclier  de  leur  ravir  le  r(Me  lucratif 
d'honnête  courtier  entre  la  Chine  et  le  Levant.  En  fait  le  courant 
du  trafic  n'a  dîl  se  tarir  que  quand  l'industrie  de  la  soie,  en  dépit  des 
précautions  des  Chinois  pour  conserver  leur  monopole,  a  fini  pai" 
s'introduire  d'abord  à  Khotan ,  puis  en  Asie  Mineure  et  en  Europe  '''. 
Cette  esquisse  de  géographie  historique  met  aussitôt  en  lumière 
trois  points  particulièrement  intéressants  pour  notre  objet.  Tout 
d'abord  une  route  si  fréquentée  et,  sauf  accident,  si  sûre,  se  prê- 
tera non  moins  aisément  aux  rapports  artistiques  et  religieux  qu'aux 
relations  commerciales.  Les  pèlerins  se  mêleront  aux  marchands, 
les  textes  et  les  œuvres  d'art  aux  marchandises,  et  bientôt  moines 
et  artistes  suivront,  tant  et  si  bien  que  nous  les  rencontrerons  à 
toutes  les  étapes  du  voyage.  En  second  lieu,  tout  ce  qui  aura  pé- 
nétré de  l'Inde  dans  la  Haute-Asie  par  la  vallée  de  Kaboul,  la 
passe  de  Bàmiyan  et  Bactres,  comptera  à  l'actif  de  l'inlliience 
gandharienne.  Tout  à  l'heure,  en  Indochine  comme  en  Insnlinde, 
nous  avions  à  débrouiller  l'appoint  mêlé  par  la  vallée  du  Cange  et 
le  Dékhan  à  l'apport  spécial  du  Nord-Ouest  :  le  fait  qu'en  Sérinde 
tout  ce  qui  sera  indien  y  parviendra  par  le  canal  du  Gandhâra  et 
n'aura  pu  manquer  d'en  prendre  la  marque  au  passage,  est  tout  à 
fait  bienvenu  pour  nos  recherches.  Malheureusement  —  et  ceci  est 
notre  troisième  point  —  nous  devrons  payer  aussitôt  cette  simpli- 
fication au  prix  d'une  complication  nouvelle.  Dans  la  Basse-Asie, 
l'art  bouddhique  était  sans  doute  très  mâtiné  d'influences  diverses, 
mais  du  moins  tout  ce  qu'il  contenait  de  classique  était  par  défini- 
tion originaire  du  Gandhâra  :  au  contraire,  en  Bactriane  et  dans 
le  Turkestan  chinois,  l'influence  hellénisante  a  pu,  a  même  dû 
s'exercer  directement.  Venue  sans  rompre  charge  de  Syrie,  pour- 

'■'   Voir  M.  A.  Stein,  Ancienl  Khotan,  I,  p.  229  et  Désert  Calhaij ,  II,  p.  208  et  suiv. 


LA   ROUTE   DE  TERRE. 


635 


quoi  se  serait-elle  astreinte  à  toujours  passer  par  le'  détour  de 
l'Inde  du  Nord?  Et  qu'on  ne  croie  pas  lever  la  difficulté  en  posant 
comme  règle  générale  que  sera  gandhârien  et  aura  reflué  du  Penjàb 
en  Asie  centrale  tout  ce  qui  sera  bouddhique  en  même  temps  que 


FiG.  536.  —  Le  BuDDiiA  et  ses  moines,  en  SiiiiiNDE  (cl.  p.  276,  3i5,  38g,  6.53,  770). 

Biilish  Muséum,  l'eiiilure  murale  provenant  de  Miran. 

D'apré!.  .M.  A,  Stei>  ,  Dcserl  Calhui/,   1,'pl.  V. 

grec  :   car  il  n'est  pas  encore  prouvé  que  le  Gaadhâra  ait  été  le 
pays  natal  de  l'art  gréco-bouddhique. 


La  Bactriane.  —  Nous  l'avons  déjà  dit  :  la  l'éponse  définitive 
à  cette  question  dort  sous  les  tumuli  dont  de  rares  Européens 
ont  constaté  l'existence  aux  environs  de  Balkh.  Jamais  nous  ne 
l'avons  mieux  senti  qu'en  ce  moment  :  l'ignorance  où  nous  sommes 
de  l'école  baclrienne  est,  après  la  disparition  de  la  peinture  gan- 
dhàrienne,  la  plus  regretlable  lacune  que  présentent  nos  docu- 


636  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

ineiits.  Les  récentes  explorations  en  Asie  centrale  ont  renoué  les 
maillons  épars  de  la  chaîne  de  transmission  depuis  Kashgar 
jusqu'au  Japon  :  il  n'y  a  plus  que  le  premier  anneau  qui  manque. 
On  ne  saurait  trop  déplorer  un  contre-temps  d'autant  plus  fàclieux 
que  de  longtemps  l'Afghanistau  ne  semble  pas  devoir  sortir  de  sa 
politique  de  farouche  isolement  et  s'ouvrir  aux  recherches  archéo- 
logiques. Mais  le  fait  que  nous  manquons  actuellement  de  certi- 
tudes n'est  pas  une  raison  suffisante  pour  rejeter  la  seule  chose  qui 
nous  reste,  à  savoir  des  présomptions.  Nous  avons  déjà  dû  émettre 
tour  à  tour,  à  propos  de  la  Bactriane,  deux  hypothèses  plus  faciles 
à  concilier  qu'on  ne  croirait  au  premier  abord.  D'une  part,  nous 
avons  écarté  sommairement  les  prétentions  qu'elle  pourrait  avoir  à 
être  le  berceau  de  l'art  gréco-bouddhique;  de  l'autre,  nous  tenons 
que  les  monuments  qu'y  signalent  les  pèlerins  chinois  étaient 
de  pur  style  indo-grec  (^'.  Nous  avons  eu  beau  retourner  la  ques- 
tion sous  toutes  ses  faces,  nous  ne  voyons  pas  qu'on  puisse  s'inscrire 
en  faux  contre  l'une  ou  l'autre  de  ces  assertions;  mais  nous  recon- 
naissons qu'elles  sont  pour  l'instant  indémontrables. 

Sur  l'art  bouddhique  bactrien  nous  ne  possédons  en  effet  que  de 
maigres  informations.  Fa-hien  et  Song  Yun  ont  coupé  au  court 
entre  Khotan  et  l'indus  (^',  et  ainsi  nous  sommes  réduits  sur  le  pays 
de  Po-ho  au  seul  témoignage  de  Hiuan-tsang.  Tout  d'abord  les 
ff  cent  couvents  11  qu'il  mentionne  à  Bactres  —  autant  qu'à  Koutcha 
ou  à  Khotan,  et  beaucoup  moins  qu'à  Kashgar  —  contrastent 
assez  défavorablement  avec  les  ff  milieu  et  davantage  qu'il  attribue 
au  Gandhâra.  Mais  ce  qu'il  dit  par  ailleurs  de  l'antiquité  des  sanc- 
tuaires, de  la  beauté  de  leurs  statues  et  du  nombre  de  leurs  sliîpa 
—  genre  d'édifices  qu'il  éprouve  pour  la  première  fois  le  besoin  de 
décrire'^)  —  tout  cela  fait  bien  augurer  des  fouilles  de  l'avenir.  Un 


'  Cf.  t.  1,  ]).  5,  et  t.  II,  p.  4'i3-'i')/i.  p.  i3/i)  et   lY^tude  des   autres  voies  de 

■'  Nous  laissons  ici  de  côlé  les  récils  pénétration    entre    l'Inde    du    Nord    et 

elatifs  an  iMaitrêya  de  la  vallée  de  Dàrêl  l'Asie  centrale. 
(Fa-hien,  ch.  vu:  Hiuan-tsang,  Rec,  I,  '''  Cf.  I.  I,  p.  63. 


( 


LA  ROUTE  DE  TERRE. 


637 


mot  jeté  en  passant,  et  que  commente  sa  Biographie,  prouve  même 
qu'émule  du  Gandhâra,  la  Bactriane  avait  aussi  essayé  de  s'ériger 
en  terre  sainte  :  pour  mieux  la  faire  ressembler  au  Magadha,  les 
moines  locaux  n'hésitaient  pas  à  qualifier  modestement  sa  capitale 


FlG.    537.    DvÀllAPÀLA,  l'ORIEUR  DD   FOUDRE,  DU   iniDEM'    tl   DU  PÉIASK  (cf.  p.    iOq,  0133  j. 

Sciilplurn  rupestre  de  la  grotte    n°  IV  de  Yun-kang  (Chine). 
D'après  Ed.  Cravanne'^,  Mistion,  pi.  CXVII. 

de  «petite  Ràjagriha,  tant  y  sont  nombreux  les  sacrés  vestiges C t. 
La  floraison  de  l'art  bouddhique  en  Bactriane  est  donc  certaine  : 
et,  sans  doute,  le  moindre  spécimen  exhumé  de  la  banlieue  de 
Balkli  ferait  beaucoup  mieux  notre  affaire,  car  rien  n'est  plus  vain 
que  d'essayer  de  deviner  par  avance  ce  que  recèle  un  tumulus. 


'■'  Biograpliie  do  IIiuan-tsam;,  li'iiil.  S. Real,  p.  'i8.  (If.  ci-dessus,  t.  11,  p.  /iili-'iiy. 


638  INFLUENCE   DE   L'ÉCOLE  DU  GANDHÀRA. 

Mais  enfin,  de  ce  grand  lleuve  dont  la  source  est,  croyons-nous, 
au  Gandhâra  et  l'emboucliure  dans  le  Pacifique,  nous  connaissons 
déjà  presque  tout  le  cours.  Ne  pouvons-nous  marquer  du  moins 
en  pointillé  sur  la  carte  la  petite  partie  encore  inexplorée?  Il  serait 
absurde  de  prêter  à  l'art  bactrien  un  caractère  très  différent  de 
celui  dont  nous  constatons  dûment  l'existence  sur  sa  frontière  du 
Sud-Est  dans  le  Kapiça,  ou  du  Nord-Est  dans  la  Sérinde.  Tout  au 
plus  inclinerions-nous  à  croire  que  ses  monuments  ressemblaient 
peut-être  davantage,  sinon  pour  le  style,  du  moins  pour  l'aspect 
extérieur  et  les  matériaux  de  construction  en  usage,  à  ceux  de 
l'Asie  centrale  qu'à  ceux  du  Penjâb  et  de  la  vallée  de  Kaboul. 
Parmi  les  dons,  si  chèrement  payés,  que  le  ciel  a  faits  au  Gan- 
dhâra, nous  avons  dû  compter  le  beau  schiste  bleuâtre  que  lui  four- 
nissaient en  abondance  les  collines  voisines  et  qui  lui  tint  lieu  de 
marbre.  L'emploi  d'une  bonne  pierre  n'est  pas  un  médiocre  avan- 
tage, en  architecture  comme  en  sculpture;  c'est  même  un  élément 
de  supériorité  qui,  à  égalité  de  talent,  ferait  pencher  la  balance. 
Or  il  y  a  lieu  de  penser  que,  dans  les  plaines  alluviales  de  l'Oxus, 
la  pierre  faisait  défaut.  On  aura  donc  dû  se  rabattre  habituellement 
sur  le  système  de  la  brique  crue  ou  cuite  et  recouverte  de  mortier 
pour  les  édifices,  de  l'argile  ou  du  stuc  armés  d'une  carcasse  inté- 
rieure pour  les  statues.  Ce  sont  justement  là  les  procédés  que  nous 
allons  trouver  partout  employés  dans  le  Turkestan;  et  ils  nous 
offrent  provisoirement  un  moyen  grossier,  mais  très  apparent,  de 
caractériser  le  double  aspect  de  l'art  gréco-bouddhique,  au  nord  et 
au  sud  de  la  ligne  transversale  du  massif  himâlayen.  Même  nous 
n'avons  pu  nous  empêcher  de  voir  dans  leur  introduction  tar- 
dive au  Gandhâra  la  preuve  d'une  réaction  d'influence  redescen- 
dant de  la  Haute-Asie  par  la  vallée  de  Kaboul  (^'. 

On  nous  dira  peut-être  :  Si  vous  admettez  que  l'art  bactrien  ait  pu 
ainsi  réagir  sur  la  décadence  du  Gandhâra,  pourquoi  n'en  aurait-il 

"'  Cf.  l.  II,  p.  586. 


LA   ROUTE  DE  TERRE.  639 

pas  été  de  même  dès  l'origine?  Que  fallait-il,  en  effet,  de  votre 
propre  aveu,  pour  que  l'école  nouvelle  sortit  du  creuset  ?  Seule- 
ment l'amalgame  de  deux  éléments,  l'un  grec  et  l'autre  boud- 
diiique.  Or,  qui  contestera  l'existence  d'une  culture  hellénique  dans 
une  région  naturellement  riche,  où  les  colonies  grecques  furent 
plus  nombreuses  que  partout  ailleurs  en  Haute-Asie  et  qui, 
d'Alexandre  à  Hélioclès,  connut  deux  siècles  de  domination  grecque 
ininterrompue?  Quant  au  Bouddhisme,  le  témoignage  d'Alexandre 
Polybistor  qui,  natif  d'Asie  Mineure,  écrivait  en  Italie  entre  80  et 
60  avant  J.-G. ,  n'est  probablement  pas  de  ceux  sur  lesquels  on  peut 
faire  grand  fond.  Sa  mention  des  rSamanéensn  en  Bactriane  ne 
nous  a  été  conservée  que  par  Clément  d'Alexandrie  et  Cyrille,  dans 
un  passage  où  ils  ne  figurent  que  pour  faire  pendant  aux  gymno- 
sophistes  de  l'Inde,  aux  mages  de  la  Perse,  aux  druides  des  Galates 
et  aux  prophètes  des  Egyptiens  (').  Elle  vaut  toutefois  d'être  retenue 
si  l'on  songe  que  le  Bouddhisme,  introduit  dès  260  avant  notre 
ère  sur  la  rive  droite  de  l'Indus,  n'a  pas  dû  mettre  très  longtemps 
à  traverser  les  montagnes.  Vous  avez  beau  contester  l'existence 
d'aucune  activité  artistique  en  Bactriane  et  faire  remarquer  que  cet 
antique  berceau  du  mazdéisme  était  peu  propre  à  enfanter  l'art 
gréco-bouddhique,  rien  n'empêche  théoriquement  que  celui-ci  n'y 
soit  né  dès  le  milieu  du  n*"  siècle  avant  notre  ère,  au  lieu  d'en  être 
encore  à  faire  ses  premiers  essais  au  Gandhàra  cinquante  ans  plus 
tard.  Nous  n'aurions,  en  effet,  aucune  objection  décisive  à  faire 
valoir  contre  cette  théorie  si  le  milieu  du  11"  siècle  n'était  justement 
lépoqueque  nos  historiens  classiques  choisissent  pour  rayer  a  l'opu- 
lente Bactriane  aux  mille  villes n  du  nombre  des  nations*^).  Et 
sans  doute,  en  s'exprimant  ainsi,  Justin  parle  à  notre  point  de  vue 
européen,  et  la  disparition  des  Grecs  ne  devait  pas  empêcher  la 
Bactriane  de  survivre  sous  ses  nouveaux  maîtres  Çakas,  puis  Yue- 
tche.  Toujours  est-il  que  cette  invasion  de  barbares  n'était  guère 

'''  Voir  les  ])assages  citu's  dans  Phiaui.v,  India  and  Route,  p.   i35.  —  '■'  Justin, 
m,  1. 


640  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHARA. 

propice  à  l'essor  d'un  nouvel  art.  On  ])Ourrait  tout  au  plus  soute- 
nir que  la  naissance  do  l'école  gréco-bouddhique  lut  le  contre-coup 
indirect  des  événements  qui  forcèrent  les  descendants  des  colons 
hellènes  à  se  replier  avec  armes  et  bagages  dans  leurs  récentes 
conquêtes  indiennes,  au  sud  de  l'Hindou-Kousb.  C'est  alors  seule- 
ment que  d'irano-grecs  qu'ils  étaient  jusque-là,  ils  sont  vérita- 
blement devenus  indo-grecs,  et  que  leurs  praticiens  se  sont  trouvés 
en  contact  permanent  avec  une  communauté  bouddhique  sufTisam- 
ment  ancienne  et  florissante.  Bref,  ce  seraient  les  artistes  gréco- 
bactriens  qui  ont  créé  l'art  gréco-bouddhique  :  mais  nous  croyons, 
jusqu'à  preuve  du  contraire,  que  l'occasion  de  le  créer  ne  leur  a 
été  offerte  qu'au  Gandhâra. 

Le  fait  même  que  nous  risquons  une  pareille  assertion  nous  im- 
pose d'autre  part  la  tâche  d'exposer  au  moins  en  deux  mots  la  façon 
dont  nous  comprenons,  en  ce  cas,  l'introduction  de  l'art  gréco- 
bouddhique  en  Bactriane.  Mais  puisqu'il  est  entendu  que  nous  na- 
geons en  pleine  hypothèse,  il  ne  faut  pas  craindre  d'aller  jusqu'au 
bout  de  la  nôtre.  Faisant  état,  en  attendant  mieux,  des  vraisem- 
blances et  des  analogies,  nous  croirions  volontiers  qu'il  a  fallu 
attendre  que  le  clan  des  Kusanas  eût  conduit  les  Yue-tche  à  la 
conquête  de  l'Inde  du  Nord ,  et  que  sur  les  monnaies  de  Kozoulo- 
Kadphisès  se  marquât,  comme  nous  l'avons  vut^',  une  certaine 
accoutumance  au  Bouddhisme,  prélude  de  l'éclatante  conversion 
de  Kaniska.  Tout  pesé,  nous  placerions  les  premières  c: fondations 
royales  11,  dont  Hiuan-tsang  nous  parle,  dans  la  seconde  moitié  du 
r'  siècle  de  notre  ère,  et  nous  inclinerions  provisoirement  à  penser 
(jue  le  u'^  siècle  a  marqué,  aussitôt  après  le  plein  épanouissement 
de  l'école  gandhàrienne,  celui  de  ses  deux  «fdialesii  les  plus  impor- 
tantes comme  les  plus  voisines,  celle  de  Bactres  et  celle  de 
Mathurâ.  —  Non  pas  que  nous  voulions  pousser  trop  loin  le  paral- 
lèle entre  ces  deux  cités  :  le  fait  que  l'une  était  une  ville  sainte  de 

'■'  Cf.  I.  11.  p.  /.38. 


I.  \    lioUTE   DE  TERRE.  G'il 

l"lran  et  l'autre  de  l'Inde  souligne  assez  le  contraste  entre  elles. 
Il  nous  suffît  que,  dans  l'une  comme  dans  l'autre,  l'église  des  fidèles 


iǫ  ^^=A^ 


FiG.  538-53g.  —  HÀRiii  (comme  avatar  de  Kouax-Yin).  f.n  (Ihise 
(cf.  p.  i4o,  lia,  (564 ,  787), 
lùg.  .758.  —  Statuette  de  porcelaine  blanche  du  Musée  Guimel.  Hauleur:  0  m.  38. 
Fig.  i)3g.  —  Statuette  de  porcelaine  peinte  de  la  collection  II.  Gktty.  Hauteur:  om.SS. 

Pour  cette  dernière,  cf.  A,  Gettt,  The  Gods  nf  Nftrtlurn  BmW'ism ,  pi.  \XVI. 

bouddhiques  ait  emprunté  au  Gandiiâra  ses  modèles  d'images  de 
piété,  quelle  que  soit  ensuite  la  façon  dont  les  artistes  locaux  les 
aient  interprétées  :  et  l'on  devine  aisément  que  cette  interprétation 
dut  rester  singulièrement  plus  classique  au  Nord-Onest  qu'an  Sud- 


iMmiMCitir.    jfATic 


6'i2  INFLUENCE   DE   F.'ÉCOEE   DU   GANDHIra. 

Est.  Eli  même  temps,  il  n'en  faut  pas  davanlage  pour  que  ces  deux 
villes  aient  joué  le  rôle  d'entrepositaires  de  l'art  gréco-bouddhique, 
l'une  auprès  du  continent  indien  et  l'autre  de  l'Asie  centrale  :  et 
cette  fois  encore  il  est  probable  que,  ce  faisant,  Bactres  aura 
mieux  su  sauvegarder  la  pureté  du  style  classique,  si  même  elle 
n'en  a  pas  rajeuni  quelques  formules  grâce  à  sa  situation  privilégiée 
sur  le  chemin  de  plus  grande  communication  entre  l'Occident 
et  l'Orient  de  l'Asie.  Ahiis,  ces  réserves  faites,  nous  persistons  à 
penser  qu'il  subsiste  une  réelle  analogie  dans  les  rapports  historiques 
qui  reliaient  au  foyer  central  du  Gandhâra  ses  deux  satellites  de 
première  grandeur,  devenus  à  leur  lourdes  foyers  secondaires. 

Plus  l'on  avance  dans  l'étude  de  la  diffusion  de  l'art  gréco-boud- 
dhique vers  la  Haute-Asie  et  plus  clairement  apparaît  l'importance 
du  fait  que  l'empire  de  Kaniska  se  trouvait  ainsi  placé  à  cheval  sur 
l'Hindou-Koush.  Nous  comprenons  mieux  que  jamais  les  raisons  de 
la  reconnaissance  que,  nous  l'avons  ditt^',  la  tradition  bouddhique 
a  toujours  vouée  à  ce  roi  barbare,  en  jugeant  de  l'impulsion  que 
sa  seule  influence  a  pu  naturellement  donner  à  la  propagande 
simultanée  d'une  doctrine  et  d'un  art  religieux  auxquels  il  était  de 
naissance  parfaitement  étranger.  Si  la  conversion  d'Açoka  s'est 
répercutée  dans  toute  l'Inde,  celle  de  Kaniska  a  gagné  d'un  seul 
coup  la  meilleure  part  de  l'Asie  centrale.  C'est  bien  à  lui  que  semble 
dîi  de  ce  côté  le  deuxième  grand  bond  delà  Bonne  Loi  :  après  celui 
qui  l'avait  menée  du  Magadha  au  Gandhâra  et  au  Kaçmîr ,  celui  qui 
lui  lit  iVanchir  le  Toit  du  Monde  et  lui  ouvrit  la  route  de  Chine. 
Non  content  de  réunir  sous  le  même  sceptre  les  bassins  supérieurs  de 
l'Oxus,  de  rindus  etdu  Gange,  Kaniskaaurait  voulu  annexer  encore 
celui  du  Tarim.  Du  moins  Hiuan-tsang  nous  l'assure  :  et  ce  qui 
donne  une  singulière  consistance  à  son  témoignage,  c'est  qu'il  a  vu 
en  visitant  l'Inde  du  Nord,  dans  les  pays  de  Kapiça  et  de  Cinapati, 
les  monastères  qui  avaient  été  assignés  comme  résidences  aux  otages 

'     r.r.  ci-dessus,  I.  Il,  p.  /ii8  el  5i8. 


LA   ROUTE   DE  TERRE. 


r.'ir. 


royaux  ramenés  par  Kaniska  de  ses  campagnes  chinoises O.   Or, 
d'après  les  annales  des  Han  postérieurs,  en  107-1  i3  après  J.-C, 


FiG.  5io.  —  TïPES  DU  BoDDHA  ET  DE  Maitréya,  EN  CiiiNE  (cf.  p.  236,  663,  66g,  700,  706). 

Sculptures  rupesires,  stuquées  et  peintes,  dans  la  grotte  n°  VI  de  1  UH-fca/ig'. 

D'après  Éd.  Cuiïjsm'^  ,  llksiim  .  pi.  CWVII. 

le  roi  de  Kashgar  aurait  dû  eu  effet  livrer  comme  otage  l'un  de  ses 
proches  parents,  nommé  Ch'en-p'an,  au  roi  des  Yue-tche.  Par  un 


*''  Ces  otages,  fort  hien  traités,  pas- 
saient l'été  au  Kapiça,  le  printemps  et 
l'automne  au  Gandhâra,  l'hiver  h  Ci'na- 


pati  ilans  le  Penjâli.  Cf.  Hilan-tsang, 
lier.,  I,  p.  o()  et  1-3;  M.  A.  Stkin,  Ane. 
Kli(il(tii,  p.  55-50,  iG/i,  ■y.û'.i. 


6/i'4  INFLUENCE   DK   l/KCnLE  DU   GANDI1\RA. 

accord  curieux,  c'est  tout  à  la  fin  de  son  règne  et  de  sa  vie  que 
la  légende  place  l'expédition  de  Kaniska  dans  la  région  du  Nord. 
S'il  est  bien  mort,  comme  le  voudrait  notre  clironologie,  vers 
l'an  iiat^',  ce  serait  donc  les  armes  de  son  successeur  Huviska 
qui  auraient  rétabli,  entre  ii/i  et  lâo,  ce  même  Gli'en-p'an, 
tout  frais  sorti  des  couvents  du  Nord-Ouest,  sur  le  trône  de  ses 
ancêtres.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  sinologues  s'accordent  à  placer 
en  l'an  i  50  de  notre  ère  l'introduction  officielle  du  Bouddhisme  à 
kashgar.  Dès  lors  la  grand'route  de  Chine  s'étendait  devant  lui*^). 
Et  sans  doute  le  premier  rôle  continua  quelque  temps  à  être  réservé 
au  Gandhâra  :  c'est  à  un  artiste  de  Puskarâvati  que  le  Sùtràlankâra^^'i 
confie  encore  la  tâche  daller  décorer  un  monastère  de  Tashkend. 
Mais  il  n'y  a  plus  lieu  d'être  surpris  que,  dans  le  Céleste  Empire, 
le  métier  de  traducteurs  de  textes  sacrés  et  de  colporteurs  ou  fabri- 
cants d'images  ait  été  surtout  rempli  au  if  et  au  m"  siècle  par  des 
Baclriens  ou  des  Sogdiens,  sujets  des  Yue-tche. 

La  Sérinde.  —  Quand  nous  passons  le  contrefort  des  Pâmirsqui 
sépare  le  Turkestan  russe  du  Turkestan  chinois,  nous  nous  trouvons 
d'ailleurs  parmi  des  populations  beaucoup  moins  différentes  qu'on 
ne  pourrait  s'y  attendre  de  celles  que  nous  venons  de  quitter  :  et  Les 
Sères,  nous  dit  en  passant  Pausanias  (VI,  26),  sont  un  mélange  de 
Scythes  et  d'Indiens,  n  Si  par  rrScythesn  il  entend,  selon  l'heureuse 
expression  de  M.  F.  W.  Thomas'*'  «  la  ceinture  extérieure  et  encore 
mal  civilisée  de  la  race  iraniennes,  il  a  tout  à  fait  raison  pour 
son  temps.  Les  dernières  découvertes  —  car  nous  sommes  ici  sur 

''!  Comme    nous    l'avons    déjà   dit,  à  Khotan,  proliablemenl  par  infiltration 

p.  4 19,  n.  1,  Kaniska  serait  mort  étouffé  à  travers  le  Karakorum  depuis  l'Udyàna 

par  ses  propres  officiers,  qui  se  refusaient  et  le  Kaçmîr,  cf.  M.  A.  Stein,  Ane.  klio- 

à  le  suivre  davantage:  apparemment  il  en  Inn,  p.  56.  Ce  mode  différent  de  propa- 

était  des  Yue-tche  comme  des  Parthes,  gation  expliquerait  le  caractère  différent 

dont  Tacite  nous  dit  que,  prompts  à  tra-  des  sectes  dominantes  au  nord  et  au  sud 

hir leurs  rois fi/i)irtfes,  VI,  36),  rtlongin-  du  bassin  du  Tarim  (cf.  t.  11,  p.  386). 
quam  militiam  aspernebantî)  (XI.  lo).  '''  iv,  ai;  trad.  Ed.  HuBcn.  p.  117. 

'''   Pour  re  qui  esl  de  son  inlroilnctioii  '*'  J.  11.  1.  ^)'.,  lyoO,  |i.  kjcS. 


LA   ROUTE  DE  TERRE.  6'i5 

un  terrain  beaucoup  mieux  exploré  —  ne  nous  montrent  en  ell'et 
dans  le  bassin  du  Tarim  que  des  populations  parlant  des  lanjjues 
indo-européennes,  surtout  des  dialectes  iraniens,  et,  dans  le  Sud, 
une  forte  colonie  indienne,  employant  dans  ses  actes  administratifs 
et  sa  littérature  relijjieuse  un  pràkrit  très  voisin  de  celui  du  Pen- 
jâbW.  Toutefois  il  faut  également  compter  de  bonne  heure  avec  la 
pénétration  de  la  civilisation  et  de  la  langue  chinoises.  Nous  dirions 
volontiers  de  l'ensemble  du  pays  ce  que  Hiuan-tsang  nous  rapporte  de 
l'oasis  de  Khotan,  que  ce  fut  à  l'origine  un  terrain  de  chasse  disputé 
entre  deux  princes  exilés,  l'un  de  l'Inde*'^),  l'autre  de  Chine.  Fina- 
lement, celui-ci  l'aurait  emporté  sur  son  rival.  «Le  Li-yul,  disent 
de  leur  côté  les  Annales  tibétaines,  n'est  ni  in  lien  ni  chinois  (enten- 
dez qu'il  est  un  mélange  des  deux).  Les  habitudes  du  peuple  sont 
tout  à  fait  semblables  à  celles  de  la  Chine  :  la  religion  et  la  langue 
sacrée  sont  tout  à  fait  semblables  à  celles  de  l'Inde,  n  Ajoutons  qu'il 
en  était  de  même  des  alphabets  et  de  l'art.  A  ce  moment  de  son 
histoire,  ce  pays,  si  peu  favorisé  qu'il  fût  par  la  nature,  devient  le 
champ  clos  où  se  rencontraient  les  deux  grandes  civilisations  de 
l'Extrème-Oi'ient.  Le  général  Pan-tchao  y  établit  à  partir  de  78 
après  J.-C.  la  domination  des  fils  du  Ciel  et  fixe  à  Koutcha  en  qi 
le  siège  de  sa  vice-royauté.  L'expédition  présumée  de  Kaniska  dans 
l'Ouest  du  pays,  vers  l'an  1 1 0,  n'aurait  été  qu'une  réaction  momen- 
tanée contre  ces  conquêtes.  Mais  si  la  suzeraineté  chinoise  a  fini , 
après  bien  des  vicissitudes,  par  se  maintenir  dans  la  région,  il  n'y 
subsiste  pas  moins  jusqu'à  nos  jours  une  colonie  indienne  impor- 
tante. Le  bassin  du  Tarim  nous  apparaît  ainsi  comme  une  sorte 
d'Indochine  continentale ,  sauf  peut-être  qu'ici  les  deux  zones 
d'influence  sont  moins  nettement  délimitées  que  dans  la  péninsule 
transgangétique  :  et  comme  celle-ci  a  accaparé  ce  nom  expressif, 
nous  emploierons  celui,  presque  synonyme,   de  Sérinde  comme 

'"'   M.  A.  Stein,  At)r.  Khntaii ,  p.  16/1.  fils  iTAçoka,  comiin-  du  iiiyllilqiii'  l'Viiii- 

'^'  11   serait  venu  de   Taksarilà.  Plus        eus  un  (ils  d'Enée.  Cf.  M.  A.  Stein,  ;/'»/., 
lard  ou  i'[iroiiva  le  besoin  d'en  faire  un         p.  il)8,  iGi. 


6/if)  iNFLUEiXCi'  DH  i;i:r,ni,i'.  n[i  gandiivim. 

désignation  ancienne  du  pays  qni  est  devenu  sur  nos  cartes  le  Tur- 
kestan  oriental  ou  chinois,  et  qui  n'est  guère  turc  que  de  langue. 
L'exploration  archéologique  est  ici  trop  récente  pour  que  nous 
ne  devions  pas  en  décrire  brièvement  les  conditions  et  le  théâtre. 
Imaginez,  au  cœur  même  de  l'Asie,  une  vaste  dépression  sablon- 
neuse qui  forme  le  bassin  du  fleuve  intermittent  du  Tarim  jusqu'à 
sa  perte  dans  le  lac  nomade  du  Lob-nor.  Au  sud,  la  formidable 
barrière  du  Kouen-lun,  rebord  du  plateau  tibétain,  tombe  presque 
à  pic  sur  la  plaine.  Au  nord,  celle-ci  est  bordée  parle  rempart,  encore 
très  élevé,  du  Tien-chan  ou  Monts  Célestes  — l'Imaiis  scythique, 
autre  contrefort  du  fameux  Toit  du  Monde.  Tout  autour,  au 
pied  même  des  montagnes,  règne  une  frange  d'oasis.  Deux  routes, 
menant  d'Occident  eu  Chine,  les  relient,  bifurquantàKashgar  pour 
se  réunir  de  nouveau  au  couloir  de  Touen-houang.  Chacune  d'elles 
égrène  un  chapelet  de  villes  et  de  bourgades  :  au  nord,  Aksou, 
Koutcha,  Karashar,  Tourfan,  Hami;  au  sud,  Yarkand,  Karghalik, 
Khotan,  Keriya,  Niya,  Cherchen,  Charklic[.  Le  climatest  extrême, 
fait  de  froids  polaires  l'hiver,  et  de  chaleurs  torrides  l'été:  mais 
il  est  excessivement  sec.  Tout  ce  qui  pointe  au-dessus  du  sol  est 
vite  blanchi,  rongé,  détruit  par  les  terribles  bourrasques,  qui 
chassent  devant  elles  les  dunes  comme  des  vagues;  tout  ce  qui 
demeure  protégé  sous  la  couche  de  lœss  ou  de  sable  est,  comme 
en  Egypte,  admirablement  conservé,  le  bois  et  le  stuc  encore 
intacts,  l'encre  des  manuscrits  à  peine  pâlie,  le  coloris  des  pein- 
tures toujours  frais.  Là  gît  la  chance  des  archéologues  :  on  sait 
comment  ils  viennent  de  la  mettre  à  profit^.  Ils  ne  faisaient  d'ail- 


'''  Aux  renscignemenis  iloimés  t.    I,  allemandes  (A.  Grïn«edel,  Bericlil  ttber 

p.  4-5,  il  faut  ajouter  :    i°  l'apparition  arclidnlogisclie    Arbeileii.    in     Idikiitscliari 

(lu  /)('/(f//pr/ //cpo/7  de  Sir  Aurcl  Stein  suc  '""/  l'iitiidniiii^ .    Miuiicli ,   1 906,  et    .1//- 

sa    première   mission    [Ancient    KItolaii ,  hmUliisùsclie    Kultslutteit     in    Chinesisrh- 

9  vol.  10-4°,  Oxford,  1907)  et  dure'citde  Turkistan,  Berlin,  igi-J  ;  A.  von  Le  Coq, 

sa  seconde  mission  {Riiins  of  dcsert  Ca-  VÀotscko,  Berlin,    1912:  3°  l'installation 

Ma^,  2  vol.  in-8°,  Londres,' 1912);  a°  la  au  Musée    du    Louvre  de   la   collection 

publication  des  rapports  sur  les  missions  P.  Peli.iot. 


LA  ROLTE  DE  TERRE. 


6-'i7 


l'iG.  h'ii  .     -  Stèle  chinoise^[6Go  ap.  J.-C]  (cf.  p.  ayf),  37o,JG(î:i,  liSii,  688,^701,  /Oti). 

Musée  du  Louvre.  Provenant  de  Long-men.  Hauteur:  0  m.  tio. 
Mission  de  M.  Philippe  BEHiatLor. 


leurs  que  se  précipiter  sur  les  traces  des  pèlerins  cliinois.  Si  pré 
cieiix  que  soit  le  butin  qu'ils  ont  rapporté,  si  inattendues  qu'aiei 


II 


6/(8  INFLUENCE   DE  L'ÉCOLE  DU   GANDHÀRA. 

ét(''  quelques-unes  de  leurs  découvertes,  on  pourrait  soutenir  qu'à 
notre  point  de  vue  ils  ne  nous  ont  rien  appris  de  nouveau.  Que  le 
panthéon  bouddhique  du  Gandhâra  ait,  par  l'intermédiaire  de  la 
Sérinde,  gagné  la  Chine,  nous  le  savions  déjà.  Mais  à  présent  nous 
faisons  mieux  que  de  le  savoir,  nous  en  touchons  les  preuves  pal- 
pables. Que  cela  fasse  une  différence,  le  contraste  du  présent  para- 
graphe, bourré  de  noms  et  de  faits,  avec  celui  que  nous  venons  de 
consacrer  à  Bactres  et  qui  sonne  si  terriblement  le  creux,  est  là  qui 
l'atteste. 

Essaiei'ons-nous  à  présent  de  résumer  l'œuvre  collective  déjà 
accomplie?  Sur  la  route  du  Sud,  qui  est  restée  le  domame  parti- 
culier de  la  mission  anglaise,  les  eaux  qui  dévalent  des  montagnes, 
apportant  avec  elles  la  fertilité  et  la  vie,  prolongeaient  jadis  beau- 
coup plus  loin  qu'aujourd'hui  la  ligne  de  verdure  de  leurs  peu- 
pliers et  de  leurs  roselières.  Autant  par  le  fait  de  la  dessiccation 
générale  du  pays  que  de  la  négligence  musulmane,  qui  a  laissé  s'ob- 
struer les  cantHix  d'irrigation,  le  sable  a  gagné  du  terrain  sur  les 
cultures  et  le  désert  a  pris  sa  revanche  sur  la  civilisation.  C'est  des 
anciens  établissements  abandonnés,  maisons  particulières,  monas- 
tères ou  slilpa,  que  sont  sorties  les  trouvailles.  Sur  la  route  du 
Nord,  celle  des  missions  russe,  allemande,  française,  japonaise, 
les  édifices  de  plein  air  étaient  en  général  trop  ruinés  pour  avoir 
conservé  aucune  pièce  de  grande  dimension;  les  découvertes  les 
plus  importantes  ont  été  faites  dans  les  hypogées  creusés  au 
flanc  des  collines  voisines  de  Tourfan  ou  de  Koutcha.  De  part  et 
d'autre,  si  on  laisse  de  côté  des  manuscrits  rédigés  dans  presque 
tous  les  alphabets  et  les  langues  de  l'Asie,  des  sceaux,  des  intailles, 
des  monnaies,  des  étoffes,  des  broderies,  le  gros  des  collections 
est  constitué,  soit  par  des  sculptures  sur  bois  et  des  modelages 
d'argile,  soit  par  des  peintures,  les  unes  murales,  les  autres 
exécutées  sur  soie,  sur  toile  ou  sur  bois.  Disons-le  tout  de  suite  : 
ce  qu'il  y  a  de  plus  nouveau  et  de  meilleur,  ce  sont  encore 
les  peintures. 


LA  ROUTE   DE  TERRE. 


G49 


Fi(i.  fj'ia.  —  Stèle  chinoise,  en  deds  siii.es  [55/i  ii(i.  J.-C]  i  cf.  [>.  Ci6'^ ,  77'^ )• 

Musée  lie  Bn»lon.  Hauteur  de  la  partie  vepruilnilc:  i  m.ao. 

D'.iprrs  Ars  Asiatica  ,  II,  pi.   \\1\. 

Elles  ii'onl  pas  seulement  le  grand  avantage,  déjà  signalé^,  de 
nous  rendre  parfois  une  idée  approchée  de  ce  que  dut  être  la  pein- 


'"  Cf.  i.  Il,  p.  ioi. 


650  INFLUENCE   DE   F/ÉCOLE  DF   r,ANDH\RA. 

ture  gandhàricnne.  M.  A.  Griinwedel,  qui  est  un  artiste  en  même 
teni])s  qu'un  pliilologue,  vante  avec  complaisance  chez  les  fresques 
de  koutcha  la  vigueur  du  dessin,  l'habilelé  de  la  composition, 
voire  même  le  pathétique  de  l'expression  :  et  celles  que  Sir  Aurel 
Stein  a  mises  de  son  côté  au  jour,  notamment  près  de  Miran  , 
méritent  les  mêmes  éloges.  Quant  aux  statues,  elles  sont  le  plus 
souvent  établies  en  argile  peinte  sur  un  bâti  de  bois  et  de  fascines 
de  roseaux.  Aussi  n'en  retrouve-l-on  guère  que  la  partie  la  moins 
friable  et  sans  doute  aussi  la  plus  soignée,  à  savoir  les  têtes.  Celles- 
ci  ne  sont  pas  sans  grâce,  ni  surtout  sans  originalité  :  malheureuse- 
ment ce  procédé  d'exécution  invitait  et  prêtait  à  la  multiplication 
indéfinie  des  moulages.  Ici  l'abus  est  certain,  car  on  a  retrouvé  des 
moules,  en  même  temps  que  des  poncifs  pour  les  dessins.  Tout 
compte  fait,  il  ne  faut  pas  oublier  que  ces  ruines  du  Turkestan, 
restes  d'édifices  en  torchis  ou  de  grottes  creusées  dans  des  falaises 
terreuses,  sont  des  fondations  plutôt  mesquines  et  dues  à  de  bar- 
bares donateurs. 

Ce  serait  donc  s'exposer  à  des  déceptions  que  de  s'exagérer  à 
l'avance  la  valeur  esthétique  des  collections  nouvelles  :  mais  rien 
n'en  saurait  diminuer  la  valeur  documentaire.  Par  comparaison 
avec  nos  galeries  d'antiques,  un  esprit  infatué  de  l'idéal  classique 
pourrait  déclarer  n'y  voir  qu'un  fatras  hétérochte  d'images  de  piété 
et  d'objets  de  rebut,  héritage  médiocre,  et  dès  longtemps  dilapidé 
par  les  chercheurs  de  trésors,  d'une  civilisation  aussi  superficielle 
que  mêlée.  Il  n'en  reste  pas  moins  que  cet  étrange  bric-à-brac, 
réparti  sur  les  dix  premiers  siècles  de  notre  ère,  et  où  se  coudoient 
tous  les  types  et  tous  les  styles,  hellénique,  iranien,  indien,  turc, 
tibétain,  chinois,  jette  définitivement  le  pont  entre  l'art  de  l'Asie 
hellénisée  et  celui  de  l'Extrôme-Orient.  Nous  nous  hâtons  d'ailleurs 
de  convenir  que,  même  au  seul  point  de  vue  de  l'inlluence  clas- 
sique, il  y  a  un  tri  à  faire,  et  de  rappeler  que  tout  l'apport  venu 
d'Occident  ne  saurait  être  inscrit  au  crédit  de  l'école  du  Gandhâra. 
Il  est  bien  clair,  par  exemple,  que  les  représentations  manichéennes 


LA   ROUTE  DE   TERRE.  651 

retrouvées  au  Toui-l'an  n'ont  rien  à  démêler  avec  le  Penjâb.  De 
même  les  plus  belles  intailles  grecques  ont  dû  être  directement 
importées  du  pays  de  Ta-tsin.  Enfin,  jusque  sur  les  monuments 
dont  le  caractère  bouddhique  est  indubitable,  il  faut  compter  avec 
la  possibilité  que  le  cadre  décoratif,  si  indien  que  soit  le  tableau, 
n'ait  pas  fait  le  détour  de  llnde.  L'exemple  le  plus  caractéristique 
de  ces  bordures  grecques,  ou  tout  au  plus  irano-grecques,  entou- 
l'ant  une  composition  gréco-bouddhiijue  d'origine  indienne,  nous 
est  fourni  par  les  admirables  peintures  de  Miran,  au  sud  du  Lob- 
iior.  Bouddhiques  étaient  sans  conteste  deux  petits  temples  ronds 
dont  les  voûtes  abritaient  un  slûpa  intérieur;  bouddhiques  sont  les 
scènes  qui  se  déroulent  sur  le  fond,  d'un  rose  tout  pompéien,  de 
leurs  parois,  ici  des  épisodes  de  la  vie  du  Maître,  là  le  fameux 
jdtaka  de  Viçvantara  ;  mais  sur  la  bande  qui  régnait  au  bas  des 
murailles,  tantôt  des  anges  ailés,  tantôt  des  amorini  ou  des  génies 
mithraïques,  sans  compter  d'autres  personnages  encore  plus  pro- 
fanes, semblent  directement  transférés  d'une  église  ou  d'une  villa 
syrienne  des  premiers  siècles  de  notre  ère.  Ainsi  que  Sir  Aurel 
Stein  a  résumé  ses  impressions  devant  une  apparition  si  inattendue 
en  pareil  lieu  :  «  le  style  gréco-bouddhique  de  l'Inde  avait  mis  son 
empreinte  sur  la  frise,  et  l'art  contemporain  de  l'Orient  romain,  tel 
qu'il  s'était  transmis  à  travers  la  Perse,  avait  laissé  son  reflet  sur  la 
[dinthet^'ii.  Nos  réserves  ne  sont  donc  pas  de  pure  forme;  mais  nous 
nen  devons  pas  moins  constater  que  la  meilleure  part  des  objets 
d'art  religieux  qui  ont  été  exhumés,  sont  de  caractère  bouddhique 
et  par  suite  d'origine  indienne.  Sur  ce  point  les  fouilles  ont  nette- 
ment confirmé  le  témoignajfe  des  voyageurs  et  des  historiens  chi- 
nois. Mazdéisme,  manichéisme,  nestorianisme  ont  bien  pu  suivre 
dans  le  sillage  du  Bouddliisme*'-'  :  mais  c'est  avant  tout  la  Bonne 
Loi  et  la  forme  indo-grecque  de  son  imagerie  que  les  artères  mon- 


"'  M.  A.    Stein,    Deseii    V.athmj .    1,         de  i'élépliant  sur  Im  lig.  i /i 7  ,  comparez 
p.   489:    llg.   189-148    et    pi.   IV,    5.         notre  figure  \hh,\. 
Pour  ie  geste  dont  s'accompagne  le  don  '"'  Cf.  ci-dessus,  I.  Il,  p.  fjGi  et  suiv. 


652  INFLUENCE   DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÀRA. 

dialcs,  douL  nous   venons  de  déterminer  le  trajet,  ont  d'abord  et 

surtout  charriées  jusqu'en  Chine. 

Les  preuves  de  cette  assertion  se  lisent  déjà  dans  les  relations 
des  explorateurs  eux-mêmes;  car  ils  étaient  mieux  préparés  que 
personne  —  ne  cherchez  pas  ailleurs  les  l'aisons  de  leur  éclatant 
succès  —  à  définir  et  à  commenter  leurs  propres  trouvailles. 
Nous  devons  nous  borner  à  signaler,  ou  pour  mieux  dire  à  rappeler 
les  traits  les  plus  caractéristiques  d'une  analogie  si  généralisée. 
Elle  s'étend,  on  le  sait,  jusqu'aux  édifices.  Les  stûpa  de  Ravvak, 
près  de  Khotan,  ou  de  Mauri  Tim,  au  N.-E.  de  Kashgar,  sont,  par 
exemple,  tout  à  fait  conformes  aux  modèles  de  l'Inde  du  NordO, 
tandis  que  les  plafonds  de  plusieurs  cryptes  de  Qyzyl  sont,  au 
témoignage  de  MM  A.  Griinwedel  et  P.  Pelliot ('■'),  exactement  du 
même  type  que  celui  de  Pândrenthân  (fig.  57).  Si  nous  passons 
maintenant  aux  scènes  légendaires,  il  sera  beaucoup  plus  court  de 
dire  qu'elles  se  représentent  presque  toutes,  et  toujours  conformes 
aux  prototypes  gandhàriens,  depuis  le  Dipanhava-jdlaka  jusqu'à 
celles  qui  suivirent  le  trépas  du  Maître.  Il  suflit  de  reproduire  une 
fois  de  plus  ici  les  et  quatre  grands  miracles  ii,  pour  qu'on  juge  de 
la  fidélité  des  répliques  à  travers  les  différences  de  style  (fig.  52  3). 
La  seule  variante  importante  concerne  le  tableau  de  la  Nativité, 
qui  est  complètement  retourné;  mais  l'accident  est  clairement 
imputable  au  fait  que  le  poncif  de  cette  scène  a  été  employé  à 
l'envers;  et,  en  effet,  pour  que  tout  rentre  dans  l'ordre  accoutumé, 
il  suffit  de  regarder  cet  épisode  par  transparence.  Enfin,  parmi 
les  personnages,  nous  avons  déjà  dû  noter  en  passant  quantité 
de  figures  empruntées  aux  superstitions  populaires  de  l'Inde  et 
à  peine  modifiées  au  cours  de  leur  déplacement.  Faut-il  les  énu- 


"'  Cf.  M.  A.    Strin,  Ai\c.   Khultni,   I.  '''  A.  GftmviEDEL,  Altbmldhisttsche Kult- 

fig.  i3  et  09-66;  II,  |)L  1  «t  xiii-xviii.  slatten   in    Cliinesisch  -  Tiidistan,    1912, 

XXII,  XL.  Cf.  nos  lig.  16  ot  1  7  et /lrt7(«'o-  lig.    890  i;    photogi'iipliie    P.    Pelliot, 

logical  Surveij  of  India.  Aniiiud   Report  dans    L'Art    décoratif,    n°    ii3,     août 

igio-ii,  pi.  XIII.  i9'f>,  p.  53. 


LA   ROUTE  DE  TERRE.  653 

nither  tous  à  nouveau  :  démons  grotesques  (fig.  52^),  Nàgas  et 
Garudas  (fig.  62 5),  Vajrapàni  et  Lokapàlas,  roupie  tutélaire 
(fig.  BaS-bSo),  dèva  du  Soleil  (fig.  53i),  type  de  l'ascète  braii- 


Fic.  ^Iii.  —  MiSQUE  DE  Gabliia  ( T'ien-kéoc) ,  Ac  Japox  (of.  p.  '10). 
Collection  R.  Petui  cci. 


manique  (fig.  532-535),  pour  finir  par  le  Buddlia  accompagné 
de  ses  moines  (fig.  536)?  Cette  gerbe  de  faitst'',  recueillie  au 
hasard,  prouve  suffisamment  l'importance  d  la  persistance  de 
l'influence  gréco-bouddhique  en  Sérinde  :  or,  c'est  tout  ce  qu'il 
nous  importe  de  retenir  ici. 


'"'  Cf.  t.  II,  p.  1  9,  3-j,  n.  1,  io,  Ga , 
100,  193,  i38,  160,  169,  i63,  9.5(). 
3 1 0 ,  33a ,  389 ,  etc.  —  Pour  des  détails 


de  parure,  de  costume  ou  de  coidure, 
voir  encore  p.  78 ,  n.  9 ,  g^  (cf.  fig.  ^io.-j) 
et  193  (cf.  tig.  598). 


654  INFLUENCE   PE  I/KHOLE   nU  GANDHIra. 

On  le  conçoit  aisément,  une  analyse  minutieuse  des  publications 
parues  et  des  collections  exposées  allongerait  hors  de  toute  propor- 
tion cette  étude.  Nous  avons  en  efl'et  alTaire  à  un  développement 
artistique  qui  s'est  prolongé  pendant  plus  de  mille  ans.  Parmi  les 
sanctuaires  du  Sud,  quelques-uns,  nous  dit  Sir  Aurel  Stein,  déjà 
llorissants  au  ]f  siècle  de  notre  ère  —  et  c'est  une  des  raisons  qui 
nous  ont  ci-dessus  empêché  de  faire  descendre  trop  bas  les  débuts 
de  l'école  gréco-bouddhique'''  —  ont  dCi,  comme  Niya  et  peut-être 
Rawak,  être  abandonnés  dès  la  fin  du  m"  siècle  devant  l'invasion 
des  sables;  d'autres,  comme  ceux  de  Dandan-Uiliq,  de  Domoko 
ou  d'Endère,  ne  l'ont  été  qu'au  vui'';  quelques-uns  enfin  et,  peut-on 
ajouter,  la  plupart  de  ceux  du  Nord  ont  continué  jusqu'à  l'arrivée 
des  musulmans  (xi""  siècle),  et  parfois  même  après,  à  être  entourés 
de  la  dévotion  populaire.  Ces  derniers  durent  par  suite  se  prêter 
soit  à  des  additions  nouvelles,  soit  à  des  réfections  ou  à  de  pré- 
tendus eud)ellissements  :  cette  manie  de  restauration  sévit  encore 
de  nos  jours  dans  les  grottes  de  Touen-houang.  Aussi,  pour  l'œil 
averti  de  M.  Grûnwedel,  la  décoration  sérindienne  se  répartit-elle 
entre  cinq  ou  six  styles  diflereuts,  gandhârien,  iudo-scythe,  vieux- 
turc,  ouïgour,  tibétain  :  et  ces  diverses  périodes  sont  d'autant  plus 
aisées  à  distinguer  que  le  contraste  entre  les  donateurs  et  les  artistes 
les  souligne.  Depuis  les  élégants  types  indiens,  en  passant  par  les 
K chevaliers T)  tokhariens,  armés  de  l'épée  et  de  la  dague,  jusqu'aux 
Ouïgours  empêtrés  dans  leurs  robes  aux  longues  manches;  depuis 
l'artiste  qui  signe  du  nom  romain  de  Titus (^^  les  fresques  de  Miran, 
en  passant  par  des  Sérindiens,  jusqu'au  peintre  chinois  qui  s'est 
représenté  lui-même,  le  pinceau  à  la  main,  sur  des  fresques  de 
Tourfan''',  il  ne  tient  qu'à  vous  d'en  faire  la  revue,  soit  au  British 
Muséum,  soit  au  Musée  d'Ethnographie  de  Berlin.  De  son  côté,  le 

<■'  Cf.  t.  II,  p.  '.39.  (^'  Cf.  A.  Grijnwedel,  AUhuddhkikche 

'''   M.    A.    Stein,    DescrI    Ctithay,    I,  KMllstiiltrn       in      Cliiiiesisch  -  Tiirkislan, 

|j.   igi-igS;   la   iecliire  est  de  M.  A.-  lig-.  336,  338;  ou  les  lielles  planches  du 

M.  BovER.  Chotstlio  de  A.  vo\  Le  Coq. 


LA    ROUTE  DE   TERRE. 


655 


Louvre  est  suffisamment  pourvu,  grâce  à  la  mission  de  M.  P.  Pelliot, 
de  têtes  de  mortier  ou  d'argile,  pour  qu'on  puisse  les  échelonner 
depuis  les  plus  «  aryennes  ■«,  comme  on  dit,  jusqu'aux  plus  mon- 
goles'''. C'est  tout  un  monde  nouveau,  toute  une  variété  de  types 


FiG.  hhh.  —  Mahàkàla  (Dai-kokod),  au  Japon  (cf.  p.  199,  670). 
Statuette  de  bois  de  la  collection  R.  Petbvcci. 


et  de  styles  que  les  iouilies  ont  ainsi  fait  surgir  de  terre.  Aux 
liabiles  et  heureux  explorateurs  revient  la  tâche  de  les  étudier 
dans  le  détail  et,  à  cette  occasion,  de  renouveler  de  fond  en  comble 
notre  connaissance  des  antiquités  de  l'Asie  centrale  :  nous  pouvons 


''  es.  1/  irl  (h'cur(tlif,  11'  l'io,  :iiiùl   1910,  |i.  i()  el  planche  hors  texte. 


056  INFLUENCE   DE  L'ÉCOLE  DU   GANDHARA. 

nous  en  fier  à  eux  de  ce  soin.  Pour  nous  qui,  ne  l'oublions  pas, 
n'avons  ici  d'autre  dessein  que  de  suivre  à  la  piste,  dans  l'espace 
et  dans  le  temps,  la  diffusion  de  l'art  ,oréco-bouddhique,  notre 
l'Ole  sera  terminé  quand  nous  aurons  montré  comment  se  ménage 
la  transition  entre  le  point  de  départ  et  celui  d'arrivée,  de  Kasiigar 
à  Touen-houang  —  entre  le  début  et  la  fin  de  la  période,  du 
u*  au  x^  siècle  de  notre  ère. 

L'abondance  et  la  diversité  des  trouvailles  ne  doivent  pas  en 
effet  nous  faire  perdre  de  vue  le  fait  qui  domine  le  jeu  complexe  et 
touffu  de  toutes  ces  influences  etbniques,  venues  des  quatre  coins 
cardinaux.  A  prendre  les  choses  d'un  peu  haut,  il  n'y  a,  comme 
nous  le  disions  en  commençant,  que  deux  grandes  civilisations  et 
deux  grandes  races  en  présence,  à  savoir,  pour  nous  servir  d'une 
expression  brutalement  nette,  la  blanche  et  la  jaune.  Aussi  bien 
tous  les  témoignages  sont-ils  d'accord  sur  le  partage,  dans  l'espace 
comme  dans  le  temps,  des  deux  grandes  influences.  Sur  la  route 
du  Midi,  en  dépit  de  la  désolation  du  pays  et  du  climat,  Sir  Aurel 
Stein  se  réconforte  en  retrouvant  jusqu'au  sud  du  Lob-nor  non 
seulement  le  style  classique,  mais  la  jeunesse,  la  beauté,  la  joie  de 
vivre  méditerranéennes'''.  Sur  la  route  du  Nord,  par  un  accord 
d'autant  plus  curieux  à  relever  qu'il  n'a  rien  de  prémédité, 
M.  A.  Griinwedel  se  réjouit  de  respirer  jusqu'à  Koutcha  quelque 
chose  de  l'atmosphère  antique;  au  contraire  il  déplore  le  caractère 
sinistre,  funèbre,  démoniaque  des  œuvres  de  Mourtouq  et  de 
Tourfan,  en  même  temps  qu'il  y  signale  l'apparition  rr  d'éléments 
distinctement  chinois'^N.  Les  voyageurs  qui  arrivent  de  l'Est 
éprouvent  des  impressions  analogues,  mais  inverses.  Les  Annales 
des  Wei  du  Nord  regrettent  de  constater  qu'ffà  l'ouest  de  Tourfan, 
les  gens  ont  des  nez  proéminents  et  des  yeux  profondément  enfon- 
cés n,  ce  qui  est  évidemment  moins  conforme  à  l'esthétique  chinoise 
qu'indo-européenne (''.  En  revanche  Song  Yun  a  la  satisfaction  de 

''*   M.  A.  Stein,   Désert  Cathay,  p.  k%h    et   passiin.  —  <^'  Zeitscli.  fiir  Ethnologie, 
1909,  Heft  VI,  p.  giS-yiG  et  896.  —  '-^^   M.    A.  Stein,  Ancieiil  klwlan,  p.  liy. 


LA  ROUTE  DE  TEliRE.  f)57 

trouver  encore  à  Tso-mo,  entre  Cherchen  el  Khofan,  r  un  Buddha 
et  un  Bodhisattva  qui  n'ont  point  des  figures  de  barbares '')ii  :  en- 
tendez que  leur  type  tire  déjà  sur  l'idéal  mongol,  l.a  frontière 
arlisliijue,  coïncidant  (ou  peu  s'en  faut)  avec  la  frontière  etbiiique, 
est,  on  le  voit,  assez  flottante  :  elle  n'en  existe  pas  moins  et  coupe  la 
vSérinde  à  peu  près  par  la  moitié.  La  démarcation  des  périodes, 
également  indécise  en  son  milieu,  n'est  pas  moins  tranchée  aux 
extrémités.  Si  longtemps  qu'ait  persisté  l'influence  gréco-boud- 
dhique (au  moins  jusqu'au  vin'=  siècle),  c'est  aux  n*"  et  uf  siècles 
de  notre  ère  que  les  explorateurs  sont  d'accord  pour  rapporter 
l'époque  de  sa  plus  grande  floraison  autour  de  khotan  et  de  kout- 
cha.  Sans  doute  l'école  locale  était  dès  lors  contaminée  d'éléments 
gréco-romains  ou  gréco-iraniens,  comme  plus  tard  sassanides  ou 
byzantins;  mais  elle  n'en  était  pas  moins  un  rejeton  de  l'art  gan- 
dhârien,  à  telles  enseignes  qu'on  y  a  retrouvé  de  petits  modèles  en 
schiste  bleu  évidemment  importés  de  leur  pays  d'origine ('-'.  D'autre 
part  Song  Yun  attribue  à  Lu-kouang,  c'est-à-dii'e  à  la  fin  du 
IV*  siècle  au  plus  tard,  l'érection  des  statues  déjà  chinoises  dont 
il  vient  d'être  question;  mais  c'est  surtout  parmi  les  peintures  sur 
soie  de  Touen-houang,  au  viu''  et  au  ix"  siècle,  que  nous  nous  trou- 
vons nettement  en  présence  d'images  bouddhiques  complètement 
interprétées  à  la  chinoise (^l  En  résumé,  l'histoire  de  l'art  boud- 
dhique dans  l'Asie  centrale  se  divise  en  deux  grandes  périodes, 
comme  son  aire  de  dill'usion  en  deux  grandes  zones,  oi^i  dominent 
d'un  côté  la  culture  indo-européenne,  de  l'autre  >ino-mongole. 
Entré  indo-grec  par  Kashgar  au  ii"  siècle  de  notre  ère,  quand  il 
ressort  trois  siècles  plus  tard  par  Toueng-houang  pour  pénétrer 
en  Chine,  il  n'est  déjà  plus  (pie  sérindien.  Petit  à  petit,  sous  l'in- 
fluence du  milieu,  le  style  gréco-bouddhique  s'est  mué,  le  long  de 

'"'  Song  Vdn,   traduction  d'Ed.  Ciia-  '*'    M.    A.     Stein,     Ancieiu     Mwinn, 

VANNES,  dans  le  Biillcliii  de  l'Ecole  f mu-  pi.  XF^VIU. 

çaxse    d'Ea-tii'me  -  Orienl,     111,      ir)o3,  *'    M.    A.    Stein,    Désert    Cuthmj ,   11, 

|).  Bgi.  [)1.  VI :  cf.  fij]'.  i()i),  |il.  VII,  etc. 
CANDUÀHA.  -  II.  I^•^ 


iir.    :<ATruNALr. 


658  INFLUENCE  DE   L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

l'intenninable  chemin,  en  un  style  qui  ne  peut  plus  être  qualifié 
que  de  sino-bouddliique. 

La  Chi>e.  —  Comme  le  pays  qui  lui  a  donné  naissance,  l'art 
bouddhique  de  la  Sérinde  est  donc  à  deux  visa<jes  ou  plutôt  à  deux 
masques  :  car  aucun  de  ces  deux  aspects  ne  leur  appartient  en 
propre.  Simple  lieu  de  passage  et  terre  de  transition  par  excellence, 
l'Asie  centrale  reflète  tour  à  tour,  plus  ou  moins  fortement,  les 
deux  grandes  civilisations  entre  lesquelles  elle  se  trouve  insérée. 
11  en  résulte  aussitôt  que  son  partage  entre  les  deux  influences  que 
nous  avons  vues  à  l'œuvre  nous  atteste  aussi  bien  fexistence  d'un 
art  chinois  à  l'Est,  que  d'un  art  indo-grec  à  l'Ouest.  Tel  est  du 
moins  à  nos  yeux  le  plus  clair  résultat  de  notre  étude.  Lors  même 
que  nous  ne  soupçonnerions  pas  autrement  que  la  Chine  possédât 
déjà  une  école  nationale,  il  nous  faudrait  l'admettre  par  hypotiièse. 
Mais  ce   vieil   art  chinois  n'est  heureusement  pas  pour  nous  un 
simple  postulat.  Si  peu  qu'ait  été  l'ouillé  le  sol  du  Céleste  Empire, 
les  sépultures  du  Chan-toung,  du  Ho-nan,  du  Sseu-tch'ouan ,  nous 
ont  rendu  des  rc  sculptures  sur  pierre  n,  que  l'on  connaît  par  la 
belle  publication  de  Éd.  Chavannes''),  et  qui  datent  de  l'époque 
des  Han  (u'"-ni'=  siècles  ap.  J.-C).  Leur  décor,  moins  sculpté  que 
gravé'^',  paraît  au  premier  abord  dénoter  une  technique  tout  à  fait 
primitive;  mais ,  après  plus  ample  examen,  on  en  est  venu  à  penser 
qu'il  se  ressent  plutôt  d'une  exécution  ([uasi  fr  industrialisée  n  de 
motifs  consacrés.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  ces  scènes,  destinées 
à  être  enfermées,  la  face  sculptée  en  dedans,  dans  l'ombre  de  la 
chambre  funéraire,   sans  autre  spectateur  que  le  mort,  étaient 
abandonnées  à  de  médiocres  artisans,  sortes  d'entrepreneurs  de 
monuments  funèbres.  Mais  à  travers  leur  travail  grossier  et  som- 

'■'  Éd.   Chavannes,  La    sciitjnui-e    sur  la  Revue  de  l'Université  de  Bruxelles,  a.\vil- 

pieiTe  en  Chine  au  temps  des  deux  di/naslies  mai  1910. 

Han  (1893);  rétiide  a  élé  reprise  dans  le  '"'  Nous  reviendrons  plus  bas,  p.  772- 

premiur  volume   de   la   Missimi  dans  lu  778,  sur  cette  questiondeleclmique,  dont 

Chine  scpleiiirionule.  CF.  R.  I'etricci,  dans  on  devine  Timporlance. 


\.\   ROUTE  DE  TERRE.  059 

maire  on  croit  voir  transparaître  de  grandes  compositions,  d'un 
mérite  artistique  infiniment  supérieur,  dont  ces  ouvriers  ne  nous 
ont  laissé  que  la  transcription  mécanique  et  stéréotypée.  Dans  les 


^&V\k 


\L 


l'"iG.  Ôi5.  —  Hiniii  (Ki-si-ho-djin),  au  Japon  (cf.  p.  i3g,  070). 

Statuellc  de  bois  de  la  collecliim  U.  Cfaty.  Hauteur:  o  m.  30. 

Cf.  .\.  Getty,   Tlie  Goda  of  Nnrtbent   Bn^hlltistn ,  pi.   \\\II  n. 


allures  des  personnages,  leur  mode  de  groupement,  le  dessin  de 
leur  silhouette,  le  choix  de  leurs  attitudes,  on  a  même  voulu 
relever  plus  d'une  analogie  avec  le  fameux  rouleau  attiihué  à  Kou 
Kai-tcheC^  et  aujourd'hui   conservé  au    British    Muséum,    le(|uel 

"''    \()ii'  Ei\.   ('.IIAVAN>KS,   T'duiiir  l'dn .  iiese  l'aiiiinig  uj  llic  jouiili  ceiiUinj  (  liuv- 

niai-s  Kjtxj,  p.  yti-Sy;  L.  l!i\vo\,  .1  ('.lu-         imjrton  Mcgaiinc ,  jans .  l'jo'i). 


660  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÀRA. 

témoigne  d'un  art  déjà  consommé.  D'antre  part,  outre  les  dalles 
intérieures  des  sépulcres,  on  a  retrouvé  des  sculptures,  piliers  ou 
lions,  qui,  destinées  à  la  lumière  du  jour,  sont  des  œuvres  très 
supérieures  d'artistes  dont  les  noms  sont  connus  par  des  inscrip- 
tions(').  On  est  ainsi  Forcément  conduit  à  admettre,  d'accord  avec 
les  affirmations  des  Annales,  et  sans  parler  des  bronzes  archaïques, 
l'existence  en  Chine,  dès  les  premiers  siècles  de  notre  ère,  d'un 
ai't  déjà  ancien  et  ]deiiiement  développé. 

Tel  est  le  tronc  extrême-oriental  sur  lequel  est  veiuie  se  greller 
l'influence  gréco-bouddhique.  Mais  il  ne  suffit  pas  de  savoir  qu'en 
Chine  celle-ci  n'a  pas  trouvé  table  rase  devant  elle  :  il  est  égale- 
ment très  important,  comme  le  prouvent  les  précédentes  pages, 
de  fixer  à  quel  moment  de  son  évolution  elle  s'y  est  définitive- 
ment installée.  Etait-elle  à  son  arrivée  encore  voisine  de  ses 
sources  occidentales  et  classiques,  ou  déjà  transformée  au  cours 
de  la  distance  et  du  temps?  La  réponse  à  cette  question  dépendra 
avant  tout  de  la  date  à  laquelle  nous  devrons  rapporter  les  pre- 
mières adaptations  faites  sur  place  des  modèles  gandhâriens. 
Impossible,  par  suite,  de  nous  contenter  des  traditions  plus  ou 
moins  légendaires  qui  font  remonter  à  Tan  67  après,  voire  même 
à  l'an  2  avant  notre  ère,  la  première  introduction  de  livres, 
d'images  et  de  çromami  bouddhiques^-).  Ce  qu'il  nous  faut,  pour 
fonder  nos  conclusions  sur  une  base  solide ,  ce  sont  des  monuments 
importants  et  datés.  Or.  les  premiers  que  nous  rencontrions 
—  nous  en  devons  encore  la  publication  à  Ed.  Chavannes'^)  — 
appartiennent  seulement  au  v°  siècle.  Qu'on  ne  s'étonne  pas 
trop  s'd  a  fallu  tant  d'années  pour  transporter  de  proche  en  proche, 
sur  les  interminables  routes  de  l'Asie  centrale,  un  matériel  déco- 
ratii  aussi    considérable  cl,  pour  le  pays,  aussi  nouveau.  D'autre 

'"   Cf.  Bdshell,  Chinese  Arl .  I,  p.  59.  lions  ilirecles  oiiverles  par  Tc'liang--k'ifin 

Voir  Kokha,  2^5,  227,  233.  avec  l'Occident  dès  le  ii'  siècle  av.  J.-C. 

'-'  Nous  reviendrons  plus   has,    dans  ''•  Mission   dans  lu  Chine    seplenlno- 

nos  Conclusions  (p.  856),  sur  les  rela-  nalc,  l.  1,  fasc.  a  et  planches. 


LA   ROUTE  DE  TERRE. 


r.r.i 


part  la  vieille  Chine  semble  avoir  longtemps  et  énergiquement 
résisté  à  l'invasion  des  idées  et  des  images  nouvelles.  On  dirait  en 
vérité  qu'elle  a  fait  faire  antichambre  au  Buddtia.  Celui-ci  n'aurait 
même  pénétré  dans  l'antique  forteresse  confucéenne  qu'à  la  faveur 


l'iG.  ô'iG.  —  HÀiuTÎ  (Ki-si-Mo-DjiN).  M  Japi.n  (cI.  p.  i3(j,  070,  7157). 

Slatuetle  de  bois,  de  la  collection  II.  (iETrr.  Ilnutear:  0  m.  s3. 

Cf.  A.  Gettt,  TIic  Cmh  r,f  yorihern  IhMhhm .  pi.  XXXII  b. 


d'une  révolution  politique,  grâce  aux  armes  des  barbares  sectateurs 
qu'il  avait  racolés  dans  l'Asie  centrale.  C'est  sous  la  dynastie  tan- 
goute  des  Ts'in  antérieurs  qu'un  moine  cbinois  dédie,  en  366,  la 
première  des  cr  mille  grottes n,  et  sans  doute  aussi  le  premier  îles 
rt  mille  Buddliasii  de  Touen-houanp-.  C'est  la  dvnastie  tongouse  des 


662  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU  GANDHÂRA. 

Wei  du  Nord  qui,  au  v"^  siècle,  creuse  et  décore  les  sanctuaires 
rnpesLres  de  Yun-kang,  près  de  Ta-tong-fou,  et  au  vi*",  ceux  du 
Long-men,  oii  les  T'ang  ne  font  que  continuer  leur  œuvre.  En 
somme  les  bas-reliefs  et  statues  de  Yun-kang,  exécutés  entre  /i5o 
et  5oo,  restent  les  plus  anciens  monuments  actuellement  connus 
de  l'art  bouddhique  en  Chine,  et  il  est  douteux  qu'on  en  découvre 
jamais  qui  soient  antérieurs  au  iv"  siècle. 

Une  date  relativement  aussi  basse  apporte  avec  soi  ses  indica- 
tions. Elle  laisse  tout  loisir,  d'une  part,  à  l'école  indigène,  pour 
évoluer  et  même,  dès  le  v^  siècle,  se  codifier  à  sa  guise;  de  l'autre, 
à  l'école  étrangère,  pour  se  modifier  profondément  au  contact 
d'un  milieu  nouveau.  Quand  l'art  gréco-bouddhique  parvient  enfin 
au  Chan-toung  et  au  Ho-iian,  il  venait  de  se  transformer  de  la 
façon  que  nous  avons  vue  en  Sérinde.  Aussi  quiconque  feuillette 
le  précieux  album  de  Ed.  Chavannes,  est-il  plutôt  surpris  de  trou- 
ver des  preuves  encore  si  visibles  et  si  abondantes  de  son  influence. 
Assurément,  les  scènes  de  la  jeunesse  du  Buddha  (tir  à  l'arc,  vie 
de  plaisirs  dans  le  gynécée,  sommeil  des  femmes,  départ  de  la 
maison,  etc.)  ont  déjà  subi  le  travestissement  auquel  on  pouvait 
s'attendre  :  types,  costumes,  architectures,  accessoires,  tout  est 
devenu  cbinoisC).  Mais  il  est  remarquable  de  retrouver,  exactement 
observé,  l'ordre  traditionnel  des  scènes  et,  dans  chacune  d'elles, 
le  concept  original  de  la  composition.  Les  épisodes  du  cycle  de  la 
Bodhi  et  de  la  carrière  du  Maître  sont  d'ailleurs  restés  beaucoup 
plus  proches  des  modèles  gandhàriens,  en  raison  du  costume 
stéréotypé  du  héros  principal  et  de  ses  moines.  Non  moins  évidente 
est  l'allure  indianisante  des  Bodhisattvas,  de  leurs  proportions, 
de  leurs  draperies,  de  leurs  attitudes.  Certaines  de  ces  der- 
nières sont  caractéristiques;  à  côté  de  la  façon  indienne  de  s'asseoir 
nous  rencontrons  par  exemple,  comme  sur  nos  figures  76,  79, 
io8-/no,  658,  etc.,  les  variantes  à  l'européenne  des  deux  pieds 

'''   Mission,  n"  20/1,  elo. 


LA  ROUTE   DE  TERRE.  CG?, 

croisés  on  de  la  jambe  repliée  sur  l'antre  genou  (fig.  5Ao).  Enfin 
beanconp  de  soi-disant  nouveautés  ne  sont  qu'un  groupement 
inédit  d'éléments  empruntés.  Tel  est  par  exemple  le  cas  de  ce 
tète-à-lète  de  Buddhas,  incoiniu  dans  l'art  mais  familier  aux  textes 
de  l'Inde,  et  dont  nous  avons  déjà  expliqué  l'origine'''.  De  même 
le  groupe  consacré  du  Long-men  n'est  l'ait  après  tout  que  d'un 
Buddha  encadré  de  moines*'-',  de  Bodhisattvas  et  de  Lokapàlas 
(fig.  5/ii;  cf.  fig.  5/19)  :  seulement  ces  derniers  ont  pris  un  air 
particulièrement  belliqueux  au  cours  de  leur  traversée  de  la 
SérindeP.  Sans  doute  çà  et  là  des  détails  exceptionnels  arrêtent  le 
regard.  Il  en  est  de  purement  grecs,  comme  le  pétaset*'  dont  est 
coilTé  un  des  gardiens  île  la  porte  dans  l'une  des  grottes  de  Yun- 
kang  (fig.  5 3 7).  Il  en  est  de  purement  hindous,  comme  les  devn  à 
têtes  et  bras  multiples  qui  veulent,  dans  la  même  grotte'^',  représen- 
ter Çiva  et  Visnu,  et  qui  d'ailleurs  n'auraient  jamais  réussi  à  se 
faire  reconnaître  de  nous  sans  le  taureau  de  l'un  et  l'aigle  de 
l'autre.  Enfin  il  en  est  de  purement  chinois,  comme  ces  suites  de 
donateurs  qui  défilent  d'un  si  beau  mouvement  dans  leurs  attitudes 
recueillies.  Mais  le  fond  même  de  la  décoration  de  tous  ces  sanc- 
tuaires est  bien  encore  et  toujours  une  simple  adaptation  chinoise, 
greffée  sur  une  adaptation  sérindienne,  de  l'art  gréco-bouddhique 
du  Gandhâra. 

Nous  n'avons  pas  à  suivre  ici  les  destinées  de  ce  stock  considé- 
rable d'importation  étrangère  dans  l'évolution  ultérieure  de  l'art 
chinois.  Rappelons  seulement  que  ce  croisement  artistique  a  par- 
faitement réussi  :  son  innombrable  postérité  de  bronze,  de  jade, 
de  buis,  de  porcelaine,  de  laque,  etc.,  en  est  la  preuve.  Poussahs 
rieurs  et  ventripotents  ou  génies  guerriers  qui  ne  sont  que  l'inter- 
prétation chinoise  du  double  type  indien  du  Yahm;  rrlohansn  aux 
traits  accusés  ou  suaves  figures  asexuées  de  Bodhisattvas,  de  tout 

'■'  Cf.  t.  II,  p.  378-380  et  (Iff.  5Gi.  '    Und.,  p.  160-1 6a. 

'''  Sur  le  type  de  ces  moines,  cf.  ci-  '    IhkL,  p.  16g. 

dessus,  t.  II,  p.  277-278.  '■''  Yiin-kaiig,  jji-otlp  n"  IV. 


66'i  INFLUENCE   DE   L'ECOLE  DU  GANDHARA. 

ce  petit  peuple  vulgaire  ou  i-atfiné,  comique  ou  pensif,  mais  à  coup 
sur  extrêmement  varié,  qui  a  envahi  les  autels  l'amiliaux  comme 
les  pagodes,  nous  avons  déjà  signalé  les  lointaines  origines.  Notre 
intention  n'est  pas  d'y  revenir  dans  le  détail;  mais  sur  l'ensemble 
une  remarque  générale  s'impose.  On  n'aura  pu  manquer  de  noter 
à  chaque  fois,  d'une  part  la  clarté  de  la  ressemblance  iconogra- 
phique, de  l'autre  l'obscurité  du  rapport  mythologique  entre  les 
figures  indiennes  et  chinoises.  Quel  est  au  fond  le  lien  entre  la 
représentation  du  vautour  GarudaW  et  la  conception  du  tt  Chien 
céleste n?  Qu'y  a-t-il  de  commun  entre  le  ventre  ou  la  besace  de 
Pou-tai(-)  et  la  sublime  compassion  de  Maitrêya?  La  Kouan-yin  à 
l'enfant  (fig.  SSS-BSg),  en  laquelle  s'est  transmuée  Hâriti'^',  n'est- 
elle  que  le  prête-nom  de  quelque  déesse-mère  indigène?  C'est  aux 
sinologues  qu'il  appartient  de  débrouiller  ces  épineuses  questions. 
Leur  ditlîculté  même  n'est  pour  nous  qu'une  preuve  de  plus  à 
porter  au  bilan  de  l'influence  étrangère.  On  devine  en  effet  ce  qui 
est  advenu.  Le  caractère  vague  et  flottant  des  croyances  populaires 
et  surtout  le  fait  que  le  pinceau  ou  le  ciseau  d'aucun  artiste  chinois 
ne  s'était  encore  avisé  de  les  fixer,  ont  seuls  permis,  sinon  déter- 
miné l'adoptioo  des  idoles  indiennes.  De  celles-ci  on  s'est  contenté, 
faute  de  mieux;  et  le  résultat  de  cet  expédient  est  qu'on  a  revêtu 
de  figures,  dont  la  ressemblance  crève  les  yeux,  des  conceptions 
qui  à  l'examen  se  découvrent  fort  dissemblables.  Mais,  réciproque- 
ment, ce  désaccord  du  fond  sous  l'analogie  de  la  forme  achève  de 
dénoncer  l'emprunt. 

Il  suffit  présentement  de  rappeler  ici  tous  ces  faits,  dont  nous 
réservons  pour  nos  conclusions  le  commentaire  historique.  Si  nous 
avions  conservé  les  premières  œuvres  bouddhiques  de  la  peinture 
chinoise,  attribuées  à  ce  même  Kou  Kal-tche  et  à  son  maître  VVei 
Hsieh,  nous  pourrions  sans  doute  entrer  dans  des  considérations 
moins  superficielles.  11  est  des  emprunts  plus  subtils,  des  rapports 

'    Cf.  t.  II.  p.  35-io.  —  "    lU..  |i.  128.  —  !'    Ihld,  1).  lio. 


LA    ROUTE  DE  TERRE.  665 

plus  intimes  que  ceux  de  pure  forme.  Nous  sommes  prêt  à  recon- 
naître que,  dès  le  iv"^  siècle,  les  peintres  chinois  n'avaient  plus  rien 
à  apprendre  en  ce  qui  concerne  la  vigueur  du  dessin,    le  rythme 


Fiii.  ô'j-.  —  Vaiijiamam  (Bi-fhm(ini,  Ai^  Jai'on  i_cf.  p.   la'i,  ()7o). 
Statt/i'llr  PII  hois  jii'iitl  (lu  Mimt'f  (îuitiict. 

des  hgnes,  le  don  du  mouvement  :  ne  craignez-vous  pas  qu'il  leui- 
manquât  encore  le  sentiment  de  la  sérénité  et  du  rêve  mystif[ue, 
c'est-à-dire  justement  ce  que  leur  apportait  l'art  houddhique,  em- 
preint d'avance  dans  le  paisible  sourire  et  le  regard  intérieur  di- 
ses Buddhas?   Nous  convenons,  comme  i!  est  juste,  que  les  deux 


666  INFLUENCE  DE  L'ECOLE  DU   GANDHARA. 

autres  des  et  trois  religions  n  ont  fourni  leur  appoint;  que  le  confu- 
cianisme a  ouvert,  grâce  à  sa  morale  en  action,  une  mine  inépui- 
sable de  tableaux  d'histoire;  tandis  que  le  taoïsme,  avec  son  mer- 
veilleux pantliéon  et  son  sens  aigu  de  la  nature  et  de  ses  mystères, 
devait  donner  naissance  à  des  personnages  et  à  des  paysages 
étrangement  vivants.  Où  cependant  les  Chinois,  si  bien  doués  au 
point  de  vue  intellectuel,  mais  qu'on  s'accorde  d'autre  part  à  nous 
représenter  comme  positifs  et  réalistes,  auraient-ils  puisé  l'inspira- 
tion de  ces  figures  idéales  et  presque  immatérielles  qui  —  tout 
indianiste  de  bonne  foi  doit  à  son  tour  le  reconnaître  —  sont 
une  des  plus  hautes  réalisations  artistiques  du  divin  et  le  point 
culminant  de  l'art  bouddiiique  ?  A  moins  d'être  plus  royaliste 
que  le  roi,  on  ne  peut  qu'accepter  la  réponse  des  Chinois  eux- 
mêmes  :  car  ils  ne  songent  nullement  à  dissimuler  que  ces  tran- 
scendantes créations,  nulle  part  réalisées  avec  plus  de  maîtrise, 
portent  toutes  des  noms  indiens  et  ont  été  enfantées  par  la  spé- 
culation indienne. 

Le  Japon.  —  Ce  qui  nous  confirmerait  dans  cette  idée,  c'est  que 
ce  sont  avant  tout  ces  sortes  de  créations  et  ce  genre  de  qualités 
que  l'art  bouddhique  allait  importer  avec  lui  jusqu'aux  îles  pro- 
chaines'''  :  car,  la  Chine  une  fois  conquise,  rien  ne  devait  plus  l'ar- 
rêter que  l'Océan  —  si  même  celui-ci  l'arrêta  et  qu'il  ne  faille  pas 
quelque  jour  reconnaître  les  plus  lointains  et  défigurés  de  ses 
rejetons  dans  les  monuments  de  l'Amérique  centrale.  On  nous  le 
montre  pénétrant  en  Corée  dès  872 ,  au  Japon  en  552.  Mais,  dans 
ce  dernier  pays,  la  situation  n'était  pas  du  tout  la  même  qu'en 
Chine,  deux  siècles  auparavant.  De  quelque  talent  qvi'elles  aient 
fait  preuve  depuis,  les  îles  du  Soleil  Levant  ne  possédaient  pas 

'''  Cf.,  outre  l'ouvrage  de  Fenollosa,  Einigcs    ûhcr    die    Rildnerei    der   Narii- 

Cl.-E.  Maitee,  L'art  du  Yamatn  (Revue  période,    ilans    Ostasint.    Zeitsehrift,    I, 

de     l'art    ancien    et    moderne,     1901):  11°' 3  et  4;II,n°  1  (igia-iS);  la  revue 

G.  MiGEON,  Au  Japon  (1908);  W.  Cohn,  d'art  sino-japonais  k'okku,  etc. 


LA   ROUTE  T)K    TERRE.  667 

encore  un  art  vraiment  digne  de  ce  nom.  C'est  sous  l'influence 
de  l'école  gréco-boiiddiiique  qu'elles  auraient  enfin  abordé  la 
représentation  de  la  figure  liumaine  :  et,  en  effet,  les  images,  qui 


[•'iG.  ô'iS.  —  Maitrèïa  (Mi-KO-Kon),  AU  Japom  (rf.  |).  i'Hj,  bfig). 
Statiiplli'  en  cuivre,  de  l'épiiqw  Siiih!. 


vont  aller  se  multij)lianl,  ne  sont  guère  à  l'origine  que  de  Biiddlias 
et  de  moines,  de  Bodhisattvas  et  de  deva.  Ainsi  l'imagerie  gan- 
dhc\rienne  ne  se  heurtait  ici  à  aucune  école  indigène,  capable  do 
lui  opposer  ses  sujets,  ses  procédés  et  son  gciU.  Mais  d'autre  part, 
il  faut  sans  doute  laisser   s'écouler  un  assez   long   intervalle   di- 


668  INFLUENCE  DE   L'ÉCOLE  DU  CANDHÂRA. 

temps  entre  l'introduction  des  doctrines,  voire  des  idoles  boiid- 
diiiques,  et  la  constitution  d'ateliers  locaux.  On  ne  fait  elVecti- 
vement  remonter  qu'au  vu'"  siècle  la  fondation  des  premiers  cou- 
vents et  l'exécution  des  ])remières  peintures  ou  statues  :  encore 
celles-ci  seraient-elles  dues  à  des  artistes  coréens  immigrés.  Cette 
date  tranche  à  l'avance  pour  nous  la  question  qui  nous  occupe. 
A  pareille  distance  de  l'époque  comme  du  lieu  de  ses  débuts,  on 
se  doute  combien  affaiblie  avait  pu  parvenir  l'influence  classique 
que  nous  poursuivons.  C'est  en  vain  que,  flattant  l'inévitable  pen- 
chant de  tout  indianiste,  ie  zèle  pieux  des  archéologues  japonais 
a  parfois  prétendu  rattacher  directement  leur  école  nationale  à 
ses  sources  indiennes.  Persuadés  avec  raison  qu'ici  comme  en 
Chine  les  œuvres  les  plus  anciennes  ont  aussi  le  plus  de  chance 
de  conserver  la  marque  originelle,  ils  ont  remonté  à  travers  les 
écoles  de  Kamakura  (xni^-xiv^  siècles),  de  Kyoto  et  de  Nara,  droit 
à  ce  fameux  monastère  de  Horyuji  qui,  le  premier  de  tous, 
aurait  été  fondé  en  607  de  notre  ère.  Mais  là  même  il  faut 
bien  se  rendre  à  l'évidence  :  quand,  à  travers  un  intervalle  de 
six  siècles  et  l'épaisseur  d'un  continent,  l'art  du  Gandhâra  a 
pénétré  jusque  dans  les  îles  du  Pacifique,  il  y  est  arrivé  plus 
chinois  que  grec. 

Assurément  ce  n'est  pas  qu'on  ne  puisse  retrouver  çà  et  là  des 
traces  appréciables,  parfois  même  frappantes,  de  l'influence  clas- 
sique. Sans  parler  de  la  figure  5c)o,  sur  laquelle  nous  aurons  à 
revenir  ci-dessous,  qu'on  compare  seulement  à  nos  stèles  gandhà- 
riennes  (fig.  [lob-ko'j)  la  garniture  d'autel  reproduite  sur  la 
figure  566  :  0!i  voit  aussitôt  pourquoi  le  Buddha  et  son  cortège 
portent  ainsi  jusqu'au  Japon,  dans  le  canon  de  leurs  proportions 
et  de  leurs  draperies,  la  marque  indélébile  de  l'art  grec.  Il  n'en 
est  pas  moins  vrai  que  pour  trouver  les  modèles  immédiats  des 
plus  vieilles  images  nippones,  nous  n'avons  pas  à  aller  plus  loin 
que  la  Chine.  Un  exemple  caractéristique  fera  comprendre  notre 
pensée.  C'est  bien  du  Gandhâra  (cf.  fig.  /i  1  o  ou  ZiaS)  que  vient 


LA   ROUTE  DE  TERRE.  669 

le  Mi-ro-kou  (Maitrêya)  de  la  figure  568.  Vous  le  reconnaissez 
à  sa  pose  caractéristique  comme  à  la  rondeur  de  son  visage,  aux 
chutes  de  ses  vêtements  comme  à  sa  pensive  mélancolie.  Mais 
vous  n'ignorez  plus  qu'il  a  fait  escale  en  Sérinde,  puis  à  Yun-kang 
(fig.  5/|o)  et  à  Long-men.   C'est  là  qu'il  a  pris,  avec  sa  haute 


FiG.  549.  —  A'atçratana,  ad  Tibet  (cf.  p.  127,  671). 
British  Museuiit.  Provenant  de  Lhassa.  Hauteur:  o  m.  3ù. 

tiare,  l'abondance  des  étoffes  qui  recouvrent  son  siège.  Enfin  nous 
pourrons  mettre  au  compte  de  l'inexpérience  japonaise  ce  qu'il  peut 
avoir  de  trop  anguleux  dans  son  allure  de  primitif  Et  maintenant, 
après  cette  sommaire  analyse,  concluez.  Ce  n'est  pas  nous  qui 
contesterons,  devant  ce  morceau,  la  remarquable  survivance  du 
motif  gaiidliârien  :  mais  qui  ne  voit  que  ce  serait  un  abus  de 
langage   de  parler    d'une  œuvre   restée  gandhârienne?   Ce   n'est 


670  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU   GANDHARA. 

pins  que  rinterprétation  japonaise  d'un  modèle  chinois,  lui-même 
traduit  d'une  adaptation  sérindienne  d'un  prototype  indo-grec. 

Rien  ne  serait  plus  facile  que  de  recommencer  cette  expérience  : 
il  suftirait  de  confronter  avec  les  albums  de  Ed.  Chavannes  les 
planches  des  Selected  Relies  ou  du  Kolcka.  Aussi  bien  les  archéo- 
logues japonais  sont-ils  trop  experts  pour  ne  pas  le  reconnaître 
eux-mêmes (').  Tout  leur  art  bouddhique  des  périodes  Suiko  et 
Tempyo  sort  immédiatement,  pour  les  sculptures,  des  grottes 
de  Yung-kang  et  du  Long-men,  pour  les  peintures,  de  celles  de 
Touen-houang  :  ou  du  moins  ce  sont  là  les  meilleurs  points  de 
comparaison  dont  nous  disposions  à  l'heure  actuelle.  En  d'autres 
termes,  c'est  à  travers  l'art  chinois  des  Wei  et  des  T'ang  que  le 
panthéon  bouddhique  de  l'Inde  est  venu,  par  l'intermédiaire  de 
la  Corée,  prendre  ses  quartiers  au  Japon.  Gela  est  vrai  pour  les 
Bodhisattvas  autour  desquels  continuent  à  voltiger  ces  ondoyantes 
écharpes  que  les  artistes  nippons  ont  essayé  de  réaliser  jusque  dans 
le  bronze  et  le  bois;  pour  les  figures  de  saints  arhats  qui  ont  engendré 
sur  place  une  si  étonnante  lignée  de  portraits  de  bonzes;  pour  les 
gardiens  des  temples  ou  du  monde,  avec  leur  armure  guerrière 
(fig.  5/17)  ou  leur  musculature  outrée;  pour  les  petites  divinités 
populaires  de  la  richesse  (fig.  5ii)  ou  des  enfants  (fig.  5^5-566), 
etc.  A  tous  ces  modèles,  déjà  transformés  par  le  génie  chinois,  le 
.lapon  a  appliqué  sa  verve  fantaisiste  ou  sa  veine  mystique,  tantôt 
s'amusant  à  des  pochades  caricaturales,  tantôt  se  haussant  aux 
régions  surhumaines  de  l'idéal.  Qui  oserait  soutenir  qu'il  soit 
regrettable  que  d'indo-grecques  ces  figures  soient  devenues  sino- 
japonaises,  et  qu'une  reproduction  stéréotypée  eût  mieux  valu 
que  ces  originales  transformations? 

Le  Tibet.  —  C'est  donc  sans  regrets  superflus  —  et  qui,  dans 
l'espèce,  seraient  déplacés  —  que  nous  suivons  le  déclin  croissant 

'''   Voir  M.  Chùti  Itô,  dans  Kokhti,  (ii't.-iiov.  igoG. 


LA  ROUTE  DE  TERRE.  671 

de  rintluence  classique  à  mesure  que  nous  avançons  vers  l'Exlrêine- 
Orient.  Cependant  nous  avons  déjà  atteint  les  bornes  de  l'ancien 
inonde  et  l'endroit  où  la  route  de  terre  rejoint  celle  de  mer.  Le 
cycle  est  fermé,  et  nous  devrions  clore  ici  notre  tour  d'Asie,  s'il 
ne  convenait  au  moins  de  mentionner  une  branche  de  l'art  boud- 
dhique trop  importante  pour  que  nous  la  passions  complètement 
sous  silence,  à  savoir  l'art  lamaique.  Volontiers  nous  caractéri- 
serions d'un  mot  la  situation  qu'il  occupe  à  notre  point  de  vue  : 
quand  on  considère  que  l'influence  gréco-bouddhique  a  contourné 
le  Tibet  au  Nord  comme  au  Sud,  par  l'Inde  comme  par  la  Sérinde, 
on  est  tenté  de  le  définir,  si  mal  que  cette  métaphore  s'applique 
à  un  plateau  de  cette  altitude,  comme  un  point  de  remous  entre 
deux  courants  ;  et,  en  effet,  son  panthéon  est  le  lieu  de  ren- 
contre d'images  dérivées  aussi  bien  du  bassin  du  Gange  que  de 
la  Haute-Asie.  Il  arrive  même  parfois  qu'en  se  retrouvant  face  à 
face,  des  personnages,  au  fond  identiques,  ne  se  reconnaissent 
plus  dans  la  forme  :  tel  est,  par  exemple,  le  cas  du  Vaiçravana 
à  la  lance  (fig.  5^9)  et  du  Mahàkàla  à  la  vivante  bourse,  qui 
ne  sont  tous  deux  que  des  variantes  déformées  de  notre  Pâncika 
gandhàrien'''.  Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  montrer,  à  propos 
des  miniatures  bengalies  et  népalaises,  l'une  des  voies  par  les- 
quelles l'imagerie  bouddhique  a  pénétré  au  Tibet '-);  nous  voyons 
mieux  à  présent  comment  des  cousines  éloignées  de  ces  mêmes 
images  n  ont  pas  tardé  à  venir  les  rejoindre  à  travers  les  passes 
montagneuses  qui  du  Turkestan  chinois  ou  du  Sseu-tch'ouan 
mènent  à  Lhassa.  L'Inde  mystique  et  voluptueuse  y  importa  avant 
tout,  outre  la  figuration  de  la  légende  du  Maître'-'',  ses  représen- 
tations, tantôt  idéales  et  tantôt  obscènes,  de  Buddlias  et  de  Bo- 
dliisattvas;  au  compte  de  l'Asie  centrale  nous  pouvons  aujour- 
d'hui inscrire  sans  crainte,  outre  les  scènes  de  ses  enfers  man- 


*''  Cf.  ci-dessus,  l.  il,  p.  i -27-128.  /«  vie    du  Buddha  d'après    des   peintures 

'''   Icon.  bouddh.  de  l'Inde,  I,  p.  180.         tibétaines.    {Mémoires    concernant    l'Asie 
'^'  Cf.   Hackin,  Les  scènes  figurées  de         orientale,  t.  II.) 


672  INFLUENCE  DE  L'ÉCOLE  DU   GANDHÀRA. 

darinaiix,  les  arhats  et  les  magiciens  [siddha),  les  tr  gardiens  de 
la  loin  ou  «du  monde n,  et  sans  doute  aussi  tout  un  contingent 
de  démons  qui  vint  encore  renforcer  la  garnison  locale  du  a  pays 
des  neiges  n  ''). 

Les  deux  apports  se  laissent  différencier  d'autant  plus  aisément 
qu'en  les  juxtaposant  les  praticiens  tibétains  se  sont  bien  gardés 
de  les  confondre.  Ce  n'est  pas  au  Tibet  que  personne  pourra  se 
plaindre,  comme  en  Chine  ou  au  Japon,  des  transformations 
opérées  dans  les  thèmes  importés,  que  celles-ci  soient  dues  à  la 
réaction  du  goût  national  ou  à  rirré])ressible  fantaisie  des  artistes. 
Par-delà  l'Himalaya,  il  semble  que  les  modèles  bouddhiques  soient 
tout  de  suite  et  entièrement  tombés,  faute  de  concurrents  laïques, 
entre  les  mains  de  moines  plus  soucieux  d'ortiiodoxie  traditionnelle 
que  de  renouvellement  estbétique,  et  qui  se  sont  fait  une  loi  de 
les  répéter  indéfiniment.  Ce  signe  d'impuissance  créatrice  peut 
d'ailleurs,  au  point  de  vue  documentaire,  avoir  son  prix.  Si  le 
panthéon  des  lamas,  avec  ses  perpétuelles  et  machinales  répliques, 
a  vite  fait  de  lasser  les  yeux  du  critique  d'art,  il  reste,  par  sa  fidé- 
lité stéréotypée,  le  paradis  de  l'iconographe.  Même  l'amateur  le 
plus  profane  ne  peut  qu'être  frappé  du  caractère  relativement 
archaïque  de  ses  plus  récentes  productions.  11  ne  faudrait  pas  tou- 
tefois nourrir  trop  d'illusions  sur  l'antiquité  des  modèles  si  con- 
sciencieusement recopiés.  C'est  seulement,  ne  1  oublions  pas,  au 
milieu  du  wf  siècle  que  la  civilisation  indienne  a  passé  les  mon- 
tagnes, avec  le  Bouddhisme,  sa  littérature  et  son  art;  c'est  à  la  fin 
du  vni"  siècle  que  les  Tibétains  exercèrent  leur  passagère  domi- 
nation sur  l'Asie  centrale;  c'est  enfin  à  partir  du  x'  que  leur  pays 
devint  le  commun  refuge  des  moines  indiens  et  sérindiens,  fuyant 
devant  l'invasion  musulmane.  Ainsi  leur  panthéon  ne  s'ouvre  qu'à 
une  époque  assez  basse  et  nous  n'oserions  en  fermer  les  portes 
avant  la  fin  du  wf  siècle.   On   peut   regretter  que  le   clergé  la- 

'"'  Cf.  A.  Gkï.wveukl,  Mythologie  du  Bouddliismc  au  Tibcl  cl  en  Mongolie. 


1 


L\    noiTF,    IIK  TKKRE.  (i7;i 

maïqiie,  non  moins  conservateur  que  celui  de  l'ancienne  Egypte, 
ne  nous  ait  pas  transmis  un  état  plus  anciennement  fixé  de  l'art 
bouddliique  :  mais  il  est  plus  simple  d'admirer  qu'une  imagerie 
si  mêlée  et  si  tardivement  formée  nous  remémore  encore  si  clai- 
rement, à  travers  son  adaptation  indienne  ou  chinoise,  le  vieux 
répertoire  gandhârien. 


CAM>HÀUA.  Il  /|3 

iuritiur.niE   tATio>. 


67Û  HESUME  HISTORIQUE. 


CHAPITRE    XVIII. 

RÉSUMÉ  HISTORIQUE. 

(lUiVlE   GÉXÉRALE  DES    IMAGES  Dl     lUDIIIH.) 

Résumons  :  De  la  double  et  inverse  expansion  de  l'Hellénisme 
vers  l'Orient,  à  la  suite  des  conquêtes  politiques  d'Alexandre,  et  du 
Bouddliisme  vers  l'Occident,  à  la  faveur  des  missions  religieuses 
d'Açoka,  est  née  au  Gandhâra,  grâce  à  un  ensemble  de  circon- 
stances particulièrement  favorables,  une  école  d'art  indo-grec. 
Plongeant  par  ses  racines  jusque  dans  la  période  de  la  domination 
grecque  sur  le  Penjàb,  déjà  formée  au  i"'  siècle  avant  noti'e  ère, 
elle  achève  de  s'épanouir  aux  siècles  suivants,  tombe  dès  le  m''  dans 
une  profonde  décadence,  prolonge  son  agonie  jusqu'au  v%  est  déli- 
nitivement  renversée  au  vi'"  :  le  semblant  de  renouveau,  purement 
extérieur  et  adventice,  dont  elle  se  pare  aux  viir-ix"  siècles,  n'est 
même  pas  un  de  ces  derniers  rejets  comme  il  en  pourrait  pousser 
sur  un  tronc  al)attu  en  pleine  sève.  Suit  un  long  ensevelissement 
de  huit  cents  ans,  et  qui  paraissait  définitif,  quand  un  retour  de  la 
domination  européenne  dans  le  même  pays  a  fait  reprendre  un 
intérêt  de  plus  en  plus  éclairé  aux  seuls  débris  qui  subsistent:  des 
pierres  sculptées,  des  modelages  en  mortier,  des  poteries,  quelques 
objets  de  métal,  à  peine  quelques  traces  de  peinture.  Cependant 
les  sept  premiers  siècles  de  notre  ère  ne  s'étaient  pas  écoulés  que 
le  répertoire  de  l'école  s'était  répandu  jusqu'aux  confins  extrêmes 
de  l'Asie  orientale  :  aloi's  même  qu'elle  avait  déjà  péri  dans  son 
pays  d'origine,  son  influence,  plus  ou  moins  atténuée  par  le  temps 
et  les  conditions  locales,  continuait  à  se  faire  sentir  dans  l'Inde, 
en  Insulinde,  en  Sérinde,  jusqu'à  l'arrivée  des  Musulmans,  —  et, 
là  où  ces  derniers  ne  se  sont  pas  installés  en  maîtres,  à  Ceyian, 
en  Indocbiue,  en  Chine,  au  Japon,  au  Tibet,  jusqu'à  nos  jours. 

Telle  est,  ou  plutôt  telle  veut  être  l'esquisse  du  tableau  bisto- 
ri(jue  que  nous  avons  essayé  de  brosser.  11  nous  a  fallu  y  entasser 


RESIMK    HISTOI'.Kjl  E.  075 

tant  de  pays  et  tant  de  siècles,  et.  en  dépit  de  la  relative  pauvreté 
des  sources,  y  accumuler  tant  de  traits  épars  (jue  nous  crai[{nons, 
pour  avoir  voulu  trop  édaircir  les  clioses,  de  les  avoir  linalenient 
quelque  peu  endjronillées.  Peut-être  ne  serait-il  [)as  mauvais, 
comme  à  la  lin  de  la  seconde  et  de  la  troisième  partie  de  ce  travail, 
de  procéder  à  une  sorte  de  mise  au  point  et  de  repasser  sur  les 
lignes  inaîtresses  pour  les  dégager  de  la  multiplicité  des  détails. 
Mais  cette  fois  le  cas  n'est  pas  tout  à  lait  le  même.  Un  sommaire 
pur  et  simple  des  trois  précédents  cliapitres  ne  se  composerait 
guère  que  d'inutiles  répétitions.  Il  y  aurait,  semble-t-il,  mieux 
à  l'aire  :  ce  serait  de  choisir,  entre  les  nombreuses  figures  que  nous 
présente  l'école,  la  plus  caractéristique  de  loutes,  et,  l'isolant  du 
reste  de  l'œuvre,  de  suivre  son  évolution  particulière  non  seule- 
ment au  Gandliàra,  mais  dans  le  reste  de  l'Inde  et  en  Extrême- 
Orient.  En  concentrant  toute  la  lumière  des  documents  sur  une 
série  linéaire  unique,  nous  risquerons  moins  de  perdre  le  fil  de 
notre  exposé  :  de  plus,  au  lien  de  nous  borner  à  répéter  nos 
théories  sous  une  forme  seulement  plus  concise,  nous  les  passerons 
à  la  pierre  de  touche  d'une  application  spéciale.  Le  tout  sera  de 
bien  choisir  le  sujet  de  notre  expérience.  Or  il  existe  justement 
au  répertoire  y\n  personnage  dont  on  ne  contestera  pas  l'impor- 
tance, puisqii  il  s'agit  du  fondateur  même  du  Bouddhisme,  ni  non 
plus  le  caractère  original,  puisque  nous  y  avons  reconnu  dès 
longtemps  la  cr  marque  de  fabrique  n  de  l'école.  Nous  ne  pourrons 
mieux  contrôler  notre  histoire  de  l'art  gréco-bouddhique  qu'en  la 
résumant  dans  celle  du  type  indo-grec  du  Buddlia. 

Aussi  bien  le  légitime  souci  de  ne  pas  sacrifier  le  reste  de  la  pro- 
duction iconographi(jue  et  légendaire  du  Gandhàra  au  prestige, 
si  grand  qu'il  soit,  d'une  seule  figure,  nous  a  ius(pi'ici  em[)êché 
d'accorder  à  l'évolution  de  cette  dernière  l'attention  ([u'elhî  com- 
porte et  le  développement  qu'elle  paraît  mériter.  A  la  vérité,  sur  la 
question  des  origines,  nous  ne  voyons  rien  à  ajouter.  Le  spécialiste 
a  beau  être  censé  lu;  dcvoii'  rien  ijjnorcr,  on  ne  nous  demandera 

43. 


676  liESLiMh:  Il  ISTOIUQUE. 

pas  de  dire  quel  doiialeui'  a  le  premier  passé  à  un  artiste  hellé- 
nisant la  coniniaiide  d'une  image  du  Maître  (cai'  il  l'aut  de  toute 
nécessité  placer  Tinitiative  de  ces  deux  hommes  à  la  naissance  de 
cette  création).  Nous  n'avons  même  pu  établir  de  façon  certaine 
s'il  s'agissait  d'un  has-reliel  poui'  décorer  un  siùpa  ou  d'une  statue 
pour  consacrer  un  viluira  (cf.  t.  11,  p.  338).  Enfin  cette  conversa- 
tion s'est-elle  tenue  dans  le  bazar  indigène,  ou  chez  le  «résidentn 
grec  de  Peukélaôtis,  ou,  mieux,  dans  l'atelier  improvisé  par  le  four- 
nisseur attitré  de  la  colonie  étrangère  et  devant  des  modèles  de 
statuettes  purement  helléniques  de  sa  fabrication ,  du  genre  de  notre 
ligure  /176?  Ce  sont  là  autant  de  circonstances  que  nous  ignore- 
rons probablement  à  jamais  :  car  les  entrevues  les  plus  fécondes  ne 
sont  pas  toujours  celles  dont  il  a  été  dressé  procès-verbal.  Mais  si 
de  cet  entretien  nous  ne  savons  pas  grand'chose.  du  moins  nous  en 
tenons  le  résultat  :  tf  Poui'riez-vous  aussi  faire  un  Buddha?n,  a  dû 
dire  l'un  des  interlocuteurs.  —  cr Pourquoi  pas?n,  répondit  l'autre. 
Et  le  Buddha  fut  (fig.  /i/i5).  Nous  avons  déjà  analysé  cet  unique 
et  savoureux  mélange  d'éléments  grecs  et  indiens,  hérétiques  et 
orthodoxes,  réalistes  et  idéalisés,  oi!i  se  trahit  si  visiblement  l'inter- 
vention d'une  main  occidentale  et,  qui  plus  est,  travaillant  (comme 
on  dit)  tfde  chien.  Telle  quelle,  celte  création  aussi  hybride  que 
tardive  n'en  est  pas  moins  l'une  des  réussites  les  plus  répandues 
et  les  plus  durables  qu'aucune  école  ait  jamais  eues  à  son  actif. 
Adoptée  d'enthousiasme  par  l'univers  bouddhique,  elle  est  devenue 
et  demeurée  pour  les  fidèles  la  seule  façon  de  concevoir  et  de 
figurer  leur  Maître.  Et  c'est  aussi  pourquoi  nous  ne  serons  pas 
surpris  de  constater  que  son  histoire  reflète  celle  de  l'art  gréco- 
bouddhique  tout  entier. 

§  I.   Le  DiG-rutn  du  Buddha  n'DO-OREC. 

On  a  quelque  honte  à  le  répéter,  mais  il  faut  le  redire  une  fois 
encore.  On  a  bien  pu  supposer  que  la  Communauté  bouddhique 


LE   DIf;~VIJA}A   DU   BUDDH  V   INDO-GREC.  077 

avait  dn  posséder  de  bonne  heure  des  images  de  son  fondateur: 
mais  de  cet  fr  archétype  indien  primitif '')•)!  jamais  encore  on  n'a 
relevé  \a  moindre  trace.  Il  y  a  pis.  Une  constatation  significative 
nous  enlève  tout  espoir  que  quelque  fouille  j)Ius  heureuse  ou 
mieux  suivie  nous  eu  procure  jamais  le  moindre  spécimen.  Quand, 
à  Bodh-Gayà,  à  Barhut,  à  Sànchi,  nous  trouvons  la  vieille  école 
indienne  en  pleine  activité,  nous  avons  la  stupeur  de  découvrir 
qu'elle  est  en  train  de  tenir  industrieusement  l'étrange  gageure  de 
représenter  la  vie  du  Buddlia  sans  jamais  figurer  le  Buddlia.  Tout 
au  plus  iudique-t-elle  par  un  symbole  sa  constante,  mais  toujours 
invisible  présence.  Le  fait  est  anormal,  sans  doute  :  mais,  fondé  sur 
le  témoignage  autographe  des  vieux  sculpteurs  eux-mêmes,  il  est 
incontestable  et  d'ailleurs  incontesté.  On  imi  devine  l'immédiale 
conséquence.  La  totale  absence  de  l'image  du  Maître  sur  les  scènes 
de  sa  propre  biographie,  telle  qu'elle  se  pratiquait  dans  l'Inde 
centrale  au  if  et  au  i*^''  siècle  avant  notre  ère,  suffit  à  établir  défini- 
tivement la  priorité  des  Buddhas  qui,  comme  nous  avons  vu,  com- 
mençaient à  foisonner  sur  les  sculptures  du  Nord-Ouest.  Le  type 
du  Gandhàra  n'est  plus  seulement  le  premier  connu  :  il  devient 
désormais  le  plus  ancien  qu'on  puisse  connaître.  Et  enfin,  comme 
ici-bas  les  choses  ne  s'inventent  guère  deux  fois,  il  en  résulte  encore 
que,  sauf  preuve  du  contraire,  le  prototype  de  tous  les  Buddhas 
de  l'Asie  est  le  Buddha  indo-grec. 

Que  cette  conclusion  soit  assez  inattendue  et  contraire  à  l'ordre 
naturel  des  choses,  qu'elle  n'ait  surtout  rien  d'agréable  à  enre- 
gistrer pour  un  indianiste,  nous  n'en  disconvenons  pas.  Certes,  il 
eût  été  infiniment  plus  indiqué  de  découvrir  les  premières  images 
du  Bienheureux  aux  lieux  mêmes  qui  l'entendirent  d'abord  prêcher 
sa  doctrine:  ou,  s'il  faut  se  résigner  à  ne  les  rencontrer  (jue  sur 
les  extrêmes  confins  Nord-Ouest  de  la  péninsule,  il  eût  été  moins 
humiliant  pour  ranimn-propre  indigène  de  ne  pas  apercevoir  le 

''  A.  Grlnwedei,  ,  B.  kiiiisl,  r"é(l.,  deuxième  édition  el  pai' siiile  (le  riklilion 
p.    15a;    l'hypothèse   a    (lis|iaiii    fie    la         aiijflaise,  mais  a  été  reprise  par  d'autres. 


(i78  liKsiMi';  iiisToninuE. 

géiiio  {jrec  deboiil  aiiiirès  de  leur  Itorceaii.  C'est  le  cas  où  jiimtiis 
(le  1  avouer  : 

.  .  .Un  ne  saik'iidiiil  jjiière 
Do  voir  Ulysse  en  celte  alTaire  '''. 

Mais  qu'y  pouvons-nous  ?  Le  vrai  n'est  pas  l'orcénient  le  vrai- 
semblable, et  mieux  vaut  ne  pas  tergiverser  avec  les  l'ails  :  leur 
Iranquille  insolence  écrase  d'avance  tontes  les  contradictions  et 
dédaigne  tous  les  commentaires.  D'ailleurs,  dans  leur  élrangeté 
même,  ils  nous  ont  paru  susceptibles  d'une  explication  fort  natu- 
relle ('■^'.  Tout  pesé,  chacune  des  deux  écoles  aurait  justement  fait, 
en  son  temps  et  en  son  lieu,  ce  à  quoi  l'on  pouvait  s'attendre  d'elle. 
Celle  de  l'Inde  centrale  subissait  encore  le  joug  magique  de  la 
coutume  alors  que,  sous  l'influence  occidentale,  celle  du  Nord- 
Ouest  en  avait  déjà  rompu  l'encliantement  suramié.  Cela  est  tout 
à  fait  dans  l'ordi'e,  et  l'on  n'aperçoit  pas,  à  regarder  les  choses 
d'un  peu  près,  qu'elles  eussent  pu  se  passer  autrement  qu'elles 
ne  firent. 

Ce  qui  prouve  bien  d'ailleurs  que  la  magnifique  innovation 
improvisée  par  les  artistes  du  Gandliàra  ne  se  heurtait  dans  la 
péninsule  à  aucune  prohibition  rituelle,  c'est  l'enthousiasme  et  la 
promptitude  avec  lesquels  fidèles  et  artistes  de  la  vallée  du  Gange 
et  du  Dékhan  adoptèrent  à  leur  tour  le  type  indo-grec  du  Buddha. 
Quant  au  reste  de  l'Asie,  comme  l'idole  du  Maître  y  a  pénétré  en 
même  temps,  sinon  même  plus  tôt  que  la  doctrine,  aucun  préjugé 
dogmatique  ne  saurait  avoir  trouvé  le  temps  de  s'y  créer  contre 
elle.  Ainsi  toutes  les  voies  étaient  largement  ouvertes  devant  la 
réincarnation  plastique  du  Buddha.  Nous  la  voyons  aussitôt,  pendant 
religieux  du  roi  rakravartin ,  se  lancer  à  la  conquête  du  monde;  et,  si 
les  archéologues  n'écrivaient  en  prose,  il  ne  nous  resterait  plus,  tel 
un  barde  de  cour,  qu'à  entonner  son  dig-vijaija.  L'esprit  critique 
nous  contraint  au  contraire  à  faire  remarquer  tout  de  suite  qu'à 

<'■'  La  Fontaine,  Fahles,  X,  i3.  —  '-'  Cf.  I.  11,  p.  36k  el  siiiv. 


LE   DIG-VI.Iir\    \)[    RII)r)Il\   INDO-GREC.  679 

cette  ftinvasion  des  quatre  points  cardinaux^,  il  eu  est  au  moins 
un  (|ui  iuan(|ue,  celui  de  l'Ouest.  En  dépit  de  ses  attaches  occiden- 
tales, cette  région  de  l'horizon  d'où  lui  venait  pourtant  le  phis  clair 


l"'io.  55o.  —  BoDnisATTïA-liiDDiiA,  \  MATiriin  (cf.  |i.  ;!ai,  ii'it),  370,  (iof),  GSi,  (n)8). 

Musée  (le  Malkurà,  n"  A  i .  Proiienaiit  de  kulrà.  Ilmileur  :  n  m.  jo. 

D'npivs  .!,  Ph.  VnCKr, ,  A.  !^.  l.,  A'iii.  J\fj}.  njofj-m,  pi.  WIIl  (f. 

de  ses  caractères  somatiques,  est  restée  longlcinps  close  au  TîUiMlia 
indo-européen.  Quand  enfin  il  y  a  j)énétré,  ce  n'a  été  (|Uf  par 
le  détour  de  rK\trêine-()rient  et  sous  l'orme  de  hibelot  d'étagèi'c. 
Ce  n'est  ni  la  place  ni   l'instant  d'entreprendre  l'élucidation   des 


(180  RÉSUMÉ   HISTORIQUE. 

raisons  de  civilisation  générale  (jni  oui  reniUi  l'Iran  et  l'Asie  anté- 
rieure quasi  imperméables  aux  doctrines  comme  aux  images  boud- 
dhiques. Bornons-nous  à  constater  que,  si  la  Bonne  Loi  et  son  héros 
éponyme  n'ont  guère  dépassé  de  ce  côté  le  60'' degré  de  longitude 
Est,  ils  se  sont  en  revanche  répandus,  des  steppes  glacées  du  Nord 
aux  mers  chaudes  du  Sud,  sur  tout  l'Orient  de  l'Asie.  Pour  cette 
pacifique  conquête  deux  voies  principales,  nous  le  savons,  leur 
avaient  été  ouvertes  par  les  pionniers  de  la  civilisation  indienne, 
navigateurs  au  long  cours  ou  chefs  de  caravanes,  celle  de  terre  au 
Nord-Est,  celle  de  mer  au  Sud-Est:  il  ne  nous  reste  qu'à  l'y  suivre. 

La  conquête  Di  Sud-Est.  —  Nulle  part  peut-être  ne  se  sent 
mieux  qu'ici  le  manque  d'enquêtes  suivies  et  méthodiques  dont 
souffre  encore  l'archéologie  de  l'Inde.  Ne  doutons  pas  que  le  travail 
déjà  fait  pour  les  inscriptions  ne  s'étende  un  jour  aux  statues  et  que 
nous  ne  finissions  par  posséder  une  liste  continue  d'images  datées 
du  Buddha  :  quand  la  liste  ainsi  dressée  sera  également  accom- 
pagnée de  fac-similés  satisfaisants,  les  bases  d'une  étude  sérieuse 
de  l'art  bouddhique  seront  enfin  jetées.  Pour  l'instant  nous  devrons 
nous  contenter  de  réunir  une  série  assez  incohérente,  entrecoupée 
de  dates  sporadiques  :  l'essentiel  est  que  déjà ,  à  travers  toutes  les 
lacunes,  nous  sentions  toujours  le  même  fil  courir  sons  nos  doigts. 
Nous  n'avons  d'ailleurs  à  noter  ici  que  les  étapes  les  plus  impor- 
tantes de  la  mai'che  triomphale,  et  que  seul  l'Océan  put  arrêter, 
du  Buddha  indo-grec  vers  l'Orient.  Quelques  spécimens  choisis, 
plantés  comme  des  jalons  aux  principaux  centres  religieux  et  artis- 
tiques du  Bouddhisme,  suffiront  à  justifier  notre  entreprise.  Enfin 
du  côté  où  nous  dirigeons  d'abord  nos  pas,  le  terrain  a  été  d'avance 
et  un  peu  partout  repéré  par  le  Service  archéologique  de  findé. 
Pour  commencer,  nous  allons  tout  de  suite  rencontrer,  aussi  bien 
à  Amarâvatî  qu'à  Mathurâ,  desBuddhas  sûrement  datés  du  n^  siècle 
de  notre  ère  —  et,  pour  la  justification  de  notre  thèse,  nous  n'en 
trouverons  aucun  qui  soit  antérieur  à  la  fin  du  1"  siècle. 


I.E    D7G-T/./I)  I    Dl     BUDDHA   IiNDO-dREC.  fi8l 

Parmi  les  imaoes  de  Mallnirâ,  nous  ne  rappellerons  ici  (jue 
j)Oiir  mémoire  celles  dont  il  a  déjà  été  question  ci-dessus '')  en  i-aison 
lie  leur  caractère  exceptionnel  (fig.  55o).  Ces  premiers  essais  de 
l'école  locale  dilTèrent  en  effet  par  plusieurs  traits  du  prototype 
gandliàrien  :  mais  elles  n'eurent  pas  de  postérité,  et  seules  les 
reproductions  plus  fidèles  du  Buddha  indo-grec  (fig.  55a-o53, 
58/j)  se  sont  prolongées  jusqu'à  l'époque  des  Guptas  au  v"  siècle 
(fig.  587).  Quand  l'invasion  des  Huns  blancs  vint  détruire  les 
ateliers  dont  elles  étaient  sorties,  déjà  leur  suite  avait  été  prise 
par  les  statues  du  bassin  moyen  et  inl'érieur  du  Gange,  depuis 
Prayàg  ou  Allaliabàd  (fig.  554;  datée  8.129  =  /1/18-9  ap.  J.-G.) 
jusqu'au  Bengale'-).  Nous  nous  contenterons  de  quelques  spéci- 
mens caractéristiques  relevés  sur  le  site  des  deux  plus  durables 
pèlerinages,  celui  de  la  Première  Prédication,  près  de  Bénarès,  et 
de  l'Illumination,  près  de  Bodh-Gayâ.  Les  figures  555,  SOy,  588 
(cl.  fig.  90(),  ^98,  507,  5  1 1)  représenteront  les  nombreuses  images, 
assises  ou  debout,  que  nous  ont  rendues  les  l'ouilles  de  Sàrnath. 
Quant  à  celles  qu'a  l'ournies  avec  non  moins  d'abondance  le  sol  du 
Magadha,  et  dont  la  lignée  se  perpétue  sous  la  dynastie  des  Pàlas 
jusqu'à  l'invasion  musulmane, les  figures  55()  (datéeS.  6/1  =  1  A."! '^) 
ap..l.-C.).  557-558  et 588 />/s  (cf.  fig.  5oo-5oi)  on  donneroni  une 
idée.  Il  ne  tiendrait  qu'à  nous  de  suivre  ce  modèle  jusqu'en  Bir- 
manie î^).  Mais  le  cbemin  que  nous  avons  déjà  reconnu  au  cours  du 
précédent  chapitre  nous  ramène  à  présent  du  côté  d'Ajautâ.  Parmi 
les  sculptures  qui  décorent  aussi  bien  les  chapelles  intérieures  que 
les  façades  des  cryptes,  nous  ne  trouverons  rien  que  nous  n'ayons 

''    Cf.  t.  II,  p.  3a  1,  n.  3  et  6o5,  e(  Smith  el  Hoey,  Aiic.  Biiddliisl  Slaliialles , 

ci-flessoiis,  |).  698.  Nous  sommes  d'ac-  fhins  ./.  A.  S.  B.,  LXIII,  iSyT),  p.  i55. 
eoid  avec  M.  J.  Vh.  Vogel  poui'  rappoiler  ''  Le  style  de  cette  statue  rappoile  sa 

les  ligures  oôo  et  ses  pareilles  (et  aussi  ilate  à  l'ère  Çaka,  el  non  Gupta. 
la  ftgure 556,  citéeci-dessous) au  n' siècle  <*'  Voir  un  Buddlia  de  pierre  el  des 

après  nolie  ère,  sous  la  domination   des  sceaux  d'argile  de  Pagan  dans  A.  Grix- 

Kusanas.  Les  ligures  552-553  ne  doivonl  wedel,  Buddh.   Sltidkn  (1«to//.  a.  d.   A. 

pas  leur  être  très  postérieures.  Muséum    fur    Vûllcerkuiide ,    V,    1897), 

"  Voii-  encore    pour  Çrâvasii  V.   A.  p.  i3o  et  lig.  88.  <)0.  93. 


6X-2  RÉSUMÉ  HISTORIQUE. 

déjà  rencontré  dans  lo  Madhyadèça  :  mieux  vaut  donc  choisir  un 
Buddha  peint  qui,  bien  que  datant  du  vi''  siècle,  est  visiblement 
[dus  proche  de  la  source  originelle  (fîg.  689;  cl',  fig.  5o3).  Nous 
remontons  plus  près  encore  avec  ceux  d'Amarâvatî  (fîg.  585  ;  cl. 
fig.  5o6,  5 08-509),  dont  les  premiers  ne  doivent  pas  être  po.sté- 
rieurs  au  u*"  siècle  de  notre  ère. 

Ici  nous  attend  une  bonne  fortune  capable  de  consoler  l'archéo- 
logue indianisant  de  ses  habituels  déboires,  et  bien  faite  pour 
donner  confiance  dans  l'avenir  des  études  comparatives  que  nous 
esquissons  en  ce  moment.  Nous  avions  cru  plus  haut  (p.  617) 
pouvoir  considérer  Amarâvatî  comme  l'un  des  ports  par  où  l'in- 
fluence indienne  avait  dû  gagner  l'Indochine  :  or  voici  qu'on  vient 
d'exhumer  à  Dong-Du'o'ng,  au  sud-ouest  de  Tourane,  dans  l'an- 
cien Campa  et  l'Annam  actuel, la  preuve  manifeste  de  cette  expor- 
tation (fig.  586);  car  lors  même  qu'il  faudrait  admettre,  contrt 
toute  vraisemblance,  que  cette  statue  de  bronze  ait  été  fondue  sur 
place,  il  ne  s'agirait  toujours  que  d'un  simple  surmoulage  d'une 
statue  d'Amarâvatî (').  Si  la  riche  moisson  archéologique  recueillie 
à  Ceylan  avait  été  plus  libéralement  publiée,  plusieurs  cas  ana- 
logues se  présenteraient  aussitôt  à  nous.  Que  le  roi  Vasabha  (vers 
12/1-168  ap.  J.-C.)  ait  dédié  des  images  du  Buddha  au  Mahà- 
tliûpa.  le  fait  est  historiquement  possible  ('-)  ;  une  chose  certaine, 
c'est  que  les  statues  mutilées  qui  subsistent  près  de  ce  stùpo  re- 
produisent d'une  façon  schématique,  mais  fidèle,  les  draperies  et 
le  port  des  Buddhas  d'Amai-tàvati  (cf.  fig.  559).  11  en  est  de  même 
des  belles  statues  assises  de  Polonnaruwa  et  du  colosse  debout 


'''  Voir  RotiGiER,  iVo«ue//e«  (/e'coMW'/-/e.s'  Irchiiid,   i8()."i.  jjI.  1-lV):  mais  compa- 

cames  au  Quang-nniii .  dans  le  Bidl.  de  la  rez  les  spécimens  de  l'art  local  des  C.ams 

Comm.  arcli.dc l'Indochine,  \ç\i^,  f.  ^i  i.  donnés   par    M.    !>.    Finot    (Bulletin    de 

—  La  facture  est  à  la  vérité  supérieure  l'Ecole    française    d' Extrême -Orient,   I, 

à  celle  de  Some  Biiddliist  Bronzes ,  prove-  i<)oi,  fig.  7,  8)  et  M.  H.  Pariientier, 

nant  de  la  région  d'Amarâvatî  et  publiés  Inventaire,  fig.  108  et  1  17. 
par   M.  Sr.WELi.   (Journal    of  tlie    Roijnl  -'   ;l/((//«'(vn»s((,  wxv,  8()  (trad.  Gp:igei\, 

Asnitic    S(n-ielii     0/     Greal     Uritain    and  p.  aSa  et  xxxviii). 


NE   DIG-VLnyï    DU   BUDDHA  INDO-GREC.  fiS.'i 

d'Akwana,  haut  de  quatorze  mètres(').  D'autres  au  coutraii'e,  sur 
(jui  les  plis  du  vètemeul  ont  complètement  disparu (-),  se  réclament 
plutôt  des  Buddlias  (ùipta  de  Bénarès,  du  type  de  la  figure  555, 


FiG.  55i.  —  TtTE  m;  Biddua,  à  xMaiéiluà  (cf.  p.  0()ii). 
Mvst'e  Je  Lttkhttaii.  Provenant  do  Mnlhunl.  Hnitleur  :  o  m.  a8. 


et  s'apparentent  par  là  directement  à  ceux  du  Cambodge  et  do 
Java.  Le  plus  beau  de  ceux  qui  aient  été  retrouvés  à  Angkor 
(  fiji;.  oGo)  soutient  l'ort  bien  la  comparaison  avec  les  modèles  in- 


'  Arcliwological  Siin'cii  of  Ceijlni} . 
Animal  Report  igoj,  pi.  \I1-\III  ;  cl. 
\'.  A.  SmiTH,  Hislorij  oj  Fine  Arl  In  fiiilin 
and  Cejjloii.  t'ig.  180,  et  fig.  178,  171). 
197.  La  tradilinn  locale  n'attriijuc  d'jii!- 
leiirs  la  statue  nipestre  d'Akwana  (|ii'aii 
xiT  siècle. 


<'^'  Archœolngieal  Survey  ofCeylon,  An- 
nunl  Report  Kjoi,  pi.  XIV:  cf.  V.  \. 
Sjirrii.  Uixtorij  of  Fine  Art  in  Inillu  ami 
Cei/ton.  liji'.  5/4  ;  conlrairernent  à  l'opinion 
de  Tautenr,  nous  iioyous  (jue  colle  der- 
nière image  ne  saurait  (Hrc  considérée 
coiunii'  aniienim. 


68'i  RÉSUMÉ   HISTORIQUE. 

(liens  (');  c'est  plus  qu'on  ne  pouvait  dire  jusfpi'ici  des  nombreuses 
images  khmères  (cf.  lig.  2o5,52iet58i).  Peut-être  même  les  sur- 
passe-t-il  par  l'intensité  de  l'expression  et  l'illumination  intérieure 
de  la  physionomie  ;  et  c'est  aussi  par  là  qu'il  nous  paraît  l'emporter, 
en  dépit  des  défauts  de  sa  facture,  sur  les  cinq  cents  statues,  d'un 
modèle  quasi  uniforme  et  aux  traits  quelque  peu  figés,  qui  ont 
valu  son  nom  à  Boro-Boudour  (fig.  56 1  ;  cf.  fig.  5i9  et  58o). 

L\  CONQUÊTE  DU  NoRD-EsT.  —  Laissous  cc  poste  avancé  en  sen- 
tinelle sur  le  bord  des  mers  australes  et,  du  Gandliàra  comme 
base,  reprenons  à  présent,  à  travers  montagnes  et  déserts,  les 
âpres  routes  de  l'Asie  centrale.  De  loin  les  gigantesques  Buddlias 
de  Bàmiyân  nous  indiquent  la  principale  passe  qui  conduise  dans 
le  Itassin  de  l'Oxus  jusqu'aux  tertres  de  Bactres;  et  là  quelques 
coups  de  pioche  bien  dirigés  nous  rendraient  apparemment,  en 
même  temps  que  des  oeuvres  de  plus  basse  époque,  des  images 
contemporaines  des  premiers  Buddhas  de  Malhurâ.  Du  moins  rien 
n'est  plus  tentant  que  d'admettre  la  production  parallèle  des 
mêmes  effets  sous  l'action  simultanée  des  mêmes  causes  dans  les 
deux  capitales  excentriques,  labactrienne  et  l'indienne,  du  royaume 
de  Kaniska.  Aussi  bien,  si  l'on  tient  compte  des  ditlicultés  plus 
grandes  qu'opposent  aux  communications  les  régions  montagneuses 
en  comparaison  des  plaines,  on  peut  dire  que  les  deux  cités  étaient 
situées  à  égale  distance  du  Gandhâra.  foyer  de  l'art  indo-grec  et 
théâtre  de  la  conversion  (hi  monarque  indo-scythe.  Il  y  a  cent  ans 
et  moins,  il  eut  été  possible  de  corriger  par  des  fouilles  ce  que 
ces  vues  de  l'esprit  ont  de  trop  rigidement  symétrique.  Puisque  le 
plus  clair  résultat  des  sanglantes  guerres  afghanes  a  été  de  fermer 
le  pays  qu'elles  devaient  ouvrir,  force  est  de  renoncer  pour  l'instant 
au  rêve  passionnant  de  cet  itinéraire,  et,  comme  s'y  est  résigné 
Sir  Aurel  Stein,  de  prendre  directement  à  travers  les  montagnes, 

•''  Cr.  Bull,  lie  lu  Cnmm.  arct.  de  l' fiitlochine ,  191  3.  \i.  99-108. 


I 


LE   DIG-VIJAYA   DU   BUDDH 4   INDO-GREC.  685 

soit  parla  route  de  Gilgil,  soit  par  celle  dti  Chitral.  Au  Kacinîr 
même,  c'est  en  vain  que  nous  chercherons  aucun  vestige  apparent 


FiG.  5d2.  —  Bbddha  GANDHÀniEN,  À  Mathuhâ  (cf.  p.  370,  lJo6,  681,  68(),  708). 
Musée  de  Lal.hium.  Provenant  de  Cliaiibàrà.  Hauteur:  o  m.  38. 

des  nombreux  Buddhas  de  jadis,  tant  brahmanes  et  musulmans  se 
sont  soifrneusement  accordés  à   les  détruire'*'.  Mais  les  rochers 


'''  Cette  désolante  pénurie,  à  laquelle 
fies  fouilles  suivies  auraient  vite  remédié , 
ni>  rend  que  plus  précieuse  la  découverte 
au  Kangra  d'un  lironze  d'ailleurs  tardif. 
Voir  .1.  Ph.  \oGEi. .  A.  S.  I.,  Aim.  Rep. 


Kjo'i-ô,  pi.  XXV  et  p.  107-109; 
M.  Vogel  a  [)arfaiteraent  relevé  ses  ana- 
logies peisislantes  avec  les  images  gréco- 
houddluques,  et  nous  nous  jjornons  à 
renvoyer  le  lecteur  à  son  ailicie. 


686  RÉSUMÉ  HISTORIQUE. 

môiDe  des  P.îmirs  portent  encore  Ici  trace  de  la  propagation  de 
l'image  du  Maître(');  et  quand  enfin  nous  débouchons  dans  la 
Sérinde,  le  premier  aspect  de  ses  nombreuses  figures  de  stuc  ou 
d'argile  bannit  île  notre  esprit  toute  crainte  qu'aucune  solution  de 
continuité  se  soit  produite  dans  la  chaîne  de  transmission. 

Nous  nous  retrouvons  ici  en  pays  déjà  exploré,  et  le  nombre 
des  documents  publiés  nous  permettra  d'être  d'autant  plus  bref. 
Comme  points  de  repère  sur  les  deux  routes,  méridionale  et  sep- 
tentrionale, du  Turkestan,  nous  nous  contenterons  d'emprunter  à 
Sir  Aurel  Slein  et  à  M. le  professeur  A.  Griinwcdel  deux  statuettes, 
l'une  originaire  de  Rawak  (lig.  662),  l'autre  du  Tourfan  (fig.  563): 
leur  ressemblance  entre  elles  et  avec  telle  autre,  naliv^e  de  Mathurà 
(fig.  552),  nous  rendra  provisoirement  moins  cuisante  la  privation 
de  leurs  pendants  bactriens.  Pour  les  «Mille  Buddhasnqui  depuis  le 
iv^  siècle  marquent,  décorent  et  sanctifient  le  nœud  des  voies  com- 
merciales entre  la  Chine  et  l'Occident,  mais  ont  malheureusement 
été  pour  la  plupart  retouchés  parles  restaurateurs  modernes,  nous 
nous  bornerons  à  renvoyer  aux  photographies  déjà  parues  de 
Sir  Aurel  Stein  et  de  M.  P.  Pelliot'-'.  A  partir  de  ce  moment,  les 
planches  de  Éd.  Cha vannes  guideront  notre  quête  d'abord  vers  les 
grottes  de  Yun-kang  près  de  Ta-t'ong-fou ,  dans  le  Nord  du  Chan- 
si  (fig.  56 A),  puis  vers  celles  du  Long-men,  près  de  Honan-fou 
(fig.  565;  cf.  fig.  54i).  Colossales  ou  minuscules,  ces  sculptures 
rupestres,  dues  au  zèle  sans  lendemain  des  Wei  du  Nord  et  des 
T'ang  pour  le  Bouddhisme,  nous  mènent  du  v''  au  vm'  siècle.  Mai^ 
déjà  —  sous  l'inlluence  de  la  civilisation  chinoise  bien  que  par 
l'intermédiaire  des  Coréens  —  l'art  bouddhique  florissait  dans  la 
nouvelle  capitale  japonaise  de  Nara.  Ici  encore  ce  ne  sont  pas  les 
documents  authentiques  qui  manquent  ;  nous  ne  saurions  mieux 
faire  que  de  recourir  une  fois  de  plus'''  au  fameux  tabernacle 

'"'   Voir  M.  A.  Stein,  AiicIi'dI  kliohiii.         lij;.  i(Ji  :  Mission  Pelliot,  il;iiis  L'Art  dé- 
I,  fig.  1.  corail f,  août  igto,  p.  5 4 -6 6. 

'    Voir  M.  A.   Stein,   Désert  Catliaij,  ">  Cf.  ci-dessus,  t.  II,  p.  ?iih  cl  6()S. 


S 


LF,  DIC-VIJAÏA   DU    lillDDH A  1NT)()-(!REC.  687 

domestique  fie  la  noble  dame  Tachibana    Fiijin,  moiie  en    -33 
(fig.  566;  cf.  fig.  589  et  590). 

Après  i.a  conquête.  —  Natil  du  Gandliàra  comme  le  Buddlia 
liistoi'ique  l'était  du  Ivoçala,  le  Buddha  plastique  nous  a  ainsi  et 
toiH'  à  tour  entraînés  à  sa  suite  jusqu'aux  extrémités  nord-est  et 


FlG.  553.  BlDDHA  GANDH.inlEN,  À  MilUCllÀ  (cf.  p.  Go3,  GoO,  (iSi). 

Musée  (le  Lakhiiau.  Provenant  du  vjatt  Mouiidi.  Hauteur:  o  m.  5o. 

sud-est  de  l'Asie.  11  ne  dépendrait  à  présent  que  de  nous  de  l'ei- 
mer  le  circuit.  Les  mémoires  de  Fa-iiien  et  de  Yi-tsing  nous  ont 
déjà  renseignés  sur  les  communications  maritimes  entre  la  (Hiine 
et  ce  ([ue  les  Cbinois  appelaient  les  Iles  des  Mers  du  Sud'''.  Une 
trace  au  moins  d'inlluence  sino-japonaise  se  marque  à  Java  dans 
la  façon  dont   le   uiudie    encore    rond   ou    légèrement    ovalisé  de 


cr.  (.11,  |).  (iiii 


688  RÉSUMÉ  HISTORIQUE. 

Boro-Boudoui"  (fig.  5 19)  soudain  s'effîie  en  pointe  par  en  haut 
chez  les  statues  du  Candi  Mendut(fig.  568)  comme  de  Long-men 
(fig.  5^1,  565);  si  l'on  tenait  absolument  à  boucler  le  cercle,  cet 
indice  suffirait  à  marquer  le  point  de  jonction  des  deux  conrantsC. 
Il  ne  semble  pas  d'ailleurs  que  celui  qui  redescendait  du  Nord  ait 
jamais  reflué  de  ce  côté-ci  de  Singapour,  cette  porte  du  monde 
jaune  ;  c'est  par  extraordinaiie  qu'à  la  fin  du  siècle  dernier  une 
statue  bouddhique  est  revenue  par  mer  du  Japon  pour  s'installer 
dans  un  sanctuaire  de  Bodh-Gaya.  A  l'heure  actuelle,  si  l'insulindc 
est  devenue  musulmane,  l'Indochine  demeure  fort  inégalement 
partagée  entre  les  deux  Bouddhismes,  l'indien  et  le  chinois,  l'un 
réimporté  directement  de  Geylan  sous  sa  forme  la  plus  pure,  l'autre 
cliargé,  au  cours  de  son  long  détour,  de  toutes  les  superstitions 
de  la  Haute-Asie.  Quand  ces  deux  brandies  de  la  même  religion 
se  rencontrent  api-ès  une  séparation  si  longue,  on  ne  s'étonnera 
pas  qu'elles  ne  se  comprennent  ni  ne  se  reconnaissent  plus.  Exté- 
rieurement, rien  n'est  plus  difTérent  d'un  moine  cambodgien  qu'un 
bonze  annamite;  et,  alors  même  qu'ils  parviendraient  à  parler  la 
même  langue,  il  est  permis  de  douter  qu'ils  se  trouvent  d'accord 
sur  aucun  point  de  théologie,  pas  même  sur  l'idée  qu'ils  se  l'ont 
de  leur  fondateur.  11  n'y  a  vraiment  plus, de  part  et  d'autre,  qu'un 
élément  à  peu  près  pareil  :  ce  sont  les  Buddhas  des  pagodes.  Telle 
est  la  première  impression  dont  ne  peut  se  défendre  le  voyageur, 
et  que  confirmerait,  si  nous  n'avions  que  faire  ici  de  leur  témoi- 
gnage, la  multitude  gi'ouillante  et  stéréotypée  des  idoles  modernes 
dans  tous  les  pays  restés  bouddhiques,  de  Geylan  t\  la  Mongolie, 
en  passant  par  la  Birmanie  et  le  Tibet.  Grâce  à  la  persistance  in- 
vétérée des  types  plastiques,  les  images  du  Maître  se  sont  beaucoup 
mieux  conservées  —  ou,  si  l'on  préfère,  moins  déformées  —  que 
ses  doctrines  en  traversant  les  difi'érents  milieux  où  elles  se  sont 
propagées  ;  et  c'est  aussi  pourquoi  nidie  part  ni  jamais   il  n'y   a 

"'  Sur  co  |iciiiit  voii-  H.  H.  F.  /i.-O.,   1\,  hjdi),  ]i.  H3i.  Vnir  l'iicore  ci-dessiis, 
t.  H,  ]i.  •->()7,  11.  h. 


LE  DIG-VIJAYA    DU  BUDDHA  INDO-GREC.  GH9 

d'hésitation  sur  leur  identité.  Mais  puisque  tous  les  Buddlias  se 
ressemblent,  c'est  donc  que,  de  près  ou  de  loin,  ils  descendent 
tous  d'un  ancêtre  commun.  S'il  est  permis  de  dire,  iconogra- 
phiquement  pariant,  qu'il  n'y  a  de  Buddha  que  le  Buddlia,  c'est 
qu'il  n'y  avait  à  l'origine  qu'une  unique  formule,  à  savoir  Tindo- 
grecque. 

De  quelque  côté  que  l'on  aborde  la  question,  qu'on  descende  la 
filière  des  plus  anciens  Buddhas  datés  ou  qu'on  remonte  de  proche 
en  proche  à  partir  de  leurs  plus  récentes  répliques,  c'est  tou- 
jours à  cette  conclusion  qu'il  en  faudra  venir;  car  avec  elle  tous 
les  faits  s'accordent,  et  aucun  n'y  contredit.  Son  autorité  et  son 
importance  ne  feront  que  s'accroître  si  l'on  spécifie  tout  de  suite 
qu'elle  est  valable  pour  tous  les  aspects  connus  du  Bienheureux, 
qu'il  soit  debout  ou  couché  ou  de  quelque  manière  qu'il  s'asseye. 
A  ces  diflérences,  fondées  avant  tout  sur  la  posture,  se  réduisent, 
on  le  sait,  les  seules  variantes  du  motif  :  il  n'en  est  aucune  qui 
ne  se  ramène  à  un  modèle  gandhârien.  Nous  venons  de  le  vérifiei- 
pour  le  Buddha  debout  (fig.  GS/i-ôgo)  ou  assis  à  l'indienne  (fig.  bbti- 
r)66);  il  sei';ut  loisible  de  reconnnencer  l'expérience  sur  les 
images  du  Purinirvàna  (fig.  ^76-28.8],  etc.  Ce  qui  est  vrai  du  type 
assis  lest  aussi  de  ses  sièges  :  les  figures  77,  yy,  6o5,  /io8,  /i58- 
669,  nous  auraient  vite  renseignés,  par  exemple,  sur  l'origine  du 
lotus  de  la  figiu-e  .")()().  Du  moins  l'unique  exception  à  cette  règle 
consisterait  dans  le  thème  du  nouvel  Illuminé  installé  sur  les  replis 
et  sous  le  capuchon  du  serpent  Mucilinda  :  création  bizarre,  s'il 
en  lut,  dont  il  semble  qu'il  faille  laisser  l'initiative  à  l'école 
d'Amarâvatî  (')  et  qui  n'eut  d'ailleurs  de  vogue  qu'en  Indochine 
(cf.  fig.  bai).  Encore  hésitons-nous  à  nous  jirononcer  catégoriquiî- 
ment,  à  cause  de  certaine  petite  leçon  que  nous  ont  récemment 
donnée  les  fouilles.  Il  existe  en  effet  —  ceci  n'est  pas  un  apologue, 

*''   Cf.   t.   I,  ji.   h\kki^).  Fouiliuil  1)11         !■(  il   l'ii  L'xisli'  iiii  ;iulre  sur  la  façade  de 
eu    a    troLivi'    un     spécimen    à    Béiiaiès         la  grolle  Vil    d  Ajanlà  (  I..S'.  ]Î./.,1V, 

{A.  S. i...\,w.  n,'p.  ujo'i-'>,  |)i.  xxxi)     pi.  xxvii). 

(.\NriM  un.    -  II.  h'\ 


690  RÉSUMK   HISTORIQUE. 

mais  en  pourrait  servir  —  une  représentation  du  Buddlia  assis  à 
l'européenne  dont  nous  connaissons  des  spécimens  un  peu  partout, 
à  Bénarès  (lig.  BGy  ;  cf.  (ig.  607  c),  au  Wagadha,  à  Ajanlà,  au 
Campa,  à  Java  (tig.  568),  comme  à  Dandan-Uiliq,  à  Touen- 
liouang,  à  Yun-kang,  à  Long-men,  à  Nara''),  etc.;  si  bien  qu'elle 
fournirait  toute  une  série  supplémentaire  de  reproductions,  si  Ion 
pouvait  jamais  tout  reproduire.  Or  jusqu'en  ces  dernières  années 
nous  avions  toutes  raisons  de  croire  que,  par  une  contradiction 
assez  inattendue  dans  les  termes,  ce  modèle  assis  à  la  mode  occi- 
dentale était  d'origine  purement  indienne,  tandis  que  le  tvpe  semi- 
européen  du  Gandliâra  aurait  toujours  affecté  la  posture  mystique 
des  yogi  indigènes.  Depuis  la  découverte  par  le  D''  D.  B.  Spooner 
du  groupe  de  la  figure  /i85(^),  si  tardiC  qu'il  semble  d'ailleurs,  qui 
oserait  encore  soutenir  ce  paradoxe  ?  Yeut-on  un  autre  exemple 
non  moins  convaincant,  bien  qu'il  ne  porte  que  sur  un  point  acces- 
soire? A  propos  dune  grande  statue  déterrée  à  Rawak  par  Sir 
Aurel  Stein  et  qui  était  auréolée  de  petits  Buddbas  debout,  obli- 
quement disposés  en  éventail,  M.  le  professeur  A.  Griinwedel 
croyait  pouvoir  déclarer  «qu'une  telle  représentation  était  jusqu'à 
présent  inconnues,  et  en  rapprochait  deux  images  observées  par 
lui-même  à  Qyzyl,  près  de  koutcba'').  En  fait,  ces  irradiations 
magiques  d'images  émanées  s'étaient  déjà  montrées  aux  coins  de 
certaines  représentations  gandhâriennes  du  «Grand  miracle n  de 
Çrâvastî  (fig.  78-79);  qu'elles  reçussent  à  l'occasion  les  honneurs 
du  panneau,  c'est  ce  dont  ne  permettent  plus  désormais  de  douter 
les  dernières  fouilles  de  Takht-î-Baliai  (cf.  lig.  /i8/i). 

<''   h.   houdd.,   I,   lig-.  10  (i-r.  |il.   III.  '''  Cf.    ci-dessus,    I.    II.    p.    3a6    et 

IV);  J.  A.,  190  ),  |)1.  k  et  7  ;  H.  I'ar-  58{î.  —  Une  aiilie  slalue,  pareillement 

MENTIER,  Iiwciitaire  des  monuments  fams,  assise,  du   Buddlia  {jit  niiililée  dans  les 

(ig'.  117  ;  M.  A.  Stein,  Ane.  Khotaii .  II,  mines  de  Taklil-Î-Baliai 

pi.  LUI:   L'r\n  décoratif,  n°   liS,  août  '''  Deutsche    Literalui:cilu)tg,  7  mars 

1910,   p.   G'i  ;  Ed.  Ghavannes,   Mission,  1908,  p.  5()i  ;  cf.   M.  A.  Stein,  Ancient 

pi.  128  et  suiv.,    180  et  siiiv.:  G.   Mi-  K Imlini,  \ .  i'ig.  ti-}-('>â  i^l  Suiid-huried  Ruiiis 

GEON,  Au  Jupon,  pi.  27,  et  plaque  de  terre  of  Klmiun,  fronlispice;  et  A.  (liii  nwedel  , 

cuilr  du  Miusée  de  Nara,  etc.  Altlt.  huit.  Turk.,  p.  igG,  201-202. 


i.E  nin-vi.nn  uv  Bcnnin  ixnn-r.nEr.  coi 

On  ne  saurait  donc  être  trop  circonspect  avant  d'aflTiimer  que 
tel  ou  tel  caractère  des  images  postérienres,  trait  de  détail  ou 
d'importance,  était  ignoré  de  l'école  du  Gandhàra.  En  revanche  il 
serait  par  trop  pusillanime  d'Iiésiter  plus  longtemps  à  tii'er  jusqu'au 


FiG.  55-'i.  —  BuDDUA  DE  Prayàga  ( cf.  p.  6l  1,  G8 1  .  700.  7<l3). 

Trouvé  il  Miinkiiwar,  dislricl  d'AUahnbàd. 

D'après  uni'  pholojj.  il»'  V Arrli .  Surrq/. 


bout  les  conséquences  logiques  de  cette  enquête  en  ce  qui  concerne 
l'évolution  du  type  du  Buddha.  Tout  d'abord,  le  terrain  étant  défi- 
nitivement débarrassé  de  la  chimère  du  fftype  indien  originels,  il 
ne  peut  plus  être  question  de  regarder  la  création  gandhàrienne 
comme  une  adaptation  hellénisante  dnn  modèle  indigène  préexis- 
tant. Par  voie  de  irciprocité,  dans  les  mutations  inévitables  que  le 

44. 


li'J-2  RÉSLMlî  HISTORIQUE. 

prototype  aura  subies  d'Inde  en  Inde,  on  doit  d'avance  s'attendre 
à  suivre  la  marche  d'une  trindianisalionn  progressive  de  l'original 
indo-grec.  Des  principes  analogues  guideront  notre  revue  des 
Buddhas  de  la  Haute-Asie:  car  cliez  eux  aussi  se  manilestent  cer- 
taines niodilications  à  mesure  qu'ils  passent  de  la  Sérinde  à  la 
Chine  et  de  la  Chine  au  Japon.  Assurément  nous  ne  pousserons 
pas  l'amour  du  parallélisme  jusqu'à  commencer  également  par 
discuter,  après  la  question  du  «type  originel  indienn,  celle  d'on  ne 
sait  quel  type  chinois  primitif.  Libre  à  M.  fcakasu  Okakura  de 
décréter,  sans  d'ailleurs  en  apporter  (et  pour  cause)  le  moindre 
commencement  de  preuve,  a  qu'une  étude  plus  profonde  et  mieux 
informée  des  œuvres  du  Gandhâra  révélera  une  plus  grande  pré- 
dominance de  l'inlluence  chinoise  que  de  la  prétendue  inlîuence 
grecque  Wn.  Sa  profession  de  foi  pan-mongolique,  contraire  à  toute 
l'évidence  des  monuments  et  des  textes,  ne  supporte  pas  la  dis- 
cussion. A  des  allirmations  aussi  tranchantes  et  injustifiées,  notre 
intention  n'est  pas  de  répondre  sur  le  même  ton  en  niant  à  notre 
tour  la  part  de  la  Chine  dans  le  développement  de  l'art  boud- 
dhique: l'histoire  nous  apprend  seulement  que  son  intervention 
a  été  beaucoup  plus  tardive.  C'est  ainsi  —  les  documents  chinois 
nous  en  ont  eux-mêmes  donné  l'assurance, —  qu'elle  n'a  été  pour 
rien  dans  la  genèse  du  type  idéal  du  Buddha  :  mais  c'est  de  la 
ffsinihcatiomi  de  ce  dernier  que  nous  nous  apprêtons  à  suivre  les 
progrès  à  travers  l'Asie  centrale. 


§  II.   L'évolution  du  type  du  Buddha. 

H  l;nil  en  toule  chose  garder  la  mesure.  La  fidélité,  pour  ne  pas 
dire  la  servilité  avec  laquelle,  dans  les  lieux  et  les  temps  les  plus 
divers,  les  fabricants  d'idoles  bouddhiques  se  sont  attachés  à  repro- 

l\  \k\'^(   (lh\Ki  iiA.   Tlie  Idciils  of  llie  Eiisl  (Lonilrc^.  ii.)i>''t).\). -jS  i'[  {-l.  \>.  --3 . 


/ÉVOLUTION    ni'    TVPF,   PI     lUHDIl  \. 


(i!),", 


FiG.  555.  —  BiiDDiiA  DE  BÉNABÈs.  (cf.  |).  870,  /181,  (3 1 1 ,  68 1  ,  683,  701,  703,  716). 

Trouvé  et  comervé  à  Sàniiith.  Ilaiilcur:  i  m.  Gii. 

Cf.  A.  S.  h,  Ann.  Bcp.    lso/,..5,  |il.  XXI\  c. 


fliiiie  an   moins  Taspect  d'ensemble    du   prololyjje   indo-grec  du 
Bnddha,  s'impose  avec  toute  l'évidence  d'un  l'ait  |)alpahlp.  aisé  à 


69'i  RÉSUMl':   HISTORIQUE. 

contrôler  dans  le  premier  album  ou  musée  oriental  venu  :  et  c'est 
pourquoi,  s'ils  risquent  de  baisser  dans  l'estime  des  criti(pies,  ils 
sont  sûrs  de  garder  la  reconnaissance  des  iconographes.  Quand  les 
premiers  amateurs  d'art  japonais  avaient  l'impression  de  retrouver 
dans  leurs  bibelots  exotiques  un  sentiment  classique  des  propor- 
tions et  de  la  draperie,  et  un  caractère  trplus  indien  que  chinois'^' n, 
ils  ne  se  doutaient  guère  que  leur  opinion,  alors  si  risquée  en 
dépit  de  sa  justesse,  serait  un  jour  susceptible  d'une  si  minutieuse 
vérification.  A  la  lumière  des  récentes  explorations,  leur  hasardeuse 
conjecture  s'est  muée  en  certitude  historique.  En  même  temps  elle 
s'est  singulièrement  précisée.  Non  seulement  des  traits  étranges  et 
i'rappants,  tels  que  l'exagération  des  oreilles  ou  la  protubérance 
du  crâne  ont  trouvé  ou  trouveront  une  explication  naturelle  ou 
satisfaisante  :  on  pourrait  déjà  pousser  les  rapprochements  jusqu'à 
des  caractères  plus  subtils.  Il  n'est  pas,  par  exemple,  jusqu'à  cette 
rondeur  lourde  du  bas  du  visage,  que  nous  avons  à  tort  ou  à 
raison  reprochée  à  nos  statues  gandhàriennes(^),  qui  ne  se  remarque 
chez  les  Buddiias  sino-japonais  (fig.  56^1-566,  BSs,  Scjo)  aussi 
bien  d'ailleurs  que  chez  les  Javanais  (fig.  56  i,  568,  58 o).  Mais, 
encore  une  fois,  l'air  de  famille  de  tous  les  Buddhas  connus  est  un 
fait  d'évidence  sensible,  et  que  nous  avons  assez  longuement  vérifié 
pour  être  siirs  de  n'être  victimes  d'aucune  illusion  d'opti([ue.  Ce 
qui  importe  à  présent,  c'est  de  marquer  el,  si  possible,  de  coor- 
donner, après  les  ressemblances,  les  dilférences  non  moins  indé- 
niables qui  les  séparent  selon  les  pays  et  qui  ne  pouvaient  manquer 
de  s'accentuer  entre  eux  à  mesure  qu'ils  s'éloignaient  dans  l'espace 
et  le  temps  de  la  souche  de  leur  race.  Car  c'est  bien  au  fond  d'une 
étude  anthropologique  qu'il  s'agit.  Un  jour  même,  avec  les  progrès 
de  l'arcliéologie,  tout  un  système  élaboré  de  mensuration  sera  ici 
de  mise  :  mais  il  va  de  soi  que  nous  ne  saurions  déjà  prétendre  à 
tant  de  scientifique  rigueur. 

'"'   GoNSE,  L'art  jiipniiiiis.  1,  p,   i(j(j.  —  ''''   T.  II.  |i.  '■'lïi-j. 


F;HV0LUTI0N  du   type  du    IîUDDHA.  695 

D'un  certain  nombre  de  ces  \arialions,  d'ordre  soit  corporel, 
soit  seulement  vestimentaire,  nous  nous  sommes  déjà  servis  inci- 
demment pour  la  chronologie  interne  de  l'école  du  (îandliâraC)  : 
nous  voudrions  essayer  à  présent  de  dégager  leur  place  et  leur 
valeur  exactes  dans  la  série  universelle  des  images  du  Buddlia, 
sans  d'ailleurs  (|u'il  soit  ordinairement  besoin  de  descendre  plus 
bas  que  le  x'^  siècle.  Or,  si  nous  reprenons  de  ce  point  de  vue  la 
visite  des  collections  ou  simplement  l'examen  des  recueils  d'images, 
nous  remarquerons  bientôt  que  les  modifications  les  plus  impor- 
tantes, parce  que  les  plus  constantes,  portent  sur  le  traitement 
des  draperies  et  sur  celui  des  clieveux.  Et  cette  première  consta- 
tation ne  pourra  manquer  de  nous  d:)nner  à  réfléchir.  N'est-ce  pas 
justement  l'exécufion  technique  de  ces  élénints''-'  qui  nous  a  le 
plus  clairement  dénoncé  l'origine  occidentale  des  créateurs  du 
type?  Et  n'est-ce  pas  sur  l'atténuation  progressive  de  leur  allure 
hellénisante  que  nous  avons  bâti  notre  essai  de  classement  chrono- 
logique des  Buddhas  gandhàriens  ?  Il  semble  donc  que  nous  ayons 
seulement  à  étendre  les  observations  déjà  faites  sur  le  clan  originel 
à  tous  les  membres  de  la  tribu,  si  dispersés  qu'ils  soient.  Aussi 
bien  les  circonstances  historiques  de  leur  transformation  n'étaient- 
elles  pas,  ici  et  là,  sensiblement  les  mêmes?  (}u'il  se  perpétuât  au 
Gandhàra  ou  qu'il  se  répandit  dans  l'Inde  et  en  Extrême-Orient, 
le  prototype  du  Bienheureux  ne  pouvait  que  tomber  des  mains 
de  ses  initiateurs  dans  celles  de  leurs  imitateurs  et  continuateurs 
indigènes  :  et  comment  ceux-ci  n'en  auraient-ils  pas  pris  avantage 
pour  l'accommoder,  consciemment  ou  non,  à  leurs  idées  et  à  leur 
goût?  Telle  est  laulre  lace  du  problème  que  pose  l'évolution  plas- 
tique de  l'idole  bouddhique  par  excellence.  Dans  les  pages  précé- 
dentes, nous  avons  suivi  avec  les  yeux  conq)laisants  d'un  Européen 
l'installation  triomphante  du  Buddha  indo-grec  dans  loiil  l'Oiionl 
du  Vieux-Monde:  et  il  n'est  pas  douleux,  en  ellet.  qii  il  n  v  ait  ('-lé 

'    (.('.  ci-<le'isiis,  I.  il,  11.  .");")(),  ,553,  ele.  —   "    (jl.  I.  Il,  p.  2'^t>.,  -î.^o  l'I  suiv. 


cm  liKSIMK    IIISTORinCR. 

l'ccii  avec  (MitlioiLsiasme,  el  (|u'arlisles  et  fidèles  ne  se  soient  [jarloul 
inclinés  devant  le  prestige  de  sa  beauté.  Mais  il  est  non  moins 
évident  que  sur  les  deux  points  déjà  signalés  —  et  d'autres,  plus 
intimes  —  la  teclinique  grecque  choquait  à  la  fois  leur  esthétique 
et  leur  orthodoxie,  et  qu'ils  le  firent  bien  voir.  Regardé  par  l'autre 
bout  de  la  lorgnette,  le  difr-vijnya  du  Maître  nous  apparaîtra  plutôt 
comme  la  lente,  mais  irrésistible  absorption  de  limage  semi- 
européenne  qu'une  école  étrangère  avait,  par  le  seul  jeu  de  sa 
supériorité  souveraine,  imposée  dès  l'abord  à  l'admiration,  voire 
à  l'adoration  des  peuples  asiatiques.  Toute  action  appelle  une 
réaction;  et  il  est  à  la  fois  vrai  de  dire  que  le  Buddha  a  conquis 
l'Asie,  et  celle-ci  son  vainqueur. 

Les  cheveux.  —  Mais  laissons  ces  trop  ambitieuses  généralités 
et  reprenons  notre  patiente  analyse.  Des  deux  traits  convenus  de 
la  figure  du  Bienheureux  qui,  par  leur  promptitude  et  leur  persé- 
vérance à  se  transformer,  ont  tout  d'abord  attiré  notre  attention , 
les  cheveux  et  les  draperies,  le  ]>remier  est  de  beaucoup  le  plus 
important:  car  là  il  ne  s'agit  pas  seulement  d'une  alTaire  de  mode, 
mais  d'une  belle  et  bonne  hérésie.  Deux  choses  sont  en  efl'et  égale- 
ment certaines  :  l'une,  C[ue  les  statues  du  Buddha  —  si  tant  est  que 
le  Buddha  eût  jamais  du  avoir  de  statue  —  devraient  toutes, 
comme  on  sait  déjà''',  avoir  la  tète  rasée;  l'autre,  que  ces  mêmes 
statues  ont  toutes,  comme  on  peut  voir,  gardé  leur  chevelure. 
Même  dans  les  écoles  qui,  à  la  dilTérence  de  celle  du  Gandhâra, 
représentent  le  Prédestiné  en  train  de  se  couper  les  cheveux'^', 
son  crâne,  après  cette  opération,  n'en  devient  pas  plus  chauve. 
On  se  rappelle  peut-être  à  quel  point  cette  question  est  étroitement 
liée  à  la  genèse  de  Yusnisa  et  comment  cet  ornement  postiche 
nous  a  |)aru  devoir  sou  artificielle  existence  aux  dévotes  exigences 

'''   Ci.  I.ll,  |i.  oyçi  et  siiiv.  à     ceUe     place,    a     été     depuis    publie 

'■■■')  Cf.  t.  I.  p.   3(i/i.  Le  fra{rmenl   tle        (M.  A.  Stei.n,  Ane.  Kliotan,  pi.  XLVIII, 
scliisic  lidMvé  il  Klidlan,  el  déjà  signalé         kli.  oo3  ".). 


r;i' VOMîTION   DU  TYPE   DU   BliDDHA.  697 

(le  fidèles  rigoristes,  compliquées  de  la  routinière  maladresse  de 
{[iielques  ap])rentis  sculpteurs  C.  La  théorie  a  pu  sembler  assez 
alambi([uée  :  elle  n'en  trouve  pas  moins  sa  confirmation  dans  la 
revue  que  nous  sommes  en  train  de  passer  des  images  du  Buddlia. 


l''iG.  5.')().  —  Blddfh  1  dk  Mviuulii),  .u:  .\Iag\diia  (cf.  p.  6'jç),  681,  701). 
Musée  (h  Calculla,  n    II.  G.  t.   Provcmint  de  Ilnilli-Gaijd.  Hauteur  :  i  m.  tS. 

De  lotis  les  signes  caractéristiques  du  grand  homme,  celui  qui  lui 
avait  ainsi  poussé  après  coup  sur  la  tète  est  aussi  le  seul  chez 
lequel  nous  ])uissions  rclevei"  des  modifications  vraiment  foncières, 
et  cela  jusquà  nos  jours.  Uusnisa,,  s'il  faut  l'appeler  de  ce  nom. 
se  porte  en  effet  de  bien  des  manières,  non  seulement  l'ond,  à  I  au- 


'''   Cf.  l.  Il,  [).  295  et  siiiv. 


C98  RÉSUMÉ   HISTORIQUE. 

cienne  mode,  mais  encore  conique  comme  au  Canjbodge,  ou  en 
pointe,  comme  au  Siam,  ou  en  forme  de  flamme  comme  au  Laos, 
ou  de  lyre  comme  à  Ceylan  (fig.  569-572).  Evidemment  les  fan- 
taisies individuelles  ou  nationales  se  sont  ici  donné  carrière  :  et  l'on 
pourrait  être  tenté  de  voir  dans  ces  et  variations  n  une  vérification 
de  plus  de  l'axiome  des  théologiens  et  que  l'orthodoxie  est  une  et  que 
l'hérésie  est  multiplet.  En  réalité  elles  proviennent  simplement 
du  lai!  qu'il  n'existait  sur  ce  point  aucune  tradition  fixée.  Et  com- 
ment les  vieux  textes  sacrés,  qui  n'avaient  même  pas  idée  d'une 
représentation  du  Maître,  auraient-ils  pu  en  effet  dogmatiser  à 
l'avance  sur  une  déformation,  aussi  tardive  qu'inopinée,  de  ses 
statues  gandhàriennesW  ?  Au  contraire,  le  fait  que  Yusnisa  était 
sorti  d'une  sorte  de  compromis  entre  donateurs  et  artistes  ouvrait 
désormais  la  porte  à  toutes  les  combinaisons  possibles,  selon  les 
hasards  de  l'heure  et  du  lieu.  C'est  tout  juste  si,  à  travers  ses 
transformations,  ce  tt signe :i  est  demeuré  d'ordinaire  (mais  non 
toujours'-))  sur  le  sommet  du  crâne,  à  la  place  originelle  de  ce 
chignon  indien  dont  il  n'est  en  définitive  qu'une  malfaçon. 

11  est  inutile  d'insister  sur  les  fioritures  modernes,  mais  intéres- 
sant de  noter  les  trois  variantes  anciennes  du  motif.  L'une  des  plus 
curieuses  nous  est  offerte  par  une  image  déjà  familière  de  Mathurà 
(fig.  55o)  et  se  retrouve,  non  moins  nette,  sur  une  tête  détachée 
de  même  provenance,  aujourd'hui  à  Lakhnau  (fig.  55 1).  Les 
sculpteurs  locaux  ont  bien  renoncé  à  raser  la  tête  du  Buddha  — 
moins,  semhle-t-il  ici,  par  respect  pour  le  modèle  gandhârien  que 
par  crainte  de  le  faire  méprendre  pour  un  simple  moine;  mais, 
probablement  par  déférence  pour  la  mode  locale,  ils  ont  roulé  en 
spirale  sur  le  sommet  du  crâne  la  longue  mèche  caractéristique 

'"'  ^otons  toutefois  que  le  cliclic  ;mi-  '■'  Mous  avons  di'ja  eu   l'occasiou  de 

quel  nous  avons  fait  allusion  plus  haut  signaler  f[ne,  sur  les  miniatures  benga- 

(l.  II,  p.  299)  a  pu  (lonner  prétexte  aux  lies  du  xi'  siècle  (cf.   Iconogr.  bouddii., 

modernes,    pour    figurer    Viisnisa    sous  pi.  X,   i  et  i),  il  est  de  l'orme  pointue 

lorme    d'une    excroissance    flamhovante  et  placé  sur  l'arrière  de  la  lôte,  comme 

(cf.  pour  Yùrijci,  t.  II,  p,  289).  un  loupel  de  clown. 


L'ÉVOLUTION  DU  TYPE  DU   BUDDHA.  699 

des  Hindous.  Au  total  ils  ont  l'ahriqué  une  figure  du  Maître  (jui, 
avec  son  cliignon  ren  forme  de  coquillages,  mériterait,  au  même 
litre  que  Çiva,  Ti-pithète  de  /.«/wrf/m  (".  Cette  bizarre  éUicnhialion 


FlG.    057-558.    lilDUIlAS   (DE    STÏI.E   PÀlA  ) ,  AU    Mai^DMA 

("cf.  p.  6i  1,  681.  701,  7oi  ,  780). 
Fig.  557.  —  Musée  <h'  CalcuUa,  n°  Kr.  lii.  Provenant  de  kwLihdr.  }{iinleur  :  i  m.  o5. 
hig.  558.  —  Trouvé  près  de  Rdjagriha;  cf.  J.  .1.  .S.  nf  Beng.,  L.MII ,  I,  pi.  U.iSijù. 

n'eut  d  ailleurs,  si  l'on  en  croit  les  fouilles,  aucun  succès.  Plus 
dnral)le  se  montra  un  autre  procédé  dont  s'avisa  la  même  école 
et  qui  s'amorce  déjà  sur  les  deux  images  en  question  :  nous  voulons 
parler  de  cette  façon  d'arrêter  rigoureusement  sur  le  Iront  la  li;;ne 


'''  C'est  éviilemment  là  nue  mode  ;'i  boniaienl,  l'omrne  l'onl  oncore  la  |ilii|)arL 
l'usage  des  laï(|ucs:  loiilefoisie  uoni  a  pu  des  sddliu  actuels,  à  se  découxiir  la  léle 
^Ire  donué  à  des  ordi-cs  ascétiques  qui  se         sans  la  raser. 


700  RKsnMi';  insToiiionE. 

(les  clieveiix,  dont  la  masse  n'esl  plus  iii(li(jii('e  que  par  un  iiiofleli' 
parlaitemeiit  lisse  :  si  bien  que,  tout  en  {jardant  la  silbouettc  carac- 
téristique du  clii{;noii,  la  tète  paraît  entièrement  i'asée(cf.  fig.  584). 
Ce  mode  de  compromission  entre  les  deux  tendances  opposées  que 
nous  avons  dites  est  fort  ingénieux  et  d'ailleurs  des  plus  commodes 
pour  l'ouvrier:  aussi  ne  s'étonnera-t-on  pas  outre  mesure  qu'il  ait 
joui  de  quelque  faveur.  On  le  retrouve  non  seulement  dans  l'Inde 
sur  un  Buddha  du  Madhyadêça  (fig.  556),  mais  jusqu'en  Sérinde 
(fig.  563)  et  en  Chine  (fig.  hko  et  564).  Il  fut  toutefois  éclipsé  et 
supplanté  à  peu  près  partout  par  les  «boucles  frisottanles  et  toutes 
tournées  vers  la  droite  n  qui  avaient  pour  elles  l'autorité  du  texie 
—  encore  que  détourné  de  sa  véritable  application  —  des  saintes 
écritures.  Tel  est,  on  s'en  souvient,  le  parti  qu'avaient  pris,  de 
guerre  las,  les  artistes  du  Gandhàra.  Mieux  valait  encore  pour  eux 
s'exécuter  de  bonne  grâce  que  d'exposer  leurs  œuvres  à  des 
retouches  du  genre  de  celles  dont  la  belle  tète  indo-grecque  de  la 
figure  578  porte  si  visiblement  la  trace  édifiante,  mais  déplorable. 
Is  fecil  cui.  .  .  placel  :  le  coupable  s'y  dénonce  assez  de  lui-même. 
C'est  pour  flatter  le  goût  ou  les  préjugés  indigènes  qu'une  main 
indienne  s'est  intentionnellement  elïorcée  d'eflacer  par  le  flotte- 
ment l'indécente  luxuriance  de  la  chevelure,  en  même  temps 
qu'elle  se  plaisait  à  reprendre  les  sourcils  pour  mieux  en  souligner 
la  jonction.  Devant  cet  insigne  te  sabotage  11 ,  on  conçoit  que  les 
sculpteurs  gandhâriens  aient  préféré  se  réformer  eux-mêmes.  Il  ne 
faudrait  pas  croire  d'ailleurs  que,  pressés  d'abandonner  leur  pro- 
cédé favori  des  w  ondes  n,  ils  aient  dû  inventer  tout  exprès  pour  la 
circonstance  celui  des  boucles.  Quelque  archaïque  qu'il  dût  paraître 
à  leurs  yeux  comme  aux  nôtres,  ce  dernier  leur  était  égaicmeni 
lamilier,  et  se  montre  sporadl(|uement  sur  des  œuvres  de  bonne 
époque.  C'est  ainsi  que  la  figure  i5-j  en  gratifie  un  dieu  et  la 
figure  i5i  le  neveu  d'Asita,  personnage  encore  respectable  :  mais 
le  fait  qu'on  le  prête  également  à  de  simples  lutteurs  (fig.  3o3,  cl 
cf.  I,  p.  33/1)  ou  même  à  des  démons  (cf.  fig.  598  et  /i6o)  prouve 


I/EVOI.UTIO.^    DU   TYPE   FMI   ISUDDHA.  701 

assez  qu'il  n'avait  pas  à  Torigiae   le   caractère  hiératique  et  sacré 
rjue  finit  par  lui  donner  son  association  avec  la  tête  du  Maître. 

Sous  le  bénéfice  de  ces  observations,  rien  ne  serait  plus  aisé  — 
car  les  têtes  sont  ce  qui  nous  manque  le  moins  —  que'de  suivre  à 
travers  les  collections  publiques  ou  privées  la  progressive  schéma- 
tisation et  la  transformation  finale  de  la  chevelure  et  à  la  grecque  t) 
du  Buddha  gandhàrien.  Gomme  point  de  départ  nous  prendrions 
quelque  spécimen  de  bonne  époque  dont  les  ondes  soient  encore 
souples  et  fluides  (fig.  67^  et  b-jMns;  cf.  fig.  hhb-hhi^,  48o- 
681,  etc.).  Mais  bientôt  nous  verrions,  sans  que  les  mèches  ces- 
sent pour  cela  d'être  longues,  leurs  ondulations  commencer  à  se 
dessécher  et  à  se  figer  (fig.  .576;  cf.  fig.  A55-i56,  /182,  etc.).  Sur 
la  figure  676,  elles  semblent  déjà  se  rompre  en  petites  vagnettes 
distinctes.  Enfin,  sur  la  figure  677,  apparaissent  les  boucles  cré- 
pues ('  ;  et  il  sulfira  à  celles-ci  de  se  styliser  à  leur  tour  (fig.  878; 
cf.  lig.  ^83),  pour  nous  présenter  d'avance  l'apparence  stéréotypée 
des  images  de  Mathurâ  (fig.  .^79;  cf.  fig.  687),  de  Bénarès 
(cf.  fig.  555,  567  et  588),  ou  du  Magadlia  (cf.  fig.  556-558).  Il 
ne  nous  resterait  plus  qu'à  suivre  la  fortune  de  ce  procédé  au 
Cambodge  (fig.  58i;  cf.  fig.  56o)  et  à  Java  (fig.  58o;  cf.  fig.  56i 
et  568),  en  Chine  (cf.  fig.  54 1)  et  au  Japon  (fig.  082;  cf.  fig.  566 
et  590).  Mais,  à  l'aspect  de  ces  dernières,  surtout  des  figures  58 1 
et  589,  qui  se  douterait,  si  nous  ne  venions  de  suivre  la  filière 
de  leurs  modifications  successives,  que  ces  rangées  de  rugosités, 
pareilles  à  des  alignements  de  grains  de  chapelet,  représentent  les 
vestiges  atrophiés  des  anciennes  boucles?  Il  n'est  pas  surprenant 
que  les  Bouddhistes  d'aujourd'hui  s'y  trompent  eux-mêmes.  Nous 
nous  sommes  laissé  conter  qu'au  Laos  les  gens  ont  une  façon  à  eux 
de  comprendre  la  coiffure  spéciale  du  Maître.  Un  jour,  disent-ils, 


III 


'■'  Nous  ne   revenons  pas  ici   sur  la  di'crit  soinmairenionl  les  Biiddlias  (!(■  si 

manière  dont  lesdiles  boucles  ont  envahi  temps  (  vi°  siècle) ,  note  ces  cheveux  courts 

le  soi-disant  MAHiVi  (cf.  l.ll,  p.  ayfil  —  (58,  '1/1).  —  Les  musées  indiens   con- 

l,.i  Ilriliiil-Siiiiiliili!  de  \  arâlia-Miliira ,  (pii  scrveiil  miiiiliie  de  ces  boucles  délachées. 


70-2  RÉSUMÉ  HISTORIQUE. 

un  de  SCS  fidèles,  craignant  qu'il  ne  jiiîl  une  insolation,  a  coiffé  sa 
tête  rasée  d'un  iruit,  préalablement  évidé.  de  jaquier  (ou  arbre- 
à-pain).  11  est  de  fait  que  rien  ne  ressemble  mieux  à  l'écorce 
rugueuse  de  la  jaque  que  le  crâne  grenu  d'un  Buddlia  laotien  ou 
siamois  (cl.  fig.  571-572)  :  mais  tout  de  même  nous  croyons  notre 
théorie  archéologique  préférable.  Nous  ne  sommes  pas  davantage 
disposé  à  abandonner  celle  que  nous  avons  avancée  à  propos  des 
draperies  a  à  la  grecques  pour  adopter  la  version  mongole  de  leur 
origine  :  car  sur  ce  point  aussi  des  fidèles,  paisiblement  ignorants 
de  fart  hellénique,  ont  inventé  de  toutes  pièces  une  explication 
qui  leur  fût  intelligible.  Les  artistes  chargés  d'exécuter  la  première 
image  du  Maître,  éblouis  par  sa  splendeur,  n'auraient  pu  copier 
que  la  tremblante  réflexion  de  sa  personne  dans  l'eau  :  et  les  ondu- 
lations serpentant  sur  cette  eau  rendraient  compte  des  plis,  à  leur 
gré  inutiles  et  même  disgracieux,  qui  courent  sur  le  costume''). 

Les  draperies.  —  Mais  laissons  ces  billevesées,  pour  significatives 
qu'elles  soient,  et  reprenons  le  fil  de  notre  étude.  L'expérience 
qui  vient  de  nous  réussir  sur  les  cheveux,  nos  documents  nous 
invitent  à  ia  recommencer  immédiatement  à  propos  des  draperies  : 
et,  de  fait,  ils  nous  présentent  également  toute  la  série  des  nuances 
intermédiaires  entre  le  faux  himation  et  la  véritable  sniighdii. 
Nous  partirions  cette  fois  encore  du  beau  manteau,  si  bien  drapé 
à  la  grecque,  de  la  planche  II  (cf.  fig.  /i 7 7-^7 8  et  /i8o);  mais 
déjà  sur  la  figure  583  (cf.  fig.  48i-/i83)  nous  en  verrions  l'étoffe, 
naguère  si  hardiment  creusée  et  si  librement  flollante,  s'étriquer  et 
se  plaquer  sur  le  corps,  comme  si  elle  venait  d'être  mouillée.  La 
tendance  à  atténuer  les  creux  et  à  mouler,  pour  ainsi  dire,  le  torse 

•''  Cf.   A.   CiiiiJwvEDEL   et  J.  Bi'RGESs,  Nous  revîeiKlrnns  flans  un  inslani  (S  m) 

/J«(W/i/s( /!)■(  îN /)i(/i'«,  [).  17 1-1 72,  d'après  sur  les  légendes  relalives   à  la   création 

G.  HuTH,  Geschichte  des  Buddhismus  in  de  la  première  statue  du  Buddlia  :  nous 

dcr  Moii'olei,  II,  p.  609.  Voir  parlicu-  avons  afiaire  ici  à  une  variante  de  celle 

lièremenl    certains    Bnddhas    de   Rawak  cpic  nous  conterons  p.  720-72-2 ,  d'après 

(M.  A.  Stein,  Ane.  kliittan .  p.   /190).  —  le  Divijàvadàna. 


L'EVOLUTION   DU  TYPE  DU   BUDDHA. 


703 


et  les  membres  se  précise  et  s'exagère,  à  mesure  que  nous  péné- 
trons dans  la  péninsule,  sur  les  images  de  Malliurâ  et  d'Amarâvatî 
(fig.  586-087;  ^'-  ''S-  559-553)  :  toutefois  on  ne  sait  quel  scru- 
pule fait  encore  respecter,  pour  amenuisés  qu'ils  soient,  l'indica- 
tion Iraditiomielle  des  piis.  Si  nous  descendons  à  la  fois  jusqu'au 


^sr^^-.. 


:.»  <^i^ 


Ê% 


■A 


l'io.  .j.ji).  —  Blddiia  i>k  Cevlan  (cf.  p.  682,  707). 
Sltiliie  voisine  du  Ruaiiiveli  Dagoba  (Mahd-lhtipa) .  ii  Aiiiirddliniiiird. 


v*' siècle  et  jusqu'à  Bénarès  (fig.  588;  cf.  fig.  55'i-555,  5G7),  ces 
dernières  rides  ont  disparu,  exactement  comme  sur  un  miroir  d'eau 
qui  s'apaise.  La  personne  du  Bienheureux,  voire  même  la  ceinture 
de  son  vêtement  de  dessous,  achèvent  de  se  dessiner  à  travers 
la  transparence  voulue  du  lissu  :  seul  un  dernier  Ilot  achève  de 
retomber  de  sa  main  gauche  en  une  savante  cascade.  Begardez-la 


70'i  RÉSUMÉ   HISTORIQUE. 

de  près;  c'est,  ])ien  une  chute  classique,  dernier  vestige  de  l'iiilluence 
grecque.  H  ne  nous  resterait  ])lus  qu'à  suivre  l'extension  et  la  per- 
pétuation de  cette  même  facture  sur  les  statues  debout  ou  assises 
du  Magadha  (lig.  boo,  557-558,  588  tts),  d'Ajanlà  (lig.  5o3), 
du  Cambodge  (fig.  2o5.  5-21,  56o)  ou  de  Java  (fig.  5i2,  56i  et 
568).  Parfois  le  fait  que  l'image  est  vêtue  en  vient  à  n'être  plus 
marqué  que  par  une  simple  rainure  coupant  la  poitrine  et  les 
jambes,  ou  quelque  plissement  discret  des  coins  du  manteau.  Force 
est  de  convenir  que  nous  assistons  une  fois  de  plus  à  l'élimination 
progressive  et  méthodique  de  la  technique  hellénisante  et  à  son 
remplacement  par  un  ])rocédé  plus  conforme  à  l'esthétique  et  aux 
habitudes  de  l'Inde.  Aussi  bien,  après  les  remarques  que  nous  avons 
déjà  dû  faire  plus  haut  à  propos  des  formes  et  du  costume  ''),  il 
nous  est  aisé  de  deviner  les  deux  causes  opérantes  de  cette  trans- 
formation :  d'une  part,  le  goiÀt  indigène  pour  les  surfaces  rondes 
et  lisses,  de  l'autre  la  substitution  aux  épais  lainages  gandhâriens 
des  diaphanes  mousselines  de  l'Inde.  Nous  venons  seulement  de 
suivre  l'action  de  ces  deux  causes  jusque  dans  leurs  ultimes  ell'ets. 
Mais  il  faut  tout  de  suite  remarquer  que,  par  définition,  elles  ne 
sauraient  l'une  et  l'autre  être  véritablement  agissantes  qu'en  des 
pays  de  climat  chaud  et  de  colonisation  indienne.  Par  le  fait, 
la  loi  de  l'atténuation  des  draperies,  s'il  est  permis  d'employer 
ce  terme  ambitieux,  ne  se  vérifie  grosso  modo  que  dans  la  zone 
tropicale  :  et  ainsi  nous  ne  saurions  lui  reconnaître  la  même  aire 
d'extension  qu'à  celle  du  frisottement  des  cheveux.  Dans  toute  la 
Haute-Asie  nous  discernerons  bien  une  certaine  schématisation 
et  des  dispositions  nouvelles  dans  les  plis  :  mais  jamais,  comme 
dans  les  Indes,  ceux-ci  ne  brilleront  par  leur  absence. 

Serons-nous  plus  heureux  si,  au  lieu  de  considérer  le  mouve- 
ment d'ensemble  de  l'étofTe,  nous  nous  attachons  à  tel  détail  par- 
ticulier de  vêture?  L'espoir  nous  vient  de  découvrir  dans  la  manière 

f'i  Cf.  I.  11.  |).  ?>so  ctsuiv. 


L'ÉVOLUTION   DU  TVl'K    DU   BUDDHA.  705 

de  porter  la  saùghdti  l'amorce  d'un  développement  qui  ait  été  par- 
tout et  uniformément  suivi.  Nous  nous  sommes  déjà  trouvé  dans 
l'obligation  de  faire  remarquer  à  propos  des  moines  que  la  manièi-e 
indigène  de  cr  faire  des  cérémonies  -n  consistait  à  se  découvrir  l'épaule 
droite  et  que,  par  ailleurs,  cette  mode  n'apparaît  qu'assez  tard  sur 


FiG.  56o.        liuiiiiiv  Di   I^AMiiouuE  (  cl.  ji.  liMI! ,  701,   /oij. 
1  rimn''  fjor  .1.  Commajli.i-:  ii  riint)re  (le  In  façade  Sud  dw  liaijon  dWn^kur-Thnin  iiQjS). 

les  Huddlias  du  Nord-Ouest'".  Ce  qui  n  était  au  Gandhàra  qu'une 
exception  tardive  devient  au  contraire  la  règle  générale  sur  les 
images  postérieures  du  Magadha  et  de  Geyian,  de  l'Indochine  et 
de  rinsulinde  (■-'.  Or  il  est  non  moins  visible  que  cette  coutume 
indienne  s'est  également  propagée  dans  la  Haute-Asie.  Dès  Ravvak, 

'''  Cf.  t.  II,  p.  270  et  553.  une  lois  de  plus  les  mêmes  renvois  aux 

'■'   Il  nous    parait  inutile  de   répéter        mêmes  Ogtires. 

GiMiHin».  -   II.  45 


wpBiiirntt    KlTIOxiir. 


706  RÉSUMÉ  HISTORIQUE. 

à  cofé  des  Bnddhas  vêtus  jusqu'au  cou  nous  en  apercevons  qui 
montrent  leur  épaule  droite  C.  Mallieureusement  pour  la  théorie, 
ils  n'en  demeurent  pas  là.  Un  développement  inattendu  et  auquel 
rinuc  n'a  plus  de  part,  vient  tout  à  coup  en  Sérinde  se  grelTer 
sur  le  premier.  Voici  en  efl'et  qu'un  pan  du  manteau  remonte 
par  derrière  et  se  rabat  sur  l'épaule  droite,  comme  pour  en  voiler 
la  nudité.  Ce  trait  nous  paraît  d'autant  plus  digne  de  retenir 
l'attention  des  sinologues  qu'il  surprend  davantage  les  yeux  des 
indianistes,  et  il  conviendra  de  fixer  aussi  exactement  que  possible 
la  date,  sinon  les  raisons  de  son  apparition.  Déjà  dans  la  et  Grotte 
des  Peintres T)  à  Qyzyl,les  dessins  de  M.  le  professeur  A.  Griinwedel 
relèvent  côte  à  côte  des  Buddhas  dont  la  sanghâù  découvre  seu- 
lement l'épaule  droite,  à  l'indienne,  et  d'autres  où  au  contraire  elle 
laisse  —  dirons-nous,  à  la  chinoise?  —  la  poitrine  à  nu  entre  les 
deux  épaules  vêtues.  Cette  dernière  disposition  est  devenue  cou- 
rante en  Chine  dès  le  v°  siècle  (fig.  5/i 0-542,  56/i)  et  on  la  retrou- 
vera juscjue  chez  les  Buddhas  sino-japonais  et  tibétains  les  plus 
modernes'-':  mais  c'est  justement  par  là  qu'ils  se  dilTérencient  à 
première  vue  de  leurs  congénères  Indochinois  ou  singhalais. 

Ainsi  les  deux  tentatives  que  nous  venons  de  faire  pour  esquisser 
les  lignes  directrices  de  l'évolution  des  draperies  chez  les  idoles 
bouddhiques  n'ont  qu'à  moitié  réussi.  L'une  s'est  vu  restreindre, 
par  des  conditions  particulières  de  civilisation  et  de  climat,  aux 
seules  Indes  orientales,  tandis  que  la  courbe  de  l'autre  a  été  sou- 
dainement traversée  par  un  élément  spécial  à  la  Haute-Asie.  Mais 
ces  réserves  ne  sont  pas  les  seules  que  nous  devions  faire.  11  faut 
bien  avouer  que  nos  essais  de  et  lois  w  n'ont  qu'une  portée  purement 

'■'  M.  A.    Stein,    Ane.     Khotnn .    H,  mais  prouve  que  les  Chinois  se  rendaient 

pi.  XVII.  comple  de  la  dilïeience.  Notons  encore, 

'"'  Le  témoignage  chinois  du  xiT  siècle  à  l'appui  des  remarques  qui  vont  suivre 

cité  par  F.  Hirth  (Ubcr  freimk  EiiiJIiisse  sur   les  croisements  d'inlluence,  le  cas 

in  lier  CIniie'iiscIten  kiinst,  p.  5i)  au  sujet  de  ces  honzes  indiens  chargés  de  décorer 

du  style  des  Buddhas  du  Magadha  ne  l'ait  vers  ce  même  temps  le  yamen  d'un  préfet 

que   confirmer  nos  documents  indiens,  du  Sseu-tch'ouan. 


L'EVOLUTION  DU  TVPE  DU   BUDDUA. 


101 


théorique,  à  chaque  fois  compromise  parla  multiple  diversité  des 
faits.  C'est  ainsi  que  dans  les  Indes  nous  relevons  des  traces  spora- 
diques  de  draperies,  comme  si  après  tout  elles  ne  s'effaçaient  qu'à 
regret  (cf.  fig.  lîoo,  BSg  et  surtout  689).  En  Chine  nous  rencon- 


l''iG.  GGi.  —  BiiDDin  Dii  Java  (et',  p.  hS'j,  (iij'i.  701,  70/1). 
Ttjpe  des  lîwhlhiis  du  llnni-liinidniif. 


irons  à  la  même  époque  et  quelquefois  cote  à  côte,  comme  sur 
la  figure  56û,  des  Buddhas  à  la  poitrine  dénudée  ou  dont  la  robe 
monte  au  contraire  jusipùui  cou.  Parfois  même,  aux  temps  et  aux 
lieux  où  l'on  s'y  attendrait  le  moins,  les  plis  traditionnels  ressuscitent 
comme  sur  telle  statue  de  bois'')  dont  l'existence. n'est  attestée  au 

'''   Voir  Si;i-icui   Tam,  Un  a   slaliic  of         hidn-ipreh    liijlumœ     [Kokka ,     l.     \\, 
Shaka    in   tlœ   Seiryo-ji    Temple    sliuiving         p.  a^a-aSg). 

lia. 


708  RKSUMK   HISTORIQUE. 

Japon  qu'à  itarlii'  du  x"  siècle  (fig.  Tj^o).  Et  certes  nous  voyons  bien 
comment  il  serait  facile  d'arranger  les  choses.  Ces  subites  récur- 
rences individuelles  du  type  ancestral  sont  un  phénomène  bien 
connu  en  anthropologie.  Dans  l'espèce  elles  étaient  singulièrement 
favorisées  par  le  fait  qu'on  continuait,  nous  le  savons,  à  colporter 
dans  toute  l'Asie  bouddhique  des  dessins  des  images  les  ])his  cé- 
lèbres ('),  et  que  plusieurs  de  celles-ci  se  rattachaient  directement 
au  prototype  gandhâricn  (cf.  fig.  Tk)!).  Rien  ne  serait  donc  plus 
aisé  que  d'ajuster  ces  variations  et  ces  résurrections  dans  notre 
svstème  :  ce  sont  les  exceptions  qui  confirment  les  règles  que  nous 
venons  d'énoncer.  —  Sans  doute  :  mais  elles  nous  avertissent  en 
même  temps  avec  quelle  prudence  il  conviendra  de  les  appliquer. 

L'iNTERPliKïATION  CHnONOI.OGIQUE   lîT   ESTHETIQUE   DES    FAITS. AuSsi 

ne  tenterons-nous  pas  de  pousser  plus  profondément  l'examen  des 
nombreuses  espèces  qu'embrasse  le  genre  Buddha.  Nous  risquerions 
à  présent  de  ne  ramener  qu'une  poussière  de  faits  sans  liaison 
entre  eux  et  dont  chacun  réclamerait  une  explication  de  détail, 
d'un  caractère  surtout  ethnique  ou  technique.  Connnent  mesurer 
par  exemple  la  part  de  la  race  dans  l'épaississement  du  menton 
javanais  (fig.  58o),  l'élargissement  des  lèvres  khmères  (fig.  58 1) 
ou  le  retroussis  des  yeux  sino-japonais?  Ou  encore  qui  définira 
exactement  le  rôle  joué  par  la  matière  dans  la  facture  des  images 
d'argile  moulée  de  la  Sérinde  ou  des  statues  en  pierre  volcanique 
de  Java?  Ces  seuls  exemples  peuvent  donner  une  idée  des  discus- 
sions sans  fin,  et  le  plus  souvent  sans  issue,  où  nous  risquerions 
à  présent  de  verser.  Mieux  vaut  nous  borner  aux  seuls  traits  exté- 
rieurs et  marquants  qui  se  laissent  aisément  vérifier  presque  à  tout 
coup  et  organiser  tant  bien  que  mal  en  séries  continues.  Le  tout 
n'est  pas  d'ailleurs  de  dresser  des  sortes  de  tableaux  synoptiques 
des  modifications    les  plus  répandues    et    permanentes  :  il    faut 

'    (if.  I!.  l'iiïiii  ci.i,  Coiiférfiiccs  au  Mi(séc   (ïiiii/ii'i  eu  iffii  (Hilil.  ilo  viiljjiirisatinii . 

1.    Al),   |l.    1-2  1    Ol    1  'iD. 


i;i-:voi,i  TTo\  ni"  tvpk  du  ruddma.  709 

encore  les  interpréter,  tant  au  point  de  vue  cftliétirpie  que  cln-o- 
nologique. 

Dune  façon  générale  on  peut  dire  que  l'étude  des  documents 
a  corroboré  lallirmation  de  j)rincipe  que  leur  simple  réunion  nous 
avait  amené  à  poser  (cl.  plus  haut,  p.  691-692).  Vérification  faite, 
tout  se  passe  bien  exactement  comme  si  le  type,  fixé  au  Gandhâra 
dès  avant  notre  ère,  s'était  peu  à  peu  et  simultanément  répandu 
au  Sud-Est  comme  au  Nord-Est.  A  chaque  siècle  écoulé,  à  chaque 
centaine  de  lieues  franchie,  il  perd  davantage  le  cachet  de  sa 
fabrication  étrangère;  è  mesure  (jno  passent  les  générations  et 
que  s'accumulent  les  étapes,  il  est  plus  complètement  assimilé  par 
son  nouveau  milieu.  De  ce  fait  dûment  c  )nstaté  la  conséquence 
chronologique  est  évidente.  — Réciproquement,  dirons-nous,  plus 
un  Buddha  a  dépouillé  son  caractère  hellénisant,  plus  il  est 
devenu  chinois  ou  hindou,  en  un  mot,  asiatique,  et  plus  il  est  théo- 
riquement éloigné  de  l'époque  de  sa  création  comme  de  son  lieu 
d'origine;  et  en  effet  nous  savons  d'avance  (pour  ne  parler  (|ue 
des  deux  points  extrêmes  de  son  périple)  que  tout  Buddha  japo- 
nais est  postérieur  au  vi*"  siècle  et  tout  Buddlia  javanais  au  v°.  Mais 
le  jeu  de  ce  transformisme  paraît  comporler  plus  de  précision, 
et  c'est  de  la  possibilité  d'opérer  un  classement  au  sein  des  images 
d  MU  même  pays  qu'il  nous  ouvre  de  loin  la  séduisante  perspective, 
l'oui'  formuler  la  règle  telle  que  nos  recherches  viennent  de  la 
dégager,  toute  image  dont  les  cheveux  ondulent  ou  dont  la  robe 
haut  montée  se  drape  à  larges  plis  (cf.  fig.  ^80)  est  a  priori  anté- 
rieure à  toutes  celles  dont  la  tête  s'ornera  de  cheveux  crépus, 
ou  dont  le  manteau  serré  laissera  à  découvert  l'épaule  droite  ou  la 
poitrine  (fig.  /i8i-/i83).  Malheureusement  les  lois  a  priori  ne  sont 
jamais  valables  que  sous  bénéfice  d'inventaire,  et,  dans  chaque  cas 
particidici',  il  faudra  toujours  compter  avec  le  talent  des  artistes 
ou  la  fantaisie  des  donateurs.  Assurément,  si  exigeants  qu'aient  pu 
se  montrer  les  scrupules  orthodoxes  ou  les  lubies  esthétiques  de  ces 
derniers,  il  v  a  peu  d  apparence  (|u  une  image  fortement  imprégnée 


710  RÉSUMK   IIISTORIQUE. 

(le  couleur  locale  remonte  à  la  bonne  époque  classique.  Mais,  en 
revanche,  qu'est-ce  qui  peut  nous  garantir  que  telle  statue  portant 
encore  les  traces  non  équivoques  de  ses  origines  hellénisantes  n'est 
pas  soit  l'œuvre  tardive  d'un  dernier  hon  scul|)teur  qui  passait, 
soit  la  copie  ou  la  restitution  voulue  d'un  ancien  modèle  popularisé 
par  l'imagerie?  Pour  ne  pas  citer  d'autres  exemples,  le  Buddha  de 
la  figure  hSk,  en  dépit  du  caractère  tardif  de  la  stèle,  est  néan- 
moins vêtu  jusqu'au  cou,  tandis  que  le  grand  Buddha  du  Long- 
men  (fig.  565),  en  dépit  de  sa  draperie  et  même  de  sa  chevelure 
quasi  gandiiâriennes,  n'en  est  pas  moins  postérieur  à  celui  de 
Yun-kang  (fig.  5()Zi).  11  faut  donc  nous  résigner,  à  propos  des 
statues  comme  des  bas-reliefs O,  à  ne  poser  qu'un  principe  général, 
quitte  à  vérifier  chacune  de  ses  applications.  Mais  cette  sage  réserve 
ne  nous  autorisera  que  mieux  à  rejeter,  cette  fois  encore,  une  autre 
forme  d'a-priorisme  d'autant  plus  insidieuse  que,  si  rien  ne  la 
justifie  dans  les  faits,  elle  préexiste  dans  notre  esprit  à  raison  de 
l'éducation  que  nous  avons  tous  reçue.  Qui  ne  croirait  par  exemple 
à  première  vue  que  telle  tète  de  Mathurâ  (fig.  Syg)  ou  de  Boro- 
Boudour  (fig.  58o)  est  plus  ancienne  que  le  plus  ancien  type  du 
Buddha  indo-grec?  Et  nous  ne  contestons  pas  en  effet  qu'elles  ne 
présentent  un  aspect  plus  rt archaïques  :  seulement  nous  savons 
qu'elles  lui  sont  postérieures  la  première  de  cinq  et  la  seconde  de 
neuf  siècles.  Ceci  peut  servir  de  leçon,  et  empêcher  que  l'applica- 
tion intempestive  des  méthodes  de  notre  archéologie  classique  ne 
fasse  prendre  pour  le  début  d'un  développement  le  terme.  .  . 
écrirons-nous  :  d'une  décadence? 

Plus  d'un  lecteur  sera  peut-être  surpris  que  le  mot  se  refuse  à 
venir  sous  notre  plume.  Jusqu'à  ces  derniers  temps  la  coutume 
en  Europe  n'était  guère  de  ménager  les  susceptibilités  asiatiques 
en  parlant  de  leur  vieil  art  religieux,  si  tant  est  qu'on  lui  lit  l'hon- 
neur d'en  parler.  Nous  sommes  tous  trop  imbus  de  la  supériorité 

")  Cf.  t.  1,  1».  6i4-6ir). 


1 


L'ÉVOLUTION   DU   TYPE  DU    BUDDHA  711 

de  notre  art  classique  pour  qu'aucune  déviation  de  sa  technique 
ou  de  son  objet  ne  soit  pas  immédiatement  synonyme  de  rt  dégé- 
nérescence n  ou  même  de  ff dégradation".  Avouer  ici  du  type  du 


.^0^^^"^^'- 


FiG.    562.    BUDDUA    UE  LA   SÉllJNDE    MÉIUDIOMALE    (  cf.  p.    GSG). 

British  Muséum.  Provenant  de  Rawuk.  Hauteur  :  o  m.  ij. 
D'après  M.  A.  Steij,  Ancienl  KhnUw  ,  11,  pi.  LWXll. 

Buddlia  qu'il  s'est  indianisé  ou  enchinoisé,  cela  ne  revient-il  pas  à 
dire  (ju'il  est  tombé  dans  la  laideur  et  le  grotesque,  juste  punition 
(le  ceux  qui  s'écarlent  de  l'idéal  de  beauté  créé  une  fois  pour 
toutes  par  les  Grecs?  \  oilà  du  moins  où   nous  en  étions,  il  n"v  ii 


7lf>  RESrVK    IIISTORIOI  E. 

pas  tant  d'années.  L'indéniable  mérite  de  la  nouvelle  critique  d'art 
oriental  est  d'avoir  protesté  avec  vigueur  contre  la  suffisance  in- 
justement dédaigneuse  de  nos  préjugés  européens  :  et  Décadence, 
nous  dit-elle  :  en  êtes-vous  bien  sûrs?  Ne  serait-ce  pas  simplement 
recberche  d'un  idéal  autre,  et  peut-être  plus  élevé,  que  le  gréco- 
romain  ?  Quelle  obligation  y  a-t-il  pour  l'iiomme  à  se  complaire 
toujours  et  partout  dans  le  rendu  réalislique  et  vivant  du  jeu  des 
muscles  et  du  mouvement  des  draperies?  Pourquoi,  par  exemple, 
l'atténuation  dans  l'Inde  des  saillies  des  biceps  ou  des  pectoraux, 
des  angles  des  articulations,  des  creux  des  étoffes  ne  serait-elle 
pas  intentionnelle  ?  Les  yeux  ne  se  caressent-ils  pas  mieux  à  la 
rondeur  coulante  et  au  fondu  onduleux  des  contours  ?  La  suprême 
beauté  ne  doit-elle  pas  «baïr  le  mouvement  qui  déplace  les 
lignesn?  Et  ne  voyez-vous  pas  d'ailleurs  que  l'artiste  indien  ne 
supprime  de  parti-pris  les  détails  physiques  que  pour  mettre  en 
valeur  les  éléments  spirituels  de  la  personnalité,  et  qu'il  ne  sacrifie 
le  corps  que  pour  mieux  suggérer  l'âme  in  En  quoi  les  indiani- 
santsne  font  qu'alterner  avec  les  japonisants  qui,  les  premiers,  nous 
dirent  :  rr  Pourquoi  vous  rebuter  dès  f  abord  de  ce  qu'il  peut  y  avoir 
à  votre  gré  de  géométrique  dans  l'arrangement  des  plis  et  des  cbe- 
veux,  de  rigide  dans  fattitude,  de  schématique  dans  la  construction 
des  têtes  des  vieux  Buddbas  japonais  ?  Seriez-vous  incapables  de 
parvenir  au  degré  d'abstraction  requis  pour  en  comprendre  et  en 
sentir  f  intellectuelle  et  subtile  beauté.  .  .  ?n  Tels  sont  à  peu  près 
leurs  discours  ou  du  moins  les  plus  persuasifs  de  leurs  discours  : 
et  ils  méritent  considération,  ne  serait-ce  que  pour  la  raison  qu'ils 
ébi-anlent  des  opinions  préconçues  et  nous  invitent  à  y  regarder  à 
deux  fois.  Mais  il  nous  plaît  de  signaler  un  symptôme  encore  plus 
favorable,  au  jugement  de  tout  esprit  impartial.  On  a  déjà  dû 
s'apercevoir  que  les  partisans  des  deux  thèses  opposées  sont  re- 
marquablement d'accord  sur  les  faits  qui  forment  le  fond  du  débat; 
seules,  les  appréciations  qu'ils  en  donnent  diffèrent,  ff  Schématisa- 
tion, donc  décadence,  disent  les  uns.  —  Vous  n'y  entendez  rien, 


f/ÉvoLCTioN  ne  type  ni'  ruddha.  71?. 

lépoiident  les  autres;  on  voit  bien  que  vous  n'êtes  que  des  craicliéo- 
lognesn  (car  c'est  en  ce  mot  que  se  concentrent  leurs  mépris)  : 
c'est  cr  idéalisation,  donc  progrès '%  qu'il  faut   dire.  ^  Et  certes  les 


Fuï.  .Î63.  BuDDHA   BE  LA   SÉIUSDE    SEPTENTHIONiLE  (  d'.  [).  t)8(),   7O0), 

Muséum  fur  Vôlkerhunde ,  Berlin.  Provenant  d'Idikutschari.  Hauteur  :  o  m.  'iS. 
D'après  \.  GniNwEDEr. ,  Idihtlschari ,  pi.  IV,  1, 

deux  points  de  vue  sont  fort  divergents;  mais  enfin  lo  tci'raui  ilc 
la  discussion  est  le  même  et,  dès  lors,  on  peut  causer. 

Loin  de  cacher  notre  sympathie  pour  les  efforts  des  fcesthètesi- 
(s'ils  nous  permettent  de  leur  donner  ce  nom  sans  aucune  nten- 
tion  d'ironie),  nous  n'hésitons  pas  à  proclamer  notre  adhésion  de 
principe  à  la  partie  positive  de  leuis  doctrines,  nous  voulons  dire 
à  celle  qui  peut  aider  nos  yeux  à  se  dessiller  et  notre  esprit  A 


l\h  RESUME  HISTORIQUE. 

s'ouvrir.  Ils  nous  excuseront  de  ne  pouvoir  les  suivre  jusqu'au  bout 
des  tenlalivcs  de  démolition  où  l'ardeur  du  bon  combat  a  entraîné 
quelques-uns  d'entre  eux.  11  est  même  permis  de  se  demander  s'il 
était  parfaitement  judicieux  de  leur  part  de  corriger  si  vertement 
l'arrogance  européenne  sur  les  épaules  innocentes,  et  d'ailleurs  plus 
qu'à  demi  indiennes,  du  Gandliara.  Mais  quoi,  l'enfance  de  la 
stratégie  n'est-elle  pas  de  porter  la  guerre  dans  le  camp  ennemi 
ou  supposé  tel?  C'est  ainsi  qu'il  nous  a  été  donné  d'apprendre  en 
particulier  que  les  Buddhas  rc  directement  attribuables  à  l'influence 
gréco-romaine  11  sont  des  tr poupées  sans  âmesn,  et  que,  d'une 
façon  générale,  l'art  du  Gandhâra,  complètement  dépourvu  de 
sincérité  et  de  spiritualité,  a  été  créé  par  des  praticiens  qui  étaient 
le  rebut  de  l'Europe  et  est  lui-même  demeuré  le  rebut  de  l'Asie  W. 
C'est  une  opinion  :  mais  nous  venons  justement  de  consacrer  trop 
de  pages  à  réfuter  par  avance  ce  qu'elle  a  d'évidemment  excessif 
pour  nous  laisser  piquer  par  sa  vivacité  ou  impressionner  par  son 
éloquence.  Elle  nous  touche  d'autant  moins  que  nous  n'avons  au- 
cune pi'étention,  pas  plus  au  titre  d'archéologue  qu'à  celui  d'es- 
thète; et  tout  ce  que  nous  avons  promis  en  commençant,  c'était 
un  essai  d'interprétation  et  d'histoire,  nullement  une  appréciation 
critique  de  l'école  du  Gandliàra.  Enfin  le  philologue  est  incapable 
par  métier  de  ces  engouements  furieux  et  de  ces  haines  géné- 
reuses auxquels  les  opinions  des  hommes  doivent  d'ordinaire  tout 
leur  sel.  C'est  dans  les  moyens  termes  qu'il  cherche  instinctive- 
ment la  vérité,  et  il  a  ceci  de  commun  avec  le  casuiste  qu'il  com- 
mence d'abord  par  dire  ;  «Distinguons  !n  :  en  quoi  ses  méthodes 
n'ont  rien  de  divertissant  pour  personne.  Aussi  laisserions-nous  vo- 
lontiers au  lecteur  le  soin  de  tirer  ses  pro|)res  conclusions  et  au 
Buddha  indo-grec  la  charge  de  se  défendre  lui-même  —  ce  dont 
ils  sont  l'un  et  l'autre  parfaitement  capables,  —  si  l'attaque  contre 
ce  dernier  n'était  vraiment  trop  directe  pour  que  nous  puissions 

'''  E.  B.  Havell,  Indinn  Sculpture  iiiid         llallons  de  n'avoir  pas,  en  la  lésutnanl, 
Paiiiiiiig-,  p.  h-2-h'i  el  suiv.  Nous  nous        tialii  ta  pensée  de  l'auteur. 


L'EVOLUTION  DU  TYPE  DU  BUDDHA. 


71: 


nous  dérober  à  l'oblifTation  de  la  relever  dans  un  chapitre  qui  lui 
est  spécialement  consacré. 

Que  veut  dire,  pour  commencer,  M.  HaveJl  par  ses  rtsoulless 
puppetsn?    —  Hélas,   nous  croyons   leiitendre.  Il  existe   de  par 


-.M^ 


(cf.  p.  345 ,  369,  38o,  fi8(î,  69Û ,  700,  706-707,  710). 

Statues  ritpestres  colossales  daus  la  groiln  n"  X\IU  lie   )Hn-Kon^. 

D'après  Ed.  Ciuxinne-»,  Mhs'io» ,  pi.  (-XL\I. 

le  monde,  aussi  bien  dans  nos  éjjiises  que  dans  les  temples  de 
l'Inde  et  les  pagodes  d'Extrême-Orient,  quantité  de  statues  parfois 
exécutées  d'un  ciseau  assez  habile  et  à  qui,  en  apparence,  il  ne 
manque  rien.  Alais  un  cadavre  aussi  est  complet  en  apparence.  Et 
en  efTet,  il  ne  leur  manque  qu'une  âme,  c'est-à-dire  cette  sorte 
d'énergie  latente,  cette  indéfinissable  vibration  des  surfaces,  d'iu- 


1 


71f>  RÉSUMl';   HlSTOr.IOUE. 

leusité  plus  ou  moins  forte.  (I(^  (|iialilé  plus  ou  moins  fine,  mais 
qui  garde  toute  frémissante  et  Iransniet  imméfliatemcnt  au  spec- 
tateur, comme  par  un  courant  magn6ti([ue,  l'intention,  I  inspiration 
du  sculpteur.  Il  est  tellement  plus  commode  pour  l'ouvrier  et  plus 
économique  pour  le  donateur  de  verser  dans  la  reproduction  ma- 
chinale des  modèles  antérieurs  !  Seulement  ce  n'est  plus  d'art  ([u'il 
s'agit,  mais  de  production  industrielle.  La  chose,  certes,  est  arri- 
vée au  Gandhâra  comme  partout  ailleurs  :  cette  servilité  routinière 
n'est  en  somme  qu'une  manifestation  de  la  loi  universelle  du 
moindre  efl'ort.  Et  c'est  pourquoi  nous  n'avons  jamais  songé,  pour 
notre  part,  à  prétendre  que  tous  les  Buddlias  du  Nord-Oncst  fussent 
des  chefs-d'œuvre,  ni  même  des  œuvres  d'art.  Nous  avons  pris  soin 
de  dire  expressément  le  contraire,  et  n'avons  pas  davantage  déguisé 
le  germe  de  froideur  académique  que  recèlent  les  plus  beaux  d'entre 
eux('>.  Mais  à  quel  homme  de  bonne  foi  fera-t-on  accroire  que  les 
Buddhas  indiens  ou  japonais  possèdent  tous,  par  grâce  spéciale, 
cette  et  âme  15  gratuitement  refusée  à  leurs  seuls  prototypes  gan- 
dhâriens?  Le  don  de  vie,  qui  n'est  que  la  forme  artistique  du  don 
de  soi-même  —  car,  on  ne  saurait  trop  le  répéter,  il  n'y  a  de  véri- 
table œuvre  d'art  que  celle  qui  a  été  faite  avec  amour  —  a  été  en 
tout  pays  le  privilège  exceptionnel  d'un  petit  nombre  d'artistes  à 
de  rares  périodes.  Qu'il  se  soit  rencontré  dans  le  bassin  du  Gange 
au  temps  des  Guptas  (cf.  fig,  555  et  587),  en  Chine  sous  les 
T'ang  (cf.  fig.  565),  au  .lapon  à  l'époque  de  Nara  (cL  fig.  566), 
et  qu'il  ait  enfanté  en  ces  lieux  divers  des  créations  dignes  de 
l'admiration  la  plus  vive  —  dussions -nous  pour  les  admirer 
abjurer  une  bonne  part  de  nos  conventions  et  de  nos  habitudes 
classiques,  —  nous  sommes  prêts  à  le  reconnaître,  et  même  à 
plaindre  qui  ne  le  reconnaîtrait  pas  :  car  il  est  plus  d'un  genre 
d'idéal,  et  c'est  toujours  un  gain  précieux  que  la  compréhension 
d'une  beauté  nouvelle.  Mais  que  cette  étincelle  divine  n'ait  jamais 


<')  a  l.  II.  1).  3oa.  388,. 570,  etc. 


1 


LA    LEGENDE    \    1;\P1M  I    DE   L'HISTOIRE.  717 

lui  au  Gandhàra,  le  beau  Buddha  île  Mard^u  (  fig.  /i/i5),  pour  ne 
citer  que  celui-là,  se  rit  et  triomphe,  en  sa  grâce  à  la  lois  correcte 
el  pensive,  de  ce  blasphème  mensonger.  Non,  la  seule  épithète  de 
gandhârien  ne  doit  pas  être  traduite  par  ce  laideur  matérielles,  jjas 
plus  que  le  seul  nom  d'indien  ou  de  japonais  ne  confère  un  brevet 
(le  T spirituelle  beautés.  11  faut  une  bonne  fois  renoncer  à  ces  con- 
dauinations  ou  à  ces  réhabilitations  en  bloc,  et  juger  chaque  espèce 
selon  ses  mérites.  Stmm  cnique.  La  conclusion  est  sans  doute  fort 
plate  ;  mais  qu'opposer  à  des  paradoxes,  sinon  des  truismes?  Nous 
ne  rougirons  pas  de  nous  en  tenir  au  juste  milieu.  Pour  se  guérir 
d'un  classicisme  outré,  il  nous  parait  inutile  de  tomber'dans  un 
accès  d'orientalisme  aigu.  Au  dogme  trop  absolu  de  la  prééminence 
européenne,  que  nous  abandonnons  sans  regret,  nous  nous  re- 
fusons à  substituer  aussitôt  celui,  non  moins  abusif,  do  riiil'ailli- 
bilité  asiatique. 

§    111.   L\   I.KCENDE   À  L  APPUI  DE  LHlSTOIRt:. 

Il  .semble  que  nous  ayons  cette  fois  épuisé  les  divers  aspects  du 
Buddha  indo-grec  et  de  son  innombrable  progéniture.  Après  l'ana- 
lyse iconographique  à  laquelle  nous  l'avions  soumis  (ch.  \ui,  .§  -j), 
ne  venons-nous  pas  de  retracer  à  grands  traits  son  hisluire,  et 
même  de  nous  laisser  entraîner  à  notre  corps  défendant  dans  des 
considérations  esthétiques  qui  sortent  de  notre  compétence  ?  Aussi 
en  resterions-nous  là,  n'était  tout  un  ordre  de  documents  que  nous 
n'avons  pas  encore  fait  entrer  en  ligne  de  compte  et  qui  suppor- 
teraient mal  dètre  négligés  ;  nous  voulons  parler  des  textes  relatifs 
à  l'image  du  Maître,  .lusqu'ici  nous  nous  sommes  surtout  attaché, 
|i(iiir  suivre  l'évolution  des  statues,  à  leurs  caractères  extérieurs 
et,  comme  on  dit,  somatiques  :  tout  au  plus  avons-nous  utilisé  en 
passant  les  données  Iburnies  par  les  inscriptions  que  quelques-unes 
portent  gravées.  Mais  ces  idoles  n'ont  pas  toujours  été  enfermées 
entre  les  ipiatre  murs  d'un  musée.  .ladis  elles  se  mêlaient  intime- 


718  RKSlMl':   HISTUIUQUE. 

ment  à  la  vie  de  la  Communauté.  Qu'en  sait,  qu'en  pense,  qu'en 
(lit  la  tradition  bouddhique?  C'est  ce  qu'il  serait  assurément  inté- 
ressant de  connaître,  et  peut-être  possible  d'apprendre,  du  moins 
dans  l'Inde,  seul  pays  où,  pour  notre  part,  nous  puissions  mener 
cette  enquête  d'assez  près.  Peut-être  même  sera-t-on  agréable- 
ment surpris  de  constater  combien  la  légende,  pourvu  seulement 
qu'on  prenne  soin  de  la  lire  à  la  lumière  des  documents,  peut 
apporter  de  confirmations  inespérées  à  l'hisloire. 

L'absence  d'images.  —  C'est  un  lieu  commun  pai-mi  les  india- 
nistes, si  étrange  que  l'assertion  puisse  j)araître,  que  le  Boud- 
dhisme, en  bonne  logique,  n'aurait  jamais  du  avoir  d'art.  11  est 
vrai  qu'on  en  pourrait  dire  autant  du  Christianisme,  et  l'on  sait 
ce  qu'il  en  est  également  advenu  ;  tant  les  faits  se  plaisent  à  dé- 
mentir les  théories  les  mieux  déduites  en  raison  !  Pour  ce  qui  con- 
cerne particulièrement  fimage  de  son  fondateur,  non  seulement 
la  doctrine  ne  la  réclame  pas,  mais  plutôt  elle  l'écarterait  :  «Le 
Buddha  disparu,  la  loi  rester,  aurait-il  dit  lui-même  sur  son  lit  de 
mortC);  et  dans  le  Miliiula-paûha^^^  le  révérend  Nâgasêna  enseigne 
encore  à  Ménandre  —  c'est-à-dire  au  roi  même  dont  le  règne  vit, 
ou  peu  s'en  est  fallu,  éclore  les  premières  idoles  gréco-boud- 
dhiques'^) —  que  le  Bienheureux  après  son  ultime  trépas  n'est 
plus  visible  que  sous  les  espèces  du  Dharma-kàya,  du  «corps  de  la 
Loin.  Mais  ces  fortes  paroles  n'ont  pas,  à  vrai  dire,  le  sens  que 
nous  leur  prêterions  volontiers  après  coup,  et  ne  visent  nullement 
à  prohiber  les  images.  Le  Bouddhisme  ne  s'est  pas  développé, 
comme  le  Christianisme,  dans  un  monde  déjà  envahi  par  le  culte 
des  idoles  et  prompt  à  le  contaminer  à  son  tour;  il  n'est  pas  da- 
vantage né,  comme  l'Islamisme,  dans  un  milieu  d'avance  et  déli- 
bérément hostile  à  lidolàtrie.  Nous  avons  les  meilleures  raisons  de 
penser  que  l'habitude  d'adorer,  et  même  l'art  de  fabriquer  des 

'''  MahdpariiiibbiiiKi-siilld .   m,    i.  —  '■'   Ivl.  TiiENtKNKR,  p.  70  :  Irnil.   Ilins  Davids 
1).  ii3.  —  Cl   Cf.  t.  II.  p.  '13:3  ul  M.iv. 


LA   LEGENDE   A   L'APPUI   DE   L'HISTOIRE, 


719 


images  étaient  encore  moins  répandus  dans  l'Inde  des  brahmanes 
avant  Alexandre  cjue  dans  la  Gaule  des  Druides  avant  César.  Pas 


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l''iG.  565.  —  UuDDiiA(iii:  i.'iipoyiii  dusT'ang),  e.\-  Chine 

(cf.  p.  345,  370,  (i8(i,  688,  69/1,  710,  716). 

Statue  rupestre  colossale,  dans  une  dos  gi-otles  du  Lnng-men. 

D'après  lid.  Chavansbs,  Mission ,  pi.  CCXX. 

plus  que  les  textes  védiques,  nous  ne  voyons  pas  ([ue  les  anciens 
textes  bouddhiques  en  soufllent  mot,  ni  pour  ni  contre;  et  leur 
silence  s'explique  justement  par  le  fail  (|uo  l'idée  ue  s'en  était  pas 
encore  présentée  à  l'esprit  indien.  Sitôt  que  le  temps  en  sera  venu  , 


720  RÉSUMÉ   HISTORIQUE. 

les  grammairiens  ne  manqueront  pas  de  relever,  clans  Tusage  de 
la  langue  savante,  le  mode  de  désignation  du  fait  nouveau  des 
idoles  brahmaniques C.  De  même,  quand  la  question  des  images 
de  leur  Maître  se  posera  devant  les  fidèles  bouddhistes,  leurs  écri- 
tui'os  y  apporteront  explicitement  les  solutions  opportunes;  et  si 
ces  solutions  successives  sont  en  outre  contradictoires,  c'est  simple- 
ment que,  dans  l'intervalle,  les  besoins  de  la  conscience  religieuse 
auront  diangé  en  même  temps  que  les  conditions  de  la  production 
artistique.  Car  ceux-mêmes  de  nos  textes  qui  se  donnent  pour 
tombés  de  la  bouche  du  Buddha  ne  sont  après  tout  que  les  dociles 
interprètes  des  idées  courantes. 

Cependant  le  tenqjs  a  passé  ;  l'art  s'est  répandu  dans  la  société 
et  a  pénétré  dans  la  vie  religieuse  de  l'Inde.  Déjà  le  type  icono- 
graphique des  divinités  les  plus  populaires  s'est  constitué,  et  celles- 
ci  paradent  jusque  sur  les  monuments  bouddhiques  de  Barhut,  de 
Sânchi,  d'Amarâvatî  et  de  Mathurâ  (cf.  fig.  Ix6k  à  ^75).  Seule  la 
figure  du  Bienheureux  ne  s'y  montre  toujours  pas  et  continue  à  se 
dissimuler  sous  des  symboles.  De  cette  persistante  absence  nous 
avons  esquissé  plus  haut''^'  les  raisons  archéologiques;  mais  nous 
ne  prétendons  pas  nier  que  les  préventions  morales  des  monas- 
tiques directeurs  de  conscience  de  la  Communauté  n'y  aient  eu 
aucune  part.  En  tout  cas  un  phénomène  aussi  anormal  demandait 
aussitôt  une  explication.  Sans  se  faire  prier  davantage,  les  textes, 
jusque-là  muets  sur  la  question,  rompent  —  combien  imprudem- 
ment !  —  le  silence.  JNe  s'avisent-ils  pas,  en  effet,  de  proclamer, 
avec  une  précipitation  excessive  et  que  la  postérité  sera  bientôt 
obligée  de  contredire,  que  s'il  n'y  a  pas  d'image  du  Buddha,  c'est 
qu'il  n'y  en  a  jamais  eu  et  que,  par  suite,  il  n'y  en  aura  jamais  ? 
On  connaît  le  curieux  jiassagc  du  Divi/âvadâno''^\  {\ép  relevé  par 
Burnouf,  auquel  nous  faisons  allusion.  Craignant  d'être    vaincu 

>''  Scolies  sur  Pàniui,   v,  o,  yy  :  cl.  '"'  T.  II,  p.  SO/i-Stiô. 

Sien  KoNOW,  Note  on  the  use  of  iiii(ij>e-i  in  ''•   P.  6^7  ;  Burkoif,    lutrml.  à  l'hisl. 

ancienl  Iiidia  [Ind.  Aiit. ,  1909).  du  Biiddhintiif  indien,  p.  o'ii. 


LA    LÉGENDE    ^    L'VPI'II    [)E    L'HISTOIRE. 


721 


dans  un  assaut  de  présents  par  Hudràyana,  roi  de  Roruka,  Bira- 
bisàra  de  Magadlia  désire  envoyer  à  son  courtois  rival  cette  chose 
précieuse  entre  toutes  que  serait  le  portrait  du  Bienheureux.  Mais 
c'est  en  vain  qu'il  s'adresse  à  ses  artistes  et  que.  sous  couleur  d'in- 


Kir,..")()(i.  —  AsMTÀBu.i  ESTnE  DEuxBonHisATT»  1-.  M  .1 1  rci\ i^cl. p.  38o, 668, OS;,  (iSy, 694,701,  716). 

Autel  de  bronze  duré,  conservé  dans  le  temple  de  llôri/ùji,  I\ara. 

D'après  Kohha,  n°  110. 

\itation  à  dîner,  il  obtient  du  modèle  proposé  à  leur  talent  mw  \é- 
ritalile  séance  de  pose.  Les  peintres  restent  littéralement  le  pinceau 
en  l'air  et  ne  peuvent  pas  plus  se  rassasier  de  regarder  (juc  léussir 
à  rendre  le  visage,  inexprimable  à  voir,  du  Bienheureux.  Entiu, 
sur  l'ordre  de  ce  dernier,  ils  apportent  une  toile:  il  \  projette  son 


CA.MIll.lK,'..   -    II. 


16 


722  RÉSUMÉ   HISTORIQUE. 

ombre,  leur  fait  b;irbouiller  en  couleur  cette  silhouette  et  écrire 
au-dessous  les  principaux  articles  de  sa  Loi.  Et  voilà  pourquoi  — 
si  du  moins  vous  désirez  de  ce  fait  une  raison  plus  édifiante 
qu'historique  —  quatre  siècles  après  la  mort  du  Maître,  l'Inde 
centrale  n'avait  pas  encore  d'image  de  luiO. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  significatif  dans  ce  témoignage,  ce  n'est  pas 
ce  qu'il  croit  nous  apprendre  (les  monuments  se  sont  déjà  chargés 
de  ce  soin),  mais  plutôt  ce  qu'il  nous  laisse  deviner.  Evidemment 
des  aspirations  nouvelles  se  font  jour  au  sein  de  la  Communauté 
bouddhique.  Tout  en  se  résignant  à  demeurer  fidèles  aux  procédés 
traditionnels,  les  sculpteurs  de  Sànchi  et  d'Amarâvatî  ressentent 
plus  vivement  que  ceux  de  Barhut  le  besoin  croissant  qu'ils  ont 
de  la  figure  du  Buddha  pour  servir  de  centre  aux  tableaux  de  sa 
vie;  et  leurs  secrets  désirs,  leur  vague  impatience  commencent  à 
être  partagés  des  donateurs.  Si  des  Bouddhistes  se  mettent  à  pro- 
clamer l'impossibilité  d'une  image  du  Maître,  c'est  donc  qu'ils  se 
sont  déjà  interrogés  sur  sa  possibilité  ;  et  la  preuve  en  est  claire, 
puisqu'ils  avouent  même  qu'on  a  essayé.  Déjà,  qu'ils  le  veuillent 
ou  non,  ils  roulent  sur  la  pente  oii  la  jolie  anecdote  inventée  par 
eux  pour  les  besoins  de  la  cause  sera  impuissante  à  les  arrêter. 
Certes  le  temps  est  encore  loin  où  pulluleront  les  idoles  du 
Maître  :  mais  enfin  le  mot  de  Buddha-pmtimd  vient  d'être  pour  la 
première  fois  écrit.  Cette  légende  se  placerait  ainsi,  dans  la  litté- 
rature bouddhique  sanskrite,  après  les  textes  qui  n'envisagent  pas 
encore  la  question  des  images,  mais  d'autre  part  avant  ceux  pour 
(|ui  l'existence  de  ces  pralinid  est  un  fait  reçu  et  même  recom- 
mandé*'-). Certes,  il  faut  avouer  que  la  datation  est  encore  assez 
incertaine,  puisqu'elle  peut  flotter  entie  le  i"  siècle  avant  ou 
le  i"'  siècle  après  notre  ère,  selon  que  le  texte  serait  originaire  du 

'''  M.   Hackin    a    puljlié    i'illuslralion  '°'   A    celte   sccuiido  calcgorie   a|)|)ai- 

libétaine  (le  celte  It^gende  dans  Coii/fre/iccv  tieiU   YAçokdLaddna,   par    exemple    (cf. 

(lu  Musée  Guimet  (Bib.  de  vulgaiisation,  Dhycwaddna,  p.  363,  /119  et  iay),  sans 

l.   4o),  et  Scènes  Jig-urées  de  la   li'e    du  parler     du     Sùh-dlahlcdra     d'Açvaghosa 

Biiddlia,  p.  -'i/i.  I  ti-ad.  Hdber,  |).  -i-j-i  el  292  K 


LA  LÉGENDE   À   L'\PPMI   DE   L'HLSTOIRE.  723 

Nord-Ouest  ou  de  lliiile  centrale  ;  mais  est-il  besoin  de  répéter 
que  les  indianistes  ne  sont  pas  didiciles  en  fait  d'approxima- 
tions ? 

Les  images  apocryphes.  —  La  légende  de  la  silliouette  a  été  mise 
ailleurs  au  compte  d'autres  personnages,  tels  que  la  princesse 
Ratnâvalî,  fdle  du  roi  de  Geylan*''.  Mais  comme  elle  n'a,  ou  du 
moins  comme  nous  ne  lui  reconnaissons  qu'une  valeur  symptoma- 
lique,  ces  variantes  ne  lui  ôtout  rien  à  nos  yeux  de  sa  significa- 
tion. Celle-ci  ne  ferait  même  qu'augmenter  par  le  rapprochement 
d'une  tradition  chrétienne  fort  analogue.  Agbar,  roi  d'Édesse  en 
Osrlioène,  aurait  également  envoyé  près  du  Seigneur  un  «excel- 
lent peintres  qui  malgré  tout  son  talent  ne  put,  lui  non  plus,  par- 
venir à  fixer  l'ineiïable  figure  du  Christ.  Toutefois  celui-ci  aurait 
fait  mieux  que  le  Buddha  ;  ce  n'est  pas  d'une  simple  silhouette, 
c'est  de  ses  traits,  directement  imprimés  sur  la  toile,  qu'il  gratifie 
d'emblée  son  fidèle  zélateur'-'.  En  matière  d'ait  les  choses  traînent 
beaucoup  moins  dans  le  monde  gréco-romain  que  dans  l'Inde. 
Non  seulement  le  r'  siècle  connaît  déjà  des  représentations  sym- 
boliques ou  allégoriques  du  Christ,  mais  dès  le  n''  siècle  nous  ren- 
controns ses  représentations  sur  les  peintures  des  Catacombes  t-^)  ; 
et  tout  de  suite  saint  Irénée  nous  parle  de  ces  gnostiques  qui 
avaient  des  images  peintes  et  des  statues  de  diverses  matières, 
a  disant  que  c'était  la  figure  du  Christ  faite  par  Pilate  au  temps 
où  Jésus  était  parmi  les  bommesC'ln.  Ici  encore  l'invraisemblance 
du  fait  (|ue  le  procurateur  de  Judée  ait  pris  pareille  précaution 
n'est  pas  ce  qui  nous  touche.  Le  point  intéressant,  c'est  qu'aussitôt 
perce  le  pieux  souci  de  garantir  sans  contestation  possible  la 
ressemblance  de  ces   tableaux    et   de    ces   statues,  en  les  donnant 


'"'   nocKiiii.L.  Lifi' ,  [).  .69;  SciiiEFNEH,  '"'   M.    15ksmer,    Lcs     Calacomhcs    du 

Lelieii,  |).  a-yô.  —  \oii'  encore  d'Alwis,         flome  (Paris,  1909),  p.  20/1,  ao8,  2a3- 
kaccliliayana,  p.  78  et  suiv.  aai. 

"'  ErsÈBE ,  //i*-«.  EccL,  \II,  18.  t'I   Conlra  Hwres.s ,  l,  a5. 

46. 


72/1  RÉSUME  HISTORIQUE. 

coiiimi;  (les  portraits  pris  sur  le  vif.  L'expédient  étRit  évideininent 
le  plus  simple  et  le  premier  qui  dût  se  présenter  à  l'esprit.  Aussi 
n'a-t-on  pas  manqué  d'y  avoir  également  recours  dans  l'Inde,  dès 
que  les  communes  exigences  de  l'Iiumaine  nature  y  firent  éprouver 
le  même  besoin  d'authentiquer  les  images,  devenues  courantes, 
du  Buddha.  Seulement  comme  celui-ci  n'a  pas  connu  les  affres  de 
la  Passion,  c'est  donc  quelqu'un  des  rois  amis  qui  (plus  heureux 
que  Bimbisâra  en  cette  dévote  entreprise)  aura  pris  soin  de  le 
faire  portraiturer  de  son  vivant.  —  Mais,  dira-t-on  peut-être, 
comment  l'idée  lui  en  serait-elle  venue,  alors  qu'il  ne  tenait  qu'à  lui 
de  contempler  directement  le  visage  du  Bienheureux?  L'expérience 
le  prouve  assez,  ce  sont  là  des  choses  auxquelles  on  ne  songe 
guère  qu'après  la  mort,  alors  qu'il  est  déjà  trop  tarcL  —  Si  l'ob- 
jection est  valide,  la  réponse  est  triomphante.  Avez-vous  oublié 
que  le  Buddha  est  allé  passer  trois  mois  dans  le  ciel  des  Trayas- 
trimças  pour  prêcher  la  bonne  doctrine  à  sa  mère  ?  Quel  mécréant 
oserait  douter  que  durant  ces  quatre-vingt-dix  jours  d'absence  ses 
terrestres  contemporains  ne  se  soient  languis  de  le  voir? 

Voilà,  croyons-nous,  comment  et  pourquoi  s'est  créée  de  toutes 
pièces  la  légende  de  la  fameuse  et  statue  en  bois  de  santal  n  — 
c'est-à-dire  en  la  matière  de  toutes  la  plus  précieuse  aux  yeux  des 
indigènes.  Telle  est  aussi  la  seule  tradition  locale  qu'on  puisse  à  la 
rigueur  invoquer  en  faveur  de  l'hypothétique  existence  d'un  proto- 
type vieil-indien.  On  sent  assez  qu'il  ne  faut  pas  compter  sur  ce 
conte  de  nourrice  pour  contrebalancer  le  témoignage  unanimement 
négatif  des  monuments.  D'ailleurs  les  Indiens  de  jadis,  rrsvadê- 
çistesfl  moins  pointilleux  que  ceux  d'aujourd'hui,  ne  s'inquiètent 
nullement  en  celte  affaire  de  questions  de  marque  de  fabrique  ni 
de  priorité  de  brevet  d'invention.  La  seule  chose  qui  les  préoccupe, 
puisqu'à  présent  les  images  du  Buddha  existent  et  commencent  à 
se  multiplier,  c'est  simplement  qu'elles  ressemblent  à  leur  original 
surdivin.  Le  fragment  d'évangile  apocryphe  qu'ils  ont  dû  inventer 
de  bonne  heure  à  cet  effet  ne  nous  est  malheureusement  attesté 


LA   LÉGENDE   A   L'APPUI   DE   L'HISTOIRE.  725 

qu'assez  tard  et  sous  une  forme  un  peu  hésitante  par  les  pèlerins 
chinois  :  néanmoins  l'intention  n'en  est  nullement  obscurcie.  Fa- 
bien attribue  l'initiative  de  la   tr  statuficationn   du  Maître  au    roi 


FiG.  567. 


BUDDHA,    Dï    BÉSARÈS,    ASSIS   À   l'eCROPiIeNNE    (cf.    [).    58()  ,    (jSl,    G9O,   7OI,    708). 

ISnlish  Miisettm.  Provciiniil  de  Siirndth.  Iluiiteid-:  i  tn.  i~>. 


Prasênajit  de  Çràvasiî,  tandis  que  Hiuan-tsang  en  lait  honneur  à 
Udayana  de  Kauçambî,  dont  Prasênajit  n'aurait  l'ait  qu'imiter 
l'exemple  C.  Quant  à  Bimbisàra,  évidemment  compromis  par  le 
notoire  avortement  de  son  premier  essai,  il  est,  |iour  ainsi  parler, 
hors  de  cause.  Du  v*^  au  vn''  siècle  la  version  s'est  par  ailleurs  enjo- 

'■'  Fa-hien , trad.  Legge,  p.  56  ou  ti;i(l.  nkii.  Leheii.  p.  •i']'.i  )  el  mongols  (cf.  Eiig. 

Beal,   p.  xliv:  Hil'A\-tsang,  Méiii.,  II,  \iiRsovt\  Inlrodiicllon  à  l'Iiisloire  du  liiid- 

p.  a83et  iigô  ,  ou /tc'i;.,  I,  p.  235,  et  II.  dltisme  indien,   p.   34o)   licuueul    pour 

p.  'i.  Les  téraoignagee  tibétains  (Scuief-  Udayana. 


72G  RÉSUMÉ;  MISTORIQUE. 

livée.  Selon  Fa-liicu,  Prasénajil  contente  siniplenieiit  son  envie  en 
faisant  exécuter  de  mémoire  l'image  du  Buddlia.  C'est  là  une  lourde 
faute  de  tactique.  Sans  doute  notre  auteur  rattrape  ensuite  sa 
flagrante  maladresse  en  faisant  décerner  à  la  statue  par  le  Buddha 
lui-même  un  certificat  de  ressemblance.  11  n'en  subsiste  pas  moins, 
dans  l'bistoire  de  ce  prototype  fabriqué  par  à  peu  près  et  en 
dehors  delà  présence  du  modèle,  quelque  chose  qui  cloche  et  ne 
saurait  satisfaire  les  exigences  d'un  cœur  vraiment  zélé.  L'informa- 
teur de  Hinan-tsang  ne  se  laisse  pas  prendre  ainsi  en  défaut.  Son 
Udayana  fait  en  outre  appel  au  magique  pouvoir  du  grand  disciple 
Maudgalyâyana  pour  qu'il  expédie  au  ciel  où  réside  le  Bienheureux 
l'artiste  chargé  de  modeler  de  visu  sa  première  image.  Dans  cette 
addition  faite  après  coup  on  reconnaît  aussitôt  un  trait  emprunté 
à  l'histoire  de  la  célèbre  image  de  Maitrèya,  dans  la  vallée  de 
Dârêl  (').  Seulement,  tandis  que  là  cette  ascension  était  de  toute 
nécessité  (car  à  moins  de  monter  à  son  ciel,  comment  portraiturer 
un  Bodhisattva  qui  n'est  pas  encore  descendu  sur  la  terre?),  ici  ce 
n'est  pins  qu'un  ralîinement  de  précaution.  Mais  quoi,  toute  con- 
tamination n'est-elle  pas  la  bienvenue  qui  ajoute  une  garantie  de 
plus  à  cette  parfaite  similitude  qu'on  a  tant  à  cœur  d'établir? 

Nous  sympathisons  volontiers  avec  cet  entêtement  un  peu 
puéril,  mais  touchant,  et  que  nos  pèlerins  ont  partagé  avec  tant 
de  générations  de  fidèles.  La  seule  chose  que  nous  pardonnions 
malaisément  à  nos  informateurs,  c'est  qu'en  poursuivant  ce  dessein 
chimérique  ils  oublient  à  notre  gré  l'essentiel,  à  savoir  la  descrip- 
tion de  la  statue  ('■').  Leurs  relations  ne  laissent  même  pas  discerner 
d'une  façon  assurée  si  elle  était  debout  ou  assise  :  car  si,  dans 
chaque  version,  elle  se  lève  pour  aller  respectueusement  au-devant 
dn  Bienheureux  redescendu  du  ciel,  celui-ci  ne  manque  pas  à 
chaque  fois  de  la  renvoyer  gracieusement  s'asseoir.  Pourtant,  si 

'"'  Cf.  t.  II,  p.  636,  n.  2.  de  celui  qui  est  représenlé  sur  notre  li- 

'^'  Il  faut  espérer  que  l'étude,  si  dési-        gure   691,   nous   fixera  bientôt   sur  ce 
rable,   des  documents   chinois  du  genre        point  et  d'autres  encore. 


L  \    LKGENDE    À   F;\PPUI    DE    I.HISTOIRE.  727 

nous  en  croyons  la  tradition  sino-japonaise,  elle  serait  restée  debout 
et,  natiirellemenl,  elle  aurait  été  haute  de  seize  pieds  :  car,  en  tout 


FiG.  568.  —  BuDDHA,  DE  Java  ,  ASSIS  À  L'EunopÉENNF.  (cf.  p.  870  ,  .ÎSG ,  688,  690,  G94,  701,  7o4). 
Statue  principale  fin  templr.  dit  Candi  Mfndnl.  Ilintteur :  s  in.  5o. 

elle  devait  être  faite  frà  la  mesure  du  corps  du  parfait  Buddlia  On. 
C'est  elle,  nous  assure-t-on  expressément,  que  représente  la  11- 
<>ure  590,  et  dès  lors  nous  devons  aussi  la  reconnaître  dans  toute 


'"'  Cf.  les  expressions  du  Dwjjàvaddna , 
|>.  /119,  i.  3  :  ttSamyah-samhitddhasya 
lidi/apràmanikâ  pratimdn,  et  ci-dessus, 
t.  I,  p.  ,^2  3  et  l.  II,  p.  34  r .  —  On  rom- 


prond  du  même  coup  pourquoi  le  roi 
de  K;i|)iça  érige  tous  les  ans  une  statue 
du  Riiddlia  haute  de  dix-luiit  (lire  :  seize) 
pieds  (HiUAX-TSANG.  ftec.  F.  p.  ^h). 


728  RÉSUMli    msTOlUQUE. 

la  série  des  figures  583  à  689  :  car  Ton  a  déjcà  vu  (et  c'est  un  point 
sur  lequel  M.  le  professeur  A.  Griinwedel  insiste  également''))  avec 
quelle  aisance  ce  type  se  laisse  ramener  à  son  modèle  gandliàrien 
(cf.  pi.  II).  Comme  d'autre  part  ce  dernier  est  justement  le  pre- 
mier dont  l'existence  nous  soit  attestée  par  les  inscriptions  et  les 
monnaies  (cf.  fig.  677-Û78  et  pi.  V,  9),  le  soupçon  vient  que  la 
légende  qui  s'est  greffée  sur  la  statue  pourrait  bien  être  plus  ancienne 
qu'on  ne  pense  et  également  originaire  de  l'cfinde  du  Nordn.  On 
remarquera  d'ailleurs  que  c'est  surtout  dans  la  Haute-Asie  que, 
l'une  portant  l'autre,  elles  semblent  avoir  eu  du  succès.  Admettons 
qu'elles  aient  attendu  le  x"^  siècle  pour  s'introduire  de  compagnie 
au  Japon.  Dès  le  vu''  siècle,  elles  faisaient  partie  des  bagages  de 
Hiuan-tsang  rentrant  en  Chine ''^'.  Lui-même  et,  avant  lui,  Song 
Yun  notent  leur  miraculeuse  immigration  en  Sérinde'''.  Elles  sont 
familières  à  Fa-hien  vers  l'an  600.  Enfin,  bien  qu'il  faille  cette  fois 
sauter  un  intervalle  de  trois  siècles,  il  est  permis  de  se  demander 
si  les  récils  bien  connus  sur  l'homme  d'or,  haut  de  seize  pieds,  que 
l'empereur  Ming-ti  aurait  vu  en  rêve  l'an  6û  de  notre  ère,  ne  recè- 
lent pas  déjà  un  reflet  de  l'une  et  un  écho  de  l'autre.  Il  n'y  aurait 
pas  autrement  lieu  d'être  surpris  que,  dès  la  seconde  moitié  du 
f  siècle,  après  plus  de  cent  années  d'existence,  la  statue  commen- 
çât à  s'auréoler  de  la  légende.  Car  enfin  de  quoi  s'agissait-il  sinon, 
encore  une  fois,  de  fabriquer  à  la  figure  du  Buddha  une  authenticité 
comparable  à  celle  que  Ion  s'efTorçait  d'autre  part  de  garantir  aux 
textes  canoniques.  De  même  que  les  écritures  étaient  censées  être 
la  parole  directement  recueillie  de  la  bouche  du  Maître,  il  fallait 
que  ses  idoles  lussent  la  transmission  exacte  de  son  portrait   pris 

'"'  B.  KiiHst,  p.  169011  éd.  aiifjliiise.  ''   Hiua?(-tsang,    Rec,    11.    p.    3a2-. 

p.  171.  (i  Mi/lliologie  du  Bouddliisuic  iiii  Siixc    Yi\.    Irad.    C.HAVA^NES .    B.  E.  F. 

Tibel,  p.  2a.  —  Pour  la  figure  ."îfjfi.  ri'.  E.-O.  ,  III,    it)o3,  p.    Sy-j;  trad.  Beal, 

|)ltis  liaiil.  |).  707.  p.  i.wwi.  —  Sur  le  Ivpp  dit  d'Udayana 

'"    Biographie   de    Hiiicin-lsaiiff,    Irad.  en  Sérinde,  cl.  encoie  M.  A.  Stein,  ,1/ir. 

Staii.  Julien,  p.  298  et  S.  IJeai..  ]).  21  3.  Klioiaii,  1,  p.  igo;  A.  Grïnweuel,  Alib. 

Cf.  ri-dessus,  t.  11.  p.  .tRî.  KiiIi.  CIi.  Tiiik.,  à  l'index. 


LA   LÉGENDE    \   L'APPIil    DE   L'HISTOIRE.  729 

d'après  nature.  C'est  exactement  le  genre  de  jjréoccupations  col- 
lectives qui  allait  provoquer  la  réunion  dans  l'indo  du  Nord  du 
concile  de  Kaniska. 

A  l'appui  de  ces  vraisemblances  nous  aurions  voulu  apporter  un 
témoignage  décisif.  Sur  un  curieux  relief,  aujourd'hui  à  Bombay 
(fig.  599),  le  Buddlia,  toujours  escorté  de  son  fidèle  Vajrapâni, 
semble  en  eflet  porter  debout  sur  sa  main  gauche  une  petite  sta- 
tuette de  lui-même.  Une  telle  scène  n'est  guère  susceptible  que 
d'une  seule  interprétation.  Elle  nous  montrerait  le  Bienheureux  au 
moment  de  donner  l'investiture  à  l'image  d'Udayana,  et  nous  y  sur- 
prendrions le  prototype  gandhtirien  en  train  de  se  canoniser  lui- 
même.  Toutefois,  vu  l'état  actuel  de  la  pierre  et  en  l'absence 
d'aucune  autre  réplique  connue,  nous  n'osions  rien  affirmer.  La 
découverte  par  Sir  Aurel  Stein,  dans  les  dernières  fouilles  de 
Sahri-Bahlol.  d'une  scène  très  analogue  (n°  C.  60;  1912)  vient 
confirmer  notre  hypothèse,  mais  réveille  par  ailleurs  nos  per- 
plexités :  cai-,  ici,  le  Buddlia  et  la  statue  de  lui-même  qu'on  lui 
présente,  sont  tous  deux  figurés  assis.  Pourtant  il  est  difficile  d'y 
voir  autre  chose  qu'une  variante  de  la  légende  d'Udayana.  A  la 
vérité,  on  nous  parle  bien  de  statues  du  Bienheureux  (ju'un  autre 
de  ses  contemporains,  le  célèbre  Anâthapindika ,  aurait  fait  sculpter; 
et  comme  leur  destination  était  de  tenir  sa  place,  en  tête  de  la 
rangée  des  moines,  dans  les  dîners  auxquels  le  charitable  banquiei' 
conviait  la  Communauté,  il  est  évident  qu'on  les  supposait  assises. 
Mais  le  témoignage  est  isolé'');  et  de  plus,  avoue-t-on,  ce  modèle 
n'aurait  été  exécuté  qu'au  lendemain  du  décès  du  Maître. 

Les  images  muiaculeuses.  —  Le  fait  trop  tristement  certain  de  la 
mort  du  Buddlia  va  changer  complètement  les  données  du  pro- 
blème. Non  qu'on  puisse  aller  jusqu'à  prétendre  que  seules  seront 

'"'  Nous  avons  rencontré  la  seule  men-  [ Dokitmentc  lier  IndischciiKuiisl ,  1 1)  1 3  ,  1 , 
tiou  que  nous  eu  connaissions  dans  l'excel-  ]).  j88),  d'un  fragment  emj)ruuté  à  un 
ieiiti'  tr;iduclion  donnée  par  M.  B.  Liufer         historien  tibétain  du  xvui'  siècle. 


730  RESIJMK   HISTORIQUR. 

ressemblantes  les  images  faites  de  son  vivant  ou  leurs  copies;  des 
modèles  tardifs  pourront  aussi  lui  ressembler,  mais  pour  cela  ils 
devront  avoir  recours  à  d'autres  artifices.  Rien  ne  servirait  ici 
d'ajouter  quelque  épisode  apocryphe  à  sa  biograpliie;  pour  authen- 
tiquer une  de  ses  images  postérieurement  à  son  trépas,  il  fallait 
au  moins  un  miracle.  Les  miracles  ne  manquèrent  pas.  Il  y  en  eut 
même  tant  qu'on  ne  songea  pas  à  les  utiliser  tous.  Quand,  par 
exemple,  Açoka  se  trouve  en  présence  de  Pindola  Bharadvaja  C, 
ce  juif-errant  du  Bouddhisme,  qui  a  été  le  disciple  direct  du 
Maître,  il  néglige  d'en  profiter  pour  lui  faire  expertiser  les  statues 
de  ce  dernier.  Quand  Mâra,  converti  par  Upagupta,  revêt  à  sa 
demande  la  forme  exacte  du  Bienheureux,  le  moine  ne  songe 
qu'à  se  prosterner,  au  lieu  d'en  faire  prendre  un  bon  rroquis(^). 
Tels  n'en  sont  pas  moins  les  deux  types  auxquels  on  peut  ramener 
les  prodiges  désormais  nécessaires  pour  donner  les  certificats  requis 
à  une  image  :  ou  bien  quelque  être  humain,  d'une  longévité  telle 
qu'il  aura  jadis  vu  de  ses  yeux  le  Buddha,  le  reconnaîtra  dans 
l'œuvre  nouvelle;  ou  bien  un  être  divin  se  chargera  d'exécuter 
celle-ci  et  se  portera  garant  de  la  ressemblance. 

A  vrai  dire,  si  tant  d'excellentes  occasions  ont  été  ainsi  perdues, 
c'est  que  le  besoin  d'une  explication  miraculeuse  ne  s'est  guère  fait 
sentir  qu'une  fois,  à  propos  du  seul  modèle  de  statue  qui  ait  acquis 
dans  le  monde  bouddhique  une  réputation  comparable  à  celui 
d'Udayana.  Nous  avons  déjà  dû  parler  de  cette  effigie,  sainte  entre 
toutes,  qu'on  vénérait  dans  le  temple  de  la  Mahdbodhi  et  qui  était 
assise  à  l'indienne,  le  pied  droit  en  dessus,  la  main  gauche  repo- 
sant ften  méditations  dans  son  giron  et  la  inain  droite  pendante, 
la  paume  en  dedans  et  les  doigis  allongés  vers  la  terre  (cl.  fig.  557- 
558).    A  son  immense  popularité  nous  voyons  ou  devinons  au 

'■'  ûî!)i/«'!)«drt)ia,  p.  ioo;  cf.  I,  p.  619.  loppé    d"iin    passage    du    Divydvadàna, 

'*'  Divi/dvaddiia,p.  d&oc\.suiv. -.Sùlrà-  p.   Sga-SgS?),  où  le  Nâga  Kâlika  (cl. 

lahkdra,   trad.    Ed.   Huber.   p.   270;  et  I.  I,  p.  383  et  siiiv.)  crée  une  (îgure  du 

cf.    Mahdvamsa,   v,   87  el   stiiv.    (déve-  iJuddlia  pour  l'édification  d'Açoka. 


LA   LÉGENDE   À   L'APPUI   DE   L'HISTOIRE. 


731 


moins  trois  raisons  :  sa  pose,  son  site  et  sa  beauté  personnelle.  Sur 
celle-ci  tous  les  témoignages  concordent.  Son  rrsiège  de  diamants 
ou  Vajràsana  était  le  lieu  même  où  le  Bienheureux  avait  atteint 
rillumination.  Enfin  son  geste  de  toucher  le  sol  passait  pour  mar- 


Fig.  569. 


Fig.  5711. 


Fi 


i;-  -'7  ' 


Fig.  57a 


FiG.  569-57-2.  — ■  Formes  diverses  de  L'ts.)/j.)  (cf.  p.  Cg8,  702). 
Fig.  ôGg,  nu  Cambml ge ; fijr .  5jo,  à  Ceylan;fig.  5ji,  au  Laos;  fig.  5j!>,  uu  Siam. 

querl'instant  précis  de  la  transformation  du  Bodiiisattva  en  Buddha , 
si  bien  que.  les  unissant  tous  deux  sous  une  seule  forme,  elle 
concentrait  sur  elle  la  dévotion  due  au  double  idéal  des  Bouddhi.stes 
et  satisfaisait  à  la  fois  les  aspirations  des  sectateurs  du  Mahàyàua  et 
du  HinayânaW.  Mais  toutes  ces  chances  favorables  ne  lui  eussent 
été  d'aucun  secours  si  elle  n  avait  été  garantie  et  vraies.  D'un  autre 


'''   Cf.  plus  liaul,  I.  |).  -'iii-/ii'i  el  II.  [).  32  1 


732  HÉSUMÉ  HISTORIQUE, 

côté,  il  eût  été  malaisé  (et  d'ailleurs  on  ne  l'essayait  pas)  de  faire 
croire  qu'elle  était  antérieure  à  la  construction  du  temple  qui 
l'abi'itait.  Or  il  était  de  notoriété  publique  que  cet  édifice  n'avait 
remplacé  qu'assez  tardivement  l'entourage  jadis  élevé  par  Açoka 
autour  de  l'arbre  de  la  Bodlii*^'.  Le  long  intervalle  écoulé  entre 
le  Pfln'-mVwrea  et  l'érection  de  l'idole  était  donc  indéniable.  Aussi, 
lors  du  passage  de  Hiuan-tsang,  s'empressa-t-on  de  lui  conter  que 
Maitrêya  lui-même  était  tout  exprès  descendu  du  ciel  des  Tusitas, 
sous  le  déguisement  d'un  brahmane'-',  afin  de  moduler  la  statue 
de  ses  propres  mains  :  on  voudra  bien  admettre  qu'un  être  aussi 
sublime  savait  parfaitement  ce  qu'il  faisait.  Au  temps  deTâranàtha, 
mille  ans  plus  tard,  les  lointains  des  siècles  se  sont  davantage 
estompés.  La  dédication  du  temple  et  de  l'idole  ne  sont  plus 
séparés  de  la  mort  du  Buddha  que  par  un  peu  moins  de  cent  ans, 
puisqu'il  reste  encore  une  très  vieille  femme,  la  mère  des  dona- 
teurs, qui  a  connu  le  Bienheureux  et  pourra  contrôler  la  véracité 
de  l'œuvre.  Et  voilà  pourquoi,  ainsi  que  les  Chinois  ne  manquent 
jamais  de  dire,  la  statue  du  Vajrâsana  est  «le  vtm  visage  du  Trône 
de  Diamant  (^)n. 

Cependant,  à  chaque  fois,  ces  données  inévitables  de  la  légende 
se  compliquent  d'un  incident  inattendu  :  car  on  se  fait  en  outre  un 
devoir  d'expliquer  pourquoi  l'image  était  restée  cr inachevées.  Du 
moins  on  le  prétendait;  et  ce  signe  particulier  faisait  si  bien  partie 
de  son  signalement  qu'il  nous  a  paru  suffire  à  dénoncer  dans  la 
statue  incomplète  trouvée  sous  la  coupole  centrale  de  Boro-Bou- 
dour,  et  dont  l'identité  a  été  si  discutée**',  une  simple  réplique  de 

^''  Al.  CoNNiNGHAM  (Mahdbodii) ,  p.  i2i)  lïlsl  de  Sâuchi  et  à  Barliut  (Cijnnin'gham, 

n'essaie  pas  de  faire  remonler  ce  temple  pt.  XIII). 

(encore  debout  à  l'heuie  acluelle.  mais  '''  Sur  ce  point,  cf.  ci-dessus,   t.  II, 

déliguré  par  une  série  de  reslauralions)  p.  226. 

au  delà  de  la  seconde  moitié  du  11"  siècle  ''''  Cf.  Ciuvannes  (note  à  la  traduction 

de  notre  ère.  Pour  l'entourage  d'Açoka  de  Song  Vun)  dans  B.E.F.E.-O.,  III. 

on    sait    qu'il    est    représenté    sur    la  1 900,  p.  3()6,  n.  3. 

façade  du  pilier  de  gaucho  de  la  porle  '*'  Cf.  B.  E.  F.  E.-O..  1.  111,    1903, 


L\   LÉGENDE    \    i;\PPri    DE   l/HISTOIRE.  733 

l'effigie  du  Vajrâsana.  De  cet  inachèvement  réel  ou  supposé  les  deux 
versions  donnent  une  explication  tout  à  fait  analogue  :  les  circon- 
stances ne  diffèrent  qu'autant  qu'il  est  nécessaire  pour  les  faire 
cadrer  avec  le  reste   du  scénario.  Selon  Tàranâtha.  tries  artistes 


^ 


KiG.  578.  —  Tète  ixdo-crecqde  de  Bunniu,  i\etoi,(;iii;e  (il.  p.  700). 
Musée  du  fjnnrre.  n°  lù.  Provenant  du  Swùl.  Haulruv  :  o  m.  sS. 


divins  rjui  étaient  venus  sous  une  forme  humaine  t',  selon  Hiuan- 
tsang,  le  brahmane  en  qui  se  cache  Maitrêya,  s'enferment  à  l'inté- 
rieur du  temple;  les  premiers  défendent  qu'on  les  dérange  avant  sept 
jours,  le  second  avant  six  mois.  Mais  ou  bien  dès  le  sixième  jour 
il  faut  ouvrir  la  porte  à  la  vieille  mère  des  donateurs,  tt  car.  dil-elle, 


p.  78-80.  Il  va  de  soi  que  la  pose  est  la         sur  la  pi.  \L111.    1    des    Ik'ginninffs   0/ 
même:  on  trouvera  la  statue  reproduite        Bud'.Hiist  Art  and  oilior  Essays,  etc. 


73/1  RÉSUMÉ  HISTORIQUE. 

comme  je  dois  mourir  ce  soir  et  que  je  reste  seule  sur  la  terre  à 
avoir  vu  le  visage  du  Biiddlia,  personne  après  moi  ne  pourra  savoir 
si  l'image  du  Tathâgata  est  ou  non  ressemblantes;  ou  bien  la  curio- 
sité des  moines  ne  peut  pas  patienter  plus  de  quatre  mois.  Dans  les 


FiG.  57'!.  —  Tète  de  Buddha  .  aux  cheveux  ondes  Cl',  p.  701). 
D'après  un  tnoulttp^p  d'une  tète  provenant  du  Swàt.  Hauteur  :  0  m.  aa. 

deux  cas,  le  résultat  est  le  même  :  le  ou  les  artistes  merveilleux 
disparaissent  instantanément.  Quant  à  la  statue,  elle  est  déclarée 
aussi  ressemblante  que  belle  (les  deux  choses  ne  vont-elles  pas 
ensemble,  quand  il  s'agit  du  Bienheureux?)  :  toutefois,  à  raison  de 
l'interruption  prématurée  de  son  exécution  elle  a  encore  besoin 
de  quelques  retouches .  .  . 


LA   LÉGENDE  À  L'APPUI   DE   L'HISTOIRE.  735 

Ici  nous  ileniandons  la  ])ormissioii  de  céder  la  parole  aux  textes  : 
nous  craindrions  de  paraître  mystifier  à  plaisir  le  lecteur  en  lui 
servant  sous  le  nom  d'auteurs  tibétains  ou  chinois  un  résumé  de 
nos  propres  théories.  Or  donc,  continue  Târanàtha'^),  cton  disait 


\^,. 


J,, 


.*;•*, 


l'"lG.    Ô^i    hh.    l'ilOFil-    m     l'RLI  IhENT. 

que  l'image  était  pareille  au  viai  Buddha.  Mais  comme  les  sept 
jours  ne  s'étaient  pas  écoulfe,  il  se  trouvait  que  quelques  parties 
n'étaient  pas  achevées.  Quelques-uns  remarquaient  qu'il  manquait 
l'orteil  du  pied  droit;  d'autres  re<jrettaient  que  les  boucles  des  che- 
veux ne  fussent  pas  toutes  tournées  vers  la  droite;  on  fit  exécuter 
cela  plus  lard.  Les  savants  (^pandita)  auraient  dit  encore  que  les 

'''   Geschichle des  Buddhisimis  in  Indien,  tnicl.  A.  Sr.iiiEFNKK,  p.  20. 


736  RF.SLME   HISTORIQUE. 

poils  du  corps  et  le  vêtement,  qui  n'adhérait  pas  au  corps,  étaient 
restés  imparfaits...  n.  On  a  peine  à  en  croire  ses  yeux  :  toutes  les 
observations  que  nous  a  fout  à  l'heure  suggérées  l'évolution  du 
type  du  Buddha  étaient  d'avance  réunies  dans  ce  paragraphe.  Rien 
n'y  manque  :  ni  le  prestige  divin  des  artistes  étrangers;  ni  le  cri 
d'admiration  qu'arrache  aux  tidèles  la  première  vue  de  leur  œuvre, 
et  qui  se  traduit  aussitôt  chez  ces  âmes  simples  par  ralfirmation  de 
la  ressemblance;  ni  enfin  la  preuve  manifeste  que  le  prototype  des 
images  dites  du  Vajrâsana  était  de  style  gandhàrien.  11  suffit,  pour 
achever  de  s'en  convaincre,  de  suivre  les  retoucheurs  dans  leur 
besogne.  Car,  à  la  réflexion,  des  critiques  se  produisent  et  le  goût 
des  ignorants  comme  les  scrupules  orthodoxes  des  savants  trou- 
vent çà  et  là  à  redire.  Les  voilà  qui  découvrent  le  pied  droit, 
celui  qui  dans  la  pose  de  la  statue  était  placé  en  dessus  et  que 
dissimulait  la  retombée  de  la  robe.  Ils  remplacent  les  ondes  de  la 
chevelure  par  les  courtes  boucles  crépues,  ils  usent  au  polissoir  ces 
belles  draperies  qui  ont  à  leurs  yeux  le  tort  grave  de  ne  pas  coller 
au  corps'').  Bref,  ils  transforment,  point  par  point,  un  Buddha  indo- 
grec en  un  Buddha  indien.  On  ne  saurait  imaginer  description 
plus  minutieusement  exacte  du  mécanisme  de  la  transformation,  et 
l'on  demeure  stupéfait  de  constater  à  quel  point  la  tradition  en 
avait  gardé  pleine  conscience.  Mais,  [)ourra-t-on  objecter,  il  y  a  au 
moins  un  détail  d'omis;  nous  ne  voyons  pas  qu'en  même  temps  que 

les  pieds  l'on  découvre  l'épaule  droite Un  instant  :  rouvrons 

à  présent  Hiuan-tsang  et  reprenons,  au  même  point  du  récit  que 
tout  à  l'Iieurc,  nofi'e  lecture  :  et  Les  signes  du  grand  hcmime  étaient 
au  complet,  sa  figure  alfectueuse  paraissait  vivante:  seul  le  dessus 
du  sein  droit  n  était  pas  complètement  modelé  et  poli.  .  .    Sur  ces 


'''  D'api'ès  la  suite  de  la  légende,  le  dige   se  ri'pi'ixluit   |iiuir  liiniù  uii  l'on 

donateur  se  serait  trouvé  par  miracle  en  encbàsse  un  saphir.  Ce  ilei'nier  fait  nous 

possession  de  deux  énieraiides  et  les  veux  est  attesté  par  nombre  de  statues  (cf.  II, 

de  la  statue   se  seraient  creusés  d'eux-  p.  289)  :  nous  n'avons  pas  présent  à  la 

mêmes  pour  les  recevoir;  le  nièine  pio-  mémoire  d'exemple  du  pi'emipi'. 


L\    IJi(.ENDE   À   r;\P-l'l  I    DE   L'IllSTOlliE.  737 

entrefailes,  le  dessus  du  sein  qui  n'était  pas  achevé  fut  couvert  de 
pierres  précieuses. .  .C.  n  Vous  entendez  bien  :  la  saillie  des  plis, 
montant  jusqu'au  cou,  se  prolongeait  sur  l'épaule  droite  et  l'on 
s'était  empressé  de  dissimuler  ce  pi'étendu  dél'aut  sous  des  pa- 
rures   .  .  Etes-vous  cette  Ibis  satisfaits? 

Nous  ne  voudrions  pas  exagérer  la  valeur  de  cet  ensemble  cohé- 
rent de  légendes  :  mais  enfin  elles  font  ressortir  entre  les  docu- 
ments écrits  et  les  monuments  figurés  un  accord  trop  complet  pour 
être  négligeable.  On  le  voit,  de  quelque  côté  que  nous  nous  tour- 
nions, la  réponse  l'este  la  même;  et  cette  i-éponse,  ne  craignons 
pas  de  le  répéter,  est  la  dernière  à  quoi  personne  eût  pu  s'attendre  et 
qu'aucun  indianiste  aurait  eu  à  cœur  de  prouver.  L'image  du  Sau- 
veur le  plus  largement  humain  qu'ait  enfanté  l'Inde,  mais  enfin  du 
Sauveur  indien ,  est  originairement  sortie  d'un  atelier  hellénistique. 
Les  idoles  qui,  nous  souriant  du  fond  des  pagodes  de  l'Extrême- 
Orient,  passent  couramment  pour  le  dernier  mot  de  l'exotisme, 
descendent  d'un  ancêtre  semi-européen.  Peut-être  manque-t-il 
encore  à  la  démonstration  d'avoir  placé,  à  côté  de  l'image  qui 
fut  l'irrésistible  propagatrice  de  l'inlluence  indo-grecque  dans  la 
Haute  et  Basse-Asie,  un  pendant  occidental  plus  voisin  d'elle  pour 
le  fond  comme  pour  la  forme  qu'un  Olympien  ,  fùt-il  (tel  l'Apol- 
lon Musagète)  costumé  à  l'orientale.  (}u'à  cela  ne  tienne.  Hegardez 
les  deux  statues  reproduites  côte  à  côte  sur  les  figures  bc)'6  et  Sg/i  : 
la  première  représente  le  Christ,  la  seconde  le  Buddha.  Toutes 
deux,  avec  le  geste  de  leur  bras  droit  pareillement  enroulé  dans 
leur  manteau,  descendent  directement  d'un  ancêtre  commun,  à 
sa\oirla  belle  statue  grecque  du  musée  de  Latran  que  l'on  appelait 
l'Orateur  et  en  qui  l'on  a  reconnu  un  Sophocle'-'.  Si  celte  asceu- 

'''    Trad.    SNin.     ,)i:lii;\  ,    |).    /iG.")    et  r;iiiiilié   do  \o   xérilicr:   cT.    d'iiillciirs  i:i 

siiiv.:  "g.Tiichci   est  un  lapsus  de  Slaii.  liud.  15eai,,  lire,  il,  p.  lao. 
Julien    pour    trdroilu,     ainsi    que     Ed.  '"'   Niitis  choisissons   comme   exemple 

Ghavannes  nous  3  fait  depuis  lonjjleiiips  cette  statue,  parce  cpi'eile   est  la    plus 

OINnUÎRl.    -   TI.  Ù7 


ii[i-iu)ii  iiir.    ^iriL 


738  Rl':si  MÉ   HISTOIUQLIE. 

dance  vous  jiaraîl  bien  lointaine  et  surlout  bien  écrasante  pom 
elles,  vous  leur  lionverez  aisément  des  cousines  germaines  parmi 
les  collections  de  Palmyre  ou  de  l'Egypte  romaine^,  sans  parlei' 
des  bas-reliefs  clirétiens  ou  bouddhiques  qui  campent  exactement 
de  même  tantôt  saint  Pierre  et  tantôt  Vajrapâni(-).  Rien  donc  de 
moins  exceptionnel  que  leur  pose,  ni  de  mieux  établi,  au  point 
de  vue  j)lastique,  que  leur  parenté.  L'une  est  un  Christ  gréco- 
chrétien  comme  l'autre  est  un  Buddha  gréco-bouddhique,  et  toutes 
deux  sont  au  même  titre  un  legs  fait  in  exlremis  au  vieux  monde 
par  l'art  grec  expirant. 

Telle  est  du  moins  la  vérité  d'aujourd'hui  —  je  veux  dire  la 
conclusion  qui  se  dégage  de  tous  les  témoignages  actuellement 
connus;  et  telle  sera  vraisemblablement,  au  [)oint  où  en  sont 
arrivées  les  recherches  archéologiques ,  la  vérité  de  demain. 
Convient-il  de  s'en  réjouir  ou  de  s'en  plaindre?  Les  faits  sont 
les  faits  et  le  plus  sage  est  de  les  prendre  comme  ils  viennent: 
il  n'est  pas  d'ctemphatic  dissent^^U  qui  puisse  tenir  contre  eux. 
C'était  récemment  encore  la  coutume  de  triompher  bruyamment 
de  l'infériorité  artistique  des  Indiens,  réduits  à  acceptei'  toute 
faite  de  la  main  d'autrui  la  réalisation  concrète  de  leur  propre 
idéal  religieux.  C'est  la  mode  à  présent,  par  engouement  d'esthé- 
ticien ou  rancune  de  nationaliste,  de  faire  payer  à  l'école  du 
Gandiiàra  sa  manifeste  supériorité  technique  par  un  dénigrement 
systématique  de  sa  plus  noble  production.  Nous  refusons  de  nous 
associer  aussi  bien  au  mépris  injustifié  de  l'ancienne  critique  pour 
l'inspiration  indigène  qu'au  dépit  mal  déguisé  de  la  nouvelle  contre 


connue;  mais,  bien  entendu,  elle  n'est  pas  '■''  Voir  les  sarcophages  n°'  55  et  lo/i 

unique;  du  même  type  est  par  exemple  du  musée  de  Latran  et  notre  figure  ayi; 

un  Eschine  du  musée  deNa|)les,  elc.  cf.  t.  II,  lig.  /i5'i  h  et  467,  et  p.  829, 

'"'  Pour  Palmyre,  voir,  par  exemple,  11.  1.  —  Sur  la  dilTérenee  de  date  entre 

Strzygowski,  Orient  oder  Rom,  fig.  12.  la    ligure    SgS    (vi°    siècle?)    et    Sg'j 

—  Citons  d'autre  part  au  Neues  Muséum  (11'  siècle),  cf.  ci-dessous,  p.  786. 

de  Berlin,  le  couvercle  d'un  cercueil  eu  '''  E.  B.  Havell,  Indian  Sculpliire  and 

t)olsil'Abousir-el-Meleq(n°' 17.  1  26-1  ■J7').  Painllnp;.  p.  lio. 


LA   LÉGENDE   À   L'APPUI  DE   L'HISTOIRE.  739 

la  facture  étrangère.  Ce  n'est  pas  le  père  ou  la  mère  qui  a  fait 
l'enfant  ;  c'est  le  père  et  la  mère.  L'àme  indienne  n'a  pas  pris 
une  part  moins  essentielle  que  le  génie  grec  à  l'élaboration  de 
la  maquette  du  Moine-Dieu.  C'est  un  cas  où  l'Orient  et  l'Occident 
ne  pouvaient  rien  l'un  sans  l'autre.  11  serait  viiin  de  se  complaire 
de  parti  pris  dans  l'exaltation  ou  le  rabaissement  soit  de  l'Europe, 
soit  de  l'Asie,  alors  (jue  l'occasion  s'olfre  si  belle  de  saluer  dans 
le  prototype  eurasien  du  Biiddlia  l'une  des  créations  les  ])lus 
sublimes  dont  leur- collaboration  ait  enriclii  le  monde. 


fil. 


CONCLl  SIONS. 

La  tàclieque  nous  nous  étions  assignée  en  commençant  est  enfin 
terminée.  Après  les  sculptures  de  l'école  du  Gandliàra  nous  avons 
étudié  de  notre  mieux  ses  origines  et  son  induence,  en  un  mot 
son  histoire.  Par  un(^  application  méthodique  de  ce  réactif  sans 
rival  que  sont  les  textes,  nous  nous  sommes  efforcé  d'analyser 
d'aussi  près  que  possible  la  composition  intime  des  œuvres  et  de 
dégager,  à  force  d'expériences  répétées,  les  lois  organiques  qui 
président  à  leur  évolution.  Avant  tout  nous  nous  sommes  attaclié. 
comme  le  comportait  notre  métier  d'orientaliste,  à  faire  ressortir 
tout  ce  qui  subsiste,  dans  le  fond,  d'indianisme  latent  sous  l'hel- 
lénisme patent  de  la  forme.  Enfin  on  no  nous  fera  pas  le  mauvais 
compliment  de  croii-e  que  nous  prétendions  le  moins  du  monde 
avoir  définitivement  épuisé  la  question.  Des  études  sur  l'art  indien, 
si  poussées  qu'elles  soient,  ne  sauraient  avoir  à  l'heure  actuelle 
qu'un  caractère  tout  provisoire.  Nous  en  avons  pris  notre  pai'li  dès 
le  débul(').  La  base  que  nous  souliaitons  préparer  aux  investiga- 
tions futures  se  révélera  sans  doute  ruineuse  sur  plus  d'un  point. 
Mais  cette  divination  de  la  vérité  qui,  lisant  dans  l'avenir  à  travers 
lesdonnéesdu  présent,  crée  les  livres  durables,  est  un  don  (pion 
ne  saurait  exiger  du  premier  philologue  venu.  N'est  pas  Eugène  Bur- 
nouf  qui  veut,  et  bien  vain  qui  s'en  excuse  :  ou  plutôt  consolons- 
nous  à  la  pensée  qu'il  suffit,  pour  en  être  excusé,  d'avoir  écrit  de 
bonne  foi. 

Ceci  rappelé,  il  serait  grand  temps  de  clore  ces  pages  déjà  tro[) 
longues  et  d'attendre  avec  confiance,  mais  soumission,  du  destin 
qui  dirige  les  fouilles  archéologiques  que  les  faits,  ces  souverains 

'''  Lire  l'avanl-propos  (lu  I.  II. 


7'i-2  CONCI.rsiONS. 

maîtres,  coiiliiiiioiit  ou  non  à  coiiCinner  rinterprélalion  ([ue  nous 
eu  avons  oHerle.  Mais  comment  nous  flatter  d'avoir  déjà  (iui  alors 
que  nous  venons  à  peine  de  lermiuer  le  gros  œuvre?  Que  de 
leprises  de  délai!  il  reslerait  encore  à  exécuter,  que  de  lignes  par- 
ticulières à  suivre,  que  de  rapports  symétriques  à  mettre  en  valeur, 
si  nous  avions  le  loisir  de  nous  y  attarder!  Du  moins  il  est  une  obli- 
gation à  laquelle  nous  ne  saurions  nous  soustraire  :  celle  d'achever 
de  justifier  le  sous-titre  que  nous  avons  choisi  à  notre  travail  par 
quelques  considérations  d'ensemble  sur  la  part  qu'il  convient  d'attri- 
buer, tout  conq)te  fait,  à  l'influence  classique  dans  l'art  de  l'Inde 
et  de  l'Extrême-Orient.  A  la  vérité,  au  cours  de  notre  long  exa- 
men de  l'œuvre,  nous  ne  nous  sommes  pas  interdit  de  chercher  un 
peu  partout  en  Occident,  et  jusqu'en  Gaule,  des  points  de  rappio- 
cliement;  et  d'autre  part  l'hisloire  de  l'école  nous  a  conduits,  sur  la 
piste  de  ses  créations  les  plus  cai'actéristiques,  jusqu'aux  confais 
orientaux  de  l'Asie.  Malgré  tout  nous  n'aurons  que  trop  forcément 
cédé  au  travers  professionnel  du  spécialiste,  toujours  prêta  s'hypno- 
tiser sur  son  sujet  et  à  oublier  tout  ce  qui  l'entoure.  11  est  oppor- 
tun, il  est  même  urgent  de  secouer  autant  que  faire  se  peut  cette 
obsédante  tentation,  et,  s'élevant  à  une  plus  large  conception  de 
la  valeur  relative  des  choses,  de  situer,  pour  finir,  l'école  du  Gan- 
dliàra  à  sa  modeste  place  dans  l'histoire  générale  de  l'art.  Tel  un 
ouvrier  qui,  son  labeur  achevé,  relève  enfin  sa  tête  jusqu'alors 
obstinément  penchée  sur  son  sillon  et,  promenant  ses  yeux  sur  les 
campagnes  environnantes,  parcourt  d'un  dernier  regard,  avant  de 
terminer  sa  journée,  le  cercle  entier  de  son  horizon. 


§  I.    L'influence  classique  dans  l'art  de  l'Inde. 

Le  répertoibe  de  l'ancienne  école.  —  Tout  de  suite  nous  nous 
apercevons  qu'à  regarder  ainsi  d'un  peu  haut  l'immense  étendue 
de  l'Asie,  les  différences  que  nous  nous  complaisions  à  souligner 


L'INFLUENCE   CLASSIQUE   [)\NS  L'ART  DE   L'INDE.         7/(." 

entre  notre  domaine  piirticiilier  et  ies  plaines  basses  ou  les  plateaux 
montagneux  qui  l'entourent,  vont  en  s'atténuant.  Cela  est  vrai 
surtout  de  l'écart  que  nous  avons  cru  constater,  au  cours  de  nos 
bilans  partiels,  tant  à  propos  des  bas-reliefs  ([ue  des  images,  entre 
l'école  du  Gandiiàra  et  celle,  considérée  comme  beaucoup  |)lus 


ijr 


FiG.    075.    'Ifilt   DE    IkiDDUA,    AL\    CIIKÏEIX    STÏLISKS    (  cf.    [).    289,    "011. 

Mutée  du  Lounv,  n"  Sa.  Provenant  (le  Shàhbdz-tiarhi.  Hauteur  :  o  m.  aS. 


ancienne,  de  l'Inde  centrale.  Aussi  bien,  de  ce  côté,  depuis  que 
s'est  publiée  la  première  partie  de  notre  étude,  il  y  a  quelque 
chose  de  changé.  Jusqu'ici,  avec  une  partialité  bien  excusable,  les 
indianistes  s'elTorçaient  de  remonter  autant  que  possible  —  en  fait 
aussi  près  que  l'on  osait  du  règne  d'Açoka,  au  milieu  du  ni"  siècle 


Hifi  CONCLUSIONS. 

avant  noire  ère —  les  sculptures  qui  décorent  les  entourages  des 
\'\ett\  slûpa  diL  bassin  du  (lange.  D'autre  part  ils  inclinaient  à  faire 
descendre  les  débuis  de  l'art  gréco-bouddhique  jusqu'après  notre 
ère  et  à  les  rapporter  au  règne  (parfois  rabaissé  jusqu'au  ni''  siècle 
après  J.-G.)  de  Kaniska.  Une  sorte  d'instinct  les  avertissait  qu'élar- 
gir l'intervalle  entre  les  deux  écoles  était  le  meilleur  moyen  de 
sauver  ce  qu'ils  pourraient  de  l'originalité  artistique  de  l'Inde  — 
comme  si  l'Inde  n'avait  pas  par  ailleurs  assez  d'originalités  diverses 
pour  sacrifier  au  besoin  celle-là  sans  en  être  autrement  dimi- 
nuée. .  .  Malheureusement  les  faits  ne  se  sont  pas  crus  tenus  de 
favoriser  ce  pieux  dessein  et  ont  exercé  en  sens  inverse  leur  irré- 
sistible poussée.  Des  inscriptions  ont  définitivement  ôté  à  Açoka  la 
balustrade  de  Codh-Gayà  poiii'  la  i  apporter  au  temps  des  rois  Brah- 
mamitra  et  Indramitra  '),  membres  ou  contemporains  de  la 
dynastie  des  Çurigas  (18/1-79  av.  .I.-C).  La  mention  de  ces  mêmes 
Çungas  sur  un  jamliage  de  Barliut  ne  suflit  pas  à  garantir  que  la 
balustrade  du  vieux  stâpa  appartienne  tout  enlière  au  if  siècle, 
tandis  que  celle,  non  moins  vague,  des  Çalakaïuis  sur  la  plus 
ancienne  porte  de  Sanchi  (celle  du  Sud),  ne  saurait  empêcher 
ni  elle-même  ni,  à  plus  forte  raison,  les  autres,  de  descendre  jus- 
qu'aux eiivii'oiis  de  notre  ère.  Dans  le  même  tem|)s,  pai'  un  mou- 
vement exactement  opposé,  sous  l'action  combinée  des  découvertes 
nouvelles  faites  au  Gandhàra  comme  en  Sérinde  et  d'une  compa- 
raison plus  serrée  entre  les  sculptures  et  les  monnaies,  les  débuis 
de  l'école  gréco-bouddhique  remontaient  sous  nos  yeux  de  la  domi- 
nation des  Kusanas  à  celle  des  Çaka-Pahlavas  pour  se  rattacher  de 
proche  en  proche  aux  derniers  des  grands  dynasies  grecs  du  Pen- 
jâb,  à  la  fin  du  iT  siècle  avant  J.-C.  Ainsi,  l'intervalle  entre  les  deux 
écoles  ne  tend  pas  seulement  à  se  rétrécir,  mais  à  s'abolir,  et  les 
voilà  devenues  en  partie  contemporaines. 

A  faits  nouveaux,  théories  nouvelles.   Il   est  déjà  évident  que 

'''  Cf.  Bloch,  (lansvl..S'.  /..    \mi.  lUji.  kjuS-iijoç),  p.   1/17.  —  Nous  empruntons 
;i  M.  V.  A.  Smith  les  dates  ries  Çun(];ris. 


L'INFLUENCE   CL\SSIQUE  DANS   L'\RT   DE   L'INDE.         7'i5 

nous  devons  désormais  renoncer  à  l'hypothèse  périmée  trdes  deux 
vagues  successives  d'induence  occidentale  n,  telle  que  nous  l'avons 
nous-mêmo  exposée'''.  Par  le  lait,  il  n'y  aurait  eu  qu'une  lente, 
mais  constante  inliltration  de  ladite  inlluence  par  la  route  du  Nord- 
Ouest  :  tout  au  plus  pourrait-on  continuer  à  distinguer  une  pre- 
mière période  ftirano-grecquen  qui  aurait,  dès  le  temps  d'Açoka, 


.  ;  !":.«    .. 


~^ 


'\ii.  ■>■] (i-â-j -j .  —  Tètes  de  Biddeh  ,  momiiant  li  stvlisatiiin  ijboissakte  des  ondes  des  cueïecx. 
Musée  de  Laliure,  «"'  5o8  et  G-^iti.  Ilanleuv :  o  m.  iq  ri  o  m.  m   (cf.  ji.  ■jni). 


préparé  les  voies  à  l'action  beaucoup  plus  étendue  et  profonde  des 
Indo-grecs.  Et  sans  doute,  même  à  l'époque  de  ces  derniers,  il  y 
avait  un  bon  bout  de  chemin  entre  la  Bactriane  ou  le  Penjàb  et 
l'Inde  centrale  :  mais  il  va  de  soi  que  la  distance  oppose  aux  rap- 
ports réciproques  une  barrière  singulièrement  moins  eflicace  que 
le  temps.  Il  n'y  a  que  les  morts  avec  qui  les  vivants  ne  se  rencon- 
trent pas.  Les  communications  à  travers  les  plaines  unies  et  poli- 


'■'  T.  I,p.  25s 


746  CONCLUSIONS. 

cées  du  bassin  du  Gange  étaient  des  plus  faciles.  D'ailleurs  les 
témoignages  précis  s'enchaînent  depuis  l'ambassade  de  jMégaslIiène 
à  la  cour  de  Candragupta,  en  passant  par  les  relations  de  Bindu- 
sàra  et  d'Açoka  avec  les  successeurs  d'Alexandre,  jusqu'aux  incur- 
sions, en  plein  cœur  du  pays,  d'Apollodolos  et  de  Ménandre,  pour 
finir  par  l'installation  de  satrapes  parthes  plus  ou  moins  hellénisés. 
Faut-il  d'autre  part  rappeler,  après  les  raisons  politiques,  les 
preuves  artistiques  de  ces  relations  continues?  Le  lecteur  n'a  peut- 
être  pas  oublié  l'existence  dans  l'ancienne  école  indigène  de  motifs 
persans  (palmettes,  lions  ailés,  griffons,  etc.),  non  plus  que  de  ces 
centaures,  ces  tritons,  ces  atlantes,  etc.,  qui  sont  autant  d'em|)runts 
au  bagage  décoratif  de  l'art  grec'*'.  Ces  deux  séries  de  faits  ne  sont 
plus  contestés  par  personne.  Il  ne  manquait  pour  leur  donner  toute 
leur  valeur  et  dégager  tout  leur  potentiel  historique  que  de 
trouver  entre  elles  un  point  de  contact  précis.  L'étincelle  a  jailli 
du  jour  où  une  heureuse  découverte  de  Sir  John  Marshall  nous  a 
rendu  l'inscription  gravée  sur  le  pilier  de  Besnagar.  Erigé  près  de 
l'antique  Vidiçanagara,  non  loin  de  Sànchi,  par  Hcliodore,  fils 
de  Dion,  natif  de  Taxile  et  envoyé  d'Antialkidas,  ce  monument, 
«montre  clairement  comment  vers  le  milieu  du  n*"  siècle  avant 
notre  ère,  l'inlluence  grecque,  partie  du  royaume  gréco-baclrien 
du  Nord-Ouest,  pouvait  pénétrer  dans  les  États  hindous  de  l'Inde 
centrale (-)  11.  Cette  possibilité,  sitôt  démontrée,  achève  sous  nos 
yeux  de  jeter  un  pont  entre  les  deux  écoles  —  d'ailleurs  par  tant 
de  côtés  si  différentes  —  que,  d'une  part,  la  propagande  boud- 
dhique sur  les  confins  septentrionaux,  de  l'autre,  la  pénétration 
hellénistique  dans  le  centre  de  la  péninsule,  allaient  développer  quasi 

'■'  Nous  avons  soigneusement  calalo-  origines  nettement  occidentales  de  l'école 

gué  tous  ces  motifs  empruntés  dans  notre  du  Gandliàra  et  de  démontrer  les  titres 

première  partie  (t.  I,  p.  206  et  suiv.).  de  son  indépendance  par  rapport  à  celle 

Nous  aurions   pu  nous   dispenser    d"en  de  l'Inde  centrale,  même  représentée  |  ar 

constituer  avec  tant  de  soin  un  lot  séparé,  le  spécimen  tardif  de  la  figure  82. 

si,   au   moment  où  nous    écrivions,    il  '"'  J.  Pli.  Vocel,  .1.  S.  /.,  Anii.  Rep. 

n'eût  été  encore  nécessaire  d'établir  les  iijitH-Kjoij.  p.  33. 


L'INFLUENCE  CLASSIQUE   DANS  L'ART  DE   L'INDE.         7'i7 

simullanéineiif,  ici  comme  là.  Dès  loi-.s,  le  contraste  entre  leurs 
productions  ne  peut  plus  s'expliquer  par  un  écart  dans  le  temps, 
mais  seulement  par  la  diversité  des  milieux  où  elles  se  développent. 
A  deux  ou  trois  cents  lieues  près,  l'une  et  l'autre  appartiennent 
à  la  même  religion,  répondent  aux  mêmes  besoins,  se  proposent 
le  même  programme,  obéissent  de  façon  plus  ou  moins  experte 
et  docile  aux  mêmes  inspirations. 

La  technique  de  l'ancienne  école.  —  Il  n'y  a  pas  à  se  le  dissi- 
muler :  la  continuité  désormais  établie  de  linduence  occidentale 
dans  l'Inde  depuis  les  premières  colonnes  d'Açoka  jusqu'à  la  der- 
nière porte  de  Sânchi,  jointe  à  la  quasi-contemporanéité  des  deux 
écoles  du  Nord-Ouest  et  du  Centre,  tend  à  compromettre  plus 
sérieusement  que  par  le  passé  l'originalité  de  l'art  indien.  Toute- 
fois il  reste  encore  aux  indianistes  une  ligne  de  retraite  apparem- 
ment solide.  Après  tout  (la  forme  causative  du  verbe  employé  le 
prouve),  le  Garuçla  que  cet  HéViodora fit  ériger  au  haut  d'un  pdier 
de  pierreW  en  l'honneur  de  Visnu  était  un  travail  indigène,  tout 
comme  la  décoration  des  vieux  slûpa  bouddhiques  des  environs. 
Or  il  est  deux  choses  que  personne  ne  s'avisera  de  contester:  c'est, 
d'abord,  que  cette  dernière,  avec  tout  ce  qui  s'y  mêle  d'ingénuité 
pittoresque  et  de  symbolisme  conventionnel,  est  l'expression  directe 
du  génie  indien;  c'est,  ensuite,  que  ces  reliefs,  si  bien  fouillés 
et  polis,  se  présentent  tout  autrement  que  comme  des  essais  de 
simples  débutants  dans  l'art  dillicile  de  la  scul[)ture.  Forts  de  ces 
deux  constatations,  nous  sommes  autorisés  à  penser  que  l'Inde 
ancienne  possédait  un  art  suflisamment  développé  pour  <pie  l'em- 
prunt de  quelques  motifs  décoratifs  n'en  put  compromettre  l'origi- 
nalité foncière;  et,  quant  aux  procédés  de  facture  et  de  com|)osition 
de  ses  vieux  récits  sur  pierre,  parfois  si  habilement  traités,  tou- 

'■'  l'oui-  avoir  une  iiléo  de  ces  dhvaja,  gariiila-il/irnja  lenii  par  un  cavalier  sur  la 
il  sullit  de  se  re[)orler  au  mahm-a-dliraja  pi.  \II  de  llarliiit  —  sans  parler  de  ceux 
de  Màra  sur  noire  fig.  'loi  ou  encore  an         des  bas-reliefs d'Angkor,  au  Cambodge. 


748  CONCLUSIONS. 

jours  si  encombrés  de  détails  accessoires,  pourquoi  n'y  pas  recon- 
naître simplement  l'Iiérilage  des  vieux  scnlpteurs  sur  ivoire  ou  sur 
bois,  sans  qu'il  soit  besoin  de  faire  intervenir  l'action  perturba- 
trice d'aucune  influence  étrangère?...  Nous  ne  demanderions  pas 
mieux;  mais,  sur  ce  dernier  point,  la  thèse,  par  ailleurs  fort  dé- 
fendable, n'est  pas  seulement  sujette  à  caution  :  elle  est  encore 
susceptible  d'une  vérification  expérimentale.  Les  questions  maté- 
rielles de  technique  sont  de  celles  qui  prêtent  à  une  enquête 
méthodique;  et  l'archéologie  partage  avec  l'histoire  naturelle  la 
capacité  d'établir,  d'après  des  caractères  extérieurs,  non  seulement 
la  classification  des  genres  et  espèces,  mais  encore  les  lois  de  leur 
évolution.  Le  petit  jeu  auquel  nous  nous  sommes  livrés  jusqu'ici, 
de  compter  sur  nos  doigts  les  flagrants  délits  d'emprunt,  est  tout  à 
fait  superficiel.  H  y  a  des  procédés  plus  savants  pour  dépister  des 
influences  plus  subtiles,  mais  non  moins  intéressantes  à  démêler. 
Ce  qu'il  faudrait  seulement,  c'est  qu'un  expert  imparlial,  habile  à 
manier  ces  méthodes,  appliquât  une  bonne  fois  aux  vieux  bas- 
reliefs  indiens  les  règles  générales  qui  régissent  le  développement 
formel  de  l'art  plastique. 

Or  l'expérience  a  justement  été  tentée  dans  les  conditions  ([ue 
nous  venons  de  dire,  et  son  verdict  mérite  par  suite  toute  notre 
considération,  si  écrasant  qu'il  soit])our  notre  thèse  favorite.  Selon 
M.  AI.  délia  Setta,  aucune  hésitation  n'est  permise  :  cr l'art  des 
vieux  stûpaii  du  bassin  du  Gange  n'est  pas  un  art  original,  et  il  le 
démontre.  La  première  preuve  réside  dans  la  connaissance  que  cet 
art  possède  —  sinon  toujours  dans  l'usage  qu'il  fait  —  du  raccourci , 
et  la  façon  dont  il  présente  des  personnages  vus  de  trois  quarts. 
Ces  procédés,  que  les  Assyriens  et  les  Egyptiens  n'avaient  pas  réussi 
à  découvrir,  ce  sont  les  Grecs  seuls  qui  les  ont  inventés  et  intro- 
duits dans  le  reste  du  mondi'  :  jamais  ni  nulle  pari  ils  n'ont  été 
retrouvés  indépendamment  d'eux.  La  deuxième  preuve,  également 
très  forte,  consiste  dans  le  caractère  narratif  et  biographique  de 
cet  art,  plus  précisément  encore  dans  son  cr système  de  narration 


L'l\FLL;lv\CK   CLASSIQUE   DANS  L'ART  DE   L'INDE.         7'i9 

continuer,  ctsyslènie  auquel  aucun  aulre  ait  humain  n'est  jamais 
parvenu,  sautTart  grec,  et  encore  n'y  ost-il  arrivé  qu'au  terme  de 
sa  laborieuse  évolution  n.   Vjoutez  enfin  que  ledit  art  a  été  — trait 


."iy8.  —  Tète  iie  Bitjjiiii.  auv  ciikimx  hmuclés,  dl'  Ganohvha  (cf.  p.  •Mjti,  701). 
Musée  de  Pésliawar.  Prnvenanl  de  Sahri-lldlilnl. 
Cf.  A.  S,  î. ,  Ànn.  Bep.  igori-to,  pi.  \'\l  r. 


non  moins  significatif  —  nniquement appliqué  à  la  décoration  des 
édifices.  Brei,  pour  toutes  ces  raisons,  à  savoir  «la  parfaite  connais- 
sance des  moyens  représentatifs  de  l'obliquité,  son  caractère  nar- 
ratif, sa  méthode  continue  de  narration  et  son  rôle  exclusivement 
décoratif^i,  l'ancien  art  bouddhique  est  cf  non  jioint  original,  mais 


750  CONCLUSIONS. 

(léi'ivéO'i  :  (Mitciulcz  qu'il  est  dérivé,  au  même  titre  que  celui  du 
Gandliàra,  de  i'art  helléuislique.  A  l'appui  de  sa  démonstration, 
M.  délia  Setta  invoque  encore  l'absence  dans  la  vieille  école,  en 
contradiction  directe  avec  son  orientation  toute  biographique,  de 
la  figure  du  Buddha.  Car  comment,  demande-l-il,  un  art  aulo- 
chtone  et  spontané,  déjà  en  possession  des  derniers  perfectionne- 
ments de  la  technique  et  de  la  composition,  se  serait-il  amusé  à  se 
décapiter  lui-même  en  s'interdisant  de  représenter  le  héros  de  ses 
représentations?  Et  sans  doute  nous  sommes  de  son  avis;  mais 
l'argument  est  à  deux  tranchants  :  en  prouvant  qu'il  y  a  en  sur  ce 
poiid  particulier  une  résistance  irréductible  opposée  à  l'intluence 
venue  du  dehors,  il  démontre  la  réalité  et  la  vigueur  de  la  tradition 
locale'-'.  Il  y  aurait  de  même  beaucoup  à  dire  à  propos  des  argu- 
ments tirés  du  caractère  décoratif  et  narratif  des  vieux  bas-reliefs'^)  : 
mais  la  première  raison  avancée  par  M.  délia  Setta  nous  paraît 
vraiment  topique.  A  Sàiichi,  et  même  à  Barhut,  il  y  a  des  figures 
qui  ce  tournent  T),  affranchies  de  cette  loi  de  la  a  frontalité  n  qui  pèse 
sur  tous  les  essais  plastiques  des  primitifs.  Cela  n'a  l'air  de  rien,  et 
c'est  déjà  le  comble  de  l'habileté  technique;  mais,  comme  ce  secret 
d'atelier  est  le  monopole  des  Grecs,  sa  seule  manifestation  suffit 
à  prouver  l'inlluence  occidentale  dans  ce  que  l'Inde  nous  a  laissé 
de  plus  ancien. 

Le  réquisitoire,  il  faut  l'avouer,  en  impose  par  son  allure  scien- 
tifique. .Jamais  les  archéologues  — genus  (hlestahile —  n'ont  dirigé 
attaque  plus  mordante  et  mieux  conduite  contre  l'autonomie  et 
l'ancienneté  de  l'art  indien.  H  n'est  plus  simplement  accusé  d'em- 
prunts :  quelle  est  l'école  qui  n'a  [)as  de  ces  emprunts  sur  la  con- 
science, et  en  quoi  pourraient-ils  contrarier  son  développement? 

'''  Al.   DKixA   Setta,  La   Gkiicsi  dcllo  '''  C'est  ainsi  qu'il  uous  parait  un  peu 

Scorcio  nelt  arip  greca  (Home,    1907),  forcé  de  découvrir  le  procédé  de  la  (fnar- 

p.  9-12.  —  Nous  nous  sommes  eiïoiré  ration  continue",  assez  rarement  employé 

de  résumer  fidèlement  la  pensée  de  l'au-  au  Gandiuha  (cf.  t.  I,  p.  Go3).  sur  les 

teur.  médaillons  ou  même  les  linteaux  de  l'an- 

'''  Cf.  t.  I,,  p.  364-365.  cienne  école. 


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FiG.  r)7((-58a.  —  Tètes  de  Blduua,  mdmuam  l*  stylisation  ciioissa.nte  des  boucles  des  cheveux 
l<':g.  5-](j.  —  Tète  de  Mathwd  {Kankdli  Tilâ),  au  Musée  de  Lakhnau  (cf.  p.  ag6,  701,  7/0). 
Fijj.  080.      -  Télé  du  Java  {liniv-Rnudour),  de  la  mil.  Alph.  Kaihh  {cf.  p.  OSù,  Ggà,  ^oi,  -joS,  yio). 
FijT.  58i.    —  Télé  du  Cumbud^e ,  d' aprè»  une  photngr.  du  !\tiisée  Guimet  (cf.  p.  68'i,  701,  '/08). 
Fig.  ôSu.      -  Tête  du  Japon  (  Yoknshi-ji),  au  Muxée  de  Nain  (cf.  p.  a8r),  (>8j,  Gq'i .  70/). 


752  CONCLUSIONS. 

Celle  fois  on  nous  oiïre  de  faire  la  preuve  d'une  influence  aulre- 
menl  intime  et  profonde.  La  transformation  artistique  qui  s'est 
produite  dans  l'Inde  dès  le  ni''  siècle,  au  premier  contact  de  la  civi- 
lisation grecque,  ne  s'est  pas  bornée,  comme  nous  avions  cru  pou- 
voir le  sontenir  ('),  à  la  substitution,  dans  les  fondations  religieuses 
et  royales,  de  la  pierre  au  bois.  Les  vieux  rûpakartika  n'ont  pas 
seulement  changé  de  matière,  mais  aussi  de  manière.  Ainsi  le 
ff paradoxes  de  l'ancienne  école  bouddhique  trouve  sa  solution, 
sans  qu'il  soit  besoin  de  recourir  à  l'hypothèse,  qu'aucune  fouille 
n'a  vérifiée,  d'un  long  développement  artistique  antérieur.  On  ne 
comprendrait  même  pas  autrement  que  cette  école  s'attaquât 
d'emblée  à  des  sujets  si  évidemment  au-dessus  de  ses  moyens  et 
que  ses  productions  pussent  associer  une  conception  si  savante  à 
tant  do  maladresse  dans  l'exécution.  On  peut  suivre  d'ailleurs  de 
Bodh-Gayâ  à  Barhut,  de  Barhut  à  Sànchi,  de  Sânchi  à  Amarâvatî, 
les  rapides  progrès  accomplis,  toujours  dans  le  même  sens  et  sous 
l'action  de  la  même  influence.  A  chaque  fois  la  facture  se  fait  plus 
experte,  la  composition  [)lus  complexe,  et  les  figures  se  dégagent 
plus  librement  de  la  pierre  où  elles  dormaient  emprisonnées.  Mais 
dès  lors  —  et  c'est  là  surtout  ce  qui  nous  intéresse  ici  —  il  n'y  a 
plus  à  proprement  parler  entre  l'école  du  Gandhâra  et  celle  de 
l'Inde  centrale,  en  dépit  du  contraste  qu'elles  présentent  aux  yeux, 
qu'une  difl'érence  de  degré  et  non  de  nature.  Plus  distante. des 
sources  et  née  sur  un  terrain  moins  bien  préparé  que  le  Nord- 
Ouest,  celle-ci  atteste  simplement  un  état  moins  avancé  de  péné- 
tration ou,  si  l'on  préfère,  d'imprégnation  hellénistique.  C'est 
pourquoi  elle  persiste,  par  exemple,  si  longtemps  dans  le  vieil 
usage  traditionnel  de  ne  pas  figurer  le  Buddha;  ou  encore  elle 
s'obstine  parfois  à  se  servir  du  procédé  primitif  de  perspective  qui 
superpose  verticalement  les  moments  successifs  d'une  scène  au  lieu 
de  les  dérouler  horizontalement  sur  une  frise.  Alais,  tout  compte 

"'  Cf.  ,/.  -t.,  janv.-févr.  1911,  p.  67. 


L'1NFLUE-\CE  CLASSIOLE   DANS  L'ART   DE   L'INDE.         75;5 

fait,  l'une  et  l'autre  procèdent  d'un  même  développement.  Si  l'on 
voulait  représenter  en  couleur  sur  lii  carte  de  l'Inde  ancienne  l'aire 
de  l'influence  classique,  il  l'aiidrail  désormais  promener  le  pinceau 
sur  tout  le  Nord  et  le  Centre,  de  Pêshawar  à  Amaràvatî  :  seule- 
ment la  teinte,  l'orniant  tache  au  Gandhàra,  encore  assez  foncée 
à  Matliurà,  irait  s'éclaircissant  graduellement  jusqu'aux  confins 
orientaux  de  la  péninsule. 

Les  arts  brahmanique  et  jaina.  —  11  resterait  cependant  aux  par- 
tisans déterminés  de  l'indépendance  de  l'art  indien,  une  dernière 
ressource  :  ce  serait  d'abandonner  le  camp  décidément  indéfen- 
dable, el  d'avance  livré  à  l'étranger,  de  l'art  bouddhique  pour  se 
retrancher  dans  les  citadelles  de  Tart  brahmanique  ou  jainu.  La 
secte  des  Jaïns,  sûrement  moins  ouverte  aux  influences  extérieures, 
et  la  caste  des  brahmanes,  jalouse  gardienne  du  génie  national, 
auraient  mieux  sauvegardé  dans  leur  art  religieux  les  traditions 
indiennes.  A  la  vérité ,  nous  n'avons  consei'vé  de  l'ancien  art  brahma- 
nique que  de  rares  indices.  C'est  tout  juste  si  nous  avons  retrouvé 
sur  des  monnaies  ou  des  intailles  du  Nord-Ouest  quelques-unes  de 
ces  figures  à  tètes  et  bras  multiples,  qui  sont  poui'  les  Européens 
les  représentants  attitrés  du  panthéon  hindou'''.  Nous  donnerions 
volontiers,  comme  nous  l'avons  entendu  dire  à  Bùhler,  une  demi- 
douzaine  des  nombreux  couvents  bouddhiques  exhumés  par  les 
fouilles,  pour  un  seul  temj)le  brahmanique,  ne  daterait-il  que  des 
environs  de  iioli'e  ère.  En  ce  qui  concerne  l'art  jaina,  nous  sommes 
un  peu  mieux  partagés,  sinon  au  Gandhàra,  oh  nous  en  avons 
vainement  cherché  des  vestiges,  du  moins  à  Mathurà.  Là  le  tertre 
dit  Kaùkàli  Tilà  nous  a  notamment  rendu  les  débris  d'un  important 
édifice  jaïn  '-)  et  de  sa  décoration.  Or  que  constatons-nous  dès 
l'abord?  Seulement  l'embarras  oij  nous  sommes  devant  nombre  de 

'''  Les  ri'téicnces  oui  (Ipjà  tîlt' flonnéfs  othcr  unliquilies  vf  Molhurà  (All;ilial)à(l, 
ci-dessus,  I.  Il,  p.  i9i-i()-j.  Mt'".)^'  ^-  Bèhi.ei\,   Epigraphin   Indien, 

''-'   Cf.   V.  Smith,   Tlie  Juin  Sliiiin  and         (.  I,  n"  wiv. 

UINDIIÀIM.    -  11.  48 


NA1:lo^tlLB. 


7,y,  CONCLUSIONS. 

CCS  fragmenls  poui'  les  distiiiffucr  des  œuvres  bouddhiques  contem- 
poraines. Tant  (\u\\  s'a({il  d'un  inolif  floral  ou  animal,  réel  ou 
mythi(jue  (cf.  fig.  gM,  voire  même  de  déités  populaires  communes 
à  tous  les  Indiens  comme  les  Nàgas  ou  les  ^  aksas  des  deux  sexes, 
à  commencer  par  le  couple  tutélaire  (cf.  fig.  SîgB),  le  fait  n'a  rien 
de  trop  surprenant.  Il  est  déjà  curieux  qu'il  en  soit  de  même  pour 
nombre  de  sujets  religieux,  tels  que  Tadoralion  du  turban  ou  du 
vase  à  aumônes  du  Maître.  Mais  le  plus  fort,  c'est  que  les  figures 
du  Jina,  quand  elles  font  enfin  leur  apparition  sous  les  Kusanas 
(fig.  596),  reproduisent  les  proportions  et  les  attitudes  du  Buddba. 
Comme  le  fait  remarquer  Hiuan-tsang,  «les  signes  de  beauté 
sont  absolument  les  mêmes  n;  et  vraiment  l'on  s'explique  qu'à  son 
point  de  vue  de  dévot  bouddhique,  il  n'ait  pu  s'empêcher  de  crier 
au  plagiat. 

Nous  ne  ferons  pas  cborus  avec  lui.  Une  interprétation  beaucoup 
plus  simple,  et  surtout  moins  sectaire,  de  ces  indéniables  simili- 
tudes s'ofTre  à  nous.  Tout  d'abord  on  conçoit  que  celles-ci  se  soient 
trouvées  favorisées  par  la  ressemblance  extérieure  des  deux 
ordres  monastiques  des  Jainas  et  des  Bauddlias.  A  l'heure  actuelle, 
les  Çvetambaras  qu'on  rencontre  dans  les  rues  dAhmedabàd 
ou  d'Oujjain  ne  diffèrent  des  bonzes  de  Ceylan  que  par  la  couleur 
de  leur  robe,  blanche  au  lieu  d'orangée:  comment  s'étonner  que 
pour  représenter  le  Jina,  ce  pendant  contemporain  du  Buddha,  les 
sculpteurs  se  soient  servis  du  même  type,  à  l'absence  à'umisa  et 
à  la  nudité  près?  Mais  à  cela  nous  entrevoyons  une  raison  encore 
meilleure  ;  c'est  ([u'après  tout  Buddhas  et  .linas  étaient  l'œuvre  des 
mêmes  sculpteurs.  11  faut,  à  notre  avis,  s'ôter  de  la  tête  l'idée  pré- 
conçue (et  que  la  division  des  chapitres  du  livre  de  Fergusson  sur 
rarchitecture  indienne  n'a  que  trop  contribué  à  répandre)  que  les 
diverses  religions  de  l'Inde  avaient  jadis  chacune  leur  art  et  leurs 
artistes  particuliers.  Nous  n'avons  connaissance  de  rien  de  pareil 
et  ne  voyons  pas  qu'il  eu  était  d'elles  comme  du  lamaïsme  moderne, 
où  les  ministres  du  culte  se  réservent  aussi  le  soin  d'en  fabriquer 


L'INFLUENCE   CLASSIQUE  DANS  L'ART   DE   L'INDE.        755 

les  objets.  D'après  les  vieilles  inscriptions  votives,  les  donateurs, 
qu'ils  soient  laïques  ou  religieux  et  à  quelque  secte  qu'ils  appar- 
tiennent, se  bornent  à  passer  leur  commande,  ainsi  que  l'atteste 
la  forme  causative  des  verbes  —  et,  espérous-le,  à  la  payer.  Tous 


FiG.  583.  —  BnDDBA  dl  Ganduuia. 


Fie.  58 '4.   BcDDHA   DE    MiTHLl\'v. 


Fi'g-.  585. — -  Muséum  fur  Vôlhrkunde ,  Berlin.  H.  :  i  m.  lâ  (cf.  p.  3oa  ,  3ij,  Sif)  .  70a  ). 
Fig.  58'i.  —  Musfe  de  Malhurd ,  n"  A  i.  H.  ;  0  m.  fin  {cf.  p.  •Wfl,  -Ijo ,  fiS  1 ,  GSr) .  yoo ,  70a). 


ceux  d'une  même  ville  opèrent  apparemment  sur  le  même  marché 
et,  s'adressant  aux  mêmes  ateliers,  n'en  obtiennent  que  des  œuvres 
fort  ressemblantes  entre  elles.  Pour  parler  net,  nous  ne  voyons 
pas  qu'à  aucune  époque  ni  dans  aucune  région  de  l'Inde,  aient 
coexisté  des  arts  bouddiiique,  brahmanique  et  jaiu  distincts  par 


/18. 


75G  CONCLUSIONS. 

leurs  procédt's  ou  leur  style  :  nous  apercevons  seulement  une  cor- 
poration d'artis'.cs  trcivaillant  presque  indifféremment  pour  des 
clients  de  toute  confession.  En  somme  il  ny  avait  en  un  temps  et 
en  un  lieu  donnés  qu'une  école  dait  à  qui  demander  de  figurer 
sa  nivthologie,  comme  il  n'y  avait  qu'un  dialecte  courant  auquel 
confier  ses  traditions.  Ainsi  naissent  naturellement  les  iconogra- 
phies hiératiques  comme  les  langues  sacrées  :  seulement  celles-ci 
semblent  se  cristalliser  plus  vite  que  celles-là.  Les  canons  linguis- 
tiques sont  déjà  fixés  que  ceux  de  l'art  évoluent  encore.  Nous 
possédons,  par  exemple,  dans  l'Inde  centrale,  des  images  boud- 
ilhiques,  jaïnes  et  braliniauiques  de  la  péi'iode  Gupta  :  il  suffit 
de  comparer  les  Buddhas  ou  Bodhisattvas  de  Sàrnàth  avec  tels 
Jinas  de  Lakhnau  ou  les  Çiva  et  Vii^nu  de  Déognrh  C  pour  con- 
stater que  toutes  ces  statues  sont  de  même  style,  tout  comme  si 
elles  sortaient  des  mêmes  mains.  Et  si  l'expérience  vous  intéresse, 
il  ne  tient  qu'à  vous  de  la  recommencer,  à  quelques  siècles  de 
dislance,  sur  les  sculptures  appartenant  à  ces  trois  mêmes  religions 
et  qui  voisinent  de  grotte  en  grotte  dans  la  l'alaise  d'EUora. 

L'art  indien  avant  l'Histoire.  —  Ainsi  donc  on  ne  saurait  séparer 
à  l'intérieur  de  l'Inde,  par  des  cloisons  étanches,  un  art  boud- 
dhique, brahmanique,  jain.  Tout  ce  qu'il  est  vrai  de  dire,  c'est 
que  les  manifestations  bouddhiques  de  l'art  indien  sont  les  plus 
anciennement  et  les  plus  abondamment  attestées.  11  en  résulte  que 
leur  histoire  se  confond  avec  celle  même  de  cet  art  :  et  comme  il 
n'a  pas  été  letrouvé  de  vieille  sculpture  bouddhique  où  ne  se  décèle 
plus  ou  moins  l'influence  occidentale,  il  s'ensuit  que  les  fidèles 
croyants  en  l'absolue  originalité  artistique  de  l'Inde  sont  forcés 
dans  leurs  derniers  retranchements.  Vous  pensez  peut-être  qu'ils 
vont  se  rendre  à  l'évidence  des  fouilles  et  renoncer  à  leur  mirage 
favori?  .  .  .  C'est  mal  connaître  la  force  de  ces  raisons  du  cœur  que 

'''  I5ornons-nous  à  renvoyer  aux  figures  109-120  du  livre  de  M.  V. Smith,  .1  llisturij 
oj  Fine  Art  in  Indin  and  Cpijhn. 


LINFLIENCE   CL\SSIQUE  DANS  [;\r,T  DE   L'INDE. 


757 


la  raison  ne  cfnuiaît  pas.  Aussi  bien,  où  la  lui  se  tronve-t-elle  plus 
à  l'aise  (|ue  dans  le  domaine  de  Tinconnaissable?  V;\v  le  fait  même 


Fie.  58."i  ET  .585  bis.  —  Brnnru  n"  \\nr.ivAii.  (  Doux  aspcds  Ao  \:\  iiiiMnc  slaliin.) 
Musée  de  Madras.  Ilaiilriii- :   i  m.  m  (cf.  ]>.  Otia  ,  -jD^lj. 

D'aprôs  (I<*s  plloto;jr.   rmimitmiqtliîos  piir  M.    V.  ('.01.0LIIEW. 

que  l'art  de  riiide.  anlérieurement  à  Alexandic,  est  liislori({ue- 
ment  une  page  bianclic.  archéolofjiquement  une  vitrine  vide,  rien 
ne  nous  cmpèclie  de  noircir  l'une  et  de  remplir  laulre  au  ijré  de 
notre  imagination  et  de  nos  vo-iix.  S'il  nous  plaît  d'aHirmcr  qu'au 


758  CONCLUSIONS. 

temps  jadis  l'Inde  a  jiossédc  un  ait  comparable  aux  grands  arts 
pré-helléniques  de  rE;;yple  et  de  l'Assyrie,  de  quel  droit  viendrez- 
vous  le  nier?  Vous  n'en  savez  pas  là-dessus  plus  long  que  nous. 
Qu'est-ce  qui  vous  prouve  d'ailleurs  que  des  fouilles  heureuses  ne 
viendront  pas  demain  confirmer  nos  allégations?  Et  si  vous  objectez 
que  ces  découvertes  se  font  bien  attendre,  nous  nous  tirerons  tou- 
jours d'affaire  en  rappelant  un  fait  dont  les  édifices  de  pierre  nous 
apportent  la  preuve  certaine,  à  savoir  que  les  plus  anciens  monu- 
ments de  l'Inde  étaient  en  bois.  Dès  lors  l'incendie,  les  termites, 
le  climat  seul  de  la  péninsule  rendent  assez  compte  de  leur  entière 
disparition,  et  celle-ci  à  son  tour  laisse  le  champ  libre  à  toutes  les 
conjectures.  .  .   —  En  effet;  et  comme,  depuis  Don  Quichotte, 
l'usage  s'est  perdu  de  se  battre  avec  les  moulins  à  vent,  nous  nous 
garderions  de  partir  en  campagne  contre  des  imaginations  pures, 
si  nos  ft  esthètes  w  n'avaient  habilement  greffé  sur  ces  prémisses  une 
théorie  aussi  décevante  qu'ingénieuse,  et  capable   de  séduire  les 
meilleurs  esprits  par  un  savant  mélange  de  fantaisie  et  de  vérité. 
Ils  tiennent  en  effet  solidement  deux  positions  importantes.  D'une 
])art,  il  est  bien  évident  que  l'art  n'a  pas  été  brusquement  créé 
dans  l'Inde  au  lu''  siècle  avant  notre  ère  par  un  décret  d'Açoka. 
D'autre  part,  il  est  non  moins  certain  —  et  c'est  le  grand  mérite 
de  M.  Havell  d'avoir  mis  le  fait  dans  tout  sou  jour  —  que  l'Inde 
a  développé  au  temps  des  Guplas  un  art  entièrement  à  son  goût  et 
à  son  image.  Posons  à  présent  en  axiome  que  l'art  de  l'Inde,  avant 
qu'elle  n'eût  subi  l'influence  étrangère,  était  tout  pareil  à   celui 
qu'elle  a  connu  après  qu'elle  s'en  fût  dégagée  :  nous  en  déduirons 
aussitôt  que  l'art  indien  du  v"  siècle  avant  notre  ère,  dont  nous 
ignorons  tout,  était  aussi  admirable  que  celui  du  v°  siècle  après, 
dont  nous  commeuçoas  à  savoir  quelque  chose.  Et  le  tour  sera  joué. 
Pour  escamoter  plus  aisément  cette  assertion,  tout  de  même  un  peu 
forte,  il  ne  restera  plus  ([u'à  l'enguirlander  avec  quelques  citations 
des  vieilles  épopées  et  d'intrépides  considérations  sur  les  principaux 
centres  d'art  et  d'enseignement  religieux  au  temps  où,  nous  dit-on, 


L'INFLUENCE   CLASSIQUE   DANS  L'AliT  DE   L'INDE.         759 

l'Inde  était  à  la  tête  de  la  civilisation  et  l'institutrice  de  l'Asie.  Au 
bout  du  coniple,  tout  historien  ne  pourra  que  s'y  laisser  prendre, 
à  moins  qu'il  ne  soit  un  indianiste  professionnel. 

Ce  dernier  seul  est,  liélas,  vacciné  d'avance  contre  la  contagion 
de  cet  enthousiasme  délirant.  11  réduit  à  leur  juste  valeur  les  pré- 
tendus témoignages  historiques  sur  l'existence  des  «galeries  d'arts 
au  temps  du  Mahdblidmta ,  et  sait  quel  abus  de  langage  on  commet 
en  parlant  de  l'ct  université  de  Taksaçih'm,  dont  les  Jàlalm  atteste- 
raient la  renommée;  surtout  il  sent  mieux  que  personne  l'impossi- 
bilité d'attribuer  à  l'époque  post-vêdique  et  anté-bouddliique  ce 
qui  est  vrai  seulement  de  la  période  médiévale  :  et  ainsi  il  met 
tout  de  suite  le  doigt  sur  le  point  faible  du  sophisme.  Il  n'y  a  pas 
ici  de  cf  renaissance  15  qui  tienne.  La  l'erse  aussi  a  connu  vers  le 
même  temps  que  l'Inde  uue  sorte  de  restauration  nationale  :  cela 
veut-il  dire  que  l'art  des  Achéménides  soit  identique  à  celui  des 
Sassanides?  Et  qu'on  ne  croie  pas  pouvoir  s'abriter  en  dernier 
ressort  derrière  l'excuse  spécieuse  du  :-boisn  :  elle  ne  peut  plus 
faire  illusion  à  aucun  archéologue.  Tous  les  peuples,  y  compris 
les  Grecs,  n'ont-ils  pas  débuté  par  enq)loyer  cette  matière,  et  son 
emploi  exclusif  n'est-il  pas  à  lui  seul  la  niai'que  d'un  développement 
artistique  des  plus  primitifs?  Mais  avec  tout  cela  nous  ne  ferions  tou- 
jours qu'opposer  des  aflirmalionsà  des  alfirmations,  etla partie  n'en 
resterait  pas  moins  belle  pour  nos  conti'adicteurs  si  nous  n'avions 
conservé  dans  le  bassin  du  (iangc  aucun  monument  antérieur 
à  notre  ère  :  car,  là  où  les  ilocuments  manquent,  la  science  perd 
ses  droits.  Heureusement  [)our  celle-ci,  ils  ne  nous  font  pas  entiè- 
rement défaut.  Avant  de  sauter  allègrement  par-dessus  dix  siècles 
et  de  conclure  de  l'art  des  Guptas  à  celui  des  Nandas,  il  faut  tenir 
compte  de  ce  qui  nous  reste  des  dynasties  inter[)osées  des  Andhras, 
des  Çungas  et  des  Mauryas.  Or,  ({u'on  veuille  bien  se  reporter  au 
chapitre  f  où  M.  Ilavell  aborde  enfin  les  sculptures  de  Barhut  et 

'''  Imlian  Sciilpliire  and  l'aiiUhig ,  cli.  v. 


7(i()  CONCLUSIONS. 

(le  Sànclii,  et,  l'on  iiolciii  niissilùl  rciiibarnis  qu'il  (éprouve  à  ies 
faire  reuirer  dans  le  cadre  de  son  système,  comme  dans  le  plan  de 
son  livre.  Car  il  est  trop  expert  pour  contester  leur  caractère  fran- 
clieinenl  naturaliste  et  réaliste  :  mais  alors  quelle  place  leur  assi- 
gner dans  le  dévelo|)pement  d'un  art  qui,  pai-eil  à  lui-même  dès 
SOS  origines,  aurait  toujours  été  par  définition  rc essentiellement 
idéaliste,  mystique,  symbolique  et  transcendantal (')■»?  Il  y  a  mieux  : 
la  conservation  de  ces  autentliiques  spécimens  nous  indique  et 
nous  impose  l'unique  méthode  rationnelle  dont  nous  puissions 
user  pour  nous  faire  une  idée  de  ce  que  l'art  indien  devait  être 
antérieurement  à  eux.  Cette  méthode  consistera  naturellement 
à  remonter  de  proche  en  proche  du  connu  à  l'inconnu.  Or  nous 
avons  constaté  tout  à  l'heure  la  complication  et  l'amélioration  crois- 
santes, sous  l'action  de  l'influence  classique,  des  représentations  et 
des  procédés  de  représentation;  si  nous  reprenons  à  présent  en 
sens  inverse  la  mèiiie  filière,  d'Amaràvatî  à  Sânchi,  puis  à  Barhut 
et  à  Bodh-Gayà,  nous  verrons  de  même  les  compositions  devenir 
(le  plus  en  plus  pauvres,  et  la  facture  de  plus  en  plus  maladroite, 
jusqu'à  ce  que,  de  siinplificaliou  en  schématisation,  nous  arrivions 
aux  plus  anciennes  manifestations  connues  de  l'art  indien,  à  savoir 
les  sigles  quasi  hiéroglyphiques  frappés  au  poinçon  sur  les  vieilles 
monnaies  carrées'-).  Dès  lors  la  cause  est  jugée.  L'Inde  ancienne, 
celle  des  liturgistes,  des  philosophes  et  des  grammairiens,  avait 
décidément  bien  d'autres  vocations  que  celle  des  arts  plastiques,  et 
ce  qu'elle  a  produit  en  ce  genre  avant  qu'elle  soit  entrée  en  contact 
avec  l'Occident  devait  être,  tranchons  le  mot,  assez  rudimentaire. 

Le  développement  insToniQUE  de  l'art  indien.  —  On  nous  ferait 
tort  de  croire  qu'entraîné,  bien  malgré  nous,  dans  cette  sorte  de 

'"'   IndiKii  SciiliiliiiT  (iiul Piiiiiliiiji- .\).^^.  songer  aux   sùlin    de   P;înini    (cf.    t.    I, 

'''   I^e  canictèie   ali.sirait,  algébrique,  |).   608-609).  Coni|iarez  les  doruiueiils 

nin(înioleclini(jue     des     plus     auciennes  rassemblés    sur    k's    planclies    I-IV    des 

(iMivres  indiennes  nous  a  fait  lout  de  suilo  Begiiinings  0/  Biuhlliisl  Art,  etc. 


i;iNFLUENCE  CLASSIQUE  DANS  L'ART  DE  L'INDE.  761 
polémique,  nous  en  ayons  oublié  notre  sujet.  De  l'idée  qu'on  se 
fait  de  l'évolution  générale  de  l'arl  indien  dépend  en  eiïet  la  place 


'Ma 


Fin.  .586  ET  .580  bis.  —  Buddha  dd  Campa  [face  ot  dos]  (cf.  p.  Oa8,  ()8-i,  7oli). 
Musée  (le  Hanoi.  Statue  de  bronze  troiirée  il  Bong-Dunng  (:\nmun).  UaMcuy  :  i  m.  lo. 

qu'il  conviendra  d'y  assigner  à  l'école  du  Gandiiâra.  Si  vraiment  le 
style  Gupta  n'était  que  la  renaissance  de  l'art  originel  de  l'Inde, 
l'intruse  se  trouverait  écrasée  comme  une  noix  —  disons  mieux, 


762  CONCLUSIONS. 

comme  un  calcul  étranger  à  l'organisme  — -  entre  les  brandies  de 
cette  formidable  pince.  Et  c'est  bien  là,  au  fond,  à  quoi  tendait 
toute  la  théorie.  L'inlluence  classique  ne  serait  plus  dès  lors  qu'un 
t'[)isode,  fâcheux,  certes,  mais  passager,  une  sorte  d'intoxication 
proniptement  éliminée.  Et  que  son  action  ait  fini  par  s'épuiser,  au 
moins  en  apparence, nous  l'avons  reconnu  et  même  exposé'''  :  mais 
nous  tenons  qu'au  lieu  d'avoir  été  un  poison,  elle  a  été  un  aliment, 
en  d'autres  termes  qu'elle  a  été  bien  plutôt  assimilée  qu'éliminée. 
Non  seulement  l'Inde  a  moins  perdu  que  gagné  à  ce  contact  avec 
la  civilisation  grecque,  mais  son  originalité  n'en  a  pas  été  plus 
compromise  que  ne  l'est  notre  personnalité  humaine  par  la  nourri- 
ture que  nous  absorbons.  Elle  n'a  fait  qu'y  puiser  des  moyens  de 
mieux  se  réaliser  et  s'affirmer  elle-même,  car  elle  avait  déjà  su  se 
créer  une  individualité  propre  entre  toutes  les  nations.  11  n'y  a  ni 
inconvénient  ni  déshonneur  à  faire  quelques  enqn-unts  de  forme, 
dès  qu'on  a  un  contenu  nouveau  à  y  verser.  Les  Grecs  eux-mêmes 
n'onl-ils  pas  été  d'abord  à  l'école  de  l'Orient  et  leur  art  n'a-t-il  pas 
reçu  des  Egyptiens  et  des  Assyriens  l'étincelle  de  vie  ('-)  ?  Il  n'en 
ressemble  pas  moins  à  aucun  autre  :  et,  en  définitive,  il  en  est 
de  même  de  l'art  indien.  Gela  est  visible  pour  les  productions  de 
rinde  centrale,  aussi  bien  à  l'époque  des  Çungas  que  des  Guptas  : 
en  dépit  des  attaques  passionnées,  et  par  ailleurs  maladroites,  d'une 
esthétique  nationaliste,  nous  irons  jusqu'à  soutenir  que  cela  est 
vrai  de  l'école  du  Gandhâra.  Son  œuvre  n'est  pas  simplement  du 
gréco-romain  de  second  ordre,  c'est  déjà  une  fleur  du  sol  iiulien. 
N'y  avons-nous  pas  tout  de  suite  discerné,  dans  l'arrondissement 
des  formes,  dans  l'atténuation  des  muscles  et  bientôt  des  draperies, 
dans  l'orientalisation  des  visages,  les  tendances  qui  allaient  faire  de 
l'école  duMadhyadêça  l'expression  la  plus  pure  du  génie  indigène'^)? 

'"'  Cf.  t.  Il,  ]).  568-570  L'I  (il  i-()i  ti.  —  Est-ce  la  peine  de  remarquer  en  |ias- 

'*'  Cf.  (j.  PiîBROT,  Histoire  de  l'art  ilaits  sunt  que   le  goût  de  l'Inde  s'a|)|)aicnte 

l'antiquité,  I,  j).  xir.  beaucoup  plus  à  celui  de  lEijypte  que 

'"'  Cf.  ci-dessus,  t.  II,  p.  353  el  suiv.  de  l'Assyrie? 


L'INFLUENCE  CLASSIQUE  DANS  L'ART  DE   L'INDE.        763 

Mais  notre  intention  n'est  pas  de  nous  borner  à  critiquer  les 
théories  d'autrui  en  nous  gardant  de  prêter  nous-niènie  le  flanc  à 
la  critique.  11  est  plus  avantageux  pour  le  progrès  de  nos  études 


/ 


3Ù3 


FiG.  587.  —  BuDuiiA  DE  Matulrà  (cI.  p.  A'-jO .  i S 1 ,  6o6,  681.  701,  708,  7l(')). 
Musée  de  Malliurà ,  n"  .1  .j.  Provenaiil  de  Jiun(dpur.  Iliiiiteur  :  a  m.  ao. 


de  se  tromper  nettement  que  de  garder  un  silence  prudent.  Aussi 
ne  terons-nous  aucune  difiiculté  pour  exposer  comment  nous  appa- 
raît, à  la  lumière  des  récentes  découvertes,  le  développement  de 
l'art  bouddhique  indien. 

1°  L'Inde  ancienne  (et  par  Inde  nous  entendons  avant  tout  le 


HVi  CONCLUSIONS. 

cœur  même  du  pays,  c  est-à-dire  le  bassiu  du  Gange)  a  eu  si\re- 
ment  un  art.  Il  n'est  société  si  inférieure  qui  n'en  ait  un,  et  l'Inde 
avait  développé,  bien  avant  Alexandre  ou  Cyrus,  une  civilisation 
assurément  fort  peu  vêtue,  mais  déjà  raffinée  :  car,  pour  être  civi- 
lisé, il  n'est  pas  aussi  nécessaire  (pie  les  Européens  sont  disposés  à 
le  croire  de  porter  un  costume  complet.  Seulement  de  cet  art  nous 
ne  savons  pour  l'instant  absolument  rien  :  et,  par  suite,  il  serait 
plus  sage  de  n'en  rien  dire,  si  notre  ignorance  même  et  le  persis- 
tant silence  des  fouilles  ne  nous  donnaient  à  penser  rpiil  n'a  pas 
connu,  dans  la  patrie  de  la  tliéosophie  et  de  la  linguistique,  un 
développement  comparable,  même  de  loin,  à  celui  qu'il  avait  pris 
dans  la  vallée  du  INil  ou  en  Mésopotamie.  Los  premiers  monuments 
consei'vés,  datant  de  l'époque  des  Mauryas  (ui'^  siècle),  portent 
déjà  la  marque  de  l'inlluence  gréco-persane.  Les  sculptures  du 
temps  des  Çungas  (u''  siècle)  n'en  gardent  pas  moins  une  allure 
toute  primitive  :  et  si  les  imagiers  de  Barliut  ont  pris  un  tel  soin 
de  graver  les  titres  de  leurs  bas-reliefs,  c'est  apparemment  qu'ils 
avaient  conscience  d'être  des  initiateurs.  Sur  les  productions  de  la 
période  Andlira,  l'intrusion  des  procédés  et  des  conceptions  plasti- 
ques importés  du  Nord-Ouest  se  fait  de  plus  en  plus  visible  :  elles 
présentent  cependant  un  si  curieux  mélange  de  maladresse  et  d'ha- 
bileté dans  la  facture,  d'hérédités  indigènes  et  de  suggestions 
étrangères  dans  la  composition,  qu'elles  n'en  donnent  pas  moins 
l'impression  d'œuvres  spécifiquement  indiennes. 

2"  Nous  en  dirons  volontiers  autant  d'une  autre  école  qui  s'était 
pendant  ce  temps  pleinement  développée  dans  le  Nord-Ouest  de 
l'Inde,  particulièrement  au  Gandhàra,  et  dont,  dès  le  ii''  siècle 
après  notre  ère,  l'inlluence  spéciale  se  traduit  dans  le  reste  de  la 
péninsule  par  l'introduction  de  sujets  et  de  personnages  nouveaux, 
à  commencer  par  la  figure  du  Buddha.  Grâce  à  des  circonstances 
exceptionnellement  propices  à  son  hellénisation,  l'apport  grec  y  est 
si  évident  qu'on  n'a  d'abord  \()ulu  y  voir  qu'un  rameau  de  notre 
art  européen.  Après  tant  d'expériences  répétées  au  cours  de  cette 


k 


L'INFLUENCE  CLASSIQUE  DANS   L'ART  DE  L'INDE.         765 

interminable  éUide,  il  est  peut-être  permis  de  dire  que  nous  avons 
achevé  de  dissiper  cette  illusion  et  mis  dans  tout  son  jour  la  part 
considérable  qu'a  prise  le  ^^én\e  indien  à  l'élaboration  de  l'école 


[•"iG.    fjSS.    luDDUA    IIE   IjfcSAKtb.  FiG.   588    bis. BuUUHA    DU   MaG.IDHA. 

Fig.  588.  —  Britisli  Muscitiii.  Prni\  de  Silrinilli.  II.  :  ù  m.  80  (cf.  p.  (iSi,  701,  yo-'t). 
Fig.  r)S8  bis.  —  Musée  de  Calcutta,  n°  k(url;iha)r   i3.  II.:  1  m.   fio  (cf.  p.   08 1 ,  yo'i). 

indo-grecque,  non  moins  indienne  ([ue  {jrecque.  Non  seulement  il 
a,  ou  peu  s'en  faut,  fourni  tout  le  fond,  mais  il  a  modifié  jusqu'à 
un  certain  point  la  forme,  ^'expérience  est  facile  à  faire  :  à  part 
quelques  motifs  décoratifs  (cf.  fig.  i  90  et  suiv.)  ou  encore  certains 


766  CONCLUSIONS. 

sujets  universels  (cf.  fi<j;.  597-598)  devant  lesquels  l'hésitation 
serait  permise,  jamais  un  œil  tant  soit  peu  exercé  ne  pourra  cf)n- 
fondre  un  bas-relief  gréco-bouddhique  avec  un  bas-relief  gréco- 
romain. 

3"  Et  ceci  nous  éclaire  justement  sur  le  rôle  que  l'école  gandhâ- 
rienne  était  appelée  à  jouer  dans  le  développement  particulier  de 
l'art  indien.  Si  elle  a  pu  si  aisément  imposer  son  répertoire  et  sa 
technique  aux  écoles  du  bas  pays,  c'est  qu'elle  les  avait  déjà  accom- 
modés au  goût  et  aux  idées  indigènes.  L'influence  hellénistique  a 
subi  dans  le  Nord-Ouest  comme  une  première  digestion  destinée 
à  la  rendre  d'autant  plus  aisément  assimilable  pour  le  reste  de  la 
péninsule.  Les  artistes  de  la  vallée  du  Gange  et  du  Dékhan  n'ont 
fait  en  somme  que  continuer  le  mouvement  déjà  commencé  dans 
le  Penjâb  pour  dégager  petit  à  petit,  tout  en  faisant  leur  profit 
des  procédés  mis  à  leur  disposition,  l'idéal  spécial  de  leur  race. 
Ce  résultat  est  définitivement  obtenu  au  v"  siècle,  où  l'art  de  l'Inde 
nous  paraît  avoir  atteint  son  zénitli.  11  tombait  dans  les  outrances 
et  le  maniérisme  de  la  décadence  dès  avant  l'arrivée  des  Musulmans. 

Tel  est  le  schéma,  extrêmement  abrégé  et  simplifié,  que  nous 
proposerions  de  l'évolution  de  l'art  indien  antérieurement  au 
x*"  siècle  de  notre  ère.  Nous  ne  voyons  pas  qu'il  soit  légitimement 
possible  de  diminuer  le  rôle  qu'y  a  joué  l'école  du  Gandhâra. 
En  servant  ainsi  d'intermédiaire  entre  l'Occident  et  l'Orient,  elle  a 
renouvelé  et  enrichi  de  la  façon  que  nous  avons  dite  la  technique 
et  le  répertoire  de  l'Inde  et  de  l'Asie  bouddhique  :  mais  elle  n'y  a 
réussi  que  parce  qu'elle  avait  déjà  adapté  les  ressources  des  ateliers 
hellénistiques  aux  besoins  religieux  de  peuples  nouveaux.  Là  est. 
croyons-nous,  l'humble  vérité.  Ceux  qui  prétendent  que  l'Inde 
aurait  pu  se  passer  de  l'école  du  Gandhâra  oublient  que,  sans  elle, 
la  magnifique  floraison  du  style  Gupta  eût  été  pratiquement  impos- 
sible; ceux  qui  soutiennent  que  l'influence  grecque  a  engendré 
tout  l'art  de  l'Inde  oublient  que,  sans  la  civilisation  indienne, 
l'école  du  Gandhâra  n'aurait  jamais  existé. 


L'INFLUENCE  CLASSIQUE  EN  EXTRÊME-ORIENT.  767 


§  IL   L'Influence  classique  en  Extrême-Orient. 

En  Insulinde.  —  Le  lùle  que  nous  venons  de  reconnaître  dans 
l'Inde  ;\  l'école  gréco-bouddhique  est  aussi  celui  que  nous  lui  attri- 
buerions volontiers  dans  les  pays  où  s'est  à  son  tour  propagé  le 
Bouddhisme  indien,  à  commencer  par  l'insulinde.  Si  nous  an- 
nexions purement  et  simplement  au  Gandhâra,  par  le  canal  d'Ania- 
ràvati,  les  bas-reliefs  de  Boro-Boudour,  il  y  a  fort  à  parier  que 
peu  de  voix  s'élèveraient  contre  cette  excessive  prétention,  tant  ces 
magnifiques  sculptures  sont  encore  mal  connues.  Pourtant  nous 
ne  cacherons  pas  que,  vraie  en  gros,  et  attestée  aussi  bien  par  les 
monuments  que  par  les  chroniques  locales,  la  dé])endance  de  l'art 
bouddhique  de  .lava    à   Légard  de   celui  de  sa  métropole  aurait 
besoin  d'être  analysée  et  jaugée  dans  le  détail.  Ici  encore  c'est  une 
question  de  degré,  et  l'on  ne  tarderait  pas  à  constater  que  nous 
avons  alTaire  non  pas  à  une  reproduction  servile  des  modèles  gréco- 
bouddhiques,   mais  à    une    adaptation  proprement  javanaise  de 
l'adaptation  indienne  de  l'art  gandhàrien.  Du  Gandhâra  la  nouvelle 
école  lient  les  trois  quarts  de  son  répertoire  et  les  procédés  essen- 
tiels de  sa  technique.  A  l'Inde  elle  doit  sans  doute,  d'après  tout  ce 
que  nous  avons  vu ,  ce  que  la  critique  européenne  s'empresserait 
d'appeler  le  manque  d'accent  des  lignes,  l'insullisance  du  détail 
anatomique  et  l'absence  d'action  dramatique,  sans  s'arrêter  un  ins- 
tant pour  se  demander  si  ce  n'est  pas  notre  goût  occidental  qui  est 
corrompu  par  une  recherche  excessive  du  mouvement,  du  muscle 
et  de  l'expression  pathétique.  Enfin  elle  aura  puisé  dans  le  terroir 
de  l'Ile  le  caractère  spécial  auquel  se  font  reconnaître  ses  œuvres  : 
c'est  même  là  l'élément  qu'il  importerait  le  plus  de  définir,  à  pré- 
sent que  leur  beauté  n'est  plus  sérieusement  contestée  par  per- 
sonne.  Au   futur  champion   de   l'originalité  javanaise    vont  donc 
d'avance  toutes  nos  sympathies;  et  nous  ne  croyons  pas  (ju'il  soit 
exposé  à  perdre  sa  peine  et  son  temps.  L'art  bouddhique  gréco- 


7(58  CONCLUSIONS. 

indien  n'est  pas  sans  avoir  subi  dans  l'Iiisnlinde  une  profonde 
transformation  :  seulement  celle-ci  est  beaucoup  moins  apparente 
qu'en  Chine.  A  ïouen-liouang,  à  \un-kang,  les  larges  pantalons 
et  les  vastes  manches  à  la  chinoise  du  Bodhisattva  et  de  sa  mère 
sautent  immédiatement  aux  yeux  :  à  Boro-Boudour,  l'analogie 
forcée  des  sommaires  costumes  de  la  zone  tropicale  fait  au  contraire 
passer  inaperçues  nombre  de  modifications.  Celles-ci  n'en  méritent 
pas  moins  d'être  relevées;  et,  ce  travail  achevé,  on  s'apercevra 
que  dans  la  Basse  comme  dans  la  Haute-Asie  les  artistes  locaux 
ont  su  accommoder  à  leur  façon  la  légende  figurée  du  Sauveur  qui 
leur  était  venu  de  l'Inde. 

Mais  supposons  à  présent  que,  se  jetant  aussitôt  dans  l'autre 
extrême,  quelque  esthète  néerlandais  ou  quelque  Javanais  natio- 
naliste répudie  toute  pénétration  de  l'influence  classique,  même  à 
travers  l'indienne,  dans  l'art  de  Java?  Fort  des  contrastes  reconnus 
entre  les  prototypes  gandliàricns  et  leurs  insulaires  répliques, 
n'auia-t-il  pas  beau  jeu  à  prétendre  que  leur  vague  rapport  pour- 
rait à  la  rigueur  s'expliquer  par  le  fait  que  les  sculpteurs  de  Boro- 
Boudour,  comme  ceux  du  Nord-Ouest  de  l'Inde,  ont  puisé  leur 
inspiration  dans  le  canon  des  Mùla-Sarvàslivàdins'')?  A  cette  autre 
forme  de  dem.i-vérité  poussée  jusqu'à  l'erreur,  il  ne  serait  pas  dilli- 
cile  d'opposer  des  observations  péremptoires.  Par  un  phénomène 
fort  surprenant,  quand  on  songe  à  l'éloignement  océanique  du 
])a\s  et  à  la  date  relativement  tardive  des  œuvres  (ix-  siècle),  les 
sculpteurs  javanais  sont,  après  les  sculpteurs  gandhàriens,  les 
meilleurs  élèves  que  les  maîtres  hellénistiques  aient  jamais  eus 
dans  l'Orient  de  l'Asie  :  du  moins  il  n'en  est  pas  qui  aient  mieux 
conservé  l'esprit  des  ateliers  antiques  et  continué  à  faire  un  plus 
adroit  usage  de  leurs  secrets.  Les  marques  caractéristiques  d'in- 
fluence, que  nous  commencions  tout  à  l'heure  à  déceler  dans  les 
vieilles  œuvres  indiennes,  s'étalent  ici  en   évidence.   Décoration 

'■'  Voir  ci-dessus ,  t.  II,  \i.  (jj 'i-()ii(J,  et  cf.  |)Our  Java,  li.  /:'.  F.  A'.-O.,  IX,  igog, 
p.  Ii2-h^. 


L'INFLUENCE   CLASSIQUE   EN   EXTRÊME-ORIENT.  7(19 

sculpturale  uniquement  vouée  à  revêLir  la  nudité  de  longues 
galeries;  dessin  essenliellement  narratif,  poursuivi,  il  est  vrai,  à 
travers  les  cadres  succossils  d'une  série  de  tableaux;   inlroduilion 


FiG.  ÔS9.  —  Blddua  d'Ajint'i.  FiG.  5i|0.  —  Utuuin  in-  Jipox. 

Pig.  58g.  —  D'après  les  Painliiigs  .  .  .  nf  Ajanlà,  jd.  '/a  b  [Cave  AJ  {cf.  p.  Gi.i,  G8a,  707). 
Fig.  5go.  —  Statue  de  bois  du  temple  de  .Seiryu-ji,  à  Ktjuto.   D'après  Aoui.  (.  A.Y,  n"  iiSB 
[ef.p.  t;i;8,  6S7.  Gg-'i,  -jnS.  7«7i. 

au  milieu  des  acteurs  et  des  figurants  des  éléments  pittoresques 
du  paysage,  arbres  ou  fabriques,  sans  souci  de  leurs  proportions 
relatives;  emploi  constant  du  raccourci  favorisant  l'étonnante  va- 
riété des  attitudes,  tout  enfin,  dans  le  système  général  de  la  com- 

GANDllÀKl     -    11.  'lu 


i:nii:    ;<atiu.iilk. 


770  CO.N'CLUSIONS. 

posilioii  comme  dans  les  tours  de  main  leclmiques,  dénonce  chez 
ces  artistes  de  l'hrmisplière  austral  sinon  des  héritiers  directs,  du 
moins  des  dépositaires  fidèles  des  traditions,  voire  des  conventions 
de  notre  métier  classique.  Leur  extraordinaire  virtuosité  se  sent 
encore  plus  vivement  par  contraste  avec  la  facture,  archaïsante  à 
force  de  maladresse,  des  sculpteurs  qui  commençaient  vers  le 
même  temps  à  décorer  les  monuments  de  l'autre  merveille  de  la 
Basse-Asie,  à  savoir  Angkor.  Ignorants  du  raccourci  et  de  la  pers- 
pective, incapables  de  montrer  un  personnage  de  trois  quarts 
comme  de  représenter  ses  pieds  vus  de  face ,  étageant  verticalement 
les  épisodes,  les  artistes  khmèrs  arrivent  à  nous  donner,  en  face 
de  leurs  éternelles  batailles  terrestres  ou  navales,  l'impression  d'un 
bas-relief  égyptien  ou  assyrien.  En  vérité  l'on  ne  sait  ce  qui  doit 
surprendre  davantage,  de  rencontrer  au  Cambodge  un  cas  aussi 
caractérisé  de  régression  artistique,  ou  à  Java  une  si  remarquable 
conservation  des  procédés  de  l'art  grec.  Il  serait  fort  à  souhaiter, 
pour  que  nous  arrivions  enfin  à  des  solutions  définies,  qu'un  expert 
prît  le  temps  d'étudier  les  questions  d'archéologie  expérimentale 
et  comparée ,  que  nous  devons  nous  borner  à  soulever  ici. 

En  Chine.  —  Selon  toute  vraisemblance,  les  conclusions  aux- 
quelles nous  arrivons  pour  l'insulinde,  trouveront  sans  difficulté 
leur  application  en  Sérinde.  Là  aussi  nous  avons  affaire,  au  moins 
pour  la  moitié  ouest  du  pays,  à  une  sorte  de  colonie  indienne,  où 
un  même  mouvement  d'expansion  avait  conduit  —  bien  que  dans 
une  direction  divergente  et,  cette  fois,  par  terre  —  les  religions, 
les  arts  et  jusqu'aux  langues  de  la  péninsule.  Aussi  bien  y  recon- 
naissons-nous au  premier  [ilan  les  principaux  agents  de  cette 
influence,  le  brahmane  et  le  lihiksu  (cf.  fig.  532-.^3.5  et  536).  C'est 
seulement  quand  nous  abordons  la  Chine  que  nous  hésitons  à 
nouveau  sur  le  parti  à  prendre.  Nous  n'oublions  pas  en  effet  que 
nous  sommes  en  présence  de  l'autre  grande  civilisation  de  l'Extrême- 
Orient,  ni  que  celle-ci,  ayant  un  long  passé  original  derrière  elle, 


i 


L'INFLUENCE   CLASSIQUE   EN   EXTRÊME-ORIENT.  771 

est  par  là  même  animée  d'un  esprit  conservateur  et  capable  de  se 
murer  contre  les  intluences  élrangères.  Ajoutez  que  nous  sommes 
cetle  fois  sorti  du  champ  de  nos  éfudes  et  de  nos  voyages.  11  serait 


Fu;.  5i)i.   --  SpÉcniES  d'imagkbie  doiiddhique  siiniNniENSE  ,  cl.  p.  708,  726). 

Brilish  Muséum.  Provenant  de  Touen-lwuang  (collection  de  Sir  Aurel  SrEiy). 

Cliché  (lu  Arusée  Giiitnct. 


donc  excessif  de  nous  demander  —  et,  de  notre  part,  outrecuidant 
de  proposer  —  des  solutions  fermes  au  complexe  problème  des 
relations  artistiques  entre  la  Chine  ancienne  et  l'Occident.  Mais 
peut-être  nous  sera-t-il  permis,  en  nous  inspirant  de  l'analogie  de 

/in. 


77^  CONCLUSIONS. 

l'Inde ,  d'exposer  au  moins  comment  nous  paraît  se  poser  la  question. 
11  sullit  d'ailleurs  de  la  poser  pour  cet  autre  cf  empire  du  Milieu  t. 
De  même  que  notre  conception  de  rinlluence  classique  dans  l'Inde 
s'est  étendue  sans  elfort  à  toute  la  Basse  Asie,  ce  que  nous  aurons 
pu  avancer  au  sujet  de  la  Chine  sera  également  valable  en  gros 
pour  la  Corée  et  le  Japon. 

Par  une  coïncidence  qui  vaut  d'être  remarquée,  nous  trouvons 
aussitôt  les  critiques  partagés  en  deux  camps.  Pour  les  uns  l'art 
sino-japonais,  du  moins  la  peinture O,  serait  une  création  de  l'in- 
lluence  bouddhique,  donc  indienne  ou,  pour  mieux  dire,  indo- 
wrccque.  Mais  faire  ainsi  table  rase  de  toutes  les  œuvres  chinoises 
antérieures  h  l'introduction  du  répertoire  gréco-bouddhique,  n'est-ce 
pas  délibérément  s'interdire  les  moyens  de  rendre  compte  de  la 
transformation  que,  comme  nous  l'avons  vu(-),  celui-ci  a  subie  en 
Chine  ?  Car  enfin,  comment  un  art  indigène  inexistant  aurait-il  pu 
modifier  l'apport  d'une  école  étrangère?  Le  néant  ne  réagit  point. 
Les  autres  ne  vont  assurément  pas  jusqu'à  contester  l'existence  dans 
l'art  chinois  tt  d'éléments  gandhàricnsii  :  mais  ils  déclarent  avec 
désinvolture  que  ces  éléments  sont  tout  à  fait  secondaires  et  que 
la  pénétration  de  l'influence  indo-grecque  en  Chine  n'a  été  qu'un 
incident  sans  portée  et  sans  lendemain.  En  ce  cas  comment  expli- 
quer la  rénovation  qui  se  produit  à  ce  même  moment  dans  l'art  sec 
et  stylisé  des  vieux  sépulcres  du  Chan-toung?  Un  autre  canon  de 
la  figure  humaine,  un  sens  nouveau  des  draperies,  l'emploi  du 
haut-relief,  la  présentation  des  personnages  de  trois  quarts  W, 
aucun  de  ces  traits  n'est  secondaire,  et  leur  introduction  simultanée 
équivaut  à  une  révolution.  Comparez,  pour  vous  en  convaincre, 
dans  l'album   de    Éd.   Chavannes,  les  dalles  funéraires  de  Wou 

'■'  \V.  Anberson,  Descriptive  ami  liis-  ''  11  y  aurait  déjà  toutefois  des  criac- 

lorical  Catalogue  of  a  Collection  oj  Jap/i-  courcisji  sur  les  dalles   du  Clian-touDg 

îiese  and  Chinese  Pninlings  in  tlie   lirilisli  (cf.  A.  dei.la  Setta,  Geiiesi  detlo  scorcio, 

Mtiseum  (Londres,  i886).  p.  5-6)  :  mais  ce  problème  concerne  les 

'■'  Cf.  t.  Il,  p.  ()()9  et  suiv.  sinologues. 


L'INFLUENCE   r,L\SSIQUE   EN  EXTRÊME-ORIENT.  773 

Leang-Tseu,  aux  sculptures  si  fouillées  de  Yun-kaiif;  :  ou,  plus 
simplement,  reportez-vous  à  notre  figure  5^2.  Sur  cette  stèle, 
exposée  pour  la  première  fois  au  Musée  Cernuschi  pendant  l'été 
de  1913  et,  depuis  lors,  transportée  au  musée  de  Boston  ,  vous  sur- 
prendrez côte  à  côte  les  procédés  caractéristiques  des  deux  écoles  : 
en  bas  des  donateurs  traités  dans  le  style  des  Han,  en  haut  des 
icônes  exécutées  avec  la  technique  gandhârienneC).  Le  contraste 
est  parlant  :  que  dit-il  ?  —  Il  dit  que  c'est  du  jour  où  ils  out  com- 
mencé à  l'cproduire  les  modèles  gréco-bouddliiques  transmis  par 
la  Sérinde  que  les  vieux  graveurs  sur  pierre  de  la  Chine  se  sont 
véritablement  transformés  en  sculpteurs. 

Si  donc  l'on  nous  demande  à  présent  qui  a  raison  et  qui  a  tort 
de  celui  qui  exagère  ou  de  celui  qui  répudie  l'action  médiate  de 
notre  art  classique  sur  celui  de  la  Chine,  nous  répondrons  qu'ils 
ont  à  la  fois  tort  et  raison  tous  les  deux.  Le  point  délicat  de  ces 
questions  d'originalité  et  d'influence  gît  justement  dans  la  difficulté 
de  faire  à  chacune  sa  part.  Les  partisans  de  l'une  ou  de  l'autre 
semblent  croire  tout  perdu  dès  qu'il  faut  faire  la  moindre  concession 
à  leurs  adversaires.  C'est  étrangement  jnéconnaître  le  fait  que  les 
deux  choses  peuvent  fort  bien  se  combiner.  A  ces  stériles  débats 
il  serait  avantageux  de  substituer  une  bonne  fois  la  seule  procédure 
vraiment  intéressante  et  féconde,  celle  des  justes  délimitations. 
Ici  encore  l'estimation  définitive  du  rôle  joué  par  l'école  indo- 
grecque dépendra  de  l'idée  qu'il  convient  de  se  former  de  la  vieille 
école  chinoise.  Nous  ne  demandons  pas  mieux  que  de  faire  la  part 
belle  à  celle-ci'^';  et  c'est  ainsi  que  la  [)osition  de  la  Chine  par 
rapport  à  l'influence  hellénistique  nous  apparaît  comme  une  sorte 
de  moyen  ferme  entre  les  deux  cas  opposés,  mais  également  fami- 
liers pour  nous,  de  l'Italie  et  de  rEgy|)te.  Dans  ce  dernier  ]iays 
l'art  indigène  était  si  ancien,  son  œuvre  si  considérable,  sa  tradition 
si  ancrée  que  les  Grecs  ne  purent  à  vrai  dire  l'entamer  :  il  se  refusa 

'"'  Cf.  V.  fioLoiiBEW,  Notes  sur  quelques  sculptures  rlii)wises.  dans  Oslnsiulisclie  Zeit- 
sclmft.  II,  .H,  p.  336.  —  '-'  Cf.  ci-dessus,  I.  Il,  ])  r).58-(;(io. 


77'i  CONCI,IiSl()\S. 

toujours,  par  exemple,  h  a|)|)ri'ii(lrc  d'eux  le  secret  du  raccourci 
et  coiilimia  impavidemonl,  sons  les  Ptolémées  connue  sous  les 
empereurs  romains,  à  présenter  ses  personnages  avec  la  tête  et 
les  jambes  de  profil,  l'œil  et  les  épaules  de  l'ace.  Au  contraire, 
la  conquête  artistique  de  Rome  |)ar  les  Grecs  fut  si  complète  qu'on 
a  pu  se  demander  s'il  valait  la  ])eine  de  créer  le  terme  spécial  de 
gréco-romain  pour  désigner  les  œuvres  hellénistiques  exécutées  en 
Italie.  Nous  serions  bien  surpris  si,  à  mesure  que  l'on  pénétrera 
mieux  dans  l'intelligence  de  l'ancien  art  chinois,  on  ne  le  situe  pas 
à  égale  distance  de  ces  deux  extrêmes.  D'une  part  il  avait  déjà 
développé,  notamment  en  peinture''',  des  caractéristiques  qui  le 
suivront  dans  toute  son  évolution;  mais  d'autre  part  il  est  visible 
que  notre  art  classique,  à  travers  l'iconographie  bouddhique,  a 
complètement  renouvelé  sa  technique  sculpturale. 

Peut-être  est-ce  une  illusion  de  notre  part  :  mais  —  saul'que  nous 
possédons,  du  moins  dans  les  vieux  bronzes,  des  spécimens  d'un 
art  purement  chinois  —  les  choses  nous  semblent  en  somme  s'être 
passées  à  peu  près  comme  dans  l'Inde.  Faut-il  pousser  plus  loin 
encore  l'analogie  et  imaginer  en  Chine,  avant  la  période  d'inlluence 
gandhârienne,  une  période  diulluence  gréco-iranienne'-)?  Celle-ci 
aurait  pu  s'ouvrir  dès  les  premières  relations  établies  par  l'aven- 
tureux voyage  de  Tcbang-k'ieu  en  Baclriane  dans  le  dernier  tiers 
du  u'^  siècle;  et  rien  n'est  théoriquement  plus  vraisemblable, 
ainsi  que  nous  avons  eu  occasion  de  le  dire,  que  la  pénétration 
directe,  le  long  de  la  grand' route  commerciale,  d'objets  d'art 
industriel  ou  de  motifs  décoratifs  empruntés  à  l'Orient  hellénisé'''. 
Pourtant  —  on  nous  permettra  d'insister  sur  ce  point  —  c'est  seu- 
lement après  la  propagation  des  ]irototypes  gréco-bouddhiques  à 

'■'  li  peut  êti'e  inkîrcssant  de  raiipoler  <")  F.  IIiutii.  UImt  fvemden  Einjliisse  in 

à  ce  propos  la  résistance  que  les  Gliinois  der  Cliinc^iisclicn   Kiiiist,  p.  i:  et  cf.  ci- 

opposèrent  au  xvii'  siècle  à  l'iatroduction  dessus.  1.  Il,  p.  5oo  et  7/15. 
du  clair-oliscur  et  des  autres  procédés  '''  Cf.   ci-dessus,   t.  II,  p.   034-035. 

européens  (cf  Paléologue,  L'Arl  chinois,  —  On  sait  que  des  vases  à  décor  iranien 

p.  28g  et  suiv.).  sont  encore  conservés  au  Japon. 


LIM'LliENGE   Cl,  ASSIQUE   lv\   EXTli  !■  ME-ORI  !•  NT.  77r, 

travers  la  Scrinde  et  leur  inlroduclion  du  bassia  du  Tai'im  dans 
ceux  du  Hoano-ho  et  du  Yang-tsé,  que  s'est  produite  la  brusque 
transformation  artistique  ci-dessus  décrite.  Tandis  qu'à  l'actit  de 
l'importation  directe  de  la  Bactriane  et  de  la  Partliie,  on  ne  voit 
guère  à  signaler  que  l'exemple,  aujourd'hui  contesté,  des  décors 
(le  miroirs ('),  c'est  à  présent  tout  un  peuple  de  statues  (|ui  soi't  du 


.-^HBSPT::^ 


FlG.  yya.   —   liuDDll.l  tenant  vue  STATUETTE  DU  BuDDllA  [1  ]   (ff.    [1.    72()). 

Victoria  and  Albert  Muséum,  Bombay.  Provenant  de  Mir  Jan.  llaiilciir:  o  i».  ';o. 

rocher,  toute  une  forêt  de  st(Mcs  en  style  nouveau  qui  se  dresse. 
Et  ainsi  il  apparaît  bien  que  l'inOuence  classique  indirectement 
apportée  de  l'Inde  a  été  infiniment  plus  forte  et  plus  efficace  que 
celle  qui  filtrait  directement  à  travers  l'Iran.  De  ce  phénomène, 
à  première  vue  inattendu,  les  raisons  se  découvrent  aisément. 
C'est  d'abord ,  il  va  de  soi,  (pie  le  répertoire  gandhàrien  profilait 
de  tout  le  prestige  du  Bouddhisme  et  de  la  place  considérable  que 

'"  CeUe  ornemenlalion  ii';iiiiail  péné-        d'après     Al.    Knipiu    Takaicik,    Aiicicnt 
li'ô  en  Chine  qu'à  l'époque  des  T'ang,         Cliiursr  liroii:c  Mirrors. 


77(;  CONCLLSIONS. 

celui-ci  lint  un  instant  à  !a  cour  et  dans  la  société  cliinoises.  Mais 
c'est  aussi  parce  qu'au  Gamlliàra  —  ne  craignons  pas  de  le  répéter 
une  fois  de  plus,  car  tel  est  bien  décidément  le  rôle  essentiel  de  son 
école  —  la  tradition  classique  avait  été  déjà  accommodée  aux  goûts 
esthétiques  en  même  temps  qu'aux  besoins  religieux  des  populations 
asiatiques.  Entre  la  civilisation  d'Anlioche  ou  d'Alexandrie  et  celle 
de  Ta-tong-fou  ou  de  Ho-nan-fou,  l'écart  était  trop  grand  pour 
que  de  simples  rapports  commerciaux  pussent  jamais  exercer  une 
action  vraiment  protonde  sur  leurs  arts  respectifs.  Tout  se  serait 
vraisendjlalilement  borné,  pour  l'amusement  des  curieux,  à  quel- 
ques transferts  d'images  ou  d'objets  d'art,  à  quelques  emprunts  de 
décors,  peut-être  à  quelques  pasticbes —  en  somme  aux  manifes- 
tations fort  superficielles  que  nous  avons  vu  de  nos  jours  l'impor- 
tation des  estampes  japonaises  provoquer  chez  nos  amateurs  ou 
nos  artistes  européens.  Pour  que  l'inlluence  classique  ait  pu  à  un 
moment  donné  transformer  l'art  héréditaire  de  la  vieille  Chine, 
révolutionner  sa  glyptique,  ouvrir  de  nouveaux  horizons  à  sa  pein- 
ture, il  fallait  que  ce  lût  le  don  de  joyeux  avènement  des  dieux 
ci'éés  par  l'école  du  Gandhâra  à  l'imitation  do  ceux  de  l'Olympe. 
Influence  de  pure  forme,  dira-t-on.  —  Peut-èlre  :  mais  il  faudrait 
être  aussi  volontairement  aveugle  pour  se  refuser  à  lui  laire  sa 
[)aii  que  pour  en  exagérer  l'importance.  Qu'on  la  restreigne  tant 
(|u'on  pourra,  nous  serons  le  premier  à  y  applaudir,  pourvu  qu'on 
l'admette. 

Le  mécanisme  de  l'im-luence.  —  Ainsi  nous  n'hésitons  pas,  dans 
notre  rechercbe  impartiale  de  la  vérité,  à  nous  jeter  entre  les  deux 
paitis  extrémistes,  au  risque  de  recevoir  des  horions  de  chaque  côté. 
11  nous  reste  à  faire  encore  un  effort  pour  n'être  dupes  des  mots 
que  dans  la  mesure  inévitable  où  ils  nous  trompent.  Demandons- 
nous  comment  nous  devons  concevoir  la  nature  et  le  mode  d'action 
de  cette  «  influence  n,  sorte  de  talisman  magique  dont  le  nom 
revient  sans  cesse  sous  notre  plume.  Ici  encore  nous  nous  heurtons 


J 


L'INFLUENCE   CLASSIQUE   EN   EXTRÊME-ORIENT.  777 

à  deux  théories  en  apparence  irréconciliables.  Les  uns  en  parlent 
comme  d'une  sorte  de  contagion  qui  se  propagerait  apparemment 
toute  seule  :  mais  les  épidémies  mêmes  ont  à  présent  dans  les 
microbes  des  agents  de  transmission.  D'autres  critiques,  au  con- 
traire, ne  tiendraient  compte  que  des  déplacements  attestés  d'ar- 


"f^^w^frj^^-çwf 


FiG.   Ôgii.    l-lllll<l     i.lUi.n CIlIlliTlKN.  FlC.    3y'l.    BlDDIIA    UlllitO-BOtlDDaïQUE.  J 

Fig.  5çj3.  —  Fragment  d'un  sarcnjiliage  d'Asie  Mineure,  d'après  SrRZYGOifSKi , 

Orient  odcr  Rom,  pt.  11. 

Fig.  5gi.  —  Musée  lie  Ltthnre.  Prov.  de  Sliùli-hi-Dlim(? j.  H.  :  o  m.  Ijo 

(cf.  fig.  '^5.'/  h  et  p.  73y,-j.sh). 

tistes  en  renom.  Nous  craignons  que,  cette  l'ois  encore,  la  vérité 
ne  soit  dans  l'entre-deux.  M.  Hirtli,  par  exemple,  et  à  sa  suite 
M.  GriJnwedel  inclineraient  à  fonder  sur  la  tète  du  seid  1-song  qui, 
d'origine  kliotanai.-e,  iuirail  Henri  au  vu''  siècle  à  la  cour  impériale 
de  Si-ngan-fou,  l'introduction  des  ff  éléments  indo-bactriensTi  non 


778  CONCLUSIONS. 

seulement  en  Chine,  mais  en  Corée  et  au  Japon  O.  Des  textes 
précis  leur  donnent  sans  cloute  raison,  du  moins  en  partie  :  mais 
n'est-il  pas  encore  plus  vrai  de  dire  que  l'école  sino-bouddliique, 
d'ailleurs  bien  antérieure  à  I-siJng,  est  le  prolongement  de  l'école 
sérindienne?  Nous  avions  jadis  attribué,  de  façon  assez  plausible, 
l'expansion  de  l'art  classique  jusqu'au  Gandhâra  aux  pérégrinations 
de  ces  Grœculi  qui  promeuaient  leurs  talents  à  travers  le  monde 
antique.  La  thèse  est  insoutenable,  nous  fait  observer  M.  délia  Selta; 
pour  lui  rr l'art  du  Gandhâra  n'est  que  l'ultime  provignement  de 
l'école  gréco-orientale  qui  avait  déjà  introduit  ses  moyens  repré- 
sentatifs en  Perse n  ;  et  sans  doute  il  na  pas  tort.  On  dit  à  bon  droit 
qu'une  hirondelle  ne  fait  pas  le  printemps  ;  mais  cent  hirondelles 
ne  le  feraient  pas  davantage  si  d'ailleurs  il  n'arrivait  sur  leurs  ailes. 
De  même  un  ai'tiste  ou  un  atelier  isolé  ne  pourrait  rien'-,  s'il 
n'était  porté  par  un  de  ces  larges  mouvements  sociaux  qui  mènent 
ceux-là  mêmes  qui  se  prennent  pour  leurs  meneurs.  Dans  le  fdet 
troué  où  l'histoire  s'évertue  à  emprisonner  la  multitude  grouillante 
des  faits,  il  ne  faut  certes  pas  négliger  le  menu  fretin  des  noms 
individuels  et  des  cas  particuliers,  et  c'est  pourquoi  nous  nous 
sommes  fait  plus  haut  un  devoir  de  les  recueillir;  mais  nous  ne 
devons  pas  non  plus  oublier  l'action  profonde  des  courants  collectifs 
qui  gouvernent  les  événements.  Ainsi  seulement  nous  pourrons 
arriver  à  nous  expliquer  bien  des  choses.  C'est  d'abord  la  lenteur 
avec  laquelle  les  influences  artistiques  se  propagent.  Pour  ne 
reprendre  que  le  plus  proche  exemple ''',  s'il  siiflisait  de  quelques 
modèles  ou  de  quelques  artistes,  l'art  bouddiii(pie  chinois  daterait 
des  Han  et  non  des  Wei,  de  la  fin  du  i"  et  non  du  connnenceinent 
du  V®  siècle  de  notre  ère.  Non  seulement  il  y  faut  du  temps,  mais 


'■'  HiiiTn,  Ùhrr  fr.  Eiiijl.  iii   d.  Chili.  f[ne<!.  de  Rubrouck  reuconlra  k  tu  coin- 

Kunst,  p.  i(');  cf.  Èuddliist  Arl  in  Iiidiii ,  du  Grand  Ktian,  ail  ou  la  moindre  in- 

p.  168.  Iluence   sur   le   di'vetop|ipment  de    l'arl 

''''  En  quoi  voyons-nous  par  exemple  industriel  de  l'Extrême-Orient? 
que   Maître  Bouclier,   l'orfèvre  parisien  ^''   Voir  t.  II,  p.  6G0  et  cf  p.  '12IJ. 


L'ÉCOLE  DU  ('.ANDH\R\   ET  L'ART  CLASSIQUE.  779 

encore  de  la  continuité,  comme  dans  toutes  les  opérations  de  la 
nature.  C'est  de  proche  en  proche,  faisant  pour  ainsi  dire  tache 
d'huile,  que  gagne  peu  à  peu  tt l'influence n.  Ne  venons-nous  pas 
delà  suivre  pas  à  pas  de  Sérinde  en  Chine,  de  Chine  en  Corée,  de 
Corée  au  Japon?  A  force  de  voir  se  répéter  le  même  phénomène, 
nous  comprenons  mieux  pourquoi  nous  avons  dû  signaler  à  chaque 
étape  des  modifications  nouvelles.  Celles-ci  tiennent  pour  une 
bonne  part  aux  propagateurs  eux-mêmes,  et  pour  le  reste  au 
milieu  nouveau.  Nous  avons  tout  lieu  de  croire  que  ce  sont  des 
maîtres  hellénistiques,  venus  de  Bactriane,  qui  ont  fondé  à  la 
demande  des  donateurs  indiens  l'école  gréco-bouddhi(pie  du  Gan- 
dhàra,  tandis  que  ce  sont  surtout  des  maîtres  indiens  (|ui  ont 
d'abord  travaillé  en  Sérinde,  puis  des  maîtres  sérindiens  en  Chine, 
des  maîtres  chinois  en  Corée,  des  maîtres  coréens  au  Japon. 

§  111.  L'Ecole  du  Gandhàra  et  l'art  classique. 

Rapports  avec  l'art  païen.  —  Ainsi,  qu'on  la  juge  bonne  ou 
mauvaise,  c'est  toujours  la  même  semence  que  le  vent  d'Ouest  a 
peu  à  peu  portée  jusqu'aux  bornes  du  vieux  monde.  Et  certes,  sur 
chaque  nouveau  terrain  de  culture,  elle  a  donné  naissance  à  des 
variétés  de  plus  en  plus  éloignées  du  type  originel  :  mais  le  fait 
n'en  garde  pas  moins  son  intérêt  pour  l'histoire  générale  de  la  civi- 
lisation. La  teinte  lentement  dégradée  dont  nous  couvrions  tout  à 
l'heure  la  carte  de  l'Inde,  c'est  d'un  pinceau  sans  hésitation  que 
nous  retendrions  maintenant,  de  ])lus  en  plus  pâlissante,  sur  celle 
de  tout  l'Extrême-Orient  jusqu'aux  premières  îles.  Et  si  nous  nous 
retournons  à  présent  vers  l'Occident  de  l'Inde,  de  pays  en  pays  les 
historiens  de  l'art  seront  d'accord  avec  nous  pour  noter,  presque 
dans  les  mêmes  termes,  la  répétition  quasi  obligée  des  mêmes 
phénomènes.  De  cette  école  irano-grecqiie,  malheureusement  si 
mal  connue,  qui  sans  doute  se  développa  sous  les  Séleucides  et  oh 
M.  A.  délia  Setta  nous  montrait  à  la  fois  la  voisine  immédiate  et  la 


780  COMIM  SIONS. 

plus  proche  parente  de  l'école  indo-grecque,  que  nous  dit-il?  — 
Qu'aelle  avait  dû,  à  s'éloigner  du  pur  centre  classique,  faire  un 
premier  apprentissage  de  l'application  de  sa  forme  à  des  con- 
tenus nouveaux,  et  satisfaire  par  suite  aux  goûts  et  aux  exigences 
de  nouveaux  peuples  i\  Et  qu'écrit  de  son  côté  M.  de  Vogiic  sur  l'art 
de  la  Syrie,  sinon  tt  qu'il  est  le  produit  de  la  traduction  des  ensei- 
gnements grecs  par  des  artistes  orientaux  t^'n?  En  somme  c'est 
toujours  le  même  problème  qui  s'est  posé,  à  Taxila  comme  à  Peu- 
kélaôtis,  à  Ecbatane  comme  à  Gtésiphon  ou  Séleucie,  à  Palmyre 
comme  à  Pétra  ou  à  Baalbeck.  .  .  Mais  déjà,  par  cette  chaîne  de 
villes  nous  sommes  parvenus  aux  sources  mêmes  du  courant  que 
nous  avons  au  s'épandre  jusqu'au  Pacifique,  et  à  ces  sources  aussi 
nous  pouvons  donner  des  noms  de  cités,  Pergame  ou  Ephèse, 
Antioche  ou  Alexandrie.  Sera-t-il  un  jour  possible  pour  les  archéo- 
logues, quand  le  cours  du  grand  lleuve  classique  sera  mieux  ex- 
ploré dans  la  traversée  du  désert  de  Syrie  et  de  l'Iran,  de  suivre 
jusqu'aux  régions  limitrophes  de  l'Inde  et  de  la  Sérinde  l'apport 
particulier  des  divers  aflluenls  de  tête?  Ce  serait  beaucoup  de- 
mander, si  l'on  se  rappelle  le  caractère  cosmopolite  qu'avait  d'avance 
pris  l'art  gréco-romain.  Mais  déjà  deux  points  nous  apparaissent 
clairement.  Tout  d'abord  le  secret  de  ce  qu'il  subsiste  d'obscur 
dans  la  transmission  de  l'influence  classique  jusqu'au  Gandhàra 
ne  pourra  nous  être  livré  que  par  une  connaissance  plus  appro- 
fondie de  l'archéologie  de  l'Asie  antérieure  pendant  les  siècles 
qui  ont  suivi  la  fondation  de  Séleucie  (3oG  av.  .l.-C).  En  second 
lieu  nous  n'avons  pas  à  chercher  le  point  de  départ  de  ladite  in- 
fluence au  delà  de  ce  que  nous  appelons  en  Europe  l'Orient 
hellénisé. 

Ainsi  donc  nous  placerions  la  ligne  idéale  de  faîte,  qui  borne 
au  couchant  l'horizon  gandhârien,  en  deçà  de  l'Europe,  mais  aux 
limites  occidentales  de  l'Asie.  11  va  de  soi  que,  les  causes  générales 

''*  Syrie  centrale,  p.  38. 


L'ÉCOLK   DU   (;\.M)ll\l{\   ET   L'ART  CLVSSIQUE.  781 

restant  les  mêmes,  il  existe  [)liis  duiieanalojjie  entre  les  effets  pro- 
duits par  l'influence  lioliénisti(|ue  sur  l'un  et  l'autre  versant  de  ce 
partage  des  arts.  Pour  aller  du  premier  coup  jusqu'aux  bords  de 


Fie.   Ôo").  Le  couple   TUTlil-UUE  CHEZ   LES  JaINAS   (of.    p.    loi,    'jitll). 

Musée  de  Lakhiiim.  Prm^enanl  de  Sahet-Mahet  (Çrdvasti).  Hauteur:  o  m.  7a. 


l'autre  Océan,  que  vojons-nous  reparaître  en  feuilletant  les  recueils 
gallo-romains  ou  en  visitant  les  collections  d'Arles  ou  de  Trêves? 
Encore  et  toujours  des  acanthes  et  des  rosaces,  des  guirlandes  et 
des  amours,  des  griiïons  et  des  tritons.  Parfois  se  rencontrent  des 


782 


CONCLUSIONS. 


rapprochements  plus  pn'cis  :  dans  la  main  droite  d'un  Neptune 
HjTuré  sur  un  sarcopliaive  d'Arles,  aujourd'hui  au  Louvre,  repose, 
par  exemple,  le  même  dauphin  que  dans  celle  des  dieux  marins 
de  notre  figure  i^GC.  Ou  bien  nous  relevons  des  correspondances 
plus  significatives  encore,  telles  celles  que  présentent  de  part  et 
d'autre  les  couples  de  divinités  tutélaires  (cf.  fig.  382-889  t'tfig.  597- 
098).  Jamais  peut-être  meilleure  occasion  ne  nous  sera  donnée  de 
constater  comment,  en  Gaule  et  dans  l'Inde,  les  mêmes  idées  ont 
été  traduites  (ou,  plus  exactement,  les  mêmes  besoins  religieux 
satisfaits)  par  les  mêmes  expressions  artistiques.  Mais  apparemment 
personne  n'ira  imaginer  d'influence  directe  entre  le  Gandiiàra  et  le 
pays  des  Éduens  :  et  ainsi  nous  voyons  à  la  fois  combien  sont  jus- 
tifiées ces  comparaisons  à  longue  portée,  et  le  peu  de  valeur 
historique  qu'il  convient  de  leur  attribuer.  11  ne  s'agit  après  tout 
que  d'un  lointain  cousinage.  La  souche  commune  doit  être  cher- 
chée sinon  à  égale  distance  des  deux  branches,  du  moins  dans  leur 
intervalle.  Entre  les  Gaules  et  la  Grèce  européenne  s'interposait 
seulement  fltalie,  comme  la  région  indo-iranienne  entre  la  Grèce 
asiatique  et  la  Chine  :  et  si  l'on  voulait  pousser  jusqu'au  bout  le 
petit  jeu  des  analogies,  on  pourrait  à  ce  point  de  vue  en  découvrir 
une  de  plus  entre  la  Grande-Bretagne  et  le  Japon.  On  ne  s'éton- 
nera pas  d'ailleurs  que  l'influence  classique  soit  infiniment  moins 
marquée  dans  l'art  des  îles  nipponnes  que  dans  celui  de  la  soi- 
disant  te  lointaine  Thulèn.  Ce  n'est  pas  seulement  que,  pour  par- 
venir au  Pacifique,  elle  avait  dû  traverser  l'épaisseur  singulièrement 
plus  considérable  du  continent  asiatique  :  c'est  encore  qu'elle  avait 
dû  filtrer  à  travers  un  écran  beaucoup  moins  perméable  que  les 
rudiments  de  notre  culture  celticjue,  à  savoir  la  civilisation  chinoise. 


'"'  Rappellerons-nous  encore  le  pagne 
(le  l'euilles  ou  irécailles  des  centaures  et 
(les  tritons  (cf.  t.  1,  p.  211-212,9/1/1, 
aSa"),  les  images  de  la  Terre  vue  à  nii- 
coips  (cf.  t.  1,  p.  898  et  /107),  les  per- 


sonnages chevauchant  supportés  par  des 
allantes  qui  soutiennent  lavant-corps 
du  clieval  {i\g.  i83;  cf.  ///.  Fûhrcr  durrli 
lias  Provinzial  Muséum  in  Trier,  p.  52- 
53),  etc.? 


L'ÉCOLE   DU  GANDHÀRA  ET   L'ART  CLASSIQUE.  TS-'Î 

Rappouts  avec  l'art  chrétien.  —  Elle  a  filtré  pourtant  :  le  fuit 

est  à  présent  roconnii  de  part  et  (l'antre.  C'est  bien  au  fond  la 

même  inllueiice  classi(jue  qui  a  inlroduit  dans  les  îles  du  Parifnine 


■i    t 


^Kl^.P'^ 


Kin.  .")((6.  —   Stati:e  du  .liSA,  À  MatbuuÀ  (cf.  [)■  "ô'i). 
^lll!<l■l■  ilf  l,iil,liii{iii.  Prnmianl  île  Kahkâli  Tilii.  Ilitutriir  :  o  m.  yâ. 

comme  dans  celles  de  l'Atlantique  ce  qu'il  est  convenu  d'appeler 
le  rr  grand  artii,  c'est-à-dire  la  réalisation  de  la  beauté  dans  la 
représentation  de  la  lignre  humaine.  De  ce  fait  la  preuve  la  plus 
évidente  nous  a  été  fournie  par  un  simple  rapprochement  entre 
les  plus  anciennes  images  du  Christ  et  du  Bu<ldlia  (fig.  Bg.S-Sgi). 


78/»  CONCLUSIONS. 

On  ne  saurait  trop  insister  sur  le  point  que  les  unes  et  les  autres 
ont  été  dès  l'ai^ord  revêtues  de  [hiintilion  ou  pallium,  selon  qu'on 
prélère  désigner  de  son  nom  grec  ou  romain  le  vêtement  classique 
par  excellence  :  et  peut-être  même  le  souvenir  en  subsiste-t-il  plus 
clairement  dans  les  draperies  des  icônes  de  Nara  que  dans  celles 
du  tfBeau  Dieu  a  d'Amiens.  Par  ailleurs,  en  face  du  crâne  bientôt 
tondu,  encore  que  jamais  rasé,  du  Moine-Dieu,  le  Fils  de  l'Homme 
a  toujours  gardé  la  longue  chevelure  flottante,  laïque  apanage  des 
Bodliisattvas  :  assez  tard  seulement  l'influence  orientale  a  caché 
le  bas  de  son  visage  sous  la  barbe  des  philosophes  grecs  et  des 
brahmanes  indiens  —  la  même  que  porte  aussi  la  plus  belle  statue 
connue  de  l'ascète  Gautama  (fig.  ^Sg).  Ainsi,  rien  que  la  manière 
dont  ils  ont  résolu  le  problème  de  la  représentation  du  Maître  donne 
déjà  à  penser  ce  que  tend  à  démontrer  tout  le  progrès  des  recher- 
ches, à  savoir  que  l'art  chrétien  est,  au  même  titre  que  l'art  boud- 
dhique, un  rameau  de  l'art  gréco-oriental'''.  Les  suivrons-nous 
à  présent  dans  la  façon  dont  tous  deux  s'attaquent  à  la  tache  com- 
mune de  figurer  la  biographie  de  leur  fondateur  et  rappellerons- 
nous  comment  les  épisodes  s'organisent  départ  et  d'autre  en  cycles 
qui  se  correspondent,  cycle  de  l'enfance,  cycle  de  la  vie  publique, 
cycle  ici  de  la  Passion  et  là  du  Pan-nirvana?  Serons-nous  un  jour 
assurés  que  tous  deux,  cédant  à  la  mode  du  temps,  ont  d'abord 
représenté  leur  héros  idéal  en  action  dans  les  bas-reliefs,  avant  de 
l'en  détacher  pour  l'olfrir  sous  forme  d'image  isolée  à  l'adoration 
des  fidèles ("-)?  Devrons-nous  dès  lors  comparer,  comme  marquant 
une  sorte  de  stage  intermédiaire  entre  les  scènes  figurées  et  les 
icônes,  les  groupes  du  Clirist  entre  les  deux  grands  apôtres  ou  deux 
anges  avec  ceux  du  Buddha  entre  deux  deva  ou  Bodhisattvas  ou  les 
deux  principaux  disciples?.  .  .   Nous  en  a\ons  déjà  dit  assez  pour 

'■'  11  suffit  de  renvoyer  ici  le  lecteur  ''^  Cf.    ci-dessus,   t.    Il,  p.    338   et 

curieux  de  ces  questions  aux  beaux  tra-  suiv.    Peut-être  aussi  tous  deux   ont-ils 

vaux  de  M.  Strzvgowski, OWenîof/eriîoHi,-  coinniencé    par   la   peinture   (cf.    ibid., 

Klein  Asie)!,  etc.  p.  '109). 


i;ÉCUI.h   DU    (;ANJ)11ÀI!\    et   L'AHT   CLASSIQIiE.  785 

le  dénionli-er  :  jamais  la  question  du  sujet  à  traiter  ne  s'est  posée 
devant  l'ait  gréco-asiatique  en  termes  plus  pareils,  ni  traduite  par 
plus  d'analogies  d'ensemble  ou  de  détail  dans  le  ré|)ertoire,  que 
le  jour  où  il  s'est  trouvé  aux  prises  avec  la  tache  de  renouveler  ou 
de  créer  l'iconographie  du  Bouddhisme  et  du  (Christianisme. 


^^  iSSC^^ie£^^^ 


Fifi.  597.  —  Le  Couple  lUTÉr.AiiiE  es  (jaule  (^cI.  p.  i-'i'i  ,17/1,  766,  782). 

Musée  de  Dijon.  Provenant  de  Monl-Auxois.  Hauteur:  0  m.  !i(j. 

N°  23^7  «lu  lîentcil  général  de  M.  E.  EspÉHi>DlEL'. 

Un  autre  point  n'est  pas  moins  sûr  :  grâce  pour  moitié  à  la  do- 
cilité servile  des  imagiers  postérieurs,  pour  moitié  au  pieux  désir 
des  donateurs  de  revoir  toujours  les  légendes  ou  les  figures  telles 
qu'ils  les  ont  d'abord  vues  —  ainsi  que  les  enfants  aiment  à  en- 
tendre toujours  le  même  conte  conté  de  la  même  façon,  — jamais 
formules  n'ont  fait  preuve  d'une  fixité  plus  grande.  Aussi  avons- 
nous  déjà  enti'ovu  ((ue  le  parallélisme  se  poursuit  fort  longtemps 

I.  VSUU.UIA.  -  11.  So 


786  CONCLUSIONS. 

entre  les  destinées  des  deux  ;iits  ie]i<;ieiix  du  moyen  âge  (car,  en 
ne  le  comptant  p;is  h  ce  point  de  vue,  nous  ne  croyons  pas  faire 
tort  à  l'art  musulman).  Tout  comme  nous  avons  dû  faire  plus  haut 
à  propos  des  œuvres  bouddhiques  des  Guptas  et  des  T'ang,  on  a 
pu  également  considérer  que  la  loi  de  l'évolution  de  notie  style 
roman  et  gothique  résidait  dans  l'élimination  progressive  des 
éléments  antiques  qu'il  contenait  originairement  O.  Seulement  le 
phénomène  s'est  produit  plus  vite,  ainsi  qu'on  pouvait  s'y  attendre, 
en  Asie.  Il  ne  faut  pas  oublier  eu  etfet  que  le  Bouddhisme  était  de 
cinq  siècles  plus  vieux  que  le  Christianisme;  et,  cette  avance  histo- 
rique, il  semble  l'avoir  toujours  conservée.  Cinq  ou  six  siècles  avant, 
il  a  eu  dans  Açoka  son  Constantin,  dans  Kaniska  son  Clovis,  dans 
Harsa  Çilâditya  son  Saint-Louis;  et  de  même  qu'il  a  connu  plus  tôt 
avec  les  Çakas  et  les  Yue-tche  les  invasions  des  barbares,  plus 
précoce  aussi  a  été  son  développement  médiéval.  On  dirait  en 
vérité  que  l'art  hellénislique  s'est  plus  rapidement  décomoosé  sous 
l'ardent  soleil  de  l'Orient;  et  volontiers  nous  reprendrions  au 
compte  de  l'arrliéologie  la  curieuse  remarque  récemment  faite  sur 
les  langues  découvertes  dans  les  mêmes  régions  et  qui  témoignent, 
elles  aussi,  d'un  état  de  désintégration  plus  avancé  que  leurs  ana- 
logues d'Europe  (-).  On  conçoit  dès  lors  que  le  même  épanouis- 
sement d'art  nouveau  ([ui  illustra  notre  xni''  siècle  se  soit  produit 
dans  l'Inde  dès  le  v-,  puis  deux,  trois,  quatre  siècles  plus  lard  en 
Chine,  au  .lapon,  à  Java.  Si  l'on  va  au  fond  des  choses,  les  bas- 
reliefs  et  les  statues  de  Boro-Boudour,  de  Nara,  du  Long-men  ou 
de  Bénarès  ne  sont  qu'une  interprétation  nouvelle  des  modèles 
gréco-bouddhiques,  en  somme  fort  pareille  à  celle  que  les  icônes 
et  les  retables  de  nos  cathédrales  donnaient  des  vieux  sarcophages 
gréco-chrétiens.  Eu  peinture,  partout  où  celle-ci  s'est  conservée, 
les   mêmes   analogies  se   répètent  :   en  travestissant   selon    leurs 

'''  Cf.  Sal.  Reinacu,  Apolln,  p.  107.         du  Mois.  10  août  1912,  p.  189  et  i5o). 
'''  A.  Meillet,  Les  nouvelles   langues        —  De  même  la  ligure  696  est  sûrement 
indo-européennes   en  Asie  Centrale  (Revue         aniérieiii'e  à  la  figure  ôgS. 


J 


L'ÉCOLE   DU   (;\M)IL\1',\    LT   L'VUT   CLASSIQUE.  787 

inodes  nationales  les  tableanx  byzantins  de  la  vie  du  Christ,  les 
primitifs  llamands  n'ont  l'ait  qu'user  de  la  liberté  déjà  prise  par 
les  peintres  d'Extrême-Orient,  quand  ils  costumaient  à  la  chinoise 
les  représentations  sérindiennes  de  la  biographie  du  Buddha.  De 
([uelque  côté  qu'on  se  tourne,  la  correspondance  des  dévelop- 
pements postérieurs  nous  ramène  toujours,  de  fd  en  aiguille,  à  la 
communauté  originelle  des  sources.  Gomment  explif[uer  autrement 
que  nous  avons  vu  surgir  aux  deux  extrémités  du  vieux  monde  des 
images  présentant  une  ressemblance  si  caractérisée?  Car  enfin, 
nous  ne  rêvons  pas  tout  éveillés,  et  nous  avons  bien  reconnu,  par 
exenqjle,  sur  la  tète  de  la  tf  Mère  des  Démons  n  (fig.  53o,  588,  5^6), 
([u'elle  soit  sérindieune,  chinoise  ou  japonaise,  le  voile  que,  de 
leur  côté,  les  artistes  gréco-syriens,  coptes  et  romans  imposèrent 
au  Iront  virginal  de  la  aMère  de  Dieun  (cf.  fig.  5f)()  et  Goo). 

l'cnt-on  allei'  plus  loin  et  imaginer  en  un  sens  quelconque, 
entre  les  arts  bouddliique  et  chrétien,  des  actions  et  réactions 
réciproques?  Le  contact  historiquement  attesté  des  deux  religions 
rend  le  fait  possible  :  toutefois,  pas  plus  en  ce  qui  touche  l'imagerie 
que  la  littérature  0.  nous  n'apercevons  rien  de  décisif  sur  ce  point. 
Nous  irions  justju'à  dire  que  toutes  les  hypothèses  avancées  sur 
les  rapports  du  Bouddhisme  et  du  Christianisme  nous  paraissent 
d'avance  indémontrables  :  et  si  l'on  nous  demande  pourquoi  nous 
les  jugeons  telles,  nous  rappellerons  simplement  la  dualité  d'ori- 
gine, à  la  fois  hellénistique  et  asiatique,  eu  un  mot  gréco-orientale, 
des  images  comme  des  doctrines  chrétiennes.  Pour  ne  parler  que 
de  l'art,  si  l'hellénisme  y  est  représenté  avant  tout  par  la  l'orme, 
l'Orient  l'est  par  le  fond  même  des  choses  :  comment  h;  vin  nou- 
veau qu'il  a  versé  dans  l'amphore  antique  n'aurait-il  pas  fini  par 
teinter  le  contenant?  Dès  lors  nous  n'avons  jilus  besoin  d'imaginer 
aucune  influence  directe  pour  expliquer,  pai-  exemple,  que  nous 
trouvions  dans   les  plus   vieux   sanctuaires  chrétiens  d'Italie  des 

'"'   Cf.  ci-dessus,  t.  II.  p.  ."iiJ'i-ôGG. 


788  CONGLUSIUNS. 

procédés  et  des  tours  d'imagination  complètement  étrangers  à  la 
méthode  classique  et  que  l'élude  dos  slùpa  de  l'Inde  nous  a  au 
contraire  rendus  familiers.  Assurément  on  demeure  stupéfait  de 
rencontrer  à  Ravenne(^)  comme  à  Barhut  et  à  Sânclii,  pour  indi- 
quer une  divine  présence,  des  trônes  vides  surmontés  ici  de  l'arbre 
de  la  Bodhi,  là  de  celui  de  la  croix;  qui  prétendra  cependant  qu'un 
vieux  bas-relief  indien  antérieur  à  notre  ère  ait  suggéré  une  mo- 
saïque italienne  du  v'' siècle  ?I1  en  est  de  même  des  autres  analogies, 
pour  incontestables  qu'elles  soient.  Qui  a  pénétré  le  sens  secret  du 
nandi-pàda  ou  de  la  roue  bouddhique  et  deviné  le  Bodhisattva 
sous  les  espèces  d'un  petit  éléphant,  se  sent  en  pays  connu  devant 
l'ancre  ou  le  navire,  la  colombe  ou  l'agneau  des  catacombes  de 
Rome.  Que  rien  ne  soit  plus  indien  que  cet  emploi  intensif  des 
symboles,  ce  n'est  pas  nous  qui  le  contesterons;  mais  il  n'est  pas 
uniquement  indien.  Il  est  commun  à  tout  l'Orient  des  gnostiques, 
il  a  pénétré  à  Rome  avec  toutes  ces  sectes,  cultes  ou  mystères  ori- 
ginaires d'Egypte,  de  Perse  ou  de  Syrie,  parmi  lesquels  le  Chris- 
tianisme devait  finir  par  l'emporter'"-).  Ainsi  en  va-t-il  encore  dans 
la  suite;  car  le  parallélisme  des  deux  arts,  dont  nous  nous  bornions 
tout  à  l'heure  à  esquisser  quehjues  aspects  extérieurs,  paraît  se 
poursuivre  dans  l'évolution  de  leur  idéal  le  plus  intime.  Après 
l'école  symbolique,  nous  découvrons  encore  à  Rome  ou  à  Constan- 
tinople,  comme  au  Gandhâra,  une  école  quasi  historique,  abor- 
dant des  scènes  et  des  types  d'un  caractère  franchement  biogra- 
phique et  naturaliste.  Mais  bientôt  l'art  chrétien  comme  l'art 
bouddhique  se  lassent  de  l'antique  réalisme  et  s'embarquent  dans 
l'entreprise  de  représenter  le  sublime.  Les  voici  maintenant  qui 

'''  Dans  le  baptistère  des  orthodoxes  posaient    à    i'arl   chrétien   primitif  son 

(vers    hho)   et  celui    des    Arieus    (vers  caractère  allégorique.  Mais  il  n'échappera 

020).  pas  au  lecteur  que  le  Bouddhisme  aussi 

'^'   Bien    entendu   il    faut    également  fut  d'abord  logé  à  la  même  enseigne,  et 

tenir  compte  des  raisons  spéciales  qui,  dut  également  commencer  par  utiliser 

comme  l'emploi  qu'il  dut  Aiire  à  l'origine  un  répertoire  décoratif  qui  n'avait  pas  été 

de  praticiens  et  de  inotils   païens,   ini-  créé  pour  lui. 


L'ÉCUME    DU   GANDHVUV    ET    L'AUT   CLASSIOCK.  789 

grossissent,  détachent,  exaltent,  la  personne  enseignante  ou  triom- 
phante ou  nionranle  du  Christ-Uoi  et  du  Moine-Dieu,  s'adonnent 
à  la  composition  de  paradis  transcendantaux,  et,  dans  un  élan  de 
mystique  ferveur,  s'efforcent  de  ligurer  des  âmes.  Cette  fois  encore 
notre  conclusion  sera  forcément  la  même.  Qu'un  idéalisme  pareil 
iiispiie  tels  vitraux  de  nos  églises  de  France  on  telles  fresques  de 


Ménie  iniispf  ri  mt'nn;  provf'imncc  que  pour  te  iirn-i-dfiil.  Ufiiili'iir 

.N"  ;?3/i8  du  Bcruril  frêncral  do  M.    V..  l'isri'jsAMMKr. 


:  o  m.  -*0. 


l'école  omhrienne  et  telles  peintures  sur  soie  de  la  tlliiiic  ou  du 
Japon,  le  fait  est  vérifiable  et  constant.  Nul,  apparemment,  ne  se 
risquera  à  parler  d'imitation  consciente;  mais,  en  revanche,  toute 
cette  chaîne  d'analogies  que  nous  venons  de  dérouler  force  à  ad- 
mettre que  ces  lointaines  correspondances  ne  sont  nullement 
chimériques  et  deviennent  beaucoup  moins  mystérieuses  (ju 
n'aurait  d'abord  pensé. 


on 


790  CONCLUSIONS. 

Orient  et  Occident.  —  Ainsi  se  déjjagent  ou  tendent  n  se  défrager 
peu  à  peu  devant  nos  regards  les  conclusions  les  plus  générales 
auxquelles  nos  documents  puissent  naturellement  nous  conduire. 
La  découverte  toute  récente  de  l'unité  foncière  de  Tart  bouddhique 
de  l'Asie  —  ne  venons-nous  pas  de  la  voir  se  faire  sous  nos  yeux 
au  cours  des  quinze  dernières  années?  —  a  pour  corrélative,  ne 
l'oublions  pas,  lunilé  déjà  l'cconnue  de  l'art  européen.  Or,  ce  qui 
nous  apparaît  aujourd'hui  de  [)!us  en  plus  clairement,  c'est  (pi'ils 
onl  tous  deux  une  commune  origine.  Dans  le  monde  antique 
aux  environs  de  notre  èi'e,  il  y  avait,  comme  chacun  sait,  une 
langue  commune,  grec  plus  ou  moins  estropié,  que  les  gens 
parlaient  ou  comprenaient  partout,  de  Gadès  à  Séleucie —  peut- 
èlre  même,  un  temps,  jusqu'à  Taxile;  et  cette  langue  qui  répondait 
à  tout,  aux  besoins  du  commerce  comme  à  ceux  de  la  pensée, 
servit  notamment  en  Orient  aussi  liien  à  rédiger  les  Evangiles  qu'à 
graver  en  e\ei'|;ue  sur  les  monnaies  des  Kusanas  le  nom  du  Buddha 
Çàkya-muni.  Ce  n'est  pas  [ont  :  cette  langue  avait  comme  une 
sœur  jumelle,  une  sorte  de  Koîrn)  arlislinuc,  qui  elle  aussi  était  du 
grec  plus  ou  moins  déformé,  mais  conservant  néanmoins  en 
tout  lieu  sa  grammaire  du  dessin  et  son  vocabulaire  décoratif;  et 
comme  l'image  va  toujours  plus  vite  et  plus  loin  que  la  parole, 
cette  langue  figurée  s'est  répandue  jusque  par-delà  la  parlée.  Les 
images,  tant  bouddhiques  que  chrétiennes,  du  Sauveur  et  de  la 
Madone  ne  sont  après  tout  que  les  mots  les  plus  marquants,  et  qui 
attestent  aux  plus  profanes  la  parenté  des  plus  distantes  écoles, 
dialectes  souvent  très  défigurés  et  parfois  presque  méconnaissables 
de  l'art  grec.  Les  preuves  les  plus  sures  de  leurs  rapports,  les 
experts  les  trouvent  dans  la  structure  intime  des  œuvres  plutôt 
que  dans  la  ressemblance  de  certains  motifs  :  et  il  en  résulte  que, 
pas  plus  que  les  linguistes,  ils  ne  se  laissent  arrêter  à  des  diiïé- 
rences  purement  verbales  et  extérieures.  Scientifiquement  parlant, 
la  diversité  des  mots  ou  des  sujets  n((  compte  pas,  aussi  longtemps 
<[u'on  les  forme  ou  ([u'ou  h's  déi  i\e  selon  les  mêmes  lois.  Or  nous 


i 


J 


L'I-COLE  Dl    (iWDililM    KT    i;\liT   CLASSIOUE. 


(91 


considérons  le  ftiit  coiiinie  acquis  :  ce  sont  en  définitive  des  péda- 
gooues  grecs  ou  hellénisés  qui  ont  d'abord  enseigné  aux  peuples 
(le   l'Asie   comme    de    l'Europe  à   conjuguer   le  verbe  •    cf Jadore 


Kii;.  Txjg.  —  ViEiicE  copiii  (cf.  p.  l'ia.  7S7J. 
D'après  J.  E.  Qlibbell,  Ejccavathiis  at  Saqqara ,  II,  1908,  pi.  XL. 


le  plus  beau  des  dieu\n.  Et  la  Iciuii  que  ces  peuples  oui  ainsi 
apprise  soit  directenicnl  de  i'(>s  nmitres,  soit  de  leurs  disciples 
immédiats,  a  laissé  sur  eux  une  inq)ression  si  l'orte  ([ue  jamais 
ceux-là  mêmes  dont  le  génie  était  le  plus  récalcitrant  et  cpii  ont 


792  CONCLUSIONS. 

le  j)lus  vite  l'éiissi  à  dégajjcr  leur  originalité,  ne  Ifint  coiiiplèle- 
ment  oubliée. 

Ce  sera  demain  l'œuvre  darcliéologues  mieux  informés  que  de 
préciser  et  d'étoirer  ces  trop  vagues  et  trop  schématiques  indica- 
tions. Ils  nous  montreront,  n'en  doutons  pas,  comment  dans 
l'Asie  antérieure,  sur  le  tronc  décadent  de  l'art  hellénistique,  se 
sont  greffés  deux  vigoureux  rejets,  l'un  qu'on  appelle  gréco-boud- 
dhique, l'autre  qu'on  pourrait  aussi  bien  appeler  gréco-chrétien; 
comment,  tandis  que  celui-ci  se  divisait  en  diverses  branches, 
copte,  syrienne,  byzantine,  celui-là  a  également  donné  naissance 
à  diverses  écoles,  à  Bactres,  au  (îandliàra,  à  Mathurà;  comment 
enfin,  tandis  que  l'un,  par  lltalie.  a  conquis  toute  l'Europe, 
l'autre,  par  l'Inde  et  la  Séi'inde,  a  envahi  toute  l'ExIrcme-Asie. 
Mais  déjà  nous  pouvons  revendiquer  plus  d'un  droit,  dont  d'ailleurs 
nous  ne  nous  sommes  pas  fait  faute  d'user  au  cours  de  notre 
étude.  C'est  d'abord  celui  d'associer  intimement  l'évolution  de 
l'école  du  GandhAra  aux  dernières  vicissitudes  de  l'art  classique, 
ainsi  que  dans  un  corps  homogène  les  pulsations  du  cœur  reten- 
tissent aux  extrémités.  C'est  ensuite  celui  d'élargir  de  l'un  à  l'autre 
Océan  le  champ  des  comparaisons  légitimes,  et  de  rapprocher,  le 
cas  échéant,  non  seulement  les  bas-reliefs  de  Lahore  de  ceux  du 
Latran,  mais  les  stèles  d'Amarâvatî  et  de  Bénarès  des  sarcophages 
et  des  ivoires  du  Bas-Empire,  ou  encore  les  peintures  des  grottes 
d'Ajantâ  ou  de  Toueii-houang  des  mosaïques  de  Ravenne  ou  de 
Constantinople  en  passant  par  les  fresques  des  églises  souterraines 
de  Cappadoce.  Désormais  nous  nous  refusons  à  nous  étonner, 
Européens,  de  rencontrer  dans  les  sanctuaires  bouddhiques 
de  l'Inde  tous  les  dieux  marins  de  la  Méditerranée;  Indiens,  de 
retrouver  sur  la  façade  d'un  tombeau  élevé  en  Grande-Bi'etagne 
par  un  soldat  palmyrénien  à  son  épouse,  une  Catalaunienne, 
l'arche  trilobée,  inscrite  dans  un  fronton,  des  temples  du  kaçmîr; 
Chinois,  de  reconnaître  devant  tel  sarcophage  romain,  dans  le 
monstre  ([u'i  avale,  puis  revoinit  .louas,  le  dragon  dont  l'art  extrême- 


L'ÉCOLE  DU   GANDH  ili.V  ET  L'AItT   CLASSIQUE.  793 

oriental  use  et  abuse.  Enfin,  nous  n'hésitons  plus  à  surmonter  le 
sursaut  d'incrédulité  que  d'a])ord  nous  cause  le  lait,  pourtant 
attendu,  d'un  Agésilas  dessinant  des  reliquaires  au  Gandliara,  ou 
d'un  Titus  décorant  les  sanctuaires  de  la  Sérinde  à  l'heure  même 
où  le  Syrien  Zénodore  fondait  un  grand  Mercure  de  bronze  pour 


l'.G.    GoO.    ViEIKiE   IIOMANK    (  cf.    JJ.     I  4  :!  ,    7S7). 

Bibliothèque  Nalioimh,  Manuscrits  latins  n°  loâSS.  Muttic  inférieure  de  la  plaque  it'ii'oire, 

le  temple  dont  les  ruines  subsistent  encore  au  sommet  du  Puy- 
de-Dôme.  11  s'est  alors  produit,  à  la  faveur  de  la  paix  romaine,  un 
brassage  de  peuples  comparable  à  celui  (jue  nous  voyons  s'opérer 
de  nos  jours,  grâce  à  la  facilité  et  à  la  rapidité  croissantes  des  com- 
munications'^'. Pratiquement  le  monde  antique  venait  de  doubler 
d'étendue.  A  la  vérité,  les  géographes  ne  s'étaient  enfin  évadés  du 
cercle  étroit  de  la  Méditerranée  que  pour  imaginer  à  l'Orient  une 

'''  Cf.  ci-Jessu8 ,  t.  II,  p.  520  et  siiiv.,  grecques  Irouviîes  ù  Trêves  proviennent 
58o,  n.  1  et  63i.  —  Signalnni  eucure  (],.  gons  d'Asie  Mineure  (///.  l'iihrcr, 
le  fait  curieux  que  les  quatre  inscriptions        p.  /i-i),  etc. 


79/1  C<)N(]LLSIO.NS. 

antre  mer  fermée.  Mais  un  fait  capital  n'en  subsiste  pas  moins, 
auquel  on  commence  à  peine  à  accorder  l'attention  qu'il  mérite  : 
l'Inde  et  même  la  Chine  faisaient  dès  lors  partie  inlégiante  de  ce 
qu'on  appelait  VàiKOviiévrj- 

Si  l'art,  visible  et  palpable,  nous  a  lonini  le  commentaire  le  plus 
prompt  (le  la  carte  de  Ptolémée,  il  ne  faut  pas  oublier  [)ar  ailleurs 
que  les  idées  aussi  voyageaient,  en  même  temps  que  les  formes 
décoratives,  le  long  des  grandes  voies  commerciales  qui  menaient 
des  colonnes  d'Hercule  au  pays  des  Sinœ.  Certes,  nous  avons  vu, 
comme  par  une  sorte  de  convention  tacite,  le  Christianisme  et  le 
Bouddhisme  se  tourner  le  dos  et  marcher  l'un  à  la  conquête  de 
l'Occident  et  l'autre  de  l'Orient  :  mais  il  va  de  soi  qu'ils  se  sont 
rencontrés  dans  la  zone  indivise  de  l'Asie  antérieure,  patrie  de  cette 
gnose  ù  laquelle  tous  deux  ont  à  la  fois  contribué  et  puisé.  Tandis 
f[ue  l'Église  syrienne  s'implantait  dans  l'Inde  et  que  le  nestorianisme 
suivait  dans  l'Asie  centrale  les  traces  de  la  Bonne  Loi,  la  théo- 
sophie  indienne  pénétrait  de  son  côté,  à  la  faveur  des  échanges,  non 
seulement  à  Babylone,  mais  à  Alexandrie  et  jusque  dans  Home. 
Le  syncrétisme  qui  éclate  dans  l'art  existe  aussi,  non  moins  fécond 
mais  plus  caché,  dans  le  domaine  de  la  pensée  religieuse.  Un 
jour  viendra  où  nous  discernerons  mieux  ces  mouvements  d'idées  : 
mois  déjà  il  semble  que  nous  devions  distinguer  deux  grands 
moments.  Le  courant  d influence  qui.  jusqu'au  if  siècle  de  notre 
ère,  portait  à  l'Est  de  toute  la  hauteur  de  la  science  et  de  l'art 
helléniques,  commence  avec  leur  déclin,  à  partir  du  nf,  à  osciller, 
sinon  même  à  refluer.  Bientôt,  ([uand  avec  les  invasions  des  bar- 
bares se  sera  consommé  le  naufrage  de  la  raison  occidentale,  ce 
sera  le  tour  de  l'Inde  d'apporter  au  monde  méditerranéen,  retombé 
en  enfance,  une  pâture  à  sa  convenance  dans  la  sagesse  de  ses 
contes  et  l'édification  de  ses  légendes.  C'est  alors  que  des  traduc- 
tions pehlvies  et  syriaques  feront  entrer  tant  de  fables  et  de  fabliaux 
dans  notre  littérature  européenne,  et  introduiront  le  Bodhisatlva 
sous  le  nom  de  Josaphat  dans  le  martyrologe  romain  :   si  bien 


i;ecoi>e  du  g\ndh\r\  et  i;\rt  classique.        795 

qu'enriii  ou  croira  liouvei'  des  traces  dinlliience  bouddlii(|iic  jusque 
dans  les  fresques  du  Canipo  Santo  de  PiseC.  Mais  ce  contre- 
cnurant  indien  s'est  produit  trop  tardivement  pour  intéresser 
l'objet  de  notre  étude.  Si  nous  le  rappelons  ici,  c'est  qu'il  a  l'avan- 
tage de  nous  conduire  jusqu'à  la  fin  du  xiv"  siècle,  c'est-à-dire 
à  la  veille  de  l'apparition  de  Vasco  de  Gama  devant  Goa,  et  de  la 
reprise  des  relations  directes  entre  l'Europe  et  les  Indes  orientales. 
Aussi  lias  que  nous  descendions,  aussi  haut  que  nous  |)uissions 
remonter,  jamais  nous  ne  trouvons  trace  de  l'artificielle  muraille 
qu'on  s'était  accoutumé  à  dresser  entre  l'Est  et  l'Ouest  de  l'ancien 
continent.  L'Inde,  ni  même  la  Chine,  n'ont  pas  attendu  les  temps 
modernes  pour  entrer  dans  le  courant  de  la  civilisation  universelle. 
Nous  ne  saurions  souiiaiter  pour  notre  ouvrage  de  meilleur  résultat 
que  de  porter  le  dernier  coup  aux  préjugés  surannés,  mais  tou- 
jours vivaces.  qui  ont  trop  longtemps  borné  le  monde  ancien  à 
1  horizon  de  la  Bible  et  aux  limites  de  l'Empire  romain. 

Que  d'ambition,  dira-t-on  peut-être,  et  comme  elle  se  sent  bien 
des  lieux  qu'étudie  spécialement  l'auteur!  Ne  voilà-t-il  pas  un  petit 
Gandbâra  qui  veut  se  faire  aussi  gros  que  le  monde?  —  Qu'on 
nous  raille,  pourvu  c[u'on  nous  écoute.  Nous  nous  sommes  honnê- 
tement elforcé  de  garder  une  impartialité  entière  et  de  ne  pas 
faire,  selon  le  proverbe  indien,  comme  le  tisserand  qui  tin'  toujours 
à  soi  le  battant  de  son  métier;  ou  du  moins,  si  nous  avons  dé- 
formé quel([ue  peu  la  valeur  relative  des  faits,  c'est  seulement 
dans  la  mesure  où  il  nous  a  fallu  concenti'er  la  lumière  des  docu- 
ments et  l'attention  du  lecteur  sur  un  sujet  et  un  pays  particuliers, 
au  détriment  des  autres.  Arrivé  au  terme,  nous  ne  craignons  pas 
de  dire  f|u'il  serait  ditllcile  d'exagérer  rinq)ortauce  du  rôle  ([ue 
le  Gandbâra,  en  vertu  de  sa  situation  géograpbi({ue,  a  joué  dans 
l'histoire  du  Jàouddbisme  et  par  suite  de  la  civibsation  générab-  du 

'''  Cf.  A.  Grïnweiiel,  Mifllinlogie,  sant  les  splières  l'appelle  aussi  par  con- 
fig.  2  (où  se  trouve  reproduite  la  lameuse  traste  rrlle  du  démon  eudirassanl  les 
cavalcade).   L'image  du  Christ  einbras-         -rKniesi  de  la  transmigration. 


796  CONCLUSIONS. 

Vieux  inonde.  Terre  d'élection  des  artistes  classiques  et  berceau  ou 
séjour  favori  de  maints  grands  docteurs  bouddhistes,  il  a  su  tout 
d'abord  donner  leur  forme  définitive  à  la  légende  et  à  la  figure  du 
Maître,  puis  faire  pénétrer  dans  le  vieux  salutisme  de  l'Inde  cen- 
trale l'esprit  nouveau  qui  soufflait  de  l'Occident.  Au  point  de  vue 
des  idées  comme  de  l'art,  il  est  vraiment  la  tête  orientale  du  pont 
qui  reliait  le  bassin  de  la  Méditerranée  à  tout  l'Extrême-Orient. 
Aussi  est-il  du  moins  un  mérite  qu'on  ne  lui  contestera  pas  : 
c'est  d'avoir  facilité  de  nos  jours  l'initiation  du  public  européen  à 
l'intelligence  de  l'art  bouddhique  de  l'Asie.  Ses  détracteurs  eux- 
mêmes  en  conviennent,  et  peut-être  après  cela  ont-ils  mauvaise 
grâce  à  lui  reprocher  son  caractère  hybride  et,  pour  le  définir 
d'un  mot,  eurasien.  Là  gît  au  contraire  pour  nous  son  intérêt 
essentiel.  Du  point  central  d'observation  que  nous  avons  choisi,  il 
nous  est  nettement  apparu  que  l'Orient  et  l'Occident  ne  sont  pas, 
comme  on  l'a  trop  répété,  séparés  par  un  abîme  infranchissable. 
Déjà  ils  se  sont  rencontrés  et  ils  se  rencontrent  encore.  Non  con- 
tents d'avoir  développé  la  même  morale,  nous  les  avons  vus 
communier  sous  les  espèces  de  l'art  comme  nous  les  voyons  faire 
aujourd'hui  sous  celles  de  la  science.  Et  la  raison  en  est  simple. 
C'est  qu'en  dépit  de  toutes  les  difFérences  de  temps,  de  lieux  et 
de  races,  il  n'y  a  qu'une  science,  qu'un  art,  qu'une  morale,  parce 
qu'il  n'y  a  au  fond  qu'une  humanité. 


.s 


u 

cl. 

E 


TAIÎLI-:   DES   ILLUSTRATIONS. 

Planche  II.  Slatue  du  Biulilha  (frontispice). 

Pa^es. 

l''ig.  301.  Le  retour  de  Chandaka  et  de  Kantliaka  (cf.  I ,  p.  Sfiy-.^liM) ç) 

302.  Bravi , o 

303.  lAilleiirs  (rf.  fier.  171  A  et  172  «  1 11 

304.  La  conversion  iln  brigand  Angidimàla 1  -j 

305.  Fragment  du  même  sujet 1 3 

300-307.  .Soldats  de  l'armée  de  Màra  (cf.  iig.  20i-2o4) i5 

308-30'.).  Tètes  grotestjues in 

310.  Tête  comique  (lii;e  et  profil  j ig 

311-312.   Tètes  réalistes 91 

31  3.  Yaksa  flanquant  une  base  de  sli'ipn aS 

31'i.  Vaksa-Allante a.i 

315-316.  Génies  musiciens  (Gandharvas?) ay 

317.  Visite  du  Nàga  Klàpatra  (cf.  fig.  25 1  n] 3i 

318-31i).  Garuda  enlevant  une  Nàgî 33 

320.  Même  sujet,  formant  agrafe  de  turban 35 

321.  Garuda  enlevant  un  couple  de  Nàgas 87 

322.  Masque  de  Garuda 89 

323.  La  conversion  du  yaksa  Atavika  (cf.  fig.  aSa-aôS).    il 

32i.  Yaksa  porteur 43 

325.  Yaksa  allante 45 

32(5.  Le  Buddha  et  Vajrapàni  (cf  fig.  189) 49 

327.  \  ajrapâni-Kros 5 1 

328.  Vajrapàni-Héraklès 5i 

329.  Vajrapàni-llennès 53 

330.  Vajrapàni-Dionysos 53 

331.  \  ajrapàni-Zeus 57 

332.  Vajrapàni-Pan 67 

333.  Vajrapàni  costumé  en  paria âg 

334.  Vajrapàni  costumé  à  l'antique 61 

335-330.  Yaksinis  (cf.  fig.  loG) 65 

337-338.  Yaksinis 67 

339.  Vaksini 69 

339  Im.  Gandharvî  (?) 69 

3'i0.  Saj-asvati (■?) 7« 


798 
l'ijr. 


.Vii. 
;i'i2- 

3'r/i. 

3'i(5. 
3.'i7. 

3/18. 
3.'t9. 
350- 
353. 
354- 
358- 
360- 
36/i. 
305. 
36(i. 
367. 
368. 
309. 
370. 
371. 
372- 
37/1- 
370- 
378. 
379. 
380- 
382. 
383. 
38-'i. 
385. 
380. 
387. 
388. 
389. 
390. 
391. 
392- 
39/1. 
395. 
396- 


L'ART  (ini-r.o-iîorDDiiiorE. 

r^a  flfese  TeiTc 

3'i3.  Yavanîs 

Donateurs  avec  bi'ùle-parfuras  (cf.  lig.  187) 

Donateurs  avec  vilnira 


Donateurs  avec  rrjjiaiid  miracle-. 
Donateurs  avec 
Biidcilia 


II.   Inslijriition   du   Uodliisattva: 


h.   Iiivlltiliiiii    (lu 


Donateurs  avec  frlDsti;;alinn  du  Bodliisattva" 

Donateurs  avec  rrBodhisattva  dans  le  ciel  Tusitan  (cf.  fig.  i45). 
352.  Costumes  de  donateurs  indiens  et  barbares 

Roi  en  costume  barbare  (Première  méditation?) 

357.  Types  étrangers  (?) 

359.  Types  indiens 

303.  Types  idéalisés 

Pàncika ,  le  génie  des  richesses .    . 

Même  personnage 

Même  personnage 

Même  personnage 

Piolil  du  précédent 

Même  personnage 

Même  personnage 

Même  personnage 

373.  Même  personnage 

375.  Hàriti,  la  fée  aux  enfants 

377.  Même  personnage 

Même  personnage  (vu  de  lace  et  de  dos) 

Le  couple  tutélaire 

381.  Même  groupe 

Même  groupe 

Même  gi'oupc 

Même  groupe 

Même  groupe 

Même  groupe 

Même  groupe 

Même  grou|)e 

Même  groupe 

Le  génie  à  la  coupe 

Le  Taureau  entre  le  Soleil  et  la  Lune 

393.  Costume  et  parui-cs  du  grand  seigneur  laïque 

Tête  du  précédent 

Tète  avec  chignon 

397.  Tètes  avec  turban 


Pages. 
73 

77 
83 

83 

87 

89 
89 
9' 
93 
95 
97 

99 
101 
io3 
io5 
107 
108 
109 
1 1 
i3 

»7 

I  91 
199 

i33 

.37 
i/.i 
i45 
.69 
i53 
■  57 
,59 
161 
i65 
.69 

7» 
.73 

'79 
i83 
i85 
.89 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS.  799 

Fijj.  398-399.  Bouffelles  de  turban 189 

'lOO.   (t.   L'bomnKige  du  Miiga  Kàlika  (cf   li,o-.  i-j'i-igS);   b.   M;u'a  cl  sfs 

filles  au  Bodliimanfla  (cf.  (ig.  ioi  i iq3 

/lOl.  Mâra  et  ses  filles  au  Bodliimanda 1 1,3 

i02.   L'assaut  de  Màia iny 

/l03.   Mâia .201 

'lO'i.  Mura 201 

'i05.  Le  (iraud  Miracle  de  Çràvasti .2o5 

'1 0(J.  Même  sujel aoy 

hf)l.  Même  sujel 209 

.'1O8.   Même  sujet .211 

i09-ii  0.  Dieux  ou  Bodliisaltvas  (?) a  1 3 

'1 11-/)12.  Brahmà  et  India 2  1  5 

'1 1  3.  Le  Bodhisallva  SidJhài-tlia  (cf.  fig.  175-176'! 217 

'1 1  '1.  Même  personnage 219 

Vlo-i'16.  Les  deux  types  de  Bodliisattva,  avec  ou  sans  turban 221 

'1 1 7.  Le  Bodhisaltva  Siddhâitlia  (?) 2a3 

'1I8.   Le  Bodhisaltva  Maitrêya 2a5 

h  19-'i20.  Même  personnage 227 

'i21.  Même  personnage aaS 

'|22.  Même  personnage 229 

'i23.  Même  personnage  (?) 281 

^i2/i.  Même  personnage  (?) 233 

'i2.").  Bodliisattva  à  luiban  ,  enseignant 235 

/liG.  Le  même,  assis  à  l'européenne 287 

't27.  Bodhisaltva  médilq^it,  avec  lotus 289 

'i28.   l'ndliisattva  au  lotus 261 

.'i29.   Bodhisallva  avec  figurine  de  Buddha  dans  le  turban a'ia 

/|30-'|31.  Novices  brahmaniques 9^5 

'i32.  La  réunion  des  seize  Pâràyanas 2^7 

/i33.  La  proposition  de  Mâkandika aig 

hZh.  Scènes  diverses  (cf.  (ig.  7^1) aôi 

435.  Kàçyapa  d'Uruvilvà 0.53 

'i36.  Même  personnage 257 

'|37.   Le  Pari-iiiiriina  du  Buddha 261 

'i38.   Le  père  du  lUsi  Ëkaçiinga 205 

'|39.   Le  Çiainana  Gaulama 269 

'l'ifl.   Même  personnage 278 

Vi  J.  Vajrapàni  et  moines  bouddhistes 277 

i/i2.  Moine  bouddhiste 281 

/i'i3.  L'inlervenlioii  d'Ananda  eu  faveur  des  remnics(?) a85 

'l'i  't.   Le  Pnri-iiin'diiu  d'Ananda 287 


800  L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE. 

Papes. 

Fig.   ^i'i5.  Le  type  indo-grec  du  Rmlillii aqi 

/i'i6.  Même  type 202 

V'i6  hls.  Profil  du  précédent 203 

.'i47.  Le  sommeil  des  femmes  (cf.  fig.  178-180) 297 

.'i48.  Tête  de  Buddiia ;5oi 

/i49.  Tête  de  Buddha 3o3 

/|50.  Tête  de  Bodhisattva 3o5 

i51.  Face  de  Buddha  ou  de  Bodhisattva  (?) 307 

/|52.  Buddha  faisant  ie  geste  qui  rassure Son 

'i53.  Main  droite  d'un  Buddha  (trois  aspects) 3i  1 

liiyft.  a.  Bodhisattva  ;  h.  Buddha;  c.  Moine 3i3 

/i55.  Buddha  méditant 3i5 

/|56.  Buddha  enseignant 319 

/i57.  Les  sept  Budiihas  (hi  passé  et  cehii  de  l'avenir SaS 

i58.  a.    Le  Grand  Miracle  de   ÇrAvasIî;  h.    La    prédiction   (ki    iîuildha 

Kâçyapa 327 

^i5D.   a.   Adoration  du  vase  à  auniùnes:   /;.   Grand   Miracle  de  Crùvaslî; 

c.  instigation  du  Bodhisallva 33 1 

/16O.  La  présentation  de  ia  fiancée  (cf.  lig.  168) 389 

hdi.  La  présentation  du  serpent  de  Kà(;ya|ia  (cf.  fig.  225  n,  2->G,  907rt).  343 

462.  Tête  de  Buddha 3/I7 

463.  Buddha  avec  des  flammes  issant  des  épaules 35 1 

464.  Yaksas-Atlantes  de  Sânchi 355 

465.  Yaksa  d'Amaràvatî 359 

466.  Garuda  et  Mâga  à  Amarâvatî 363 

467.  Nâga  de  Matlmi-â 367 

4G8-469.   Nàga  et  Yaksa  de  Barluit ' 371 

470.  Yaksa  <le  Sânchi  (l'àncika ?) 875 

471.  Yaksa  de  Sânchi 379 

472-473.  Yaksinîs  (ancienne  école  de  Mallmià^ 363 

474.  La  Nativité  à  Sânchi 887 

475.  L'Illumination,  la  Première  prédication  et  le  Pnri-nirrnini.  n.  A  Sân- 

chi ;  b.  A  Amarâvatî 891 

Planche  III.  Monnaies  des  Yavanas eu  face.  896 

Planche  IV.  Monnaies  des  Çakas-Pahlavas m  face.  898 

Planche  V.    Monnaies  des  Kusanas  et  des  Guplas en  face.  4oo 

Fig.  476.  Hérakiès,  au  Gandhàra 465 

477-'i78.  Les  deux  Buddhas  datés 491 

479.  L'instigation  du  Bodhisattva  cl  (Idnalcm- 498 

480.  Buddha  de  modèle  ancien 495 


TABLE   DES  ILLLSTRATIO.NS.  801 


l'ajw 


i|;cs. 


'i81.  Budilha  ayant  irpaule  droite  et  les  pieds  découverts h^-j 

/|82.  Biifldha  enseignant 5oi 

/)83.  Le  même,  stylisé 5o3 

/|84.  Le  Hrand  Miracle  de  Çràvasli 507 

'j85.  Même  sujet ,  avec  Buddiia  assis  à  l'européenne 5 1 1 

i86.  Spécimen  de  Tdouble  ruine n 5i3 

'i87.  Hàiili  do  basse  époque 5i 5 

i88.  Hàritî,  au  Kaçmîr^face  et  profil) 517 

'i89.  Première  méditation  du  Bodhisattva,  à  Mathurà 5.21 

/i!)0.  Pâficika-Mahâkâla,à  Malliurà 523 

491 .  Même  personnage SaS 

492.  rrScène  de  Bacchanale»,  à  Matliurà Saq 

493.  Tête  de  Mathurà 53 1 

'i94-495.  Têtes  de  Mathurà 535 

'i96-497.   Maitrêya  ,  à  Mathurà 537 

'i98.  Les  huit  grands  miracles,  à  Bénarès 539 

/|99.  Pàncika-Maiiàkâla,  à  Sànchi 543 

500.  Les  huit  grands  miracles,  au  Magadha 545 

501.  n.   Buddha;  b.   Couple  tutélaire;  c.   Lutins,  au  Magadha 649 

502.  Mahàkàla-Jamhliaia,  au  Magadiia 55 1 

503.  La  Tentation  du  Buddha,  à  Ajantâ 555 

504.  (fScène  de  Bacchanale^  ,  à  Ajantâ 557 

505.  Le  couple  tutélaire,  à  Ajantâ 569 

506-507.   Les  quatre  giands  miracles,  à  Amarâvalî  et  Bénarés 563 

508.  La  Tentation  du  Buddha,  à  Amarâvalî 565 

509.  La  présentation  deBâhula,  à  Amarâvalî  (cf.  (îg.  23i  c) 569 

510.  La  Soumission  de  réléjihant,  à  Amaiàvalî  (cf.  (îg.  i^'j-iiSr^) 571 

511.  Le  Grand  .Miracle  de  Çràvastî,  à  Bénarès 573 

512.  Le  Grand  Miracle  de  Çràvastî.  à  Java 676 

513.  Pàiicika  et  autres  Yaksas,  à  Java 679 

514.  Pâncika ,  à  Java 583 

51  5.  Hàritî.  à  Java 585 

516-517.   Types  du  religieux  brahmanique  et  bouddhique,  à  Java 587 

518.  La  visite  d'Asita,  au  Cambodge  (cf.  fig.  161) 889 

519.  Religieux  brahmaniques,  au  Cambodge 593 

520.  Type  de  brahmane,  au  Cambodge 695 

521.  Buddhas  assis  sur  le  Nâga,  au  Cambodge 099 

522.  Le  Retour  de  Chandaka  et  de  Kanthaka,  au  Campa  (cf.  lig.  3oi). .  .  6o3 

523.  Les  quatre  grands  miracles,  en  Sérinde 6o5 

524.  Masque  grotesipie,  en  Sérinde 607 

525.  Tête  de  Garuda  ,  en  Sérinde 609 

526.  Coiffure  de  la  Sérinde 61.? 


802  L'ART  GHKCO-BUUDDHKJUE. 

l'agus 

Fig.  527.  Costume  de  la  Sériiulc 61 5 

528.  Pâiicika  ou  Vaiçravana,  en  Séiiude 619 

529.  Hârilî,  enSérinde 621 

530.  Hâiilî,  cil  St^iinde  (cioquis  complété) GaS 

531.  Char  du  Soleil,  en  Sérinde 627 

532-534.  Types  de  brahmane,  en  Sérinde 699 

535.  Brahmane  et  liutle  de  roseaux,  en  Sérinde  (cf.  iig.  189) 633 

536.  Le  Buddlia  et  ses  moines,  en  Sérinde 635 

537.  Dvârapàla,  porteur  du  foudre,  du  trident  et  du  pétase 637 

538-539.  Hàritî  (comme  avatar  de  Kouan-Yin),  en  Chine 6ii 

bhO.  Types  du  Buddha  et  de  Maitréya,  en  Chine 6^3 

541.  Stèle  chinoise  (660  ap.  J.-C.) 667 

542.  Stèle  chinoise,  eu  deux  styles  (55i  ap.  J.-C.) 669 

543.  Masque  de  Garuda  (T'ien-kéou),  au  Japon 653 

544.  Mahàkâla  (Dai-kokou),  au  Japon 655 

545.  Hàriti  ( Ki-si-mo-djin ) ,  an  Japon 669 

546.  Hàriti  (Ki-si-nio-djln) ,  au  Japon 661 

547.  Vaiçraniana  (Bishamon),  au  Japon 665 

5'i8.  Maitréya  (Mi-ro-kou  ),  au  Ja|)on 667 

549.  Vaiçravana ,  au  Tibet 669 

550.  Bodhisattva-Buddha,  à  Mathurà 679 

551.  Tête  de  Buddha,  à  Mathurà 683 

552.  Buddha  gandhârien,  à  Mathurà 685 

553.  Buddha  gandhârien,  à  Mathurà 687 

55'i.  Buddha  de  Prayâga 691 

555.   Buddha  de  Bénarès 693 

550.   Buddha  (de  Mathurà),  au  Magadha 697 

557-558.  Buddhas  (de  style  Pâla),  au  Magadha 699 

559.  Buddha  de  Ceylan 7o3 

560.  Buddha  du  Cambodge 700 

561.  Buddha  de  Java 707 

562.  Buddha  de  la  Sérinde  méridionale 711 

563.  Buddha  de  la  Sérinde  septentrionale 7  1  3 

564.  Buddha  (de  l'époque  des  Wei),  en  Chine 7)5 

565.  Buddha  (de  l'époque  des  T'ang),  en  Chine 719 

566.  Amitàbha  entre  deux  Bodhisatlvas,  au  Japon 721 

567.  Buddha,  de  Bénarès,  assis  à  l'européenne 725 

568.  Buddha,  de  Java,  assis  à  l'européenne 727 

569-572.   Formes  diverses  de  Viixiiha 73 1 

573.  Tète  indo-grecque  de  Buddha,  retouchée 733 

57'i.  Tête  de  Buddha ,  aux  cheveux  ondes 734 

57'i  bis.  Profil  du  précédent 735 


TABLE   DES  ILLISTU ATIONS.  803 

PngeB. 

575.  Tête  de  Buddlia  ,  aux  cheveux  stylisés ^43 

576-577.  Têtes  de  Biiddha  montiaiit  la  stylisation  croissanio  des  ondrs 

des  cheveux yiS 

578.  Tête  de  Buddha,  aux  cheveux  bouclés,  du  Gaudbàra 7/19 

579-582.  Tètes  de  Buddha  montrant  la  stylisation  croissante  des  honcles 

des  cheveux -  5 1 

583.  Buddha  du  Gandhàra 755 

584.  Buddha  de  Mathurà ^55 

585-585  bis.  Buddha  d'Amaràvati  (deux  as|)ects  de  la  même  statue  ) ....  787 

586-586  bis.  Buddha  du  Cam[)a  (face  et  dos) 761 

587.  Buddha  de  Mathurà yOS 

588.  Buddha  de  Bénarès .  .    .  7G5 

588  bis.  Buddha  du  Magadha 7G5 

589.  Buddha  d'./Vjantâ 769 

590.  Buddha  du  Japon 76;) 

591.  Spécimen  d'imagerie  bouddhique  sérindienne 771 


592.  Buddha  tenaut  une  statuette  du  Buddha  (?) 770 

593.  Christ  gréco-chrétien 777 

594.  Buddha  gréco-bouddhique 777 

595.  Le  couple  tutélaire  chez  les  Jainas 781 

596.  Statue  du  Jina ,  à  Mathnrà 783 

597.  Le  couple  tntéiaire  en  Gaule 786 

598.  Même  groupe 789 

599.  Vierge  copte 791 

600.  Vierge  romane 790 

Planche  VL  Le  reliquaire  de  Pêshawar en  face.  796 


TABLE  DES   MATIERES. 


TROISIEME   l'ARTIl-:. 

LES  IMAGES. 
(JHAPITUE   X. 

Lies    CASTES    INFÉRIEIRES. 


1.      Parias  i:t  dkmo.ns 

Les  parias,  p.  8.  —  Les  démons  et  les  grotesques,  p.  16.  —  Les  jjénlcs, 
p.  9  0. 


Pages. 

7 


S  II.    Nâgas  et  Suparnas 28 

Les  Nâgas,  ]>.  a8.  —  Les  Suparnas,  p.  3a. 

S  III.   Les  Yaksas io 

S  IV.  Vajrapâxi .        i8 

S  V.    Femmes  et  Fées fi  '1 

Les  Devalà,  p.  6i.  —  Los  ïavani ,  p.  69.  —  Le  costume  léminin,  p.  79. 

CHAPITRE  XI. 

I,ES    CASTES    MOYENNES. 
S  I.         Les   it  MAÎTRES  DE   MAISON' Jï 8('» 

Les  donateurs,  p.  86     —  Les  costumes,  p.  (jn.  —  Les  types,  p.  yij. 

S  IL     Le  géme  des  RICHESSES 1  oa 

Sa  description,  p.  io(J.  —  Son  idealitication ,  p.    1  m.  —  Sa  double  évo- 
lution, p.  I  20. 

S  III.  La  Fée  aii.x  enfants «  .30 

Sa  légende,  p.  i3j.  —  Ses  images,  p.  i3.t.  —  Sa  dillusion,  p.  i3G. 

S  IV.  Le  couple  tctélaire lia 

La  fée  à  la  corne  d'abondance,  p.  i43.  —  Le  génie  à  la  coupe,  p.  167.  — 
Le  culte  populaire,  p.  i53. 


806  I.  A  UT  GUECU-BUUDDHIOIJE. 

Pages. 

S  V.    Les  Du  uiyoREs i  S5 

Les  Lokapâla,  p.  l 'iS.  —  Candra  et  Sùrya,  p.  iGa.  —  Le  lémoignage  des 
moTimiies,  p.  16  A. 

CHAPITRE  XIL 

LES    HAUTKS    CASTES. 

S  I.        Lus  NOBLES  r.T  LES  ROIS 1  77 

Costume  et  parure,  p.   178.  —  Rdjaptilru  et  Dei-apiilia .  p.   i88. 

SU.    Les  grands  dieux 1 90 

Màra,  p.  197.  —  Bralimà  et  Indra,  p.  503. 

S  IIL  Les  Bodhisattvas •'  1 0 

Le  témoijjnage  des  Ecrituros,  p.  912.  —  Le  témoignage  des  scènes  légen- 
daires, p.  a  16.  —  Témoignage  des  motifs  décoratifs,  p.  9  a  a.  —  Le  Bodlii- 
sattva  Siddiiârtlia,  p.  228.  —  Le  Bodliisattva  Maitrêya,  p.  280.  —  Antres 
Bodhisattvas,  p.  aSG. 

CHAPITRE  XIII. 

LES   HORS   caste. 

.S  L      Les  religieux 260 

Les  ascèles  brahmaniques,  p.  aûa.  — Les  Tirthija,  p.  aôy.  —  Les  Bkiksu, 
p.  968. 

S  IL    Le  type  du  BrDDHA 978 

I.  La  léte  du  Buddha,  p.  uSo.  —  A.  Les  éléments  importés,  p.  289.  — 
B.  L'apport  indigène,  p.  n84;  Xùrnà,  p.  288;  ïusntsa,  p.  989.  —  C.  La 
combinaison,  p.  3oo.  —  IL  Le  corps  du  Buddha,  p.  3o'i.  —  .4.  Les  signes 
corporels,  p.  3o4.  —  B.  L'habit  monastique,  p.  3i9.  —  IIL  La  synthèse 
du  type,  p.  3 16.  —  Buddha  et  moine,  p.  817.  —  Buddha  et  Bodhisattva, 
p.  390. 

S  IIL   Les  divers  Bdddhas 323 

Le  Buddha  Çàkya-niuni,  p.  Sai!.  --  Les  jmslures,  yi.  32i.  —  Les  gestes , 
p.  826.  —  Les  autres  Buddhas,  p.  89g.  —  Les  sept  Buddhas,  p.  829.  — 
Les  Buddhas  Dipankara  et  Kdrijapa,  p.  332.  —  Les  Dliyàni-Buddhas,  p.  333. 


CHAPITRE   XIV. 

BEVUE  GÉNÉRALE  DES  IMAGES. 

La  question  de  priorité  entre  les  bas-reliefs  et  les  statues,  p.  338. 

SI.         La   TECHNIQl  E  DES  IMAGES ' S/lg 

Matière  et  facture,  p.  347.  —  Les  draperies,  p.  35o.  —  Les  lignes,  p.  309. 


:  .  TAliLE.UES  MATIÈRES.  807 

Pages. 

s  II.    L'identification  des  images So- 

La  répartition  des  types,  p.  3.58.  —  Lnksana  el  mudrd,  p.  80 1. 

S  m.  Rapports  et  contrastes  avec  l'école  indienive 363 

L'exception  du  Buddha,  p.  364.  —  Le  niiidw,  p.  3GG. 

S   IV.    Les  rapports  avec  l'évolution  des  doctrines  BOODOniQUES 371 

L'influence  du  Mahàtjàna  sur  l'école,  p.  878.  — •  L'influence  de  l'école  sur 
le  Mahàyàna,  p.  877.  —  La  question  de  l'idolâtrie,  p.  882.  —  Définitions, 
p.  885. 

S  V.    L'intérêt  historique  des  images 388 

L'Hindouisme,  p.  889.  —  Le  Bouddhisme,  p.  890.  —  La  société,  p.  3g8. 

Planche  111.  Monnaies  des  Yavanas 3q5 

Planche  IV.  Moanaies  des  Çaka-Pahlavas 397 

Planche  V.    Monnaies  des  Kusanas  et  des  Guptas Sgg 


QUATRIEME   PARTIE. 

LHISTOIRE. 

CHAPITRE  \V. 

LES   ORIGINES    DE   l'ÉCOLE    DU  GANDIlÀRA. 

Parenthèse  sur  la  peinture,  p.   '409.     —  Objet  et  plan  de  notre  enquête 
historique,  p.  /io5. 

S  I.      Le  Bouddhisme  au  Gandhàrv ioy 

La  conversion,  p.  ^07.  —  L'acclimatation  des  légendes,  p.  4ia.  —  J.a 
seconde  terre  sainte,  p.  'ii(). 

S  II.    L'Hellénisme  au  Gandhâra 4a  1 

Alexandre,  p.  /laa.  —  Les   Indo-Grecs,  p.  '129.    —  Les  Barbares,  p.   183. 
—  La  date  du  prem  er  Buddha,  p.  438. 

S  III.    La  rencontre  du  Bouddhisme  et  de  lIIkllénisme Uh'è 

Pourquoi  le  Gandhâra,  p.  443.  —  Les  Yavana,  p.  447.  —  Les  Uauddha , 
p.  455.  —  Les  artistes  gandhàriens,  p.  46i. 


808  L'ART  GREGU-BOUDDHlUlE. 

Pagp». 

CHAPITRE   XVI. 

L'ÉVOLUTION   DE  L'ÉCOLE   DU    GANDHÀRA. 
S  I.         Là  CRITIQUE  DES  DOCUMENTS hj^ 

Los  littératures  indigènes,  p.   678.  —    Les  littératures  étrangères,  p.  ^75. 

—  L'archéologie  classique,  p.  477.      -  La  numismatique,  p.  479.  —  L'épi- 
grapiiie,  p.  48a.  —  Une  hypothèse,  p.  4H4. 

S  IL    La  FORMATION  DP.  l'école  (i"  siècle  avaat  J.-C.  ) 486 

Le  cadre  général,  p.  487.  —  Les  documents  gandhàrieiis,  p.  48,|;/c.s 
statues  itiscntes ,  p.  490;  les  tifpe$  monétaires  ^  p.  4g'2;  les  modèles  hellé- 
nistiques, p.  498;  les  motifs  indo-iraniens,  p.  4g4.  —  L'œuvre  du  i"  siècle 
avant  notre  ère,  p.  4g6. 

S  III.  La  FLORAISON  DE  l'^colf,  ( i"  siècle  après  J.-C.) ."ioa 

Le  facteur  politique,  p.  5o3  ;  ta  date  de  Kaniska,  p.  5o.'i;  les  Kusana, 
p.  5i3;  te  rôle  de  Kanisica,  p.  5i8.  —  Le  facteur  économique,  p.  5ao.  — 
Le  facteur  artistique,  p.  SaC.  —  La  question  de  l'influence  romaine, 
p.  .')33.  —  Médiocrité  n'est  pas  décadence,  p.  54o.  —  L'œuvre  du  i"  siècle, 
p.  ,544. 

S  IV.  Le  déclin  de  l'école  (ii'-iii'  siècle) 553 

Longévité,  uniformité,  médiocrité,  p.  555;  tes  rapports  avec  t'OccidenI . 
p.  558;  la  Gnose  et  te  Bouddtiisme ,  p.  56i;  les  ateliers  frandhàriens ,  p.  667. 

—  Les  débuts  de  la  décadence,  p.  57a;  les  causes  politiques,  p.  574  ;  les  rai- 
sons tirées  de  l'histoire  de  l'art,  p.  576. 

S  V.    La  fin  de  l'école .S77 

La  survie  (iv'-v*  siècles),  p.  079.  —  Ln  première  destruction,  p.  586.  — 
La  destruction  définitive,  p.  Sgo.  —  Les  doiiWes  ruines,  p.  592. 


CHAPITRE   XVII. 

INFLUENCE    DE    L'ÉCOLE    DU    GANDHÀRA. 

S  I.      L'influence  dans  l'Inde fioi 

Mathurà,  p.  (ioa.  —  Le  hasiin  oriental  du  Gange,  p.  C08.  —  Le  Dékhan, 
p.  61  2. 

S  IL    La  voie  de  mer 617 

Ceyian,  p.  6ao.  —  Java,  p.  622.  —  L  Indochine,  p.  (iati. 

S  m.  La  route  de  terre 632 

La  Baciriane,  p.  635.  —  La  Sérinde,  p.  644.  —  La  Chine,  p.  658.  —  Le 
Japon,  p.  666.  —  Le  Tibet,  p.  670. 


TABLE   DES   MATIERES.  809 

Pagr.. 

CHAPITRE   XVliJ. 

RÉSUMÉ   HISTORIQUK. 

(revub  uén^rale  des  images  du  uuduha.i 

s   1.         Le  DlU-VIJAÏA    DD   BUDDHA  INDO-  CltEC 676 

La  conquête  du  Sud-Ksl,  p.  680.  —  La  conquête  du  Nord-Est,  p.  684.  — 
Après  la  conquête,  ji.  (J87. 

S  IL     L'kvolition  dd   type  uu  BiuDiiA 69a 

Les  cheveui,  p.  6gG.  —  Les  draperies,  p.  70a.  —  L'interprétation  chro- 
nologique et  esthétique  des  faits,  p.  708. 

S  IIL  La  lf'ge.nue  a  l'appui  de  l'histoike 717 

L'ahsence  d'images,  p.  718.  —  Les  images  apocryphes,  p.  73^.  —  Les 
images  miraculeuses,  p.  739. 

CONCLUSIOINS. 

S  I.      L'influence  classique  dans  l'art  de  l'1\de 7'i3 

Le  répertoire  de  l'ancienne  école,  p.  ']h-2.  —  La  teclinique  de  l'ancienne 
école,  p.  7^7.  —  Les  arts  brahmanique  et  jaina,  p.  753.  —  L'art  indien 
avant  l'Histoire,  p.  730.  —  Le  développement  historique  de  l'art  indien, 
p.  760. 

S  IL    L'influence  classique  en  Extrême-Orient. 767 

En  Insuliiide,  p.  767.  —  En  Chine,  p.  770.  —  Le  mécanisme  de  lin- 
Suence,  p.  776. 

?i  III.    L'ÉCOLE   DU  GaNDHÂRA  ET   l'aRT   CLASSÎQl'E 779 

Rapports  avec  l'art  païen,  p.  779.  —  Rapports  avec  l'ait  chrétien,  p.  788. 
—  Orient  et  Occident,  p.  790. 

Table  des  illustrations 797 

Table  des  matières 8o5 


N  Foucher,    Alfred  Charles 

7301  Auguste 

F67  L'art  gréco-bouddhique  du 

t. 2  Gandhâra 


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